Chapitre 1
Le cœur de l’homme, source de la liberté et de la conscience

Licence Creative Commons
Le « Cours d’éthique générale » de Christophe Cossement est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

Le propre de l’homme est de pouvoir choisir et décider librement. Là où l’animal est étroitement guidé par son instinct, l’homme est capable de prendre un recul qui lui permet d’orienter son action en fonction d’un projet plus large, selon des fins qui ne sont pas immédiates. On dira que l’homme est libre. Cette liberté, il l’exerce en étant lui-même la cause de pensées ou d’actions dont on dira qu’il les veut. La liberté s’exprime dans la volonté.

Ce pouvoir de décider n’est pas absolu, et cela pour plusieurs raisons. Il y a d’abord une raison liée à notre fonctionnement psychique : la liberté est sujette à toutes sortes de conditionnements, intérieurs et extérieurs. Il y a une raison plus profonde pour laquelle ce pouvoir de décider n’est pas absolu, qui a trait avec la raison d’être de la liberté : à quoi sert notre liberté ? Pour quoi sommes-nous libre ? La liberté n’est-elle qu’une faculté qui nous permet de vivre comme nous l’entendons ? Sommes-nous libres seulement pour être libres ou bien en vue d’autre chose ? Nous découvrirons que nous gagnons à envisager notre liberté au service d’une action plus élevée, plus noble : notre liberté existe afin de nous permettre d’aimer.

1.1 Le tournant opéré par Jésus : l’abîme de la liberté

Liberté, volonté, ne sont pas des termes fréquents dans la Bible. Celle-ci parlera plutôt du cœur de l’homme, comme de ce centre intime de décision et de vie. La philosophie grecque avait tendance à situer l’intimité constitutive de l’homme dans la raison, au point que pour Platon l’homme ne peut pas vouloir sciemment un mal : si l’homme fait le mal, c’est par ignorance, c’est en le prenant pour un bien. La pensée biblique désigne un centre plus intime de la personne que sa raison ; c’est son cœur, qui rend l’homme capable de choisir même ce que son intelligence lui montre comme un mal. C’est ainsi que Jésus peut dire : «quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises» (Jn 3,19). Ailleurs encore il parle du cœur en ces termes :

Mt 15 10Jésus appela la foule et lui dit : «Écoutez et comprenez bien ! 11Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. Mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur.» 12Alors les disciples s’avancèrent et lui dirent : «Sais-tu que les pharisiens ont été scandalisés en entendant cette parole ?» 13Mais il répondit : «Toute plante que mon Père du ciel n’a pas plantée sera arrachée. 14Laissez-les dire : ce sont des guides aveugles pour des aveugles. Si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous les deux dans un trou.» 15Pierre intervint pour lui dire : «Explique-nous cette parole énigmatique.» 16Jésus répliqua : «Vous aussi, vous êtes encore incapables de comprendre ? 17Ne voyez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre pour être éliminé ? 18Tandis que ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur. 19Car c’est du cœur que proviennent pensées mauvaises, meurtres, adultères, inconduite, vols, faux témoignages, diffamations. 20C’est tout cela qui rend l’homme impur ; mais manger sans se laver les mains ne rend pas l’homme impur.» 1

Jésus et ses disciples évoluent dans le cadre d’une morale imprégnée de nombreuses obligations rituelles. Il y a notamment la fameuse distinction du pur et de l’impur, à laquelle Jésus va faire subir une transformation profonde. Depuis cette prise de parole, le pur et l’impur n’ont plus une dimension rituelle, mais surgissent sur le plan moral. Simultanément, c’est le cœur de l’homme qui est désigné comme la source des pensées et des actes qui peuvent rendre mauvais.

Synthétisons : le cœur, dans l’anthropologie biblique, est «le centre de la personnalité, le siège des sentiments et tendances, de la volonté, des initiatives, des pensées»2. C’est le lieu le plus intime et le plus noble de l’homme. Il s’y joue la rencontre de l’âme et du corps, leur «juste compénétration»3. Nous aurons l’occasion d’en découvrir plusieurs aspects, mais commençons par un petit détour, histoire d’écarter un malentendu.

Digression : le pur et l’impur dans l’Ancien Testament

Dans la distinction entre pur et impur nous voyons directement une distinction morale. Sans doute en conséquence du passage d’évangile cité plus haut. Dans les religions primitives il n’en est pas ainsi : pur et impur sont des catégories liturgiques ou métaphysiques plutôt que morales. Elles touchent à la manière de traiter ce qui a un caractère sacré, ce qui est surnaturel. C’est surtout ce sens qui est en usage dans l’Ancien Testament. La distinction pur/impur touche les animaux vivants qu’on tue pour les manger4 (Lv 11), transgressant ainsi d’une certaine façon la frontière entre la vie et la mort. Cette distinction touche aussi au mystère de la fécondité et du don de la vie ; ainsi on lira que la femme est impure pendant un certain temps après l’enfantement (Lv 12), de même que l’homme qui a eu un écoulement séminal (Lv 15,16) ou la femme après ses règles (Lv 15,19) ou les conjoints après l’acte sexuel. La distinction pur/impur touche à toutes les situations de mélange entre la vie et la mort, la santé et la maladie ou la corruption ; ainsi la lèpre des hommes (Lv 13,1ss) ou des vêtements (Lv 13,47ss) ou des maisons (Lv 14,33ss) et tous les cas d’écoulement (Lv 15,1ss). Tout contact avec celui que la vie a quitté, avec tout cadavre, rend impur (Nb 19). Enfin, la distinction pur/impur se rapporte au culte et au contact avec les objets liturgiques. Tout ce qui touche au culte doit être éminemment pur et ne peut être approché en état d’impureté (Lv 21).

Les règles de pureté environnent ainsi tout ce qui donne à l’homme l’impression d’être dépassé par quelque chose de plus grand : le mystère de la vie et de la mort, le mystère du sacré. Ces règles concernent tous les cas où une limite à ce niveau est imprécise, ou doit être traversée. Ce lien entre le sacré et le pur/impur se retrouve encore aujourd’hui lorsqu’on appelle «purifier» le calice l’action de rincer avec de l’eau après la communion la coupe qui a contenu le sang du Christ. Purifier prend le sens de «mettre de l’ordre». Mettre de l’ordre entre le sacré et le profane, entre le vivant et le mort.

