homélie de la fête du Saint-Sacrement

On dit{joomplu:5} souvent que quand le Seigneur s’approche de nous, il nous fait éprouver la joie, l’enthousiasme que donnent son amour. Ce n’est pas faux, mais nous apprenons aujourd’hui que comme pour les Hébreux au désert il nous fait aussi éprouver la pauvreté et le sentiment d’abandon. Et pourquoi son chemin passe-t-il par là ? « Pour, dit-il, que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » (Dt 8,3).

Quelle surprise ! Dans nos détresses, une parole, est-ce assez nourrissant ? N’avons-nous pas besoin de plus ? Seigneur, est-ce tout ce que tu as à me donner dans le désert de ma vie ? Nous pourrions avoir un premier mouvement de déception. Et pire encore : nous y arrêter, dire qu’au fond Dieu c’est bien comme un plus au niveau spirituel, un supplément d’âme, mais il ne peut pas être le centre d’une vie, sa charnière, son roc. Mais si je persévère dans mon obstination à m’attacher au Seigneur, alors, au fur et à mesure que je m’appauvris intérieurement, sa parole vient toucher des zones plus profondes de moi, et devient capable de m’illuminer, de me réjouir, de me faire éprouver la joie d’être aimé et d’aimer. Cela passe par des renoncements, non pas des renoncements amers, faits à reculons, mais des renoncements joyeux, accueillis et consentis, où on se glisse dans un mouvement plus grand : l’offrande que le Christ fait de lui-même au Père.

Il arrive qu’en lisant la Bible, en allant à la messe, je me dise « bof », ou « c’est toujours la même chose ». Puis, si j’accepte de n’avoir que Dieu d’horizon, sa parole devient une visite d’amour. Je me surprends d’être reconnaissant. Je sens naître en moi un contentement et une espérance, même si les défis à relever dans ma vie sont toujours lourds ou inquiétants.

Ce qui faisait le déclic que l’on ne vit pas que de pain, c’était la manne. Et depuis le Christ, c’est l’eucharistie. On pourrait croire qu’une belle messe c’est une messe où les lectures étaient parlantes et l’homélie intéressante. Mais plus profondément, une belle messe est une messe où on a pu dire au Christ : « tu es mon Seigneur et mon Dieu ! Et comme toi je m’offre dans la joie. Et j’entraîne dans cette offrande tous ceux qui sont ici. » Vous avez entendu saint Paul dire : la coupe que nous bénissons est communion au sang du Christ, le pain que nous rompons est communion au corps du Christ (1 Co 10,16). Venir à la messe, c’est participer à l’action eucharistique, c’est-à-dire bénir et rompre. Bénir : entrer dans l’action de grâce, louer, être reconnaissant pour le don d’amour de Dieu. Rompre : considérer l’offrande de lui-même que le Christ fait, le don de sa vie, et s’offrir soi-même à sa suite, devenir quelqu’un qui est donné.

Cela se fait même lorsqu’on ne va pas communier, au contraire de l’idée erronée que la valeur de la messe serait toute entière dans la communion. Au contraire il y a un sens de s’en priver, pour communier davantage à ce qui est vécu, pour ne pas prendre le corps du Christ sans discerner celui qui nous invite à la sainteté. Mais sans tomber dans l’excès inverse, le scrupule qui nous ferait croire que nous sommes à jamais indigne, car le corps du Christ est une nourriture pour les pécheurs qui veulent se convertir.

Voilà comment vivre par le Christ. Que notre participation à l’eucharistie soit notre façon de mettre en pratique la demande de l’Écriture : « N’oublie pas le Seigneur ton Dieu » (Dt 8,11). Qu’elle nous apprenne à vivre par le Christ, comme lui vit par le Père (Jn 6,57). Vivre par quelqu’un, cela nécessite tout ce chemin de dépouillement. Vivre par quelqu’un d’aussi riche, cela nous comblera. « Seigneur, je suis venu ici pour vivre par toi ! »