16ème dimanche, le 18 juillet 2010
{joomplu:100}Si Marthe avait fait comme Marie, Jésus aurait dû manger des tartines, et encore, dans le meilleur des cas, s’il y avait de quoi au frigo... C’est sans doute parce que tout le monde ne pourrait pas faire comme Marie si on veut quelque chose à manger que les chrétiens ont pris l’habitude de se ranger en deux groupes : les Marthes et les Maries. Pourtant, Jésus ne dit pas que l’attitude de Marthe et celle de Marie sont équivalentes, qu’on peut choisir celle qu’on veut. Il dit bien que Marie a choisi une meilleure part que Marthe, et qu’il ne donnera pas raison à Marthe qui veut houspiller sa sœur.
Pourtant Jésus ne dénigre pas le service. Il s’est présenté comme le serviteur : « moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22,27) et il a pris la tenue de serviteur pour montrer à ses disciples comment ils devaient vivre : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,14). Tout ce que nous avons fait de bon à ces petits qui sont ses frères, c’est à lui que nous l’aurons fait. (Mt 25,40)
Pour mieux comprendre, faisons un détour par la première lecture — c’est toujours intéressant, le dimanche, de se référer à la première lecture pour y trouver une clef de compréhension de l’évangile ; en effet, cette lecture est choisie à dessein. Nous y voyons Abraham se couper en quatre pour accueillir Dieu. A son Seigneur (remarquez le singulier utilisé pour les trois hommes, où les pères de l’Église liront une première annonce de la Trinité) il promet de l’eau et du pain, mais ensuite viennent la galette, le veau gras, le fromage blanc et le lait. Et après avoir tout préparé Abraham se tient là debout près de son Seigneur pendant qu’il mange. Et le Seigneur s’adressera à lui, il rendra le fruit de la promesse tout proche d’Abraham. Marthe aussi avait pu se dire : bon, maintenant je suis accaparée par le service, mais tout à l’heure je pourrai m’asseoir près de Jésus et enfin je pourrai l’écouter parler...
Mais ce n’est pas ainsi que cela se passe ; Marthe finit par exploser : l’attitude de sa sœur la met hors d’elle-même : « Seigneur, cela ne te fait rien ? Ma sœur me laisse seule à faire le service. Dis-lui donc de m’aider ! » Nous sommes nombreux à pouvoir nous retrouver dans ce reproche cinglant de Marthe. Et cela nous paraîtrait juste que Jésus dise : mais oui, Marie, va aider ta sœur ! Nous qui imaginons la justice de Dieu semblable à la nôtre, nous qui sommes obnubilés par ce qui est équitable, nous trouverions normal que Jésus réponde favorablement à Marthe. Mais non, il dit que la part de Marie — être assise à ses pieds en train de l’écouter — c’est la meilleure part et qu’elle ne lui sera pas enlevée. Jésus n’est pas juste à notre manière, il a une autre échelle de priorités. Pour lui, l’intimité avec Dieu, passer du temps à se rendre présent à lui, à capter sa présence, lui consacrer de bons moments, cela se trouve très haut dans l’échelle des valeurs, bien plus haut que pour nous qui sommes peut-être prêts à pratiquer cela s’il nous reste un peu de temps... Ah, les valeurs chrétiennes ! Qui placerait parmi les premières valeurs chrétiennes de s’asseoir aux pieds du Seigneur pour l’écouter ! Dieu n’a pas fini de nous faire changer d’idées...
Marie a choisi l’ « unique nécessaire » tandis que Marthe « s’inquiète et s’agite pour bien des choses ». Il s’agira, pour Marthe, de découvrir que notre raison de vivre, ce n’est pas le service, c’est le Seigneur ! Marthe s’est laissé « accaparer par les occupations du service ». Elle s’est peut-être mise à servir pour la gloire du service. Alors qu’il s’agissait de servir pour le Seigneur.
Il peut y avoir un réel orgueil du service, très néfaste mais difficile à détecter car même soumis à cet orgueil nous vivons à première vue selon l’évangile, nous servons comme Jésus nous le demande. En réalité c’est notre propre image que nous servons, et notre nourriture n’est plus l’amour du Seigneur mais une fierté très autocentrée. Comment détecter cet orgueil ? Cette semaine dans l’office il y avait une hymne où on évoquait ce moment où après avoir servi le Seigneur il nous ferait passer à table et nous servirait à son tour. Cela se trouve ainsi dans l’évangile (cf. Lc 12,37). En entendant cela j’ai eu un mouvement de recul : comme je serai gêné que le Christ me serve, comme je voudrais lui dire « laisse-moi te servir encore ! » Mais non, le vrai service chrétien c’est de pouvoir dire au Seigneur : je te sers maintenant et je me réjouis car bientôt tu me serviras aussi. Ce n’est plus le service par instinct, c’est le service vécu dans l’échange d’amour.