Le pape François est venu chez nous comme un apôtre et un prophète. En prophète, il a dit des mots secouants, à l’image des prophètes de la Bible. En apôtre, il nous a rencontrés et instruits afin que notre intelligence et notre cœur se trouvent fortifiés. Pour que sa visite ne soit pas résumée à quelques mots incisifs, je voudrais ici reprendre quelques phrases plus larges, bien que l’entièreté des discours vaille la peine d’être lue.

NB : je ne me suis pas embarrassé de […] et autres signes critiques.

Vendredi matin, aux autorités et à la société civile

On pourrait dire que la Belgique est un pont, où chacun, avec sa langue, sa mentalité et ses convictions, rencontre l’autre et choisit la parole, le dialogue et le partage comme moyens de relation.

L’être humain, lorsqu’il cesse de se souvenir du passé et de s’en laisser instruire, a la capacité déconcertante de retomber, même après s’être enfin relevé, en oubliant les souffrances et les coûts effroyables payés par les générations précédentes. Pour cela, la mémoire ne fonctionne pas, c’est curieux, il y a d’autres forces, à la fois dans la société et chez les gens, qui nous font tomber dans les mêmes choses. L’Église catholique veut être une présence qui, témoignant de sa foi dans le Christ ressuscité, offre aux personnes, aux familles, aux sociétés et aux nations une espérance ancienne et toujours nouvelle ; une présence qui aide chacun à affronter les défis et les épreuves, sans enthousiasmes faciles ni pessimismes moroses, mais avec la certitude que l’être humain, aimé de Dieu, a une vocation éternelle de paix et de bonté et qu’il n’est pas destiné à la dissolution et au néant.

Samedi matin, rencontre des acteurs pastoraux

Évangélisation : Lorsque nous faisons l’expérience de la désolation, en effet, nous devons toujours nous demander quel message le Seigneur veut nous communiquer. Et que nous montre la crise ? Nous sommes passés d’un christianisme installé dans un cadre social accueillant à un christianisme “de minorité”, ou plutôt, de témoignage. Cela demande le courage d’une conversion ecclésiale. Le processus synodal doit être un retour à l’Évangile ; il ne doit pas avoir parmi les priorités quelque réforme “à la mode”, mais il faut se demander : comment pouvons-nous faire parvenir l’Évangile dans une société qui n’écoute plus ou qui s’est éloignée de la foi ?

Joie : c’est savoir que nous ne sommes pas seuls sur le chemin et que, même dans les situations de pauvreté, de péché, d’affliction, Dieu est proche, il prend soin de nous et ne permettra pas à la mort d’avoir le dernier mot. Dieu est proche ; proximité. Bien avant de devenir Pape, Joseph Ratzinger a écrit qu’une règle du discernement est la suivante : « Là où la joie manque, là où l’humour meurt, là il n’y a même pas l’Esprit Saint [...] et vice versa : la joie est un signe de la grâce » (Il Dio di Gesù Cristo, Brescia 1978, p. 129).

Miséricorde : Dieu est le Père de la miséricorde qui s’émeut pour nous, qui nous relève de nos chutes, qui ne retire jamais son amour pour nous. “Mais Père, même lorsque j’ai commis quelque chose de grave ?”. Jamais Dieu ne retire son amour pour toi. La justice de Dieu est supérieure : celui qui s’est trompé est appelé à réparer ses erreurs, mais pour guérir dans son cœur il a besoin de l’amour miséricordieux de Dieu. N’oubliez pas : Dieu pardonne tout, Dieu pardonne toujours. C’est par sa miséricorde que Dieu nous justifie, c’est-à-dire qu’il nous rend justes, parce qu’il nous donne un cœur nouveau, une vie nouvelle.

Et en vous saluant, je voudrais rappeler une œuvre de Magritte, votre illustre peintre, qui s’intitule “L’acte de foi”. Elle représente une porte fermée de l’intérieur, mais qui est percée au centre, elle est ouverte sur le ciel. C’est une ouverture qui nous invite à aller au-delà, à regarder vers l’avant et vers le haut, à ne jamais nous refermer sur nous-mêmes, jamais sur nous-mêmes. C’est une image que je vous laisse comme symbole d’une Église qui ne ferme jamais ses portes — s’il vous plaît, ne fermez jamais les portes —, qui offre à tous une ouverture sur l’infini, qui sait regarder au-delà. C’est l’Église qui évangélise, vit la joie de l’Évangile, pratique la miséricorde.

