homélie du 29e dimanche, « des missions »

{joomplu:187}Le pape François fait des déclarations interpellantes, qui ne laissent pas les médias indifférents. Dernièrement il a dit que le prosélytisme était une bêtise grandeur nature1. Il pourrait y avoir des gens qui en concluraient qu’il ne faut pas parler explicitement de Dieu, du Christ, de notre foi en lui, mais plutôt servir, transformer l’Église en un grand service social. Or, le pape est bien clair : le service fait partie de l’action normale de toute communauté chrétienne et de tout chrétien, mais ce n’est pas à ce service que se résume la mission de l’Église et du baptisé. S’il ne faut pas de prosélytisme, il faut la mission, en faveur de tous ceux qui connaissent mal ou pas du tout l’amour de Dieu que le Christ nous révèle et nous fait vivre. Depuis le moment où il a été élu successeur de Pierre, le pape Bergoglio n’a pas arrêté d’inciter l’Église à « s’ouvrir », à atteindre les hommes jusque dans leurs plus lointaines « périphéries existentielles ». Il ne faut pas persuader, mais il faut annoncer.

Sommes-nous convaincus que le Christ est pour tous, et que c’est manquer l’essentiel de sa vie que de l’ignorer ? Jadis on parlait du salut de l’âme et on craignait de ne pas être sauvés ou que des gens ne soient pas sauvés. Cela motivait à parler du Christ, mais c’était une motivation piégée, où la peur avait au moins autant d’importance que l’amour, où on répandait l’image d’un Dieu qui finalement demande des comptes et présente la facture de nos bêtises. Aujourd’hui on a tendance à penser que la foi n’est plus quelque chose de fondamental. Elle est un élément facultatif de la vie, un « si tu veux » qui ressemble à la crème fraîche qu’on peut ajouter sur ses fraises « si on veut, si on aime ça »… Nous considérons que le monde se sauve bien tout seul, ou qu’en tous cas les hommes de bonne volonté suffisent. « Qu’est-ce que la foi ajoute ? On n’a tout de même pas besoin d’être croyant pour faire le bien ! » Dieu devient une aide facultative, pour ceux qui ont le goût de la croyance.

Imbibée de cette façon de voir les choses, l’Église pense plus à ses petits problèmes internes qu’à témoigner de l’Évangile, du fait que Dieu s’est approché de l’humanité et lui propose l’Alliance. À la veille du dernier conclave, l’archevêque argentin qui allait devenir pape avait lancé cet avertissement : « Il y a deux images de l’Église : l’Église évangélisatrice qui sort d’elle-même, ou l’Église mondaine qui vit en elle-même, par elle-même, pour elle-même ». Aux évêque argentins, quelques semaines plus tard, il dira : « une Église qui ne sort pas, tôt ou tard, tombe malade du fait de l’air vicié de la réclusion. Il est également vrai qu’il peut arriver à une Église qui sort ce qui peut arriver à une personne lorsqu’elle se trouve dans la rue : avoir un accident. Face à cette alternative, je veux dire franchement que je préfère mille fois une Église qui a eu un accident à une Église malade. La maladie de l’Église enfermée est d’être autoréférentielle, elle se contemple, elle se replie sur elle-même. Il s’agit d’une sorte de narcissisme qui nous conduit à la mondanité spirituelle et au cléricalisme sophistiqué et nous empêche donc de faire l’expérience de “la douce et réconfortante joie d’évangéliser”. »

Il y a 23 ans, le pape Jean-Paul II écrivait : « on dit qu’il suffit d’aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur religion, qu’il suffit d’édifier des communautés capables d’œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. Mais on oublie que toute personne a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. »2 Quand je prends le train ou que je marche dans la rue, je regarde les gens et je me dis : lui, elle, que savent-ils de Jésus ? Qui leur dira que le Seigneur les aime, cherche leur cœur, leur propose sa présence, sa fidélité, et de construire avec eux un monde meilleur ? Puis je me dis : mais je suis timide, je ne vois pas comment parler à tous ces gens… Pourtant il le faut. Alors je demande au Seigneur : pousse-moi vers eux, fais-moi ouvrir la bouche, donne-moi le moyen de parler de toi ! J’ai du mal, je parle bien plus souvent de structures que du cœur, mais je sens qu’il faut persévérer dans ce désir de faire connaître la sortie de Dieu vers nous, son initiative d’amour ; parfois en rebondissant sur une critique de l’Église on pourrait dire : tu sais, l’Église est là pour dire l’amour de Dieu… Dieu t’aime, toi aussi, le sais-tu ?

Dieu a mis son sort entre nos mains. C’est un honneur pour nous en même temps qu’une charge. À Rio, le pape disait aux jeunes : « l’Évangile est pour tous et non pour quelques uns. Il n’est pas seulement pour ceux qui semblent plus proches, plus réceptifs, plus accueillants. Il est pour tous. N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent. Le Seigneur est à la recherche de tous, il veut que tous sentent la chaleur de sa miséricorde et de son amour »3. Considérons ce désir de Dieu sur notre fils, notre voisin, notre collègue, et nous trouverons la manière de l’en informer. N’est-ce pas cela évangéliser sans prosélytisme ?

1Entretien avec Eugenio Scalfari, La Republica, 30 septembre 2013

2Encyclique Redemptoris Missio, № 46

3Rio, Journées mondiales de la jeunesse 2013, homélie du dimanche matin devant 3,5 millions de jeunes