(homélie de la Sainte Famille 2009)

Dieu nous visite au cœur de la vie de tous les jours, des événements plus ou moins simples de nos existences, et spécialement dans cette vocation répandue de la famille. Voici un échantillon à travers les lectures d’aujourd’hui, au sujet des enfants et de la vie de couple. A travers le couple d’Elqana et Anne, qui ne peut pas avoir d’enfant, nous voyons le Seigneur s’approcher de cette détresse toujours très éprouvante. Et nous le voyons leur donner une fécondité particulière, ici symbolisée par cet enfant reçu et présenté aussitôt au Seigneur. Il n’y a pas qu’une seule fécondité, et Dieu nous invite à prendre distance par rapport à la fécondité dont nous aurions rêvé, dont on rêve pour nous dans le monde, pour accueillir celle qui est la nôtre.

Anne donne son fils au Seigneur. Marie et Joseph, de leur côté, redécouvrent douze ans après Bethléem que leur enfant est donné au Seigneur et que le Seigneur est son « Père ».

Joseph et Marie, confrontés à l’épreuve, réagissent vraisemblablement très différemment ; on peut imaginer la tension entre eux derrière cette petite phrase de Marie : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! » (Lc 2,48) Pour une part il vaut mieux être à deux pour vivre une épreuve, mais c’est aussi plus difficile, car on ne comprend pas toujours pourquoi l’autre réagit comme il le fait. Devant l’épreuve, comme devant beaucoup de défi, même en couple on est seul. Ce n’est pas un défaut de l’union, c’est plutôt un impératif de la vie adulte, et même une exigence d’une communion véritable, de l’adhésion libre de deux êtres l’un à l’autre. Dans toute vie d’ailleurs, pour accéder à cet état adulte, nous devons accepter sans la fuir à tout prix cette dimension de solitude qui nous construit et nous rend capable de vraie relation.

C’est curieux de constater comment les couples s’assemblent. Un être humain tombe en général amoureux d’une personne qui est franchement différente de lui. Puis, au cours de la vie, on voudrait tant que l’autre ressemble un peu plus à ce que nous sommes. Mais ça ne marche pas ainsi. La nature est bien faite ; elle compte sur l’autre pour nous tirer plus loin que ce que nous voudrions aller. Heureux les couples où chacun se laisse façonner par l’autre, confiant qu’il lui apporte ce qui lui manque. Dans un couple l’un et l’autre conjoint s’encourage mutuellement à se dépasser, à sortir d’eux-mêmes. C’est fait pour que chacun joue le jeu, de tout son cœur, pour l’autre, par amour.

Enfin, je voudrais encore m’attarder sur les questions qui s’échangent dans l’évangile : « — Pourquoi ?... — Comment se fait-il... Ne savez-vous pas ? » J’aime ce dialogue, qui est si proche de certains de nos dialogues avec Dieu. Enfin, nous ne connaissons que la première partie : pourquoi ? Nous demandons souvent à Dieu « pourquoi ? ». Et lui nous répond toujours, bien que nous entendions rarement sa réponse car elle ne va pas dans notre sens. Il nous répond toujours, à partir de ce qu’il est, de ce qu’il voit, ayant en vue le bonheur plus profond auquel il nous attire. Et je pense que le mieux serait de pouvoir dire : « Seigneur, il y a des choses qui sont évidentes pour toi et que je dois apprendre et découvrir. Apprends-moi la patience et l’intériorité pour comprendre tout cela ! » Marie a fait cette constatation ; elle, la Sainte Vierge ! Pas étonnant que nous devions l’accepter nous aussi.