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Je t’aime, toi, mon Dieu !

— troisième dimanche de Pâques, avril 2007 —

Que pouvons-nous espérer pour aujourd’hui du fait que le Christ est res­suscité ? Et comment ce que le Christ ressuscité veut nous apporter peut-il nous rejoindre ? Les récits des apparitions de Jésus à ses disciples peuvent répondre à nos questions.

Les récits des apparitions de Jésus mettent en scène des apôtres pris dans la peur, enfermés au Cénacle, ou accablés de tristesse et repliés sur leur peine sur le chemin d’Emmaüs ou à l’entrée du tombeau, ou comme au­jourd’hui peinant au travail sans en voir le fruit. Quand il nous visite, le Christ nous trouve aussi dans de telles situations. Ce qu’il apporte de plus précieux alors c’est sa présence. Et le simple fait de sa présence fait même oublier aux disciples le but du voyage ou la réussite de leur travail — Jésus doit lui-même dire aux disciples qui se précipitent vers lui : ap­portez donc de ce poisson que vous venez de prendre !

Ce que Jésus nous apporte de plus précieux à nous aussi c’est également sa présence. Nous attendons souvent beaucoup de choses du Seigneur, toutes sortes de réussites ou de bonheurs, et il nous faut nous rappeler que le grand bonheur et la grande réussite consiste dans la présence du Christ à nos côtés, dans la relation à lui comme à un ami très cher. Vous me direz que nous vivons après l’Ascension, que nous ne pouvons plus espérer rencontrer le Christ en chair et en os comme l’ont fait Thomas et les autres disciples. Pourtant, remarquez le, même avec les gens que nous voyons en chair et en os, même avec les gens qui sont physique­ment les plus proches de nous, nous n’entrons pas toujours en relation. Ce n’est donc pas là que réside le problème. Pourtant nous sommes des êtres de relation, notre vie la plus essentielle est une vie de relation. Il y a des moments de notre vie où, d’une façon évidente et naturelle, la re­lation avec quelqu’un d’autre devient ce qu’il y a de plus important parmi nos préoccupations. C’est le cas notamment lorsque nous tombons amoureux, ou qu’un de nos proches est très malade. Alors nous consa­crons beaucoup de temps et d’énergie à la relation. Mais souvent beau­coup de choses nous accaparent en matière de soucis ou de loisirs et nous empêchent de vivre comme des êtres de relation. Alors la prière comme relation amicale avec Dieu ne nous dit rien non plus.

Que s’est-il passé pour les apôtres pour qu’on dise au début du récit « Jé­sus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui » et plus loin « Aucun des disciples n’osait lui demander : “Qui es-tu ?” Ils savaient que c’était le Seigneur » ? Entre les deux attitudes, il y a un événement : « Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : “C’est le Seigneur !” » Celui qui est capable de sentir la présence du Seigneur et d’initier la relation à lui, c’est celui qui vivait avec Jésus cette relation au niveau du cœur, celui dont on dit que Jésus l’aimait — non pour dire qu’il n’aimait pas les autres mais qu’entre eux cette relation se passait surtout au niveau de l’amour.

Si nous voulons reconnaître la présence du Christ tout près de nous et en vivre, nous avons à faire le pas de l’amour, le pas qui consiste à dire au Seigneur « je t’aime ». Dites-le lui cet après-midi, ce soir, tous les jours de la semaine.

Et si vous vous demandez si vous avez le droit de dire cela alors que vous doutez que ce soit sincère, ne vous encombrez pas de ce doute. Il suffit que vous veuillez aimer un tant soit peu, car « l’amour consiste non à sentir qu’on aime, mais à vouloir aimer ».1 Et le dialogue qui a lieu entre Jésus et Pierre montre bien que Jésus s’adapte à notre amour, tout en le tirant plus loin.

Jésus pose trois fois à Pierre la question « m’aimes-tu ? » et Pierre répond trois fois « je t’aime » mais ce n’est pas avec le même verbe, ce que la pauvreté du français sur ce point ne permet pas de rendre. Jésus de­mande à Pierre « m’aimes-tu d’un amour qui est don de toi-même ? » (agapas me) et Pierre répond « tu sais que j’ai de l’affection pour toi » (filô se). Ce n’est que la troisième fois que Jésus s’adapte à la réponse de Pierre et à son amour (fileis me) et Pierre est même peiné que la troi­sième fois Jésus ne lui demande plus s’il l’aime jusqu’à se donner. Jésus se met au niveau de la réponse de Pierre, comme il se met au niveau de notre amour aussi, mais sans se résigner à ne pas nous tirer plus haut. Jésus annonce à Pierre qu’un jour il donnera sa vie pour lui, se laissant me­ner là où il ne voudrait pas. Et notre amour aussi, Jésus veut le tirer plus loin, plus haut, plus profond. Ne craignons pas de lui dire que nous l’ai­mons, et il s’arrangera pour que nous l’aimions de plus en plus, lui qui nous dit : « suis-moi ! »

1. Charles de Foucauld, moins de cinq mois avant sa mort