homélie de la fête de la Sainte-Famille 2024
Les lectures d’aujourd’hui nous montrent un lien fort de deux enfants avec le Seigneur. Il y a Samuel, demandé à Dieu avec insistance par Anne et Elcana, puis offert par ses parents pour le service du temple — une réalité qui demeure un peu choquante pour nos oreilles du XXIe siècle, habituées à l’autodétermination. Et puis il y a l’enfant Jésus, resté au temple à 12 ans et qui répond à ses parents angoissés : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Quel message pouvons-nous tirer de cela pour cette fête de la Sainte-Famille ?
Parfois, l’enfant arrive dans une famille très simplement, comme un don de Dieu, une bénédiction simple et belle. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il y a depuis toujours la situation de l’enfant qui survient alors qu’il n’est pas attendu ni espéré. Parfois, ses parents se convertiront à la réalité et l’accueilleront de grand cœur. Parfois, au contraire, ils lui feront bien sentir que sa présence est de trop, soit en l’éliminant, soit en le privant de l’affection due à tout enfant. Il y a des personnes qui doivent vivre avec la blessure intérieure de se sentir de trop.
De nos jours une nouvelle tendance s’est développée, en parallèle des performances croissantes de la médecine. C’est l’idée de l’enfant comme un dû ou quelque chose qui doit venir dans un certain contexte choisi, être voulu, venir au bon moment, venir comme on l’entend et quand on l’entend. L’enfant est alors en quelque sorte chosifié, et il ressent même inconsciemment qu’il doit correspondre à toute une série de critères. Son existence n’est pas tirée du mystère de la vie, mais de la mise en œuvre des procédures plus ou moins invasives de la médecine. Son existence est programmée, il y a quelque chose qui la dépasse mais que certains ont eu en main, et cela peut se diffuser profondément dans le rapport à soi de la personne. J’ai le sentiment qu’une part du mal-être de nombreux enfants vient de ce poids secret contre lequel quelqu’un ne peut même pas protester, au contraire de la blessure de ne pas avoir été désiré : le poids secret d’avoir été plus ou moins considéré comme une chose.
À ces deux malheurs de l’enfant non voulu ou de l’enfant programmé, l’expérience de Samuel et de Jésus enfants vient apporter un horizon d’espoir : il est possible de se défaire de ces préconceptions et de considérer que l’enfant appartient à Dieu. L’enfant n’est pas un dû, il n’est pas le produit de ses parents. Il n’est pas non plus un être dépourvu de sens tombé là par hasard. Il est le bien de Dieu, il est son œuvre et son trésor. L’enfant dépasse grandement toutes les circonstances de sa venue et les limites de ses parents, car tout être humain appartient à Dieu et tire de là sa dignité exceptionnelle. Tous, nous pouvons regarder notre existence ainsi, et en tirer une nouvelle liberté, donnée par le Seigneur qui nous a créés.
Il y a plus encore, à cause de la façon dont le salut nous est donné, au-delà des bienfaits de notre création. Jésus dit que Dieu est « son Père », et il inaugure cette nouveauté soulignée par saint Jean : « nous sommes appelés enfants de Dieu, et nous le sommes » (1 Jn 3,1). Nous ne sommes pas seulement destinés à Dieu, mais notre identité fondamentale consiste à être enfants de Dieu, et le baptême vient graver cela dans les profondeurs de notre identité en nous donnant la vie nouvelle. C’est le Fils de Dieu qui réalise cela, lui qui est venu dans le monde, qui est né de la Vierge Marie, qui a fait constamment la volonté de son Père et nous a réconciliés avec Lui.
Nous savons ce qu’il nous reste à faire si nous voulons être vraiment vivants : accueillir dans la foi cette réalité de notre filiation divine, cette identité merveilleuse, et garder les commandements de notre Père pour la raison que nous sommes ses fils et ses filles. En vivant ainsi, nous entrerons dans l’intimité de Dieu, son intimité qui nous recrée et nous illumine.