Vendredi après-midi, à la KUL

Il est beau de penser que l’Université génère de la culture, génère des idées, mais surtout promeut la passion pour la recherche de la vérité au service du progrès humain. Dans notre contexte, nous sommes devant une situation ambivalente où les frontières sont étroites. D’une part, nous sommes immergés dans une culture marquée par le renoncement à la recherche de la vérité. Nous avons perdu la passion inquiète de la recherche, pour nous réfugier dans le confort d’une pensée faible — le drame de la pensée faible —, pour nous réfugier dans la conviction que tout se vaut, qu’une chose en vaut une autre, que tout est relatif. D’autre part, lorsque, dans les contextes universitaires et ailleurs, on parle de vérité, l’on tombe souvent dans une attitude rationaliste selon laquelle seul peut être considéré comme vrai ce que nous pouvons mesurer, expérimenter et toucher, comme si la vie se réduisait uniquement à la matière et à ce qui est visible. Dans les deux cas, les frontières sont restreintes.

La recherche de la vérité est pénible parce qu’elle nous oblige à sortir de nous-mêmes, à prendre des risques, à nous poser des questions. C’est pourquoi, dans la fatigue de l’esprit nous sommes plus séduits par une vie superficielle qui ne pose pas trop de questions ; tout comme nous attire une “foi” facile, légère, confortable qui ne remet jamais rien en question.

D’autre part, Romano Guardini se demandait : « Pourquoi l’homme, malgré tous le progrès, est-il si inconnu à lui-même et le devient-il de plus en plus ? Parce qu’il a perdu la clé pour comprendre l’essence de l’homme. La loi de notre vérité dit que l’homme ne peut être reconnu qu’à partir d’en haut, au-dessus de lui, de Dieu, parce qu’il ne tire son existence que de Lui » (Prière et vérité, Brescia 1973, p. 56).

Un théologien de ce pays, fils et professeur de cette université, a dit : « Nous sommes le buisson ardent qui permet à Dieu de se manifester » (A. GESCHÉ, Dieu pour penser. Le Christ, Cinisello Balsamo 2003, p. 276). Maintenez allumée la flamme de ce feu ; élargissez les frontières ! Soyez de soucieux, s’il vous plait, avec le souci de la vie, soyez des chercheurs de la vérité et n’éteignez jamais votre passion, pour ne pas tomber dans l’acédie de la pensée, qui est une très mauvaise maladie. Soyez les protagonistes de la création d’une culture de l’inclusion, de la compassion, de l’attention aux plus faibles et aux grands défis du monde dans lequel nous vivons.

Samedi après-midi, à l’UCLouvain

Nous voyons bien combien le mal qui détruit l’environnement et les peuples est violent et arrogant. Il semble ne pas connaître de frein. La guerre en est l’expression la plus brutale - vous savez que dans un pays, que je ne nommerai pas, les investissements les plus générateurs de revenus sont aujourd’hui les usines d’armement, c’est mauvais! La guerre, la corruption et les nouvelles formes d’esclavage… Parfois, ces maux polluent la religion elle-même qui devient un instrument de domination. Faites attention! Mais c’est un blasphème. L’union des hommes avec Dieu, qui est Amour salvifique, devient ainsi un esclavage. Même le nom du Père, qui est révélation d’attention, devient une expression d’arrogance. Dieu est Père, pas maître; il est Fils et Frère, pas dictateur; il est Esprit d’amour, et pas de domination.

Nous, chrétiens, nous savons que le mal n’a pas le dernier mot — et nous devons être forts à ce sujet : le mal n’a pas le dernier mot — comme on dit, que ses jours sont comptés. Cela n’enlève rien à notre engagement, bien au contraire l’augmente : l’espérance est l’une de nos responsabilités. La première attitude est la gratitude car cette maison commune nous est donnée : nous n’en sommes pas les maîtres, nous sommes des hôtes et des pèlerins sur la terre.

La seconde attitude est celle de la mission : nous sommes dans le monde pour préserver sa beauté et le cultiver pour le bien de tous, en particulier de la postérité, le prochain dans l’avenir. Voilà le “programme écologique” de l’Église.

