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C’est toi que je préfère

Homélie de la messe des étudiants du 4 nov.

A première vue ce texte (Lc 14,25-33) est écrit pour les religieuses et pour les prêtres... Ce sont eux qui passent pour avoir renoncé à tout pour suivre le Christ. Mais alors, seraient-ils les seuls à pouvoir prétendre être les vrais disciples du Christ, ceux qui marchent vraiment à sa suite ? Pourtant, le mariage par exemple, est une vocation sainte elle aussi ; et le mariage est un sacrement, ce qui ne serait pas possible s’il s’agissait d’une façon moindre de suivre le Christ. Alors, bien que cet évangile puisse pousser des jeunes à consacrer même leur affectivité et leurs désirs intimes au Seigneur — et j’en suis ; je me rappelle avec émotion avoir préparé cette messe des étudiants, cet évangile, sur le coin d’une table de mon kot, l’Aubier, avec Helmut il y a 19 ans — il nous faut chercher plus généralement ce que Jésus entend par renoncer à tout pour le suivre.

Ce sont de grandes foules qui suivent Jésus et à qui il s’adresse. A plusieurs reprises on voit les foules s’emballer à la suite de Jésus, devenir très enthousiastes jusqu’à ce que les difficultés arrivent et qu’elles changent complètement d’attitude. Ainsi au bord du lac après la multiplication des pains par Jésus et les explications sur sa chair qu’il donne à manger les gens en viennent à dire : « ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter » (Jn 6,60). Plus tard, à Jérusalem, la foule qui l’acclamait va crier « qu’on le crucifie ! » (Mt 27,22)

Ce ne sont pas que les foules de Palestine qui sont faites comme cela. De nos jours aussi nous voyons des gens s’enflammer pour le Christ, se mettre à sa suite puis changer d’attitude, parce qu’un obstacle est survenu, quelque chose qui les a scandalisés ou paralysés, une difficulté qui n’était pas envisagée.

Alors à tous Jésus dit : « Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et soeurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » (Lc 14,26) Ce n’est pas qu’un père, une femme, des frères et sœurs sont toujours un obstacle pour suivre le Seigneur. Mais cela peut arriver. Et lorsque survient un conflit de valeur entre notre foi et notre loyauté envers ces personnes, qu’allons-nous faire ? Il y a des gens mariés qui renoncent à leur foi parce que leur conjoint ne croit pas, ne pratique pas ; tandis que d’autres persévèrent, malgré la difficulté. Il y a des jeunes qui recopient l’indifférence religieuse de leurs amis tandis que d’autres tiennent bon dans leur attachement au Christ, malgré la difficulté.

Cette difficulté nous a fait penser qu’il devait y avoir un lien entre préférer le Christ à tous et porter sa croix : il y a un déchirement quand vient le renoncement. Mais plus généralement cette phrase de Jésus nous invite à ne pas laisser la souffrance nous séparer de lui, bien qu’elle parle souvent contre lui dans notre cœur — combien de personne ne disent-elles pas : si Dieu existait il n’y aurait pas le mal et la souffrance ! Sans recevoir d’explication, portons notre croix si elle survient, plutôt que de frapper le Christ avec la croix.

On pourrait se dire : le Seigneur est quand-même un fameux despote pour exiger pareil détachement ! Mais je me rappelle simplement la réponse de saint Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » (Jn 6,68). En effet, qui d’autre que lui a les paroles de la vie éternelle, de la vie qui commence déjà à mettre sa lumière dans nos cœurs quand nous rejetons les ténèbres de l’orgueil et que nous l’accueillons ?

Le belge est l’homme du compromis. C’est bon si cela fait progresser la charité, l’amour fraternel. Mais vis-à-vis de l’amour du Christ, il n’y a pas de demi-mesure, si on veut trouver le bonheur à sa suite. Le chemin du compromis est une impasse. Dans la culture actuelle, être extrémiste est mal vu ; j’apprécie qu’on rejette l’extrémisme qui empêche de vivre avec celui qui est différent, mais souvent cela frappe aussi tout engagement religieux trop radical. “N’est-ce pas une secte ?”, dira-t-on d’une Église qui invite à tout donner pour le Christ. Ça rassure les gens qu’on puisse dire : “je suis croyant mais pas à fond...” Pourtant, ce n’est pas loyal envers le Seigneur.

Puissions-nous être, avec beaucoup de douceur, des chrétiens sans compromis ! Alors nous connaîtrons la joie débordante d’aimer sans limite.