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je veux aimer ce que tu aimes

homélie du 6°dimanche de Pâques

Ce n’est pas toujours facile de bien saisir comment amour et commandements se combinent dans nos rapports avec Dieu. Certains schématisent l’histoire de l’Église en deux périodes ; dans la première Dieu était présenté comme celui qui nous impose durement ses commandements et nous examine d’un œil de juge, tandis que dans la seconde, aujourd’hui, nous apprenons que Dieu nous aime et n’est que tendresse... et nous ne savons plus très bien quelle place donner à ses commandements. Au milieu de cette perplexité, nous entendons ces paroles de Jésus : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements... Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. » (Jn 14,15.21)

En entendant cela, nous pourrions avoir l’impression que l’amour de Dieu est conditionné, comme si Jésus disait : celui qui m’aime et qui le prouve en étant fidèle à mes commandements, c’est celui-là qui sera aimé de mon Père... Et aussi : vous ne pourrez penser que vous m’aimez que si vous observez mes commandements. Or tous les chrétiens qui n’ont pas perdu leur bon sens savent bien qu’ils ne peuvent pas se présenter devant le Christ en disant : j’ai fait sans cesse tout ce que tu m’as demandé. Alors, pouvons-nous dire au Seigneur que nous l’aimons ? Par ailleurs il a pu arriver que nous fassions l’expérience, dans notre enfance, d’un amour conditionnel : “je t’aimerai si tu es sage, si tu m’obéis.” C’est blessant d’être traité ainsi, et ces blessures peuvent altérer notre compréhension de l’évangile. Dieu, finalement, m’aime-t-il mieux que ceux qui ont mis des conditions à leur amour et ne m’ont pas appris que je méritais d’être aimé sans condition ?

Pour sortir de ces impasses considérons d’abord que celui qui nous parle ainsi dans l’évangile est aussi celui qui vient de la part du Père nous aimer, renouer des liens avec les pécheurs qui ne se croient plus dignes de Dieu et finalement donner sa vie pour tous, y compris ses persécuteurs. Dans le silence de Jésus devant ses accusateurs et sur la croix, on voit bien que l’amour de Dieu est inconditionnel. Il ne discute pas, il aime.

S’il nous faut donc purger notre imaginaire de cette impression que Dieu nous aime en fonction de nos actes, pour la remplacer par l’idée que Dieu nous aime parce qu’il est amoureux de nous, quelle place donner aux commandements ? « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements... Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime... » L’amour, l’intimité avec Dieu ne sont pas une affaire de sentiments mais ils sont marqués par ma façon de vouloir, de désirer les choses. Des amis, disaient les anciens, sont ceux qui veulent la même chose et rejettent la même chose (idem velle, idem nolle). Cette convergence du désir, de la volonté est la clef de toute amitié profonde. Je crois que c’est ainsi qu’on peut comprendre l’évangile : celui qui aime le Christ veut ce que le Christ veut, parce qu’il l’aime, et parce qu’il veut l’aimer plus encore, être encore plus proche de son cœur. La recherche d’intimité, d’amour et l’accomplissement des commandements vont de pair : parce que je t’aime, et pour t’aimer, je cherche à aimer ce que tu aimes et à fuir ce que tu n’aimes pas.

Pour finir, un mot sur l’Esprit de vérité. Il est celui qui affirme à nos cœurs la vérité sur la vie, sur notre vie, sur celle des autres aussi. Et d’abord, par-delà tous les découragements, l’Esprit nous rappelle, quand nous l’accueillons et lui faisons honneur, cette vérité fondamentale de notre être : nous existons car un amour nous a voulu. Déjà la vie humaine nous l’indique, car beaucoup de bébés naissent de l’amour de leurs parents. Mais plus profondément, quand on parle d’un Dieu créateur, on dit qu’un amour préside à notre origine ; et la vocation de tout homme au baptême vient souligner cette vérité sur chacun : être regardé par Dieu comme enfant bien-aimé. Quand nous avons du mépris pour nous-mêmes ou pour les autres, que l’Esprit de vérité nous rappelle la vérité de notre être créé par amour, créé pour recevoir et donner l’amour.

Cet Esprit de vérité, cet Esprit d’espérance et d’amour, « le monde est incapable de le recevoir ». Jésus ne l’explique pas, mais nous pouvons le constater nous-mêmes, lorsque nous nous heurtons au cynisme, lorsque nous entendons des messages affirmant que ce qui nous paraît le plus beau, le plus grand, le plus sacré, n’a pas de valeur. Que ce soit la solidarité entre les peuples, la valeur inviolable de la vie, l’éternité de l’amour ou la tendresse de Dieu, nous sommes désarçonnés de voir tout cela contredit et battu en brèche si souvent autour de nous. Pourtant, ne soyons pas inquiets, c’est ainsi depuis Jésus, et même bien avant lui. Ne soyons pas inquiets outre mesure, et allons de l’avant, en étant des entêtés de l’Esprit Saint.