homélie du 1er dimanche de carême, 9 mars 2025
À première vue, les tentations que Jésus affronte au désert ont plutôt un air exotique. Mais vous allez découvrir que ce sont les nôtres, et que si Jésus est allé au désert pendant 40 jours dans le jeûne et la prière, c’est pour affronter l’Ennemi de la nature humaine, celui qui voudrait faire échouer notre vie, le diable qui en veut à Dieu et aux hommes qu’Il aime. C’est pour nous qu’il est allé au désert, et en retour c’est pour nous ouvrir à lui que nous voulons vivre ce carême comme une sorte de désert, de dépouillement, de renoncement.
Quand Jésus a faim, au terme des 40 jours, le diable lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. ». Jésus ne répond pas depuis sa divinité, mais en tant qu’homme, comme tout homme devrait le faire, comme nous sommes invités à le faire ; il répond dans la fidélité à Dieu et à sa Parole : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »
Cette tentation est celle de nos manques. C’est celle qui survient quand nous avons peur de manquer des satisfactions de la vie, des plaisirs ; et aussi lorsque nous donnons à la satisfaction de nos besoins le volant de nos vies. On ne peut pas vivre sans plaisirs, mais on ne peut pas faire de la satisfaction de nos désirs le pilote de nos choix. Sinon, ouvertement ou secrètement, nous mettons la main sur les autres et nous les faisons servir à notre satisfaction.
Comme remède à cette tentation du manque, l’Évangile et l’Église proposent le jeûne : refuser volontairement la satisfaction de besoins légitimes, afin de prendre distance avec la tyrannie de nos besoins. Ce sera tout naturellement jeûner de nourriture à certains moments, mettre de côté les réseaux sociaux, netflix ou le programme TV, ainsi que dans la vie intime ou tout autre chose où nous décelons que le besoin exerce sa domination.
Le diable offre ensuite à Jésus le pouvoir, à condition qu’il se prosterne devant lui. Là nous voyons bien qu’il ignore la vraie identité de Jésus. Mais il le teste. Jésus est venu pour instaurer son pouvoir, le règne de Dieu. Mais au diable qui lui propose le pouvoir n’importe comment, Jésus répond à nouveau en homme fidèle à Dieu : « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Nous voilà devant la tentation de la réussite à tout prix. Tous, nous cherchons à réussir notre vie. C’est un bon moteur pour se lever le matin et faire des choix coûteux. Mais allons-nous chercher à parvenir à nos fins comme nous l’entendons, en laissant de côté ou en regardant de haut les commandements de Dieu ou les demandes de l’Église ? Heureux celui qui entreprend de réussir sa vie en écoutant la voix du Seigneur, en réglant ses choix selon ses commandements, en refusant tout ce qui n’est pas juste, droit, fidèle, généreux, en faisant l’aumône pour que les autres puissent réussir comme lui.
Enfin vient la tentation au sujet de la confiance en Dieu. Le diable propose à Jésus de se jeter en bas du sommet du Temple, car, s’il est Fils de Dieu, devra se réaliser la parole de la Bible qui dit : « Dieu il enverra ses anges te porter sur leurs mains ».. Jésus dénonce sa fausse lecture de l’Écriture — car on peut avoir une fausse lecture de l’Écriture — et lui répond à nouveau avec la Parole : « tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Voilà peut-être la tentation la plus moderne, celle de l’homme qui attend de Dieu une action directe, et qui se détourne de Dieu s’il ne lui donne pas satisfaction. Combien sont tentés, aujourd’hui, de quitter le Seigneur en disant : il ne m’a pas exaucé. Et plus subtilement, combien ne viennent-ils pas prier en exigeant d’être portés, instruits, élevés ? Dernièrement j’osais dire à des personnes : un chrétien, c’est quelqu’un qui va à la messe ! Il me fut répondu : encore faut-il que la messe lui apporte quelque chose ! Voilà bien la dernière tentation du Christ : venir à la messe pour que Dieu nous honore de quelque gratification, plutôt que de venir à la messe pour honorer Dieu. Alors très vite nous demandons : à quoi ça sert de croire, d’aller à la messe, de prier ? Certains vont jusqu’à des pratiques magiques pour obtenir ce qu’ils veulent. Ils demandent que Dieu les serve, plutôt que de dire : je veux servir le Seigneur. La foi deviendrait une pratique de développement personnel. Or, nous ne prions pas pour nous satisfaire, mais pour servir Dieu et l’honorer. Pourquoi vas-tu à la messe ? Pour être nourri, pour en sortir enrichi ? Ce n’est pas faux… Nous serons nourris et enrichis, mais pas si c’est ce que nous cherchons. Rappelez-vous les paroles de Jésus : « qui veut sauvegarder sa vie la perdra ; qui la perda la sauvegardera » (Lc 17,33). Nous allons à la messe pour honorer Dieu, pas pour nous honorer nous-mêmes par nos quêtes spirituelles. Et alors le Seigneur nous honorera, nous comblera, une fois que nous l’aurons mis bien au-dessus des attentes que nous avons pour notre petite personne.
Bon carême ! En cherchant le Seigneur et en servant nos frères de manière désintéressée, nous découvrirons tout à coup combien nous sommes comblés.