homélie de la Toussaint 2006

Voulez-vous faire partie de la multitude de saints, de la foule immense que nul ne peut dénombrer dont parle l’Apocalypse ? Je voudrais évoquer pour vous le bonheur du Ciel, le bonheur des saints, pour vous y attirer. Nous y sommes tous appelés.

Quel bonheur ? L’Écriture, notamment le livre de l’Apocalypse, nous présente la vie du Ciel comme construite autour de la louange de Dieu. Lorsqu’on a en tête, à propos de la louange, l’attitude qui consiste à flatter, à encenser, à faire des révérences, on peut trouver que c’est bien pauvre comme centre d’activité dans la vie éternelle. Mais si par louange on pense à l’admiration qui naît de l’amour, à la reconnaissance qui jaillit dans le cœur de celui qui aime envers celui qu’il aime, on comprends mieux qu’on pourra passer son Ciel à louer, à contempler, à admirer Dieu et chacun des saints dont nous serons. La louange est la composante la plus épurée, la plus fine, la plus lumineuse de l’amour. Les expressions de l’Apocalypse comme celle que nous avons entendue aujourd’hui  : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu » (Ap 7,12) sont l’expression d’un amour qui jaillit en admiration, d’un amour qui se réjouit de ce qu’est l’autre, qui tressaille de la beauté de l’aimé. C’est un amour pur.

Il me semble que c’est ce bonheur d’aimer ainsi, et d’être aimé ainsi, qui est évoqué par saint Jean à propos de l’espérance d’être semblable au Fils de Dieu (1Jn 3,2). Les saints vivent et jouissent à fond de leur identité d’enfant de Dieu, de la joie d’aimer Dieu et d’être aimé de lui et de s’aimer les uns les autres comme des frères.

Voilà le bonheur du Ciel, voilà le bonheur désigné par Jésus quand il dit à ses disciples  : « heureux ! » À première lecture on pourrait penser que Jésus promet simplement une récompense après avoir peiné. Mais si Jésus évoque des situations difficiles, où le bonheur semble à première vue absent, n’est-ce pas plutôt que toutes ces situations orientent vers le vrai bonheur, celui qui est totalement pur de mensonge  : le bonheur d’aimer et d’être aimé, lorsqu’il est purifié de tout ce qui vient l’abîmer.

C’est cela le bonheur du ciel, le festin du Royaume qui rassasie notre cœur plus que notre estomac. La joie du Royaume est celle de connaître en direct l’amour de Dieu et de partager l’amour des saints. Pour nous qui sommes tentés par le péché, ce bonheur d’aimer et d’être aimé n’est pas accessible sans effort, sans combat. En quoi les Béatitudes proclamées par Jésus viennent soutenir ce combat et nous guider sur le chemin du véritable amour, l’amour du ciel ? (Mt 5,1-12)

Jésus nous encourage à aimer comme un pauvre de cœur, à aimer sans rien exiger en retour, à aimer dans la foi. Pourtant tout amour attend une réciprocité, et la joie est bien d’aimer et d’être aimé tout à la fois. Mais le pauvre de cœur peut aimer sans exiger un retour selon telle ou telle modalité. Le cœur pauvre est capable de goûter l’amour reçu autrement que ce qu’il avait imaginé.

Jésus nous propose aussi un amour qui ne craint pas de pleurer, qui accepte de souffrir pour l’aimé. Par crainte de souffrir il arrive que nous n’allions pas vers tel ou tel, que nous nous fermions à l’amour, que nous cherchions à être indifférent, que nous ne nous donnions pas vraiment. Pourtant, heureux ceux qui acceptent de prendre le risque de pleurer !

C’est aussi un amour qui cherche ce qui est juste, au-delà de tout intérêt propre. Avoir faim et soif de justice au-delà de tout égoïsme, c’est une grande lumière intérieure.

C’est un amour qui vient d’un cœur pur, ou purifié, d’un cœur sans arrière-pensée, d’un cœur qui se donne volontiers et joyeusement, d’un cœur qui ne cherche que la joie de se donner.

Cet amour cherche à construire la paix avec tous, il veut se réaliser dans la concorde, il vise un bien plus large que la joie personnelle d’aimer  : c’est un amour qui veut être au bénéfice du plus grand nombre.

Enfin, cet amour aime la vérité au point d’accepter la persécution, la calomnie. Rien n’est supérieur à l’amour, ni la renommée ni la tranquillité ni même l’instinct de conservation, le désir de conserver sa vie. Par amour aujourd’hui des hommes et des femmes politiques s’engagent dans des causes impopulaires, des jeunes font des choix de vie incompris parce qu’ils se donnent à Dieu, des parents prennent le risque d’accueillir un enfant que la société rejette, des conjoints cherchent à dépasser les difficultés de leur couple, et bien d’autres choses.

Un tel amour, nous voyons bien que nous n’en sommes pas très capables. Quelle issue pour nous ? Que peut-on espérer ? N’oublions pas que les saints sont au Ciel parce qu’ils ont été purifiés par le sang de l’Agneau. Je pense aussi au bon larron  : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi ! » — « En vérité je te le déclare, aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis ! » Laissons Dieu nous tendre les bras.