homélie du 31e dimanche A, 5 novembre 2017
Pourquoi{joomplu:166} dit-on l’abbé untel, père untel, étant donné ce que Jésus nous dit dans l’évangile aujourd’hui ? Cela m’a toujours intrigué. N’est-ce pas la pratique d’une Église en décadence ? « Monsieur l’abbé » date du XVIIIe. Avant, on disait « Monsieur », comme « Monsieur Vincent ». Mais en fait non : les pères du désert au IIIe siècle, puis saint Benoît au VIe, ne se gênent pas pour appliquer à un homme ce terme abbas, abbé, alors qu’on ne peut pas les taxer de complaisance avec l’esprit du monde. Benoît part de la paternité de Dieu, que Jésus exprimait par le terme d’Abba (Mc 14,36), et montre comment elle doit s’exprimer dans le service de l’abbé. La vie chrétienne est de retrouver le Père dont on s’était détourné par la désobéissance et la méfiance, et dans l’intimité de qui nous pouvons retourner grâce au combat spirituel.
Dans la vie monastique, on appelle « abbas » l’abbé, qui incarne et exerce la paternité de Dieu auprès de ses frères : enseigner les commandements de Dieu par sa parole et son exemple, aimer les frères comme le Père les aime, engendrer le Christ en eux, c’est-à-dire les conduire à ressembler au Christ.
Quand on appelle un prêtre « monsieur l’abbé » ou « père », on devrait réveiller en lui tout cela. Ce n’est pas une usurpation, mais une mise en condition. Dont chaque prêtre a besoin, car il risque de s’endormir, d’entrer dans la routine, de se contenter de ce qu’il donne déjà, c’est-à-dire de moins en moins, car on prend vite de mauvaises habitudes. On devient alors digne des reproches du livre de Malachie, où Dieu déplore : « aucun de vous ne prend rien à cœur » (Ml 2,2). Demandons au Seigneur de susciter encore chez nous des prêtres qui prennent Dieu au sérieux.
Dire « père » ou « abbé » à un prêtre, cela fait aussi du bien à celui qui le dit. Cela permet de choisir à nouveau dans son cœur de prendre Dieu pour Père, alors qu’en nous il y a tant de prétention à l’indépendance ou au contraire de tendance à se condamner soi-même, deux choses qui sont la manifestation de ne pas vouloir vivre humblement en fils ou fille de Dieu.
Dans cette façon de vivre, héritée des moines du désert, nous mettons vraiment en pratique le commandement du Seigneur qui disait « Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. » (Mt 23,9) Nous transformons nos rapports ordinaires en relations selon la vie nouvelle d’enfants de Dieu. Nous nous encourageons mutuellement sur le chemin de la joyeuse obéissance à Dieu notre Père. C’est elle qui nous libère de tout retour sur soi et mobilise toutes nos forces pour aimer.
À partir de ce moment, nous sommes plus libres pour vibrer à l’amour de Dieu et à sa Parole. Nous comprenons ce que saint Paul disait au Thessaloniciens : « quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » (1 Th 2,13) Quand notre cœur est ouvert au Père et que nous méditons un passage de l’Écriture, ce ne sont pas simplement des idées, des informations sur Dieu, sur l’histoire, que nous recevons. Mais l’Écriture nous parle de son amour, de son appel. Elle est vraiment à l’œuvre en nous, elle nous pousse à changer notre vie, à vivre en fille, en fils du Père.