Nous pouvons mener une réflexion semblable à partir de l’idée de sainteté. Étymologiquement, le mot «saint», qadosh, signifie «séparé, coupé». La sainteté de Dieu est ce qui le rend tout autre que l’homme et que tout le profane. Il est si saint que l’homme ne peut pas voir Dieu et vivre encore (Ex 19,21). Aujourd’hui encore des auteurs aiment parler de Dieu comme du «Tout-Autre». Mais Dieu n’est pas seulement tout autre, il se révèle aussi comme un Dieu juste, bon, libérateur. Il est le Dieu d’amour, il est l’Amour (1 Jn 4,8 : «Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est Amour».) Non pas un amour à notre mesure humaine, mais l’amour originel, l’amour dans sa grandeur authentique. Dieu n’est pas bon selon nos critères, il est le Bon, il est la source de tout ce qui est bon.

En vertu des qualités «morales» de Dieu, devenir saint comme Lui prend aussi un sens de bonté morale. «Soyez saints comme je suis saint» (Lv 19,2) dit le Dieu qui est amour. Mais d’abord, le saint est celui qui est «de Dieu», celui qui vit sa vie en dépendance du seul Saint, de Celui «qui est la source de toute sainteté» comme le dit la deuxième prière eucharistique. Dans le christianisme, on ne se fait pas saint, on reçoit la sainteté.

1.2 Le cœur de l’homme : la liberté et la volonté dans la Bible

Le premier pas que nous devons faire dans l’éthique chrétienne est de souligner la dignité, la grandeur de l’homme à qui s’adresse l’invitation éthique. C’est parce qu’il est si grand et qu’il est appelé à une vie si fantastique que l’homme doit veiller à son agir. Pour connaître l’homme dans le plan de Dieu, parcourons le début de la Genèse, la création de l’homme.

1.2.1 Genèse 1 : l’homme à l’image de Dieu

Qu’allons-nous chercher dans les récits de la création que l’on trouve dans Gn 1-3 ? Non pas des données scientifiques sur l’apparition de l’homme sur terre, mais bien un enseignement sur qui est l’homme.

C’est une des grandes croyances de notre époque que la science et la foi s’opposent ! L’affaire Galilée a depuis longtemps été dramatisée et montrée comme exemplaire d’un prétendu conflit fondamental entre la recherche scientifique et l’Église (je ne nie pas qu’il y ait eu conflit ; mais ce conflit ne touchait pas à l’essence de la science et de la foi ; il serait d’ailleurs très intéressant de se pencher réellement sur les faits plutôt que de transformer Galilée en martyr de l’Inquisition). Plus tard la théorie de l’évolution de Darwin a été utilisée pour combattre une vision croyante, tandis que certains croyants estimaient devoir lutter contre l’idée d’évolution des espèces. Nous assistons encore aux États-Unis à la bataille entre le créationnisme et l’évolutionnisme.

La foi et la science sont deux manières d’aborder la réalité, une même réalité, et donc elles ne doivent pas se contredire. La réalité est une ; il n’y a pas de réalité à tiroir. Les découvertes scientifiques devraient informer le croyant sur la réalité à partir de laquelle il réfléchit. De même, la foi chrétienne tient un discours sur l’homme qui informe le scientifique ou l’avertit (sur l’identité de l’homme, bien plus qu’un objet de science, notamment). Du côté de la théologie, cela a aussi permis de progresser dans la compréhension de la Bible, en dégageant l’existence de «genres littéraires »5. Tous les passages de la Bible ne racontent pas de la même manière, et tous ne sont pas l’exposition de faits historiques. Il y a des passages qui sont de l’histoire, et d’autres qui sont comme des histoires, des contes, des récits qui ont une morale. Par exemple la création en 7 jours en Gn 1 se présente clairement comme un poème plutôt qu’une théorie sur la façon dont le monde a été créé. Ce poème décrit Dieu comme l’auteur du monde, il nous livre son projet en créant l’homme au sommet de l’univers. La science, de son côté, n’a pas accès à cette question de l’auteur du monde ; par nature elle est incapable de prouver ou d’infirmer cette origine du monde, bien qu’elle puisse décrire les étapes d’une évolution et expliquer comment ce que Dieu a voulu est advenu concrètement.

Le «pourquoi» du monde est une question légitime, bien qu’elle échappe aux capacités de la science. Le travail de la raison doit être étendu bien au-delà de la rationalité scientifique et technique.

Nous n’envisagerons dans le récit de Gn 1 que ce qui concerne l’homme.

Gn 1 23Il y eut un soir et il y eut un matin : cinquième jour. 24Dieu dit : «Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce» et il en fut ainsi. 25Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu vit que cela était bon. 26Dieu dit : «Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent 6 sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre.» 27Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. 28Dieu les bénit et leur dit : «Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre.» 29Dieu dit : «Je vous donne toutes les herbes portant semence, qui sont sur toute la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence : ce sera votre nourriture. 30À toutes les bêtes sauvages, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour nourriture toute la verdure des plantes» et il en fut ainsi. 31Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : sixième jour.

Dieu déploie toute la création du monde en vue de l’homme, pour pouvoir rencontrer l’homme. Cela est décrit de façon imagée par le fait que l’homme est créé en dernier, comme sommet d’une création bien pensée, bien organisée (7 jours).

L’homme est le seul être créé «à l’image » de Dieu. Ce n’est pas facile de déduire en quoi consiste cette image. Gn 2 sera plus explicite sur le sujet. Ici, la ressemblance est présentée en lien avec le fait que l’univers est soumis à l’homme, et avec le fait que l’être humain est créé «homme et femme». D’une part l’homme est appelé à dominer le monde à la manière de Dieu, de sa bienveillance, de son attention à créer du «bon». D’autre part l’homme est image de Dieu dans le fait d’être incomplet en lui-même, d’être constitutivement ouvert sur une altérité fondamentale, dans l’attente vitale d’une relation avec un autre qui est constitutivement différent. L’Église voit dans cette altérité homme/femme — qui débouche sur l’amour et la fécondité — une préfiguration de ce qui sera dévoilé par Jésus au sujet du Dieu éternel : il est Trinité, un Père et un Fils fondamentalement différents et fondamentalement unis par l’Esprit. Quand Dieu crée l’homme à son image, il le crée «homme et femme», et fécond (Gn 1,27-28). Leur amour mutuel prend ainsi une dimension qui les dépasse, il a lui-même quelque chose de divin. L’amour de l’homme et de la femme est l’image la plus parlante et la plus précieuse sur la terre de l’identité de Dieu, de l’amour qui est en Dieu. En cela, remettre en cause la différence sexuée, vouloir décrire l’humanité indépendamment d’elle constitue un obscurcissement de la révélation de Dieu lui-même ; il ne faudra pas s’étonner de voir l’Église catholique rejeter vigoureusement la «théorie du genre» en passe d’être à la mode partout.

