Quel{joomplu:544} discernement poser sur ce qui convient de faire dans l’accompagnement spirituel des personnes qui demandent l’euthanasie ? Comment interagir avec celle qui affirme qu’en conscience elle choisit l’euthanasie ? Les trois convictions fondamentales sur lesquelles on peut s’appuyer sont :

  • Personne n’a le droit de disposer de la vie d’autrui innocent, même à sa demande. C’est un grave dérèglement de la société de le faire, en l’occurrence une perversion de la médecine.
  • Avec celui qui désespère, l’attitude de compassion n’est pas de désespérer avec, mais de soutenir l’espérance même sans résultat apparent. Quel bouleversement cosmique si un chrétien en venait à dire : je comprends que tu es désespéré et je vais collaborer à ton désespoir !
  • Ajoutons un point de foi : personne ne s’est donné la vie à lui-même, mais la vie vient de Dieu et c’est lui qui en est le maître. C’est lui qui l’achemine lui-même vers la vie éternelle et lui seul qui en connaît la valeur.

À cause de cela, le Magistère a classé l’euthanasie dans les actes intrinsèquement mauvais, c’est-à-dire que rien, aucune intention bonne, aucune circonstance favorable, ne peut en faire un acte bon.

La référence en matière de textes, c’est Evangelium vitae, encyclique de Jean-Paul II en 1995. Notamment le paragraphe 15 et à partir du paragraphe 64. J’épingle deux extraits :

65. « Ces distinctions étant faites, en conformité avec le Magistère de mes Prédécesseurs et en communion avec les Évêques de l’Église catholique, je confirme que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Église et enseignée par le Magistère ordinaire et universel. » (C’est une déclaration qui s’entoure de toutes les formes de l’infaillibilité pontificale)
67. « La demande qui monte du cœur de l’homme dans sa suprême confrontation avec la souffrance et la mort, spécialement quand il est tenté de se renfermer dans le désespoir et presque de s’y anéantir, est surtout une demande d’accompagnement, de solidarité et de soutien dans l’épreuve. C’est un appel à l’aide pour continuer d’espérer, lorsque tous les espoirs humains disparaissent. Ainsi que nous l’a rappelé le Concile Vatican II, “c’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet” pour l’homme ; et pourtant “c’est par une inspiration juste de son cœur qu’il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa personne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui, irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort”. (Gaudium et spes 18) »

On peut ajouter une toute récente intervention du pape François : « Même si nous ne pouvons pas toujours garantir la guérison ou un traitement, nous pouvons et devons toujours prendre soin des vivants, sans raccourcir leur vie de nous-mêmes mais sans non plus résister à leur mort » (16/11/2017)

Il arrive que l’on commette un acte intrinsèquement mauvais avec une liberté tellement opprimée (par la détresse, par les conditionnements sociaux, parfois par les habitudes personnelles) ou avec une connaissance si confuse, que le caractère peccamineux de l’acte en est très diminué. Parfois même une personne pourra dire qu’en conscience elle estime bonne sa demande d’euthanasie. La conscience individuelle n’a jamais à juger du bien de l’acte en lui-même, mais de s’il est légitime de le faire ici et maintenant. Il peut arriver que la conscience se trompe de bonne foi, c’est-à-dire qu’elle désigne pour un bien ce qui est objectivement un mal. Le Magistère de l’Église affirme depuis l’Antiquité qu’il faut toujours suivre sa conscience lorsqu’elle est droite et certaine1. Mais dans notre cas on fait quand-même un mal objectif, et il détruira beaucoup de choses, même si on l’a fait de bonne foi. On blesse le médecin et le personnel hospitalier, on abîme les liens sociaux, on blesse aussi l’Église et sa foi. Sans parler du mal que l’on fait à son âme en choisissant la mort.

La conscience erronée peut être droite, si son ignorance n’est pas due au refus de s’intéresser aux arguments, de former sa conscience. On ne pèche pas si on suit sa conscience erronée lorsqu’elle est droite, mais le péché est souvent en amont, dans la très possible négligence qui nous amène à avoir cette conscience erronée. Il est donc indispensable que nous luttions avec persévérance et douceur non seulement pour exhorter le pécheur mais aussi instruire les ignorants et soutenir les faibles. Ce sont des actes de miséricorde.

C’est pourquoi dans ce cas je ne vois pas comment on peut donner un sacrement, de réconciliation ou d’onction des malades, à quelqu’un qui persévère dans son projet d’euthanasie après qu’on l’ait patiemment éclairé sur le mal qui y est présent2. Dans d’autres cas je donne l’absolution à des gens qui sont dans une situation objective de péché dont ils ne se repentent pas parce que leur conscience est erronée ; je le fais parce que je pense à la possibilité qu’ils ont d’éclairer cette conscience avec le temps : c’est la pédagogie divine dont parle le pape François. Mais dans ce cas-ci, le choix de la personne qui demande l’euthanasie supprime ce temps de conversion possible. Il n’y a plus la possibilité d’envisager un chemin, le sacrement n’apparaîtrait plus que comme une validation des choix posés. Or les sacrements n’appartiennent pas à la personne, ils appartiennent au Christ, qui les a donnés à son Église. Ce serait introduire un trouble durable dans l’Église, un obscurcissement des consciences, que de réconforter par les sacrements de l’Église celui qui persiste dans sa demande d’euthanasie et la vivra dans quelques instants.

Ce qui n’empêche pas de prier avec la personne, de se montrer proche d’elle comme Jésus s’est montré proche des pécheurs. Il faudrait même passer plus de temps avec elle qu’avec les autres, prier, manifester de la bonté, de l’attention. Et enseigner cette personne, sur la valeur de sa vie, de l’offrande de l’impuissance et de la souffrance, de l’union à la passion du Christ. Car c’est le Christ en croix qui sauve le monde, et tant de catholiques n’ont plus accès à cette vérité fondamentale de foi.

1Au Moyen Âge, saint Thomas d’Aquin a perfectionné cet enseignement de façon magistrale.

2Voir l’avis très nuancé des évêques canadiens suite au passage de la loi euthanasie chez eux.