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Comment ressuscite-t-on ?

homélie du 11 novembre 2007

A l’époque de Jésus comme à la nôtre, il y a des gens qui ne croient pas à la résurrection. Rien de nouveau sous le soleil, dirait l’Ecclésiaste ! Jésus va leur répondre par deux arguments. Le premier est tiré de la Bible telle qu’elle était connue de tous les juifs de l’époque, en faisant allusion à une parole relatée par Moïse. Le second argument donne plutôt quelques détails sur les modalités de la vie dans la résurrection.

Dans le premier argument, Jésus relève que Dieu se présente à Moïse comme « le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » (Ex 3,6) et que Dieu ne ferait pas allusion à des morts pour se présenter. C’est donc qu’Abraham, Isaac, Jacob sont vivants.

Cette argumentation de Jésus laisse penser beaucoup de choses. Si on peut dire qu’Abraham est vivant, c’est parce que Dieu est Dieu d’Abraham, c’est parce que Dieu accepte de se laisser définir ainsi, c’est à cause du regard d’amitié posé par Dieu sur Abraham. C’est rare qu’une épouse aime d’être définie comme “la femme de un tel”, et réciproquement, ou qu’on aime être présenté comme “le fils de...”. Il n’y a que l’amour qui peut faire accepter cela. Ici Dieu se présente lui-même comme : Dieu d’Abraham, Dieu défini par sa relation à Abraham. Et je crois que Dieu aimerait être présenté ainsi par rapport à chacun de nous aussi. Cela en dit long sur son amour. Abraham vit d’avoir accueilli l’amour de Dieu, et Jésus sous-entend souvent que c’est l’accueil de cet amour qui donne la vie. « La vie éternelle — dira-t-il un jour — c’est de te connaître » (Jn 17,3)

Dans toute la pensée chrétienne, un fait apparaît clairement : la source du bonheur sera l’intimité avec Dieu, ce sera, comme dit saint Paul, « habiter chez le Seigneur » (2Co 5,8), « être avec le Christ » (Ph 1,25).

Il est temps d’aborder le deuxième argument, qui pourrait nous inquiéter un peu. Qu’est-ce que cela veut dire : « ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges » (Lc 20,35-36) ?

Jésus démonte l’argument des sadducéens en affirmant que la vie dans la résurrection ne ressemblera pas à la vie terrestre et qu’il n’est pas question d’utiliser une comparaison comme celle des sept frères. On sera comme des anges : il ne s’agit pas d’un retour à une vie pseudo-terrestre.

Mais alors, dans cette annonce qu’on ne se marie pas au paradis, devons-nous penser que nous serons de parfaits étrangers l’un à l’autre, un immense troupeau d’anges solitaires qui auront simplement entre eux des rapports paisibles mais incolores et occasionnels ? Doit-on penser que tous les liens tissés ici sur terre seront dissous et que nous nous retrouverons au ciel avec un cœur “formaté” ?

La raison pour laquelle on ne se marie pas, dit Jésus, c’est qu’on ne peut plus mourir (v.36). Jésus ici ne considère dans le mariage que la dimension qui pallie à la mort, c’est-à-dire la dimension de la procréation par la vie sexuelle. Il est dans le mariage des composantes plus éternelles qui ne sont pas visées ici. Les liens d’amour, d’ouverture mutuelle, la façon dont on se laisse marquer par l’autre et tous les efforts que l’on fait pour l’accueillir dans notre cœur, tout cela est marqué du sceau de l’éternité, de ce que souligne le Cantique des cantiques quand il affirme que l’amour est fort comme la mort et que les grandes eaux ne peuvent le submerger (Ct 8,6). Et il ne s’agit pas seulement de l’amour conjugal, mais tous les liens que nous aurons eus à cœur de tisser sur terre seront poursuivis et amplifiés dans la résurrection, lorsque les dimensions de notre cœur ne seront plus limitées par notre inscription présente dans le temps et l’espace.

J’en veux pour preuve quelques témoignages. D’abord le fait que nous comptons sur l’assistance des saints. Il n’est pas imaginable qu’ils nous diraient : je vais t’aider, mais ensuite quand tu seras au ciel je t’ignorerai pour me délecter dans mon coin de la beauté de Dieu. Les saints sont nos amis. J’apprécie aussi beaucoup cette affirmation de Marthe Robin :

quand le ciel s’ouvrira pour m’accueillir, j’oserai alors penser que c’est bien mon tour de tomber pour toujours dans les bras de mon Père. Il me semble qu’au ciel je serai tout près de ceux que j’aurai aimés, de tous ceux qui m’ont fait du bien, surtout celui de m’avoir guidée vers le Bon Dieu.

Je voudrais aussi citer la lettre que saint Thomas More emprisonné à la tour de Londres écrivit à son ami Antonio Bonvisi peu de temps avant son exécution :

de toutes mes forces je prie le Dieu très grand pour (...) qu’il nous transporte, par sa compassion, de ce monde misérable et orageux dans sa paix, là où il n’y aura pas besoin de lettres, où aucun mur ne nous séparera, où aucun portier ne nous empêchera de parler ensemble, mais où, avec Dieu (...) nous jouirons pleinement de la joie éternelle.

Plus nous nous ouvrons les uns aux autres, plus nous nous préparons un ciel lumineux.