Créé à l’image de Dieu, tout homme a une valeur immense. C’est cette identité — en quelque sorte d’origine divine — qui fonde pour le chrétien tous les droits de l’homme. Ce point rend les rapports de la science et de la foi difficile, car il vient questionner tout ce que la science rend possible. La question morale se pose à la pratique scientifique en matière d’ingénierie du vivant : est-ce qu’on peut faire tout ce qu’on sait faire ? Par exemple, des manipulations sur les embryons peuvent-elles être menées en les détruisant, en les considérant comme un simple matériel biologique ? Pour la science c’est possible, et certains scientifiques n’y voient pas de problème particulier. Le croyant qui découvre que l’homme est créé à l’image de Dieu dira que cela donne à chaque être humain, même commençant, une dignité infinie, et qu’on ne peut donc pas traiter les embryons comme des choses : ils sont déjà des êtres humains, et il ne revient à personne de pouvoir décider, en l’absence de saut qualitatif scientifiquement mesurable, qu’à tel âge il s’agit d’une chose puis à tel âge d’un être humain7. Notre affirmation selon laquelle l’homme est le seul qui est créé à l’image de Dieu heurte toute une tendance actuelle à considérer l’homme comme un animal comme un autre, simplement plus intelligent ; pour la foi, l’homme est constitué d’une manière qui dépasse de loin tout le reste des choses de la terre ; il est à l’image de Dieu, il mérite un respect infini.

Enfin, le récit de Gn 1 aborde aussi indirectement la question de l’origine du mal... en disant d’où il ne vient pas. Dieu a créé un monde bon. Tout au long du chapitre 1 de la Genèse où est racontée la Création, il y a ce refrain : «Dieu vit que cela était bon». Et quand il créée l’homme, Dieu est même plus admiratif : «Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour». Le mal ne vient pas de Dieu, il faut en chercher l’origine ailleurs.

1.2.2 Genèse 2 : l’homme capable de Dieu, partenaire

Gn 25Au temps où le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car le Seigneur Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. 6 Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol.
7Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. 8Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé. 9Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger, et l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
10Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras. 11Le premier s’appelle le Pishôn : il contourne tout le pays de Havila, où il y a l’or ; 12l’or de ce pays est pur et là se trouvent le bdellium et la pierre de cornaline. 13Le deuxième fleuve s’appelle le Gihôn : il contourne tout le pays de Kush. 14Le troisième fleuve s’appelle le Tigre : il coule à l’orient d’Assur. Le quatrième fleuve est l’Euphrate.
15Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder. 16Et le Seigneur Dieu fit à l’homme ce commandement : «Tu peux manger de tous les arbres du jardin. 17Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu mourras».
18Le Seigneur Dieu dit : «Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie». 19Le Seigneur Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné. 20L’homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l’aide qui lui fût assortie.
21Alors le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l’homme, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. 22Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, le Seigneur Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. 23Alors celui-ci s’écria : «Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée “femme”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci !» 24C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. 25Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre.

Dans Gn 2 le monde devient un jardin pour l’homme, un jardin riche et luxuriant, que l’homme façonne par son activité : «Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder.» (v.15) La mission de cultiver et garder le jardin fait partie de la constitution de l’homme, elle est présente dès l’origine. Le travail est une bénédiction. L’homme existe et se fait par ce qu’il fait. Plus largement, son action fait partie de ce qu’il est.

L’homme et la femme sont voulu complémentaires par Dieu. Ce récit a une autre façon de le suggérer : la femme n’est pas refaite à partir de terre, mais faite d’un côté de l’humain pour qu’homme et femme soient «côte à côte». Ils ont un côté commun, ils sont adaptés l’un à l’autre, ils sont un complément nécessaire l’un de l’autre, non pas seulement pour faire mais pour exister8.

1.2.2.1 Un commandement créateur de liberté

Le récit de Gn 2 va beaucoup plus loin dans la description de la relation qui est possible entre l’homme et Dieu. Cette relation apparaît dans la parole que Dieu adresse à l’homme : «Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu mourras.» (v.16-17).

Voici en très bref le raisonnement qui sera tenu :
1) Il y a d’abord un don. À ce don est associé une limite venant du donateur. Cette limite conduit à user du don qui est fait sans oublier la relation avec Dieu qui donne.
2) La limite s’adresse à la liberté de l’homme ; si l’homme n’est pas libre, il n’y a pas lieu de lui adresser une parole de limite.
3) D’où on voit que la liberté est créée pour une relation, pour rendre capable d’entrer dans une relation d’amour.

Détaillons cela en nous arrêtant sur la parole que Dieu adresse à l’homme. Ce sont les premiers mots de Dieu vers l’extérieur. Et ils sont pour l’homme. Nous sommes spontanément frappés par le caractère limitant de cette parole, par l’interdiction qu’elle porte. Nous ne remarquons pas d’emblée le don qui est fait : «tu peux manger de tous les arbres du jardin» — arbres dont on a lu quelques versets plus haut qu’ils sont «séduisants à voir et bons à manger» (v.9). Notre regard est désormais blessé par le serpent, qui au chapitre 3 abordera la femme en disant : «alors, Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?» (Gn 3,1) Toutes les générations qui ont lu la Bible et qui lisent leur vie dans le sens de la Bible ont dû purifier le regard de leur cœur pour se laisser d’abord séduire par la beauté du monde que Dieu donne et par la sollicitude de Dieu pour l’homme. Ce n’est pas possible d’emblée, car nous ne sommes plus dans l’ordre prévu par Dieu, il s’est passé quelque chose...

