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On cherche des provocateurs...

(homélie sur Lc 9,1-6)

Ça nous a beaucoup surpris que Jésus demande de secouer la poussière (Lc 9,5). N’est-ce pas un geste de mépris, d’intolérance... Cela heurte notre conception d’un Jésus accueillant et ouvert. Pourtant, la tolérance n’est-elle pas une valeur de l’évangile ?

Qu’allons-nous faire ? Nous voudrions ajouter de l’édulcorant à cet évangile, voire même faire une pirouette dont les prédicateurs ont le secret et vous sortiriez avec l’impression que j’ai soutenu l’idée que le texte veut dire le contraire de ce qu’il dit : que ce n’était pas vraiment secouer la poussière, ou que ce n’était pas vraiment contre eux, ou que ce sont les évangélistes qui ont ajouté leurs propres paroles à celles de Jésus qui, lui, ne voulait pas dire ça... Vous connaissez ce genre de manœuvres qui font parfois penser qu’on peut faire dire à l’Écriture tout et son contraire. Pourtant, nous venons de lire dans les Proverbes : « Toute parole de Dieu est éprouvée, il est un bouclier pour qui s’abrite en lui. A ses discours, n’ajoute rien, de crainte qu’il ne te reprenne et ne te tienne pour un menteur. » (Pr 30,5-6)

Comment interpréter honnêtement l’Écriture ? Comment ne pas tomber dans les pièges ci-dessus ? Sûrement il faut d’abord lire attentivement, et ne pas trop se hâter de faire des rapprochements avec notre vie. Demandons-nous ce que le texte dit en lui-même, et s’il y a des parallèles dans la Bible.

Ainsi nous lisons : « si les gens refusent de vous accueillir, sortez de la ville en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Il s’agit d’un témoignage envers ceux qui ont refusé les messagers de la Bonne Nouvelle. Un témoignage « pour eux » ou « contre eux », difficile de trancher, les Bibles donnent l’une ou l’autre traduction...

Pour en savoir plus, allons voir les références parallèles qui se trouvent en petit dans nos Bibles. Par exemple le renvoi en Luc 10,11 : « Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche. »

Ici cela s’éclaircit. On voit qu’il s’agit d’interpeler les interlocuteurs, de les secouer, si j’ose dire, de leur montrer que ce qu’ils refusent, c’est vraiment le Règne de Dieu. Nous pouvons conclure que Jésus invite à un geste provocateur à cause de l’importance du Royaume de Dieu.

Ici surgit un obstacle courant : cette attitude prônée par Jésus ne correspond pas à l’image que nous nous étions fait de l’amour... Nous pensions peut-être qu’aimer les autres c’est être gentil avec eux, trouver que tous leurs choix sont bons puisque ce sont leurs choix et qu’ils sont libres, et que nous les voulons libres comme Dieu, etc. Nous disons que le christianisme est la religion de l’amour et nous sommes prêts à filtrer toute l’Écriture pour qu’elle colle à notre version de l’amour... Et bien souvent nous coinçons.

C’est qu’il vaut mieux ne pas s’accrocher à une vision préconçue de l’amour en lisant la Bible, mais plutôt laisser notre vision de l’amour être façonnée par Jésus. La vision que Jésus a de l’amour vient bousculer notre vision post-moderne d’un amour de molle tolérance. Quand quelqu’un se trompe, par amour il faut le lui dire. Quand quelqu’un refuse ce qui devrait le faire vivre, il faut lui faire remarquer qu’il passe à côté de la vie.

Aujourd’hui encore Jésus nous invite à des gestes provocateurs. Quand on refuse d’ouvrir sa vie à Dieu, ou même de se poser la question de Dieu, on ne refuse pas une marque de voiture plutôt qu’une autre, ni même de prendre le train plutôt que la voiture, on refuse Celui qui pourrait bien être la clef de notre existence, notre guide et la source du bonheur intérieur.

Je me demande quel geste provocateur nous pourrions faire à tous ceux qui nous disent, en gros : Dieu ne compte pas, même s’il existait... C’est important d’en trouver, car l’enjeu est si grand. C’est important que nous sortions d’une conception intimiste de la foi, où le fait que je crois est une affaire privée, mon affaire et puis c’est tout... Oh oui, n’ayez pas peur d’être surprenants pour les autres à cause de votre foi ! Les anormaux, ce n’est pas vous qui croyez, je peux vous le dire ! Je ne dis pas que celui qui ne croit pas est anormal, mais celui qui se bouche les yeux et les oreilles devant la question de Dieu, là je crois que nous pouvons lui montrer qu’il y a quelque chose qui ne va pas...

Enfin, pour éviter toute arrogance à ses disciples, Jésus les envoie comme des mendiants : « n’emportez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n’ayez pas chacun une tunique de rechange. Si vous trouvez l’hospitalité dans une maison, restez-y » (Lc 9,3-4). La force des témoins, notre force, ce n’est pas notre supériorité, notre intelligence, nos moyens, mais seulement la force de notre confiance en Dieu et notre main tendue vers les autres de qui nous voulons dépendre.