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l’accomplissement des Écritures

homélie de la messe des étudiants du 14 mai 2008

Comme elle nous paraît étrange, cette mention de l’accomplissement des Écritures ! Elle nous laisse croire que tout ce qui est arrivé à Jésus, tout ce que Judas a fait aussi, cela était déjà écrit, c’est un destin préétabli. Cette première impression va à l’encontre de tout ce que nous dit la Bible sur la liberté que Dieu donne à l’homme pour se déterminer lui-même vers son bien. Essayons donc de voir les choses autrement.

Que veut dire le « il fallait que l’Écriture s’accomplisse » ? C’est une exigence liée au statut de Jésus dans la foi des juifs devenus chrétiens. La première communauté voit en Jésus celui qui accomplit la promesse que Dieu a faite à son peuple, qu’on peut retrouver dans les Écritures. Si Jésus est celui que Dieu promettait depuis Moïse, alors forcément il doit accomplir les Écritures.

Si on lisait l’Ancien Testament avec le projet d’en extraire ce que serait la vie du Messie, sûrement on pourrait faire un millier de plans différents. Le destin de Jésus et de ses apôtres n’est pas écrit d’avance, mais ce qu’ils vivent n’est pas la dernière religion à la mode, la dernière invention de l’année: c’est le couronnement de l’attente d’Israël, c’est l’accomplissement des Écritures. Et comme pour bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas de considérer les événements comme écrits d’avance, les évangélistes utilisent peu les versets les plus évocateurs de l’Ancien Testament. Par exemple, le chant du serviteur souffrant, qui parle du Serviteur de Dieu maltraité, qui n’ouvre pas la bouche, qu’on enterre au milieu des enrichis... Ce chant n’est que très peu cité, tandis que c’est à propos d’événements inattendus que l’accomplissement est explicitement mentionné, comme dans le cas de ce tirage au sort.

Cette façon de présenter les choses, au lieu de nous dire que tout était programmé, indique plutôt que ce qu’on est en train d’innover est conforme à l’action que l’on connaît de Dieu depuis “toujours”.

Le tirage au sort nous a aussi intrigués. Je ne sais pas si Pierre et Luc ont été désignés comme ça pour venir à Louvain-la-Neuve, ou si on a choisi Claire ainsi parmi tous les candidats... En tous cas, ici, il y avait deux candidats également disposés, et selon les critères de discernement habituel qui nous sont donnés, ceux de l’intelligence et du bon sens, on ne pouvait les distinguer, tous deux étaient « des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis son baptême par Jean jusqu'au jour où il nous a été enlevé ». Il fallait bien trancher entre ceux qu’on avait déjà élu. Pourquoi ne pas donner à Dieu de s’exprimer, s’il le veut. Alors on tire au sort, selon une pratique courante dans les communautés nouvelles de l’époque...

Dans l’évangile, quand Jésus nous dit « vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande... » nous nous sommes dit: si quelqu’un me disait ça, il ne serait pas mon ami !

Quel est le sens de ce petit “si”? Au lieu de voir Jésus nous offrir une amitié conditionnelle, nous pouvons plutôt le voir en train de nous rendre capables d’être ses amis. L’amour, l’intimité avec Dieu ne sont pas une affaire de sentiments mais ils sont marqués par ma façon de vouloir, de désirer les choses. Des amis, disaient les anciens, sont ceux qui veulent la même chose et rejettent la même chose (idem velle, idem nolle). Cette convergence du désir, de la volonté est la clef de toute amitié profonde. Je crois que c’est ainsi qu’on peut comprendre l’évangile : celui qui aime le Christ veut ce que le Christ veut, parce qu’il l’aime, et parce qu’il veut l’aimer plus encore, être encore plus proche de son cœur. La recherche d’intimité, d’amour et l’accomplissement des commandements vont de pair : parce que je t’aime, et pour t’aimer, je cherche à aimer ce que tu aimes et à fuir ce que tu n’aimes pas.

Et finalement, le Christ résume ainsi ce qu’il aime: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Et il donne la mesure de cet amour: donner sa vie pour ses amis.

Aimer, bien au-delà du simple respect ou de la politesse, c’est se laisser toucher par l’autre en tant que personne — non pas seulement un individu, mais une personne humaine. Et en me laissant toucher, je deviens capable de libérer en moi une véritable énergie d’amour.