Dans le deuxième récit de la Création, l’homme est le seul à qui Dieu adresse la parole. Dieu a fait l’homme capable d’entendre sa voix, et aussi capable de lui répondre. Cette capacité de l’homme trouve son origine dans une vie directement donnée à l’homme par Dieu. On ne dit plus ici, comme en Gn 1, que l’homme est créé à l’image et selon la ressemblance de Dieu9, mais la même réalité est décrite d’une autre façon : après avoir façonné l’homme à partir de la terre, Dieu souffle en lui un souffle de vie. Tous les autres vivants sont simplement modelés, sans cette animation particulière. L’homme possède en lui ce supplément de vie de la part de Dieu, que l’on peut appeler la vie «spirituelle». À une sorte de vie que l’homme partage avec tous les animaux — et que l’on appellera donc vie animale — s’ajoute une autre sorte de vie, qui permet à l’homme de se rapporter à Dieu (v.16), de nommer toutes choses (v.20) et de s’émerveiller de sa compagne (v.23). C’est la vie spirituelle. Tandis que les anges n’ont pas de vie corporelle et que les animaux n’ont pas d’esprit, l’homme se trouve à la jonction de deux mondes, il est lui-même cette jonction entre les mondes matériel et spirituel. Une place difficile mais passionnante.

La première parole est donc : voici pour toi tous ces arbres désirables et bons (v.16). La seconde parole ajoute : mais ne prend pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Ces paroles ne sont pas simplement descriptives. Elles disent, de la part de Dieu, un «tu peux» et un «tu ne feras pas». Dieu donne et il dit qu’il donne, et il le dit à quelqu’un, et il dit qu’il est comme présent dans le don puisqu’un commandement de sa part y est attaché. Le don qu’il fait a lieu dans une communication, dans une relation personnelle. Ce n’est pas comme si Dieu donnait pour se retirer ensuite et dire : voilà les clefs de la maison, fais tout ce que tu veux. Il reste présent dans ce don, car c’est la vie de l’homme que de trouver Dieu dans ce don. C’est pourquoi il y a l’interdit, qui vient dire : c’est ainsi que tu me trouveras dans la création10, que tu trouveras la vie que je donne car elle vient de moi, car je suis la source de la vie. C’est le sens du «sinon tu mourras», qui n’est pas du tout une sorte de punition extrinsèque qui pend au-dessus de la tête d’Adam, mais plutôt une loi inscrite dans le don de la part du Dieu de vie, parce que la vie vient de lui et que l’homme n’est pas seulement appelé à vivre d’une vie animale mais aussi d’une vie spirituelle, d’une vie qui s’épanouit dans la relation à Celui de qui tout vient.

Les animaux, eux, ne reçoivent pas de parole, sinon un nom que l’homme lui-même leur donne (v.19). Ils nous paraissent plus libres que l’homme, puisque Dieu ne leur demande rien. Qui n’a jamais rêvé de la liberté des oiseaux ou des bêtes sauvages ? Et pourtant ils sont bien moins libres que l’homme, ils n’ont pas cette capacité de retour sur soi que permet la conscience et qui donnerait à Dieu l’occasion de leur adresser la parole.

On peut considérer la parole que Dieu adresse à l’homme comme la création de la liberté par Dieu. L’homme n’est pas déterminé, dans son choix parmi les arbres du jardin, par un goût particulier, et il n’éprouve pas une répulsion instinctive pour l’arbre qui lui serait nocif. Dieu a créé l’homme libre, ce que nous découvrons à travers la nécessité de la loi qui doit lui être donnée : ne mange pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Ce n’est pas l’instinct qui gardera l’homme de cet arbre, mais le choix de son cœur en réponse à la parole de Dieu.

À l’homme, Dieu peut donner un commandement car il est capable de le recevoir. Donner une loi au moment de créer, pour Dieu, c’est créer un être capable de se situer par rapport à cette loi et par rapport au donateur de la loi : un être libre et responsable. Dans «responsable» nous entendons d’ailleurs le mot «répondre». La liberté de l’homme est créée dans un moment de communication. Nous devinons ainsi la raison d’être de cette liberté : pouvoir se situer soi-même dans une relation digne de ce nom. Dans cette relation, il ne suffit pas d’être là, d’exister, mais il s’agit d’accueillir et d’échanger : accueillir le don de tous les arbres, échanger en comptant sur la parole dite au sujet de l’arbre néfaste, répondre par la confiance... Les Pères disent que l’homme est capax Dei, capable de Dieu, capable «de le connaître et de le posséder»11 ; et cette capacité s’étend à tous les hommes, pas seulement ceux qui disposent de toutes leurs facultés mentales. Notons encore que ce commandement est comme une mission. Le verbe tsivah, au v.16, signifie à la fois donner un ordre et instituer quelqu’un, le charger d’une fonction (2S 6,21 ; Ne 7,2). Dans la parole donnée par Dieu se trouve contenue la mission d’être homme.

Ainsi, la liberté existe pour la relation. Elle apparaît comme ce qui me permet de me situer face à quelqu’un dans une relation. Pour l’homme, doué d’intelligence et de liberté, l’homme en qui Dieu a pris la peine de mettre un souffle particulier, la vie dans le monde n’est pas une vie solitaire et isolée. Il possède une «aide assortie» et un Dieu avec qui il peut entrer en relation. La réflexion chrétienne, mais avant elle déjà la spiritualité juive, insisteront sur le fait que cette relation est une relation d’amour.

Dit encore autrement, le commandement «tu ne mangeras pas» ne vient pas contredire le don de toute la création, mais il vient donner un cadre dans lequel ce don pourra être réellement vécu : le cadre d’une relation, d’une dépendance librement, volontairement choisie. La loi donnée par Dieu fait entrer dans une dépendance propre à l’amour. Un jour le psalmiste s’écriera : «Mon Dieu, je veux faire ce qui te plaît, et ta loi est tout au fond de moi.» (Ps 40,8) La suite de l’histoire envisage le cas, bien actuel, où l’homme dira : et si je ne veux pas choisir d’être dépendant, choisir d’aimer ?

En bref : Dieu a le désir de créer un être qui pourra entrer en relation avec Lui. Il lui donne ce qu’il faut pour pouvoir se tourner librement vers lui dans l’amour. Le message de la création peut être décrypté dans des sens très divers, mais nous avons la responsabilité de le chercher dans le sens de l’amour : le sens de tout l’univers c’est qu’il y a dans le monde un être libre capable de s’attacher librement dans l’amour, et cet être c’est nous. Créé à l’image de Dieu, l’homme tient cette place spéciale dans l’univers : il est doué de liberté, une capacité de volonté qui dépasse de loin l’instinct animal et qui dispose à aimer.

