Mais il y a des souffrances qui demeurent. Et spécialement les souffrances intérieures. Qu’allons-nous faire, allons-nous les laisser nous détruire ? Car la souffrance détruit, et le mal dans le monde est ce qui milite le plus contre Dieu : beaucoup y voient la preuve que Dieu n’existe pas, ou qu’il n’est pas bon, ou qu’il ne peut rien faire pour nous, ou qu’il est lointain... Voilà la grande victoire de l’Adversaire, qui veut effacer de devant nos yeux les traces d’amour de Dieu.
Devant la souffrance naît en chacun de nous la question “pourquoi ?” C’est la seule question qui restera dans le vide : Dieu n’y répond pas et le christianisme n’a pas de théorie de la souffrance. Dieu ne répond pas avec des mots mais il vient souffrir avec nous. Et c’est la croix, où on peut se dire : Dieu est là, bien présent, et pourtant ce mal arrive. Jésus nous remet sur la bonne piste : « celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple. » Le païen en nous veut une explication, le croyant cherche à persévérer dans l’union... C’est en effet l’union dans l’amour qui est la réponse adéquate au problème de la souffrance.
Faut-il souffrir pour être chrétien ? Non, mais la souffrance qui survient inévitablement me place devant un choix : est-ce que j’en ferai un sujet de discorde avec le Christ, est-ce que je vais le frapper avec la croix ? Ou est-ce que j’en ferai un sujet de complicité avec le Christ, une occasion d’union, est-ce que je vais porter ma croix en le suivant ?
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Le Christ nous propose aussi de le préférer à tout, même à notre propre vie ! C’est bien seulement celui qui a bien conscience d’être le Fils de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, par qui tout a été fait — comme dit le Credo — qui peut oser parler ainsi.
Ce renoncement à tout, y compris à soi-même, peut être mal compris par les personnes qui nourrissent spontanément une sorte de méfiance naturelle envers la vie, la joie, la richesse, la beauté, etc. Ce n’est pas un beau renoncement que de renoncer à ce qu’on n’a jamais appris à aimer. Regardez saint François, il renonce à tout après l’avoir goûté au maximum : la richesse, la célébrité, la facilité, le luxe.
Je vois deux choses dans le renoncement chrétien : le fruit d’un amour préférentiel, et le choix de se débarrasser de ce qui nous torture intérieurement. Le renoncement chrétien est l’expression d’un grand amour du Seigneur et de la vie. C’est un renoncement préférentiel, un renoncement pour aimer davantage, pour avoir le cœur plus vif et plus brûlant.
Ce renoncement vient aussi d’une conscience du vrai combat à mener pour mener une vie libre ; c’est tout le contraire d’une haine de la vie, d’une suspicion envers la vie. C’est le choix de dégager la vie de tout ce qui la menace en nous. Un certain nombre de nos tristesses nous viennent du fait que nous nous prenons trop au sérieux, que nous mettons notre propre vie et tous nos attachements au centre du monde et de notre champ de conscience. C’est un réflexe naturel, mais il faut trouver une autre attitude si on veut connaître un bonheur profond, celui des enfants de Dieu, celui de ceux à qui Jésus dit : heureux ceux qui ont un cœur de pauvre, le Royaume des cieux est à eux ! Le bonheur des cœurs de pauvres est un bonheur exultant. Il vaut bien de nombreux renoncements.