homélie du 1er dimanche de carême, 21 février 2021

{joomplu:20} En commençant ce carême, nous méditons une nouvelle fois sur le combat que le Christ mène pour ramener le cœur de l’humanité, de chaque être humain, à Dieu. Puisque Dieu nous veut libre il ne serait pas convenable qu’il nous ramène à lui d’un coup de baguette magique. L’homme est « père de ses actes », il est l’auteur authentique de ce qu’il veut faire. Ce ne serait donc pas juste que Dieu efface nos péchés, pur produit de notre volonté, d’un coup d’éponge. Agir ainsi serait tenir notre liberté pour une parenthèse irréelle, et nos actes pour des pacotilles, des égratignures sur le monde, alors que l’injustice sociale planétaire ou les désastres écologiques montrent bien l’impact de nos choix — et encore, ce n’en est que la partie visible, semblable à la partie émergée de l’iceberg. Si Dieu agissait ainsi, notre volonté ne serait pour lui qu’une vague gesticulation. Notre intériorité ne serait qu’un décor, et en réalité nous serions pour lui des objets qu’il récupérerait comme un joueur de billes récupère ses billes. Les gens qui pensent que Dieu peut nous pardonner comme ça d’une simple déclaration ne prennent pas au sérieux la liberté qu’il leur a donnée.

Au contraire, pour nous ramener à lui, Dieu se fait homme. Il devient vrai homme et demeure vrai Dieu. En lui, l’humanité et Dieu se rencontrent enfin. Il devient vrai homme et choisit de s’exposer à ce qui a introduit la rupture entre l’homme et Dieu : la tentation du mal. Tous les hommes ont été tentés par satan, l’adversaire (c’est ce que ce nom signifie en hébreu : adversaire, accusateur). Et tous les hommes sont tombés, ils ont choisi de façons diverses le chemin du diable plutôt que celui de Dieu. Dans le cœur de tout homme il y a cette profonde blessure d’avoir choisi le mal. Tous sont tombés, sauf un seul, qui peut maintenant nous porter sur ses épaules : au désert le Christ est tenté par satan et lui résiste. En lui, l’humanité remporte la victoire.

Pour l’instant, cette victoire n’est que la sienne, mais il l’étendra à tous ceux qui lui ouvrent leur cœur. Il l’étendra en vivant sa passion et en mourant sur la croix. Par sa passion — qu’il vit pour nous car sur lui le mal n’a aucune prise — il nous porte et nous fait traverser le péché et la mort. Nous n’avons plus qu’à lui tenir la main, à accueillir la grâce de sa victoire, à vivre des sacrements qu’il nous a laissés pour nous recréer intérieurement.

Par sa passion et sa mort sur la croix, le Christ acquiert même le pouvoir d’aller prêcher aux esprits rebelles mort avant la Rédemption. Saint Pierre évoque « ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque se prolongeait la patience de Dieu, aux jours où Noé construisait l’Arche » (1 P 3,19-20). On peut imaginer que cela inclut aussi tous les peuples de toutes les époques qui n’ont pas eu l’occasion d’entendre annoncer le message de l’Évangile. Dieu donne aux justes de tous les temps l’occasion de connaître le salut par le Christ. C’est ce que nous disons lorsque dans le Credo nous affirmons que le Christ descendu aux enfers. Comme dit le Catéchisme, « il y est descendu en Sauveur, proclamant la bonne nouvelle aux esprits qui y étaient détenus » (CEC 632).

Vous me direz : et qu’en est-il de ceux qui, parce qu’ils n’ont pas entendu parler de l’œuvre du Christ, ou qu’il n’en ont entendu parler que d’une façon déformée ou mièvre, n’ont pas eu l’occasion de se convertir ? Il me semble que nous ne pouvons rien dire au sujet de ceux qui sont morts dans l’injustice, la perversité ou le mensonge, mais seulement prier pour eux. La miséricorde de Dieu a des chemins qui nous surprendront, mais qui toujours prennent au sérieux la liberté humaine et le pouvoir de notre volonté.

Quant à nous, reconnaissons le grand don de notre liberté et exposons-la toute entière à la volonté de Dieu. Que notre joie soit de dire : « que ta volonté soit faite ! » Et de la faire !