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L’amour en actes

homélie du 2ème dimanche de carême, 8 mars 2009

(Gn 22 ; Mc 9,2-10)

Après la promesse de Dieu, Abraham a attendu 25 ans pour avoir un fils. Pendant 25 ans, ce qui lui était le plus cher n’était pour lui que sous forme de promesse. Enfin Sarah conçoit Isaac, et l’enfant grandit bien. Mais Dieu met Abraham à l’épreuve dans son attachement à son fils qu’il lui a donné. Pendant trois jours Abraham marche vers le lieu où il sacrifiera son fils à son Dieu, comme le font les peuples qui l’environnent envers leurs dieux. Pendant trois jours ses entrailles de père sont remuées au plus profond. Il va perdre ce qui lui est le plus cher, parce que Dieu le lui demande. En tout cela Abraham est très impressionnant. Qui d’entre nous n’aurait pas dit à Dieu : “eh bien flûte, là je ne te suis plus, je me retire de ta présence, pour couler des jours à ma mesure avec mon fils”.

Mais Dieu n’est pas comme les dieux des païens, et il n’est pas comme le dieu païen qui est en nous, c’est-à-dire celui dont nous nous faisons spontanément une image : il n’est pas un concurrent, il n’est pas jaloux de notre bonheur, il n’exige pas des sacrifices pour nous priver et nous asservir. S’il demande qu’on le serve, c’est pour nous libérer de nous-mêmes. Le sacrifice que Dieu demande à Abraham permet à Abraham d’être vraiment un père pour Isaac et un fils pour Dieu. Quand l’ange l’arrête, Abraham découvre à quel point Dieu est un Dieu grand dont les pensées sont au-delà de ses pensées.

Nous avons, nous aussi, reçu beaucoup de dons de Dieu. Le premier don, c’est la vie qui est en nous. Mais ces dons ne rayonnent pas toujours dans l’amour et la reconnaissance. Il nous faut parfois une bonne petite cure de dépossession. Heureux sommes-nous si Dieu nous travaille ainsi, s’il nous pousse à renoncer à ce qui nous est le plus cher, non pour nous en priver mais pour que nous n’y fermions plus les mains dans une possession à notre mesure seulement. Non pour nous en priver mais pour nous le donner lui-même, dans un don où nous resterons libres de nous-mêmes pour aimer vraiment, sans posséder et sans asservir.

Un autre point me touche dans ce récit extraordinaire. Quand Abraham a montré qu’il n’hésite pas à choisir Dieu avant tout, l’ange lui il dit : « Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique. » Par le geste d’Abraham Dieu sait qu’il le craint, c’est-à-dire qu’il l’aime dans le respect de ce qu’il est : Dieu. Dieu qui connaît tout, qui « sonde les reins et les cœurs » (Ps 7,10) a-t-il besoin de nos gestes pour savoir que nous l’aimons ?

Cet acte d’amour qu’Abraham pose semble nécessaire pour Dieu, et pour Abraham. Car il n’y a pas d’amour abstrait ; l’amour se vit dans des actes d’amour, dans les choix et les gestes que je fais pour l’autre. Et il grandit dans ces actes, pas autrement. Ce ne sont pas toujours des actes extraordinaire ; parfois même c’est simplement choisir de tenir dans l’épreuve. Ce n’est pas à la mesure du sentiment que j’éprouve pour l’autre, qu’il soit homme ou Dieu, que je dois me demander si je l’aime. Quand ce ne sont plus les hormones et le sentiment amoureux qui nous dirigent, le sentiment vient toujours après un choix. J’aime l’autre à la mesure de ce que je fais pour lui, ni plus ni moins. Et ces actes qui me permettent de prouver mon amour sont en même temps des actes qui réalisent et affermissent cet amour en moi. Le vrai sentiment de l’amour naît des actes que l’on pose en faveur de l’aimé, qu’il soit Dieu ou une personne humaine.

Un petit mot sur la Transfiguration de Jésus. C’est une révélation pour les apôtres, qui va préparer pour eux la grande épreuve de la croix où plus rien ne sera compréhensible. Il y a des moments de notre vie, des moments d’épreuve où nous devons faire mémoire de nos rencontres du Christ transfiguré, exhumer de l’oubli les expériences passées de la forte présence de Dieu. La mémoire de ces rencontres nous permettra de ne pas être désabusés, de ne pas être vaincus par les apparences, de rester branchés sur la réalité la plus profonde : le Christ est présent, sa lumière peut encore illuminer ma vie et la rendre belle. Ses vêtements sont d’une blancheur telle qu’on ne peut en obtenir sur la terre ; la lumière qu’il donne est plus belle et forte que toutes les joies que je reçois ailleurs.

Je nous souhaite que ce carême soit un temps où nous sentirons la lumière du Christ qui se présente à nos cœurs. Que déjà la résurrection se prépare en nous.