homélie du 25e dimanche C, 18 septembre 2022
{joomplu:190} Nous sommes déroutés par cette parabole et ces réflexions de Jésus sur l’argent. À première vue, nous nous étions attendus à ce que le Seigneur nous invite à être bien honnêtes, à être le plus juste possible avec l’argent. Est-ce qu’il nous aurait par exemple dit qu’aller faire le plein en France en étant subsidié par les impôts payés par les Français, en tant que Belge ce n’était pas très équitable ? Peut-être… J’y pense parce que j’ai été tenté de le faire… Mais son propos est assez décalé par rapport à la question de l’équité. Un jour il avait renvoyé bredouille un homme qui venait lui demander son aide pour un juste partage d’héritage (Lc 12,13). Aujourd’hui, l’adjectif qu’il accole au mot « argent » c’est « malhonnête », ou « injuste », ou « méchant » — adikos. Et en fait, ce qui a été traduit par « argent », Jésus l’appelle « Mamon », et cela sonne comme un nom de divinité : l’argent fonctionne dans le cœur de l’homme comme une divinité à laquelle on se confie pour son avenir et pour sa vie. Alors il est toujours malhonnête, méchant, car il prend la place de Dieu et il prend la place du frère.
Ce que fait Jésus ici c’est remettre le frère au-dessus de l’argent. Pour ce faire, il fait comprendre que l’argent a un but : se faire des amis qui nous ouvriront le ciel, là où on n’emporte pas son argent, car on n’a jamais vu un coffre-fort accompagner un cercueil…
Est-ce que vous vous êtes déjà fait arnaquer ? Comme prêtre, cela nous arrive assez souvent, sans doute parce que nous avons une certaine dose de naïveté par rapport aux possessions matérielles. Un jour je disais à un confrère que le Seigneur aurait bien fait de nous donner un enseignement sur ce que nous devons faire avec les gens qui viennent sonner à notre porte et nous invente des histoires à dormir debout pour obtenir notre aide. Bien sûr, il a dit « à qui te demande, donne, et à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos » (Mt 5,42), mais quand même ! Eh bien, le Seigneur a dit aussi : « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. » L’obstacle que notre attachement à l’argent venait mettre entre nous et le frère, voilà que le Seigneur le fait exploser d’une manière radicale. À nous de demander l’Esprit Saint pour pouvoir consentir à cela, car nous regardons souvent nos biens comme des Mamons, comme des divinités qui peuvent nous assurer le bonheur et que nous ne voulons surtout pas gaspiller.
L’argent doit donc servir à promouvoir le frère. Il doit être utile à qui pourra le mieux le faire fructifier. Les pères de l’Église enseignaient que la propriété privée avait comme limite le besoin de notre prochain. Saint Basile de Césarée disait : « À l’affamé appartient le pain que tu gardes, à l’homme nu le manteau que tu conserves dans tes coffres, au va-nu-pieds la chaussure qui pourrit chez toi, au besogneux l’argent que tu conserves enfoui. Ainsi tu commets autant d’injustices qu’il y a de gens à qui tu pouvais donner. » (homélie VI). Et saint Jean Chrysostome que nous avons fêté mardi : « Ne dites pas : “Je dépense ce qui est à moi, je jouis de ce qui est à moi”. Non : pas de ce qui est à vous, mais de ce qui est à autrui... Ces biens ne vous appartiennent pas : ils appartiennent en commun à vous et à votre semblable, comme sont communs le ciel et la terre et tout le reste. » (Homélie X sur 1 Co, 3) L’Église n’a jamais été communiste, car elle considère que la propriété privée est le meilleur moyen de faire fructifier les dons de la Création ; mais ces fruits ne doivent jamais être retenus pour leur seul propriétaire.
Voilà la vraie façon de regarder nos biens, afin qu’ils ne nous possèdent pas, afin qu’ils ne deviennent pas un argent malhonnête, car ce que nous avons honnêtement gagné, si nos mains se recroquevillent dessus, devient le Mamon d’injustice. Or tout cela, cela reste une petite affaire par rapport aux biens éternels. « Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? ». Oh, Seigneur, comme tu nous avertis ! Libère-nous de nos possessions, afin que nos cœurs soient joyeux même en temps de crise et que nous continuions à être généreux, préparant ainsi nos cœurs à la vie éternelle que nous ne voulons surtout pas manquer parce que nous aurions eu peur de manquer sur la Terre.