1.2.2.2 Mais pourquoi cet arbre bizarre ?

Il y a peut-être plusieurs minutes que vous vous demandez : qu’est-ce que cet arbre peut bien avoir de mauvais pour l’homme ?

Ce qui est interdit à l’homme n’est évidemment pas le savoir moral, pouvoir discerner ce qui est bien et ce qui est mal dans ses actions en s’appuyant sur son intelligence et sur la sagesse éthique de l’humanité et de ceux qui cherchent à connaître les chemins de Dieu. Il ne s’agit pas d’une connaissance théorique, mais bien d’une connaissance pratique. Dans la Bible, la «connaissance» est à peu près toujours expérimentale : le savoir de l’artisan (Ex 31,3), l’intention de faire quelque chose (Nb 24,46 ; Dt 4,42, etc.), l’union sexuelle (Gn 4,1.17.25 ; Gn 19,5.8), l’expérimentation physique (Gn 8,11), l’habileté pratique (Gn 25,27), etc.

Ainsi, «connaître le bien et le mal» c’est, dans le langage biblique, expérimenter le bien et le mal, pratiquer le mal comme le bien12. On peut se dire que ce que Dieu interdit c’est justement le «et» : s’emparer du bien comme du mal, vouloir posséder «une science qui mêle le mal au bien, une science composite, associée, mixte, cumulative du bien et du mal»13.

Ailleurs dans la Bible Dieu adresse à l’homme l’appel à chercher le bien et rejeter le mal : «Cherchez le bien et non le mal, si vous voulez vivre» (Amos 5,14). Le bien est ce qui est choisissable, tandis que le mal ne fait pas partie de ce qui peut être saisi par le choix :

Dt 3015Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, 16moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession.
17Mais si ton cœur se détourne, si tu n’écoutes pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir, 18je vous le déclare aujourd’hui : vous disparaîtrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain.
19J’en prends à témoin aujourd’hui contre vous le ciel et la terre : c’est la vie et la mort que j’ai mises devant vous, c’est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, 20en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. C’est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras tes jours, en habitant sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères Abraham, Isaac et Jacob.

La connaissance du bien et du mal, c’est vouloir se positionner au-dessus de la distinction entre bien et mal, prétendre pouvoir décider de ce qui est bien et de ce qui est mal. Manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ce serait pour l’homme vouloir se hisser lui-même au niveau des dieux (Gn 3,4) et s’instituer comme la mesure du bien et du mal. «Ce serait vouloir se connaître indépendamment de sa source, renier sa condition et sa vérité de créature, et chercher, loin de l’arbre de vie, les sentiers du bien et du bonheur. Dieu, par son commandement, a voulu protéger l’homme de cette terrible possibilité»14.

La Bible indique que ce n’est pas possible de se placer au-dessus de la distinction du bien et du mal. L’homme ne reçoit pas de pouvoir sur le «tri» entre ce qui est bien et ce qui est mal, il n’est pas par lui-même l’auteur de la valeur bonne ou mauvaise des actions humaines. Ce n’est pas dans la vocation de l’homme de décider par lui-même de ce qui est bien ou mal, bien qu’il reçoive la faculté de discerner, de voir, de découvrir par lui-même ce qui est bien et ce qui est mal.

Nous n’irons pas plus loin, nous n’entrons pas maintenant dans la suite du chapitre 3 car pour le moment nous cherchons à répondre à la question «qui est l’homme, qui doit agir moralement ?» Cela nous suffit de découvrir l’homme dans le plan de Dieu. Le récit continue, nous raconte une sorte de suite, une tentation et une chute, pour faire comprendre ce qui est survenu à cet homme pour qu’il ne soit plus seulement comme Dieu l’avait imaginé. En évoquant un après, la Bible évoque quelque chose qui n’est pas lié constitutivement à l’homme. En racontant ce qui lui est arrivé, elle n’évoque pas spécialement une histoire réelle, une succession (homo erectus fut-il l’homme dans sa condition juste ? Bien improbable), mais une superposition : à une constitution humaine fondamentale s’ajoute quelque chose d’accidentel.

1.3 liberté et volonté : approche théologique

1.3.1 Radiographie de l’homme : intelligence, volonté, sensibilité et passions

Classiquement, on distingue chez l’homme plusieurs facultés. Les deux facultés supérieures, rationnelles, qui sont considérées comme faisant partie de l’image de Dieu en l’homme, sont l’intelligence et la volonté. La sensibilité et les passions sont partagées plus largement avec tout le règne animal, mais sont vécues très différemment par l’homme en raison de son intelligence et de sa volonté.

L’intelligence est la faculté par laquelle l’homme peut connaître et comprendre les choses. Elle est naturellement attirée par le vrai. Par l’intelligence, l’homme prend du recul par rapport à l’immédiateté de ce qui s’impose à lui. Il analyse et fait la synthèse de nombreuses informations.

La volonté est la faculté rationnelle qui permet à l’homme de se déterminer par lui-même à telle ou telle action, en étant attiré par le bien, ou du moins par quelque chose que, par son intelligence, il considère comme un bien15. Ainsi la volonté est la faculté de l’amour et du désir16. Elle devient pression de soi sur soi en réponse à une im-pression du bien en elle17. Elle conduit à la joie de l’union au bien désiré. Par nature ce n’est pas une volonté impérative, dominatrice mais plutôt unitive. Par la volonté et le libre-arbitre qui en découle l’homme est comme Dieu «le principe de ses propres actes»18, le père de ses actes.

À cause de cette attirance de l’intelligence pour le vrai et de la volonté pour le bien, on parlera d’une inclination naturelle de l’homme au vrai et au bien.

Avec la sensibilité s’ouvre pour l’homme le monde des passions. Par «passion» on entend tout ce qui est ressenti par l’homme, tout ce qui s’impose à lui sans avoir été choisi (pathos, en grec, signifie tout ce qu’on éprouve, par opposition à ce qu’on fait : tout ce qui affecte le corps, en bien ou en mal). On parle encore couramment de «passion amoureuse», mais la peur, le découragement, la joie, la tristesse, la colère font également partie des «passions». Les passions les plus fondamentales sont l’amour, provoqué par l’attrait du bien, et la joie, qui naît de la possession de ce bien.

