homélie du 5e dimanche B, 5 février 2018

Quand Dieu{joomplu:19} invente de créer l’homme, il veut tout partager avec lui : il le crée à son image. Alors il le crée libre et avec un désir d’infini. Et à cet homme limité qui a un désir d’infini, il donne un mode d’emploi : assouvir ce désir par l’amour de Celui qui seul est infini : lui-même. Aimer Dieu, l’écouter, lui unir son cœur, voilà la clef du bonheur pour l’être humain.

La liberté donnée à l’homme permettait aussi une autre attitude : chercher à assouvir son désir d’infini au moyen de ce qu’il est capable de prendre par lui-même, plutôt que d’accepter de dépendre et de recevoir. C’était un risque, le risque de créer un être libre. Dieu avait il oublié ce risque ? Ou avait-il accepté de le prendre ? Quoi qu’il en soit, ce détournement du projet de Dieu a conduit à l’attitude suivante : « je me sers et on verra bien après » ! On voit cette attitude partout, dans la vie de famille, dans la vie économique, en politique, en paroisse, en couple… Partout ! La vie n’est plus un don, elle est un dû. Et gare à celui qui m’empêche d’en profiter !

Cette logique ne peut conduire qu’à la prolifération du mal. Bien sûr, toutes les sortes de domination et d’exploitation, mais la Révélation va plus loin : elle nous apprend que tout le mal dont nous souffrons vient de là. C’est ce que racontent le récit du péché originel (Gn 3) et que reprend saint Paul quand il médite sur l’irruption du péché et de la mort (Rm 5). C’est assez difficile à comprendre, mais cela nous permet de réagir de façon juste. Le mal qui pèse sur la vie de l’homme ne se résout pas seulement par les progrès de la médecine et de la technologie — même si cela est très bon et très utile — : il commence à se résoudre vraiment lorsque l’homme cesse de n’écouter que lui-même et qu’il se met à l’écoute de Dieu dans le silence et le calme.

Jésus, le Fils de Dieu, nous fait comprendre cela lorsqu’il vient et qu’il affronte toutes les sortes de mal. Le mal que nous subissons, le mal que nous faisons, les démons, les maladies, le péché : tout le mal. Jésus affronte tout cela et en prend sa part. Jusqu’à ce que sur la Croix il fasse exploser la logique du mal et la renverse par la victoire de l’amour. Quand le Christ vient et qu’il annonce le Royaume de Dieu, il fait des guérisons, il chasse des démons, il pardonne à des pécheurs. Peu à peu, par la suite, il fera comprendre le sens de tout cela : non pas se substituer aux hôpitaux et faire le super docteur, mais réconcilier peu à peu l’humanité entière avec Celui qui est la source sans limite de la vie et de la lumière : Dieu notre Père.

Pour le moment, tout le monde cherche Jésus à Capharnaüm. Ce n’est pas qu’ils ont déjà abandonné la logique du « je me sers et on verra bien après » ! Il leur faudra encore bien apprendre à se décentrer d’eux-mêmes, à être fidèle à Jésus aussi quand ça va moins bien et sur le chemin de la croix. Quelques uns le feront. Comme aujourd’hui… Si je parcours le village en demandant : qui veut bénéficier d’un miracle ? Il y en aura assez bien, je pense. Mais si je demande : qui veut suivre Jésus jusqu’au bout, qui veut renverser la logique de sa vie et dire : je ne me sers plus, je sers ! Je me donne moi-même, dans la fidélité et la sobriété, dans la recherche de la vie intérieure au lieu de tout ce qui excite mes désirs… il y en aura moins.

Ceux qui ont été guéris par Jésus ce jour-là étaient assez conscient de ce que Jésus commençait à leur apporter, même s’ils avaient encore beaucoup à apprendre sur la vie chrétienne. Quant à nous, nous ne voyons plus toujours ce que le Christ nous apporte. Alors nous allons soucieux, accablés, déçus. Nous restons chrétiens, mais le cœur n’y est pas toujours. Et moins le cœur y est, moins nous recevons, et plus nous prenons nos distances, si bien que nous finirions par tomber hors de l’amour du Seigneur. Il ne faut pas s’endormir. Pas maintenant, par les temps qui courent. Le monde a besoin de veilleurs dans la foi.

La libération qui est contenue dans l’évangile, elle ne vient pas nous chercher sans nous, elle nous vient quand on la cherche. D’une recherche passionnée, attentive. Nous aimerions que la foi soit un petit supplément à la vie pour de temps en temps. On y consacrerait un peu de temps quand on en a envie, quand le reste ne nous attire plus. Mais ce genre de foi, ça n’illumine pas le cœur, ça reste au niveau de la tête, c’est avoir des croyances mais ce n’est pas vivre de l’évangile. L’évangile ne fait pas irruption comme une publicité alléchante. Il vient avec délicatesse, il ne met pas ses gros sabots. Il nous effleure et ne nous arrache pas à la distraction consentie. Mais aujourd’hui je fais cette prière : Seigneur, viens sans ménagement dans la vie de quelques uns d’entre nous, de tous même, et secoue nos habitudes lasses ! Nous voulons goûter ta lumière ! Attire-nous à toi ! Fais-nous sortir de nous-mêmes vers toi !

Je voudrais encore dire que, du côté de l’apôtre, cette situation de l’humanité éloignée de la source qu’est Dieu est très coûteuse, car il se prend plein de pelles, plein de refus pour un seul cœur qui s’ouvre. C’est la loi de l’annonce de l’Évangile. Jésus l’a connue, et ses apôtres après lui. Nous ne sommes pas plus grand qu’eux, bien au contraire. Alors annonçons l’Évangile dans la paix.