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Choisir une prière inutile...

— messe des étudiants du 20 juin —

A première vue, saint Paul sait utiliser toutes les ressources de la foi et de l’Écriture pour faire gonfler sa collecte en faveur de l’Église de Jérusalem. Mais finalement, à travers son savoir-faire de quêteur, il nous instruit sur le fonctionnement de notre âme (2Co 9, 6-11).

« Dieu aime celui qui donne joyeusement », nous dit-il. Celui qui donne ainsi imite la générosité divine. Car Dieu est si généreux. Une trace de cette générosité nous passe souvent inaperçu alors qu’elle est tellement fondamentale : Dieu nous a donné la vie, il nous a fait don, par les dispositions toutes naturelles de l’univers et de la reproduction sexuée, du cadeau merveilleux de la vie. Je prie Dieu que vous soyez assez tournés hors de vous-mêmes pour bénir Dieu pour le fait que vous existez. Spécialement dans les moments difficiles, c’est si important d’être reconnaissant envers Dieu parce que nous existons. Et si quelqu’un parmi nous doute que ce soit un grand bonheur d’être né et d’exister, car cela peut nous arriver, je le lui redis avec force, pour l’encourager : être né est une immense bénédiction.

Plus loin, saint Paul cite un psaume : « L’homme qui donne aux pauvres à pleines mains demeure juste pour toujours. » Il y a une générosité qui est comme une garde de notre cœur. Parfois nous nous demandons : est-ce que je fais la volonté de Dieu ? Eh bien ce serait utile de parfois remplacer cette question par : est-ce que je suis généreux, est-ce que je donne joyeusement ? La réponse est en première approximation la même pour les deux questions.

Ce que Dieu attend de nous c’est que nous ayons un cœur large. Un tel cœur sera d’autant plus capable de vibrer aux harmoniques de son amour. Pour goûter l’amour de Dieu, pour goûter l’amour de nos proches, rien de tel qu’un cœur agrandi par les gestes de don qu’il a faits. Il s’agit d’imiter la générosité de Dieu, pour que nous puissions goûter sa joie, et pas seulement nous mais aussi tous ceux qui auront affaire à nous. Bien sûr, nous ne résoudrons pas tous les malheurs du monde, mais il faut vraiment commencer !

L’évangile (Mt 6, 1-6.16-18) élargit encore cette perspective ouverte par Paul. Plus profondément qu’à la générosité, c’est à une intimité de tous les instants avec le Père que Jésus nous invite. Être enfant de Dieu, c’est être complice du Père dans toutes les occasions.

De nos jours, il ne viendrait plus à l’idée de personne de bien montrer à tout le monde qu’il prie ou qu’il jeûne ; on se cacherait plutôt, de peur de paraître idiot. Qu’importe, ce qui compte est le conseil de Jésus : prie dans le secret, vit le meilleur de toi dans le secret, car ton Père y est présent. Nous ne sommes plus tentés de prier sur les places publiques, mais il y a une façon moderne pour notre prière d’être traînée sur la place publique, d’être remarquée. Il s’agit des occasions où nous avons à rendre compte de l’efficacité de notre prière. D’autres nous demandent, ou parfois nous-mêmes, “à quoi ça sert de prier ?” Dans un monde où l’utilité prend de plus en plus de place, il est aussi requis de la prière qu’elle soit utile. Devant cette requête, je crois que le conseil de Jésus est un conseil anti-efficacité de la prière. Plutôt que la prière nous serve à quelque chose, puissions-nous nous dire simplement  : “je prie parce que le Père est là”. Et si on nous dit : “à quoi ça sert de prier !” Nous n’avons qu’une réponse : “puisque Dieu est là, je ne vais quand-même pas faire sans être avec lui !”

Alors — cela peut paraître choquant à première vue — tant mieux si notre prière ne nous rapporte rien, si nous nous demandons : “à quoi ça sert !”. Car au bout du compte, si nous voulons que Dieu devienne de plus en plus une personne pour nous, il nous faut le traiter de plus en plus comme une personne. Et ce n’est pas très respectueux d’une personne que de lui dire : “je veux bien passer du temps avec toi si ça me sert à quelque chose.” Nous dirons plutôt : “Je veux passer du temps avec toi parce que c’est toi, parce que tu es là”.

Et, abandonnant cette utilité de la prière, nous finirons par trouver qu’elle nous apporte beaucoup, car le Père « nous le revaudra ».