1.3.2 Une liberté qui a pour raison d’être l’amour et le bonheur

La liberté, dans la pensée classique de l’Église, repose sur l’intelligence et la volonté ; elle est comme rendue possible par l’intelligence et la volonté, et elle est marquée par leur attrait naturel vers le vrai et le bien.

Dans la pensée biblique et le christianisme, la liberté est déterminée par ce qui est un bien pour l’homme. Et le bien suprême de l’homme correspond à sa vocation première, à ce à quoi tout homme est appelé19. Cette vocation, la voici : l’homme est fait pour le bonheur, il possède le bonheur comme but, comme fin : le bonheur est sa raison d’être et ce vers quoi il tend.

Le Catéchisme de l’Église catholique parle d’un «désir naturel de bonheur», qui n’est pas indéterminé mais est «d’origine divine : Dieu l’a mis dans le cœur de l’homme afin de l’attirer à Lui qui seul peut le combler»20. Et puisque tout homme cherche le bonheur, ce désir de bonheur est comme la «tête chercheuse» qui guide l’homme vers Dieu.

1.3.3 Quel bonheur ?

Il y a tant de conceptions possibles du bonheur, tant de moyens parfois contradictoires par lesquels les hommes cherchent leur bonheur. Les «Béatitudes» (Mt 5,1-12) sont sûrement le texte qui évoque le plus clairement la vision du bonheur qu’avait Jésus et qu’il propose à tout disciple.

Mt 51À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. 2Et, prenant la parole, il les enseignait :
3«Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux. 4Heureux les doux : ils auront la terre en partage. 5Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés. 6Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés. 7Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde. 8Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. 9Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. 10Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
11Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. 12Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.»

Nous sommes bien loin d’un bonheur fait de l’addition de satisfactions passagères, de petits plaisirs de la vie. Loin aussi d’un bonheur qui résiderait dans la richesse ou la puissance, dans la tranquillité ou la notoriété ; loin même d’un bonheur qui consisterait en l’absence de souffrance. Tout ce que beaucoup envient pour être heureux, tout ce qui ferait même le bonheur de «l’honnête homme» se trouve ici balayé au nom d’un bonheur plus grand, rappelé au début de chaque phrase : «heureux !»

Sur ce bonheur, la Bible donne peu d’indications concrètes, à la différence, par exemple, du Coran21. Jamais dans la bouche de Jésus ou des apôtres il n’est question d’un retour au Paradis terrestre et à ses conditions de vie. Le bonheur est plutôt en avant. Nous pouvons relever quelques indications dans l’Écriture :

Jn 17«3La vie éternelle, c’est c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ... 13Maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés 21Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. 22Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : 23moi en eux, et toi en moi. Que leur unité soit parfaite...»
Ph 1«21En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. 22Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. 23Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur ; 24mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire.»
Ap 213Et j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux.
224ils verront son visage et son nom sera sur leurs fronts.

Outre ces textes, les images que Jésus nous donne sont celles d’un repas, d’un festin (Lc 13,29 ; 22,30=Mc 14,25 ; Lc 14-15-24), c’est-à-dire un lieu de joie, de partage, de relation et d’abondance. La vie éternelle se présente dans la Bible comme une intimité, une communion dans l’amour, un «être avec» caractéristique de l’amitié profonde et de l’amour. Pas étonnant que cette conviction ait guidé le futur Jean-Paul II à l’époque où ce jeune vicaire et professeur imaginait des pièces de théâtre :

L’amour est l’un des processus de l’univers qui mènent à la synthèse, unifient ce qui est séparé, élargissent et enrichissent ce qui est étroit et limité. Les hommes ont besoin de tendresse ! Ils ont besoin d’intimité 22 !

Le bonheur auquel l’homme est appelé est donc éminemment relationnel : communion d’amour avec Dieu, et communion d’amour avec les autres hommes, dans la justice et la paix. C’est le Royaume de Dieu dont Jésus dira qu’il est déjà «au milieu de nous» (Lc 17,21).

1.3.4 Aux sources du bien et du mal : l’ordination à la Béatitude

La liberté existe donc pour le bonheur et pour l’amour, et l’évaluation du bon usage de cette liberté consistera à considérer en quoi tel acte libre peut être ordonné, «rattachable» à la poursuite du bonheur dans l’amour de Dieu et du prochain. Nous sommes mis en face de l’originalité de la morale chrétienne, qui est une morale de la fin, de la visée, et qui propose comme fin le bonheur. On pourrait l’appeler «morale de la Béatitude». Dans cette morale le bien et le mal se mesurent par rapport au bien suprême qu’est la Béatitude en tant que communion à Dieu et aux autres. Et la façon de mesurer n’est pas de comparer (quel bien partiel serait comparable à Dieu ? !) ni d’additionner mais de voir en quoi la direction prise par l’acte libre mène vers cette communion à Dieu et aux autres. Au lieu de direction on parlera souvent de finalité et d’ordination.

Pour les pères ou les théologiens scolastiques, «la quête du bonheur représente la raison même de la morale chrétienne. Pourquoi suivre le Christ, si ce n’est pour apprendre de lui le bonheur éternel ? “Nul n’est sage à moins d’être heureux” écrit Augustin»23. Nous gagnerons à présenter la morale chrétienne comme une pédagogie ou un apprentissage du bonheur. «La première obligation éthique n’est pas la conformité au commandement, mais bien la quête de ce qui rend heureux. “Que dois-je faire, interroge le jeune homme riche, pour avoir en héritage la vie éternelle ?” (Mc 10,17)»24.

Nous venons de croiser un mot capital de la réflexion éthique chrétienne : «ordonné», qui signifie en quelque sorte «qui peut être rattaché à une fin, un but, une direction fixée». Son contraire, «désordonné» signifie alors : qui ne peut pas correspondre à ce pour quoi la chose existe (en terme de finalité). Dans les textes du Magistère les actes mauvais sont souvent dit «désordonnés». Cela conduit à beaucoup de méprises dans l’opinion publique, ou «désordonné» fait penser à «désordre, confusion, chaos» et même «liberté» prise avec l’ordre établi ! L’ordre établi renvoie lui-même à des idées comme «statique, immuable, rigide», etc., toute sorte de mots fréquemment associés à la morale de l’Église. Et pourtant, dans le langage des documents officiels de l’Église, «(dés)ordonné» est une notion très dynamique, on pourrait dire même balistique : est-on en train de bien viser ? Et sur la bonne cible — le vrai bonheur — ou une autre cible — un bonheur apparent ?

