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un amour préférentiel oriente tous les amours

homélie du 23°dimanche, 9 septembre

Laissez-moi vous le dire : être le disciple du Christ, c’est une condition merveilleuse qui nous est proposée ! Nous avons du mal à imaginer la proposition extraordinaire qui nous est faite, le projet ambitieux qui s’ouvre devant chacun de nous : avoir pour ami et pour entraîneur ou pour patron la personne la plus formidable que la terre ait porté, le Christ Jésus lui-même. C’est bien différent qu’adhérer à un parti politique motivant, bien différent de suivre un leader charismatique. C’est être disciple d’un gars qui a osé affronter ce qui nous fait le plus peur dans notre vie, le dépouillement et la mort, et qui nous invite à être les vainqueurs de cela comme lui, car il est ressuscité.

Je trouve que ce que Jésus nous propose en vaut vraiment la peine, et je le mesure presque tous les jours dans ma propre vie, quand je vois la paix qu’il me donne, ou la force dans les moments difficiles. Cela vaut la peine et le prix annoncé dans l’évangile d’aujourd’hui ne doit pas nous décourager.

Pourtant ce prix est très élevé. Jésus nous affirme que ce serait insensé de vouloir être son disciple sans « renoncer à tous ses biens », « à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie. » (Lc 14,33.26) Vouloir être disciple du Christ sans le préférer à tout cela, c’est comme entamer une construction sans espérer pouvoir l’achever.

Il y a de très rares personnes qui vivent cet évangile à la lettre, par exemple saint François et certains de ses disciples. Pour les autres, pour vous et moi, que faire ? Je dis bien “vous et moi” car si j’ai renoncé à une épouse et des enfants, je suis néanmoins volontiers accueilli chez mon frère et chez de nombreux amis, je possède un lit bien chaud, un bureau, un ordinateur, des tas de livres et un salaire suffisant.

Si Jésus nous invite à toutes sortes de renoncements, c’est à cause d’un attachement qui est supérieur. Les paroles de Jésus, « me préférer à » tout, nous incitent à une exclusivité, relative à l’amour. Une épouse pourrait bien demander à son mari : est-ce que tu me préfères au football ? Elle peut demander : est-ce que tu me préfères à tes parents, à tes frères ? Et si cette demande ne relève pas d’un amour capricieux, son mari sera juste de lui répondre “oui, pour toi je renoncerais à tout”. Heureux même celui qui peut dire à quelqu’un : je te préfère à ma propre vie. Ce sont des paroles d’un amour fort, d’un amour vraiment digne de l’homme.

Ce qui est vrai dans l’amour humain l’est aussi dans l’amour divin. C’est moins facile car cela se vit dans la foi, cela exige de croire que ce Dieu que je veux préférer à tout existe et m’aime. Mais le Christ nous demande d’entrer avec lui par la foi dans une relation d’amour, et de l’amour le plus beau. Il n’a rien à faire d’une sorte d’affiliation, d’une carte du « club Église », ni même d’une vague sympathie. Il sait bien que nous ne serons heureux d’être ses disciples que si nous nous attachons à lui de l’amour le plus fort dont nous sommes capables.

Bon, maintenant, ne soyez pas honteux d’être marié, de vous attacher de tout votre cœur à votre conjoint, à vos enfants, à votre famille, à vos amis. Mais il ne suffit pas d’aimer Dieu « à travers » son conjoint, ses enfants, ses amis, comme on entend parfois. Ce n’est pas assez, ce n’est pas cela que le Christ veut : il veut que nous le préférions à tous ces amours qui peuvent être si beaux.

Lorsque nous aurons osé donner cette préférence au Christ, nous vivrons d’ailleurs mieux tous les autres amours, car notre cœur sera libéré de tout ce qui aurait pu être maladif dans notre amour des autres. Aimer c’est accepter d’être dépendant d’un autre. Or ce n’est pas toujours librement que l’on accepte la dépendance à l’autre que crée l’amour. Parfois c’est une dépendance subie, car un vague instinct nous y force. Alors nous aimons la personne et en même temps elle nous encombre ou nous domine. La façon dont Jésus nous demande de le préférer crée en nous une liberté par rapport aux personnes, par rapport à leurs exigences envers nous. Nous pouvons nous dire : mon maître c’est Dieu ; et il exerce sur moi sa domination parce que je l’aime.

Ainsi, finalement, nous sommes heureux que Dieu nous dise parfois : « je suis un Dieu jaloux » (Ex 20,5 ; Jos 24,19 ; Is 37,32, etc.) Cela nous libère dans nos façons d’aimer.