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La préparation évangélique (le Christ vient-il tard ?)

— fête de saint Jean-Baptiste —

On pourrait dire que la fête d’aujourd’hui est la fête des préparatifs... Les premiers instants de celui qui vient préparer les chemins du Seigneur ! Nous sommes en été, tout fatigués de l’année écoulée, tout à penser aux vacances qui sont là, à tout ce que nous pourrons faire d’intéressant que nous n’avons pas encore pu faire cette année (en tous cas c’est mon cas !) et à ce moment-là, paf, quelqu’un débarque : celui qui vient préparer les chemins du Seigneur !

Pour préparer les chemins du Seigneur, je ne voudrais pas tellement aujourd’hui vous exhorter à quelque chose, mais réfléchir avec vous sur la place spéciale du christianisme parmi les religions. En entendant les lectures, je suis frappé de voir Dieu passer par des hommes pour réaliser les choses les plus importantes de son projet pour la création. Passer par des hommes à un moment donné de l’histoire. Dieu s’annonce par des prophètes, puis par le dernier de ceux-ci, avant de se faire homme lui-même à un moment donné du temps, quelque part sur la terre. A première vue ce qui est divin devrait remonter à la nuit des temps et être connu partout ; et c’est bien ainsi dans les mythes que l’on retrouve dans l’histoire des religions. Mais le christianisme ne repose pas sur la mythologie, aussi inconvenant que cela puisse paraître : le Fils de Dieu est venu dans le monde à un moment donné de l’histoire, après avoir été annoncé par des prophètes dans un peuple particulier à un endroit donné de la planète et de l’univers. Tout cela on peut le dater, le localiser, et la science historique peut situer ces personnages. la résurrection du Christ, par exemple, n’est pas un mythe de renaissance mais un événement qui s’est passé un jour à Jérusalem.

Ce qui est étonnant c’est que ce qui a été vécu à ce moment-là par ces personnages en Palestine concerne les hommes de toutes les races, de toute culture et de tous les temps. Quand Dieu veut nous sauver, il n’expose pas depuis le ciel une théorie du salut, mais il vient à notre rencontre au moment favorable.

Les temps qui ont précédé la venue du Christ, les millénaires préhistoriques et les débuts de la révélation de Dieu dans l’histoire du peuple hébreu, il nous faut les voir comme une « préparation évangélique »1. Tous ces siècles étaient nécessaires pour que le cœur de l’homme puisse accueillir la présence de Dieu parmi les hommes. Si on lit l’ancien testament on voit clairement que la conscience morale et religieuse de l’homme s’affine tout au long de son compagnonnage avec Dieu. Il y a un monde entre les attitudes des patriarches et celles du livre de Tobie. Avant que le Christ ne vienne, les démarches de Dieu envers son peuple ont appris aux hommes que ce que l’on pouvait vivre avec Dieu était un rapport de respect et d’amitié, non dans la crainte que le ciel nous tombe sur la tête mais dans l’amour. Et parallèlement à cette préparation d’un peuple, il y avait comme une maturation de la conscience morale qui se passait ailleurs dans l’humanité — j’aime dire que c’est sous l’action de l’Esprit Saint. Ainsi par exemple Socrate et Platon en Grèce (les premiers chrétiens appelaient parfois celui-ci le Moïse grec)2. Mais je pense aussi à d’autres régions du monde, au travail de Confucius en Chine à la même époque3. En même temps que Dieu développait avec son peuple une amitié, il soutenait chez tous les peuples le développement de la conscience morale et de la responsabilité personnelle.

Tout cela devait durer, et Dieu devait être bien impatient d’apporter plus encore. Aujourd’hui nous fêtons la longue patience de Dieu, nous fêtons le moment où enfin il a pu passer la vitesse supérieure, passer à la dernière étape de la préparation, envoyer quelqu’un qui précéderait de près son Fils bien-aimé, quelqu’un qui serait « l’ami de l’époux » (Jn 3,29).

Et si nous fêtons ce moment où Dieu va pouvoir rendre proche son salut pour toute l’humanité, nous pouvons penser aussi à la patience de Dieu envers nous. C’est envers chacun que Dieu est si impatient de communiquer le meilleur et le plus grand de ce qu’il a à nous offrir. Tant que dans notre vie nous n’avons pas l’impression que notre relation avec Dieu dépasse tout ce que nous avons pu espérer ou même imaginer, nous ne sommes pas encore très loin sur ce chemin de la « préparation évangélique ». Alors en avant ! Les chemins du Seigneur sont loin d’être terminés pour nous.


1.selon le titre d’un grand traité d’Eusèbe de Césarée
2.Clément d’Alexandrie, Stromates I 150, 1-4
3.par exemple, la « règle d’or » énoncée par Jésus en Mt 7,12 : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » se retrouve chez cet auteur : « Voici certainement la maxime d'amour : ne pas faire aux autres ce que l'on ne veut pas qu'ils nous fassent » (Confucius, Analectes, 15; 23)