Nous pouvons maintenant bien saisir dans quel cadre évolue la liberté de l’homme. Elle permet à l’homme de répondre par lui-même à l’appel que Dieu lui adresse, un appel au bonheur avec lui dans la communauté des humains. L’homme n’est pas programmé inconsciemment pour le bonheur ; il est capable de se diriger lui-même vers ce bonheur, et il doit le faire, en vertu de l’autonomie qui est la sienne. C’est cela qui rend son bonheur vraiment réel : qu’il se dirige lui-même vers celui-ci. C’est par la connaissance (liée à la faculté d’intelligence) et par l’amour (lié à la faculté de volonté) qu’il cherche et atteint son but, sa fin, qui est de vivre la communion avec Dieu et tous les hommes. L’homme est libre pour aimer, il est libre pour vivre le bonheur, la béatitude. Nous pourrons éveiller ceux que nous rencontrons à ce centre intime de nous-mêmes qui nous permet de vivre le grand bonheur de l’amour véritable : «tu es plus grand que tu ne l’imagines !» Dit de façon plus technique cela donne ceci :

[La liberté de l’homme] est la liberté d’une créature, c’est-à-dire un don, qu’il faut accueillir comme un germe et qu’il faut faire mûrir de manière responsable. Elle est constitutive de l’image d’être créé qui fonde la dignité de la personne : en elle, se retrouve la vocation originelle par laquelle le Créateur appelle l’homme au Bien véritable, et, plus encore, par la révélation du Christ, il l’appelle à entrer en amitié avec Lui en participant à sa vie divine elle-même. La liberté est possession inaliénable de soi en même temps qu’ouverture universelle à tout ce qui existe, par la sortie de soi vers la connaissance et l’amour de l’autre. Elle s’enracine donc dans la vérité de l’homme et elle a pour fin la communion 25.

1.3.5 Saint Thomas d’Aquin

Un théologien a commencé son traité d’éthique par un long chapitre sur le bonheur. Il s’agit de saint Thomas d’Aquin, dont le grand mérite est d’avoir réuni dans sa pensée le discours de l’Évangile et celui des principaux philosophes de son temps. La pensée de Thomas continue de marquer la réflexion chrétienne, et on a même inventé le mot «thomisme» pour désigner son apport et l’école de pensée qui se réclame de lui.

Une petite note biographique s’impose. Thomas naît en 1225 en Italie du Sud et entre contre l’avis de sa famille chez les frères prêcheurs (dominicains), une «communauté nouvelle» de l’époque, qui l’envoient étudier à Paris. À 34 ans il a déjà une grande réputation de professeur de théologie, en Italie puis en France. Il se trouve confronté à un séisme culturel majeur : l’œuvre d’Aristote, jusque là ignorée de l’Occident, entre en Europe par l’intermédiaire de philosophes arabes. Les Européens découvrent sidérés tout un nouveau système de pensée cohérent élaboré en dehors de la foi chrétienne, divergeant sur bien des points du système philosophique que le christianisme avait bien assimilé jusqu’alors : la philosophie de Platon. Par sa puissance intellectuelle, son ouverture et son courage, Thomas va parvenir à créer une synthèse de ce nouvel apport avec l’héritage des Pères, dans une pensée à la fois fidèle et audacieuse. Il meurt épuisé à l’âge de 50 ans, après avoir cessé d’écrire suite à une expérience mystique, lors de la communion, qui lui fait dire qu’en comparaison de ce qu’il a compris du mystère de Dieu, tout ce qu’il a écrit lui paraît «comme de la paille». En recevant sa dernière communion il dira, dans une phrase qui devrait être la devise de tout théologien :

«Je vous reçois, ô salut de mon âme. C’est par amour de vous que j’ai étudié, veillé des nuits entières et que je me suis épuisé ; c’est vous que j’ai prêché et enseigné. Jamais je n’ai dit un mot contre Vous. Je ne m’attache pas non plus obstinément à mon propre sens ; mais si jamais je me suis mal exprimé sur ce sacrement, je me soumets au jugement de la sainte Église romaine dans l’obéissance de laquelle je meurs.»

Thomas sera d’abord condamné par un archevêque anglais, avant d’être réhabilité puis canonisé 50 ans après sa mort, tandis que son œuvre continuait à faire débat.

Son grand traité moral est inséré dans sa monumentale «Somme Théologique» ; il en constitue la deuxième partie, après un traité sur Dieu (Prima pars) et avant un autre sur le Christ sauveur (Tertia pars). Cette «secunda pars» est divisée en deux : Prima Secundæ (abrégée en Ia-IIæ), qui réfléchit sur le bonheur, le bien, l’intelligence, la volonté, le péché en général ; puis la Secunda Secundæ (IIa-IIæ), plus épaisse, qui traite de toutes les actions particulières.

1.Le terme «pensées» traduit ici le grec dialogismoi, dont le sens est bien plus large : calcul, dessein, raisonnement, débat.

2.Note TOB à Ph 1,7.

3.Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p. 114. La suite du texte est fort intéressante : «La disposition affective fondamentale de l’homme dépend précisément aussi de cette unité entre l’âme et le corps, et du fait que l’homme accepte d’être à la fois corps et esprit, de soumettre le corps à la discipline de l’esprit — mais sans pour autant isoler la raison ou la volonté —, se recevant lui-même de Dieu, de reconnaître et de vivre aussi la corporéité de son existence,comme une source de richesse pour l’esprit».

4.Lorsqu’il crée l’homme, Dieu lui donne à manger toutes les plantes de la terre (Gn 1,29). La permission de verser le sang pour se nourrir ne vient que comme une concession lors de l’alliance avec Noé (Gn 9,3).

5.Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei verbum, 18 novembre 1965, № 12 : «Pour découvrir l’intention des hagiographes, il faut entre autres choses être attentif aussi “aux genres littéraires”. En effet la vérité est proposée et exprimée de manière différente dans les textes qui sont historiques à des titres divers, dans les textes prophétiques, les textes poétiques, ou les autres sortes de langage. Il faut donc que l’interprète recherche le sens qu’en des circonstances déterminées, l’hagiographe, étant donné les conditions de son époque et de sa culture, a voulu exprimer et a de fait exprimé à l’aide des genres littéraires employés à cette époque. Pour comprendre correctement ce que l’auteur sacré a voulu affirmer par écrit, il faut soigneusement prendre garde à ces façons de sentir, de dire ou de raconter, qui étaient habituelles dans le milieu et à l’époque de l’hagiographe, et à celles qui étaient habituellement en usage ça et là à cette époque, dans les relations entre les hommes».