L’option à prendre se situe entre manipuler la nature et cultiver la nature, à commencer par notre nature humaine et notre monde intérieur. L’Église est le peuple de Dieu, pas une entreprise multinationale. La femme, dans le peuple de Dieu, est fille, sœur, mère. Comme moi je suis fils, frère, père. Ce sont les relations qui expriment notre être à l’image de Dieu, homme et femme ensemble et non pas séparément ! En fait, les femmes et les hommes sont des personnes, et non des individus ; ils sont appelés dès le “commencement” à aimer et à être aimés. Une vocation qui est mission.

Ce qui caractérise la femme, ce qui est féminin, n’est pas déterminé par le consensus ou les idéologies. Et la dignité est garantie par une loi originelle, non pas écrite sur le papier, mais dans la chair. À partir de cette dignité, commune et partagée, [il nous faut penser] la mission et la vie de l’homme et de la femme et leur être mutuel, dans la communion. Non pas l’un contre l’autre, ce qui serait du féminisme ou du masculinisme et non pas dans des revendications opposées, mais l’homme pour la femme et la femme pour l’homme, ensemble.

Rappelons que la femme est au cœur de l’événement salvifique. C’est par le “oui” de Marie que Dieu en personne vient dans le monde. Ouvrons les yeux sur les nombreux exemples quotidiens d’amour, de l’amitié au travail, de l’étude à la responsabilité sociale et ecclésiale ; de la vie conjugale à la maternité, à la virginité pour le Royaume de Dieu et pour le service. N’oublions pas, je le répète : l’Église est femme, elle n’est pas homme, elle est femme.

Comment étudier ? On étudie ensemble : grâce à ceux qui ont étudié avant moi… il y a le dialogue et le dialogue fait grandir la communauté universitaire. Pour qui étudier ? Avant de se demander si étudier sert à quelque chose, préoccupons-nous de servir quelqu’un. Il existe une réalité plus grande qui nous éclaire et nous dépasse : la vérité. L’étude a du sens lorsqu’elle cherche la vérité, lorsqu’elle essaie de la trouver, mais avec un esprit critique. La vérité se laisse trouver : elle est accueillante, elle est disponible, elle est généreuse. Si nous renonçons à chercher ensemble la vérité, l’étude devient un instrument de pouvoir, de contrôle sur les autres. Et allez de l’avant, allez de l’avant, et n’entrez pas dans les luttes avec des dichotomies idéologiques, non.

Dimanche, messe au stade Roi Baudouin

Nous avons tous reçu, par le baptême, une mission dans l’Église. Mais il s’agit d’un don et non d’un titre dont on se vante. La Communauté des croyants n’est pas un cercle de privilégiés, elle est une famille de sauvés, et nous ne sommes pas envoyés pour porter l’Évangile au monde par nos propres mérites, mais par la grâce de Dieu, par sa miséricorde et par la confiance que, au-delà de toutes nos limites et de nos péchés, Il continue à mettre en nous avec un amour de Père, voyant en nous ce que nous-mêmes ne parvenons pas à percevoir. C’est pourquoi il nous appelle, nous envoie et nous accompagne patiemment jour après jour.

Avec le cœur et l’esprit, je reviens aux histoires de certains de ces “petits” que j’ai rencontrés avant-hier. Je les ai entendus, j’ai ressenti leur souffrance d’avoir été abusés et je le répète ici : il y a de la place dans l’Église pour tous, tous, tous, mais nous serons tous jugés et il n’y a pas de place pour l’abus, pas de place pour la couverture de l’abus. Le mal ne doit pas être caché : le mal doit être révélé au grand jour, il doit être connu, comme certaines personnes abusées l’ont fait, et avec courage. Que cela se sache. Et que l’abuseur soit jugé. Que l’abuseur soit jugé, laïc, prêtre ou évêque : qu’il soit jugé.

Nous pouvons nous inspirer de la vie de l’œuvre d’Anne de Jésus, Anne de Lobera en ce jour de sa béatification. En des temps marqués par de douloureux scandales, à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté chrétienne, par leur vie simple et pauvre faite de prière, de travail et de charité, elles et ses compagnes ont su ramener beaucoup de personnes à la foi, au point que quelqu’un a désigné leur fondation dans cette ville comme un “aimant spirituel”.