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Nous{joomplu:155} vivons dans notre corps de la vie du ciel, et notre corps n’est pas juste un terrain d’entraînement mais il est appelé lui aussi dans la gloire, à travers la rédemption. s’il y a une morale sexuelle dans le christianisme, c’est à cause de la résurrection des morts, qui est bien plus qu’une immortalité de l’âme. Dans un monde où le corps est devenu un instrument entre les mains de ma liberté pour en tirer le maximum de plaisir, le christianisme rappelle l’unité fondamentale de la personne, corps et âme, et la valeur inestimable du corps.
S’il y a une morale sexuelle, c’est bien plus que pour éviter les dérives et oppressions de l’un par l’autre : c’est pour s’acheminer tout entiers vers la vie éternelle. Ou plutôt se laisser acheminer, car tous nous avons besoin d’être sauvés — la vie sexuelle est un domaine où on le remarque spécialement — et c’est le Christ qui nous ouvre la gloire, où se vit « l’accomplissement définitif de la signification “sponsale” du corps » [TDC 68- 4 (16/12/1981, n° 4)].
la signification sponsale du corps
Qu’est-ce qu’une personne ? C’est un être libre qui est capable de se donner lui-même dans l’amour, et qui trouve son accomplissement, la pleine réalisation de soi dans ce don. Le Concile Vatican II l’exprime avec force :
« quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que “tous soient un..., comme nous nous sommes un” (Jean 17, 21-22), Il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et Il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même » (Gaudium et Spes 24)
Jean-Paul II résume cette capacité à se donner soi-même à un autre dans la relation par l’adjectif « sponsal », c’est-à-dire propre aux époux. Mais cela dépasse le cadre du mariage. En effet, cette propriété de l’amour des époux vient de la façon d’aimer qui est en Dieu lui-même, de l’union des personnes divines, où le Père se donne tout entier au Fils et où le Fils répond par le don total de lui-même.
Cette capacité peut s’exprimer de plusieurs manières dans la vie humaine. Et spécialement dans les deux grandes formes de vie, mariage et célibat consacré. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais cela vaut la peine d’écouter déjà Jean-Paul II sur le sujet : « En s’appuyant sur la même disposition du sujet personnel grâce à laquelle l’homme se trouve pleinement à travers un don sincère de soi (cf. Gaudium et Spes, 24), l’homme (masculin et féminin) est capable de choisir le don personnel de soi fait à une autre personne dans l’alliance conjugale où tous deux deviennent “une seule chair”, et il est également capable de renoncer librement à ce don de soi à une autre personne afin qu’en choisissant la continence “pour le royaume des cieux”, il puisse se donner lui-même totalement au Christ. Sur la base de la même disposition du sujet personnel et sur la base de la même signification sponsale de l’être en tant que corps, masculin ou féminin, peut se former l’amour qui engage l’homme au mariage dans la dimension de toute sa vie (cf. Mt 19, 3-10) mais peut également se former l’amour qui engage l’homme pour toute sa vie à la continence “pour le royaume des cieux” ». TDC 80- 6 (28/04/1982, n° 6)]
Le corps appelé à la vie trinitaire
Parce que le corps participe à cette dimension sponsale de la vie, il est capable lui aussi d’entrer dans la vie éternelle. C’est ainsi que nous disons dans le Credo, le Symbole des apôtres : « je crois à la résurrection de la chair, à la vie éternelle. »
Pour faire comprendre tout cela, Jean-Paul II part d’un passage qui a déjà inquiété plus d’un couple marié. Mt 22,30 « À la résurrection, en effet, on ne se marie pas, mais on est comme les anges dans le ciel. » Le contexte est celui d’une discussion âpre, où les contradicteurs de Jésus évoque un mariage dans le style de la vie terrestre. Jésus évoque un tout autre style de vie. Mais « être comme des anges » ne signifie pas devenir des anges, sinon on ne parlerait pas de résurrection des morts mais seulement de survie de l’âme ; et il y aurait un réel appauvrissement de la vie humaine. Que dit le pape ? « Il faut supposer que dans la résurrection cette ressemblance [avec les anges] se fera plus grande : non pas par une désincarnation de l’homme, mais par un autre genre (on pourrait aussi dire, un autre degré) de spiritualisation de sa nature somatique, c’est-à-dire par un autre “système de forces” à l’intérieur de l’homme. » [TDC 66- 5 (02/12/1981, n° 5)]
Ici, nous sommes dans une conception diamétralement opposée à celle de Platon et aussi de la mentalité contemporaine. Platon regardait le corps comme simple véhicule dans lequel tombe l’âme et qu’elle espère quitter un jour pour être enfin elle-même. Le christianisme propose, non une âme « libérée » du corps, une désincarnation qui serait une déshumanisation, mais « l’état de l’homme définitivement et parfaitement “intégré” par une union de l’âme avec le corps » [TDC 66- 6 (02/12/1981, n° 6)] Un état où « les forces de l’esprit imprégneront les énergies du corps. » [TDC 67- 1 (09/12/1981, n° 1)].
