Ne plus espérer parvenir à une vérité commune blesse la grandeur de l’intelligence de l’homme. Jamais l’être humain jusqu’aujourd’hui ne s’est résigné au relatif, à l’approximatif. Cela blesse aussi le sens moral, car la loi du plus fort ou de l’émotion est mauvaise conseillère, et qu’est-ce qui protégera l’homme contre tout ce qui tend à l’asservir à toutes sortes d’utilités si la vérité de l’homme n’a plus droit de cité ?

Dans la Bible on ne dit jamais « avoir la vérité ». Comment saint Jean l’évoque-t-il ?

  • Il parle de la vérité qui vient avec Jésus Christ (Jn 1,17)
  • C’est Dieu qui la dit (Jn 3,33 ; 7,28 ; 8,26 ; 17,17), et Jésus la répète (Jn 8,40) ; ainsi il dit la vérité, sans être cru (Jn 8,45.46)
  • il est question d’agir selon la vérité (Jn 3,21)
  • C’est « en vérité » et en esprit que l’on adore Dieu (Jn 4,21-24)
  • Jean-Baptiste rend témoignage à la vérité (Jn 5,33)
  • On peut connaître la vérité, par la fidélité à la Parole, et elle nous rendra libre (Jn 8,32)
  • Le démon n’a jamais été dans la vérité, il n’y en a pas en lui ; il est menteur et père du mensonge (Jn 8,44)
  • Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par lui. (Jn 14,6)
  • Il y a l’Esprit de vérité (Jn 14,17), le Défenseur, l’Esprit de vérité qui procède du Père (15,26), il rendra témoignage en ma faveur. L’Esprit de vérité nous guidera vers la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : il redira tout ce qu’il aura entendu ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. (Jn 16,13)
  • Au lieu d’avoir la vérité, il s’agit d’être consacré par le Père dans la vérité (Jn 17,17) ou par la vérité (17,19)
  • Tandis que Jésus se présente comme celui qui est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité — tout homme appartenant à la vérité écoutera sa voix — Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » Puis il livrera un innocent. (Jn 18,37)

Un chrétien n’a donc jamais la vérité, mais il croit qu’elle existe. Il n’entre pas dans le scepticisme de Pilate et de tant de faiseurs d’opinion contemporains qui relaient son « qu’est-ce que la vérité ? ». Il ne se contente pas non plus de la position agnostique, qui tend à se décourager devant la difficulté de connaître Dieu et à considérer que cela ne fait pas partie de la dignité humaine de se poser des questions sur ce qui dépasse la connaissance expérimentale. N’est-ce pas ainsi que nous sommes devenus hommes : lorsqu’il y a plus de 100.000 ans, dans une savane africaine, nous avons levé les yeux vers l’infini et nous sommes demandé : qui suis-je ? D’où viens-je ? Quelle est ma destinée ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ?

Nous n’avons pas la vérité mais nous laissons Dieu nous la dire, par l’Évangile, par le Christ qui est sa Parole. Au milieu du concert des religions, qui accueillent toutes la vérité dans une certaine mesure, le christianisme cherche à accueillir Celui qui est la vérité et à témoigner de lui.

Nous nous trouvons devant une vérité qui ne se « sait » pas mais qui se « connaît », c’est-à-dire — au sens biblique — se pratique, se vit, s’éprouve. Sans avoir la vérité, nous cherchons à entrer dans la vérité, nous voulons marcher dans la vérité, nous nous exhortons à faire la vérité.

Aujourd’hui Jésus associe pour nous ces trois mots : chemin, vérité, vie. Celui qui veut goûter la vie doit pratiquer le Christ comme on pratique un sport ou un instrument de musique. En se passionnant pour la personne du Seigneur, telle que l’Église nous la transmet, en retenant sa Parole, en la vivant, nous prenons le chemin, nous entrons dans la vérité1, nous voyons naître en nous la vie éternelle qui déjà transfigure notre vie.


1Encore un mot à ce sujet, l’expression de saint Pierre : « obéir à la vérité » — « En obéissant à la vérité, vous vous êtes purifiés pour vous aimer sincèrement comme des frères. D’un cœur pur, aimez-vous intensément les uns les autres. » (1P 1,22)