6.Le pluriel est dans l’original bien que de nombreuses traductions répugnent à le restituer.

7.«dès que l’ovule est fécondé se trouve inaugurée une vie qui n’est ni celle du père, ni celle de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s’il ne l’est pas dès lors. À cette évidence de toujours la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques bien déterminées. Dès la fécondation est commencée l’aventure d’une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir» (Congrégation pour la doctrine de la foi, déclaration sur l’avortement provoqué, 1974, §12-13).

8.Ce n’est d’ailleurs à proprement parler qu’après la création de la femme qu’on parle d’homme, îsh, au v. 23b, 24 et 3,6... Avant, il s’agit de «l’adam», c’est-à-dire étymologiquement «le terreux», bien que la plupart des traductions écrivent «l’homme» plutôt que «l’adam» aux versets 7, 8, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 23a, 25, et 3,8.9... L’adam a plutôt tendance à désigner l’homme au sens général (Gn 6,7 ; Dt 8,3 ; Is 44,11) ou même collectif («les gens» : Jr 47,2, 1S 24,10). Îsh renvoie à l’homme dans sa masculinité, sa virilité (Is 31,8 ; 1S 4,9) ou son lien à la femme (mari : Gn 3,6).

9.Pour les Pères, l’image demeure malgré le péché : «Nous avons dit que, quoique privée par sa faute de l’amitié de Dieu, quoique dégradée et difforme, [l’âme] est cependant restée l’image de Dieu. Elle est en effet son image par le seul fait qu’elle est capable de lui, de le connaître et de le posséder avantage immense qu’elle ne doit qu’à l’honneur d’être l’image de Dieu» (Saint Augustin, De Trinitate, livre XIV, chapitre XIII). Connaître et posséder, voici les deux composantes de l’amour, reposant sur les deux facultés fondamentalement spirituelles que sont l’intelligence et la volonté.

10.L’interdit ne fonctionne pas ici seulement comme un cadre, mais il est personnel, il établit une relation.

11.cf. infra la citation de saint Augustin, note 9 .

12.«Connaître, pour la Bible, c’est expérimenter de façon vitale : c’est pénétrer, posséder, exercer un pouvoir ou une habileté. Le bien et le mal signifie tout ce qui existe : la nature, les autres, soi-même et... Dieu ! La tentation fondamentale qui nous habite, l’écueil où notre liberté se brise, est l’ambition qui nous veut maître universels et possesseurs absolus» (Sr Loyse Morard osb, «La Bible, maîtresse de liberté», dans : Cahiers de Paraboles, 11 [2001], p. 32).

13.J. Goldstain, Création et péché, Genèse 1-11, Paris : Desclée, 1967, p. 154-164 ; cité par Albert Chapelle, Jean-Marie Hennaux et Graziano Borgonovo, La vie dans l’Esprit — Essai de théologie morale générale, Parole et Silence, 2010, p. 55.

14.Ibid., p. 52.

15.Le lien entre volonté et intelligence est bien décrit par saint Thomas d’Aquin. Pour lui, l’intelligence et la volonté sont deux facultés rationnelles. Il appelle d’ailleurs la volonté «appétit rationnel» pour la distinguer de tous les «appétits sensibles». La volonté tend vers les biens que l’intelligence distingue, de même que les appétits sensibles tendent vers les biens que les sens leur présentent. L’intelligence pense tandis que la volonté veut ce qui est pensé. C’est ainsi qu’«en toute créature douée d’intelligence y a-t-il une volonté» (Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia, Q.19 a.1). Thomas distingue peu la raison de l’intelligence, disant simplement que l’intelligence saisit la vérité intelligible tandis que la raison va d’un objet intelligible à l’autre pour tenter de saisir cette vérité. «Le raisonnement est donc à l’intuition intellectuelle ce que le mouvement est au repos, ou l’acquisition à la possession» (Ia, Q.79 a.8).

16.ce qu’on retrouve encore dans l’espagnol quiero pour dire j’aime.

17.Servais-Théodore Pinckaers, Les sources de la morale chrétienne — sa méthode, son contenu, son histoire, Fribourg : Academic Press, 2007, p. 396.

18.Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIæ, Prologue.

19.Il ne s’agit pas ici des vocations particulières (mariage et célibat consacré sous toutes ses formes, appel à tel ou tel engagement) mais de l’appel que Dieu adresse à tout homme. Néanmoins les vocations particulières sont aussi un moyen par lequel l’homme répond à l’appel de Dieu à la vie et au bonheur.

20.Catéchisme de l’Église catholique, (CEC), № 1718.

21.Voici un extrait de la Sourate 55 (Le Miséricordieux) comme exemple : «Il y aura deux Jardins aux multiples bosquets. Deux Jardins arrosés par deux sources jaillissantes. produisant deux espèces de chaque variété de fruits. Et les bienheureux s’y reposeront sur de magnifiques tapis aux revers de brocart, et les fruits des deux Jardins seront à leur portée. Là, ils rencontreront les houris au regard chaste et que nul homme ni génie n’aura auparavant effleurées. Des houris dont la beauté aura l’éclat de l’hyacinthe et du corail. Y a-t-il d’autre récompense pour le bien que le bien lui-même ? Et, en deçà de ces deux Jardins, il y en aura deux autres. Deux Jardins bien ombragés. Deux Jardins où coulent deux sources jaillissantes. Deux Jardins contenant des fruits, des palmiers et des grenadiers. Deux Jardins habités par des houris aussi belles que vertueuses. Des houris aux yeux grands et beaux, retirées dans leurs logis. Des houris qu’avant eux nul homme ni génie n’avait effleurées. Et les bienheureux reposeront sur des coussins et de magnifiques tapis. Béni soit donc le Nom de ton Seigneur, plein de majesté et de munificence !» (55,47-78)

22.Karol WojtyŁa, La boutique de l’orfèvre, théâtre, 1960.

23.art. «bonheur» dans Jean-Louis Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, Chambray-lès-Tours : éd. C.L.D., 1991, p. 65.

24.Ibid.

25.Jean-Paul II, Veritatis splendor, Lette encyclique, 6 août 1993, № 86.