Cette unification n’est jamais pleinement réalisée sur terre, où nous vivons le plus souvent une opposition de l’âme et du corps, que nous essayons de surmonter par l’ascèse. La vraie ascèse n’est pas celle de l’esprit faisant la guerre au corps, elle vise déjà à cette intégration de toutes les forces vitales pour aimer. C’est ce que l’on appelle les vertus, comme la vertu de chasteté qui n’est pas une opposition à ce qui surgit dans le corps mais une habileté à conduire ce qui monte en nous dans le sens de l’amour.
Néanmoins, l’ascèse sait que les énergies du corps font de la résistance aux impulsions de l’esprit. « L’esprit est ardent, mais la chair est faible », disait Jésus à ses disciples pour les encourager à veiller dans la prière (Mt 26,41). Voir l’expérience de saint Paul : « J’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de mon esprit » (Rm 7, 23) Cf l’expérience que nous faisons de ce désir sexuel qui n’est pas toujours désir d’aimer, de se donner, mais désir de posséder, d’être satisfait, d’avoir à soi — cela se marque différemment dans la psychologie masculine et féminine, et finalement c’est heureux car sinon les couples ne s’apercevraient peut-être pas qu’il y a un problème ; dans la réalité le désir masculin de posséder un corps télescope le désir féminin de garder pour soi, nous éveillant mutuellement à la conversion.
Au delà de tous les combats intérieurs, cette unification ultime de l’âme et du corps, qui sera source d’un grand bonheur, d’une joyeuse possession de soi, viendra du face à face avec Dieu. Par le fait que Dieu se communique « dans sa divinité même, non seulement à l’âme mais à toute la subjectivité psychosomatique de l’homme. » [TDC 67- 3 (09/12/1981, n° 3)] Ainsi le corps n’est pas mis entre parenthèses dans la vie éternelle, mais il contribue à la Béatitude.
⇒ une divinisation, participation à la nature divine, qui saisit en même temps le corps et l’âme. ≠ expérience de Lazare, une réanimation. Ici s’ouvre un état vraiment nouveau. Cf. l’expérience de Jésus, dans l’incarnation et dans l’Ascension. Ce qui est possible quand le corps accepte, avec toutes ses énergies, de vivre le style de vie qui est en Dieu, c’est-à-dire l’amour dans le don de soi-même. Deux formes de vie permettent de s’acheminer dans cette direction : le mariage et la virginité, tous deux vécus dans la chasteté qui convient à l’un et l’autre état de vie.
Le mariage, école de communion, préparation à l’accueil de la vie trinitaire
Si dans la résurrection « on ne prend ni femme ni mari », ce n’est pas parce que la féminité ou la masculinité auraient disparu, mais parce que l’homme et la femme sont placés devant un don plus grand : Dieu qui se donne à sa créature. Le don de soi-même que le mari et l’épouse se faisaient l’un à l’autre sera comme aimanté vers un don plus prenant, plus intense, celui de Dieu lui-même. C’est ce que je comprends de ce passage obscur : « Si, […] tout en conservant dans leur corps ressuscité, c’est-à-dire glorieux, la masculinité et la féminité, “ils ne prendront ni femme ni mari”, cela s’explique non seulement par la fin de l’histoire, mais aussi — et surtout — par l’“authenticité eschatologique” de la réponse à cette “communication de soi” du Sujet Divin qui constituera l’expérience béatifique du don de soi de la part de Dieu, une expérience absolument supérieure à toute expérience propre à la vie terrestre. » [TDC 68- 2 (16/12/1982, n° 2)]
En attendant, il n’y a pas de contradiction entre le don de soi à une autre personne dans le mariage et le don à Dieu : ceux qui ont reçu la vocation au mariage sont appelés à se donner à Dieu par et à travers leur don à l’autre. Il ne s’agit donc pas de chercher Dieu dans l’autre, comme on entend parfois, mais de vivre le don de soi à Dieu dans la foi en se donnant à son conjoint dans la vie conjugale. Le sens du mariage est de se consacrer à une épouse, à un mari, et c’est ainsi que l’on vit pleinement sa vocation baptismale, sa consécration à Dieu.
le célibat consacré, anticipation du don total dans le Royaume
Le célibat choisi annonce l’état dont Jésus parle en Mt 22, l’état de continence qui est celui de la vie dans le Royaume (n’en déplaise à mes scouts). La personne qui le choisit montre que l’être humain est capable d’anticiper la vie de la résurrection. Cela se fait sur le mode du renoncement. Et ce renoncement est porteur du « don exclusif de soi pour le Royaume des cieux » [TDC 79-8 (21/4/1982)]
C’est en venant prêcher le Royaume que Jésus à la fois situe le mariage dans la perspective de la vie trinitaire — en remontant au commencement, quand Dieu crée l’homme et la femme à son image — et introduit l’état de vie du célibat pour le Royaume en plus de l’état originel du mariage. Tous deux relatifs au Royaume, mariage et célibat consacré sont complémentaires. Néanmoins, le célibat consacré n’est pas une alternative pour ceux à qui le mariage ne dit rien ou fait peur. Et il reste à chacun qui vit dans un célibat contraint de trouver un sens oblatif à sa vie, de faire également de sa vie un chant d’amour qui se donne.
Jean-Paul II dira que le mariage possède pour le Royaume des cieux « une valeur fondamentale, universelle et ordinaire », tandis que la continence possède pour ce Royaume « une valeur particulière et “exceptionnelle” », quelque chose « qui sort de l’ordinaire » [TDC 76-2 (31/03/1982, n° 2)]. Contrairement au mariage, qui peut déjà trouver sa consistance dans la vie présente, le célibat consacré n’existe qu’à cause du Royaume. Il en parle de façon plus directe, et c’est pourquoi l’Église l’a toujours tenu en grande estime, même au milieu de cultures qui y étaient hermétiques.
On a parfois parlé dans l’Église, d’une certaine supériorité du célibat consacré sur le mariage. On peut le faire seulement si on est exempt de la tentation de déprécier le mariage1. Il ne peut pas s’agir de déprécier l’union sexuelle mais seulement de se rendre compte de ce que porte la continence « pour le Royaume », cette valeur d’anticipation de la condition éternelle du corps, le corps qui « tend à la glorification » [TDC 75-1 (24/03/1982, n° 1)] au lieu d’être fait pour la mort. Le Christ « propose à ses disciples l’idéal de la continence et son appel non pas en raison de l’infériorité de l’“union” conjugale “dans le corps” ou par préjugé contre elle, mais seulement “pour le royaume des cieux” ». [TCD 78- 1 (14/04/1982, n°1)]
Les deux vocations, mariage et célibat, s’enseignent mutuellement. Ils se rappellent l’un à l’autre que le sens du corps est d’être consacré dans l’amour, dans le don de soi. Ceux qui choisissent le célibat pour le Seigneur sont appelés, en regardant les gens mariés, à chercher la réalisation plénière de la vocation sponsale du corps, telle qu’elle se vivra dans le Royaume (on voit qu’on est loin du célibat de confort, qui consisterait finalement à aimer moins. Au contraire, le choix d’un état de vie se fait en se demandant : où est-ce que je pourrai donner le plus d’amour ?)
Tandis que le mariage est un sacrement, les vœux religieux ne le sont pas. Ils sont considérés comme un perfectionnement du baptême, une réponse radicale à ce que Jésus montrait dans l’Évangile en matière de chasteté pour le Royaume (Mt 19,12), de dépossession des biens matériels (Mt 19,21) et de dépendance au Christ et au Père (Mt 19,27-30). C’est pourquoi on a pu parfois parler d’« état de perfection » pour qualifier le célibat consacré, ce qui n’a de sens que par rapport à un amour plus grand. Dans le mariage il y a également un appel à la sainteté, à la perfection de l’amour.
Mariage et célibat, chemins vers le même but
On ne peut comprendre ce que le Christ a voulu dire au sujet de la continence pour le Royaume des cieux qu’en se référant à la vie conjugale des époux et à la façon dont le Christ a présenté son lien à l’Église sur ce mode époux/épouse. Le texte de saint Paul aux Éphésiens, Ep 5,25 et sq. est décisif. L’union sponsale du Christ et de l’Église est modèle pour les deux vocations. « De cette façon la continence pour le Royaume des Cieux, le choix de la virginité ou du célibat pour toute la vