L’Église a un message libérateur pour les personnes qui découvrent en elles une attirance homosexuelle. Il y a eu trop souvent par le passé des propos très durs et abrupts sur l’homosexualité dans des discours officiels ; et d’autre part l’Église catholique passe aux yeux de beaucoup pour homophobe parce qu’elle refuse simplement de considérer la pratique de l’homosexualité comme une orientation équivalente à l’union de l’homme et de la femme. Mais on gagne à aller plus loin.

Les chrétiens doivent abandonner la peur et le rejet de la personne qui a des tendances homosexuelles. Cette peur, ce rejet sont hérités du fond obscur de notre civilisation. Toutes les civilisations jusqu’à la nôtre ont refusé l’homosexualité comme pratique sociale1. Mais il ne s’agit pas de rejeter la personne qui a des tendances homosexuelles comme un être suspect. Parfois, certains croyants parlent encore ainsi. Notons d’ailleurs que personne n’est défini totalement par son orientation sexuelle. Il est d’abord un fils, un frère, un ami, un collègue, un enfant de Dieu. Je n’aime pas qu’on dise « un homosexuel » pour qualifier une personne qui, parmi tout ce qui l’attire dans la vie, a une tendance homosexuelle.

Le discours officiel de l’Église est très pauvre sur le sujet, et parle surtout de refus des actes homosexuels. Or, derrière l’attrait amoureux, qu’il soit homosexuel ou adressé à une personne de l’autre sexe, il y a souvent plus qu’une recherche de plaisir, il y a une affection qui peut être belle à vivre et à orienter toujours plus dans l’amour. Quelle que soit leur orientation sexuelle, les grands saints sont ceux qui ont pu vivre des affections humaines dans l’intensité et la droiture, en ne s’enlisant pas dans les sollicitations de l’attrait sexuel si elles ne convenaient pas à leur situation. Ainsi il y a des saints qui avaient une attirance homosexuelle ; ils ont vécu leurs affections tout en renonçant à la pratique sexuelle. Je pense à saint Aelred de Rievaulx. Certains feront aussi référence au cardinal Newman.

L’Église estime que l’attirance pour les personnes de même sexe ne devrait pas se vivre sur le mode sexuel et conjugal. Elle voit que dans des relations sexuelles de ce type il y a davantage une impasse qu’un lieu d’épanouissement réel, et que cela n’est pas une limitation occasionnelle — comme on la rencontre aussi dans bien des relations sexuelles entre l’homme et la femme — mais une limitation constitutive. Comment imaginer cela ? La relation homosexuelle vécue au plan physique peut commencer par me satisfaire et elle correspond à mes attentes, mais au fond elle révèle peu à peu ses limites, et la tentation d’autres expériences apparaît, parfois fortement. L’activité homosexuelle ressemble souvent à une impossible quête du Graal, la recherche d’un idéal qu’on pense avoir atteint mais qui se révèle à chaque fois décevant. Ce n’est pas facile à comprendre ni à sentir pour quelqu’un qui est jeune ; parfois il faut du temps pour se dire : je suis fatigué de cette quête de plénitude jamais assouvie, je ne veux plus imaginer que le bonheur est en avant de moi, je veux vivre la chasteté dans la continence, je veux vivre le bonheur maintenant.

Ce bonheur se rencontre à un autre niveau, c’est pourquoi l’Église croit que pour une personne qui a un attrait homosexuel la pleine réalisation de la personne ne s’accomplit pas dans la relation sexuelle mais plutôt en l’évitant. Ce qui ne veut pas dire éviter toute relation. Car le désir sexuel cache une quête affective qui mérite d’être reconnue pour elle-même. Tout être humain est fait pour aimer et être aimé. Trop souvent on se laisse piéger par une alternative qui n’a pas lieu d’être : soit la continence sans amitié et dans la solitude, soit l’engagement dans la relation sexuelle. Or, des personnes qui ont une attirance homosexuelle se sont engagées sur l’étroit chemin d’une profonde amitié à l’écart de l’union physique. On pourrait appeler cette troisième voie un amour d’amitié. Le père Jean-Michel Garrigues, dominicain travaillant auprès de chrétiens homosexuels, rapporte ce petit dialogue entre deux duos de personnes homosexuelles qui avaient passé des vacances ensemble : « En fait, vous ne couchez pas ensemble ? — Non, effectivement. Comment le savez-vous ? — Cela se sent. Il y a une joie et une délicatesse dans vos rapports que nous vous envions . » (Luc Adrian, interview du père Jean-Miguel Garrigues, Famille Chrétienne n°1507, 2/12/2006)

 

Au lieu de toujours mettre l’interdiction en avant, ce serait plus juste de considérer que l’Église demande aux personnes attirées par les personnes de même sexe de vivre leur attirance au niveau de l’amitié plutôt que de la sexualité. Plusieurs groupes de soutien sont nés dans cette optique. On peut citer les fraternités Saint-Aelred, qui se sont fondées dans ce but (voir notamment ce témoignage). D'autres associations soulignent qu’ « entre ce qui constitue des attraits homosexuels et des pratiques homosexuelles, il existe une marge de liberté réelle permettant des choix responsables », et donc une place pour cette amitié ; il s’agit de « Devenir un en Christ », et aussi de la communion Béthanie. L’association Courage débarque enfin sur le vieux continent, proposant un chemin de foi réaliste pour les personnes homosexuelles.

Ce serait profitable à beaucoup de personnes, et pas seulement aux personnes homosexuelles, de redécouvrir l’amour d’amitié, une relation profonde, une grande intimité de cœur et d’âme qui ne se vit pas sur le mode sexuel (et qui, dans le cas de l’homosexualité, ne connaît pas le risque de stagnation que comporte l’union sexuelle). Car les possibilités du cœur sont tellement plus vastes, infinies à l’image du Ciel. C’est une amitié où l’attrait sexuel peut être présent, mais où on met tout en œuvre pour ne pas le pratiquer, ne visant que l’union du cœur. Dans cette amitié, l’intimité peut être plus grande même que dans un couple marié, comme le suggère ce témoignage de saint Aelred :
« Le seul qui pourrait ne pas s’étonner de voir Aelred vivre sans Simon serait quelqu’un qui ignorait combien il fut plaisant pour nous de passer notre vie ensemble sur la terre ; quelle joie nous aurions eu à aller au ciel dans la compagnie l’un de l’autre... Aussi, pleure, non parce que Simon a été élevé au ciel, mais parce que Aelred est resté sur terre, seul.  »


J’entends une pratique socialement promue au même titre que la pratique homme-femme. Les lois instituant un mariage homosexuel et l’adoption par des couples homosexuels sont sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Ceci dit, en quittant le niveau social, la pratique homosexuelle a lieu depuis qu’on est capable d’en trouver des traces, et le seul fait que la Bible s’y oppose montre qu’elle existait dans la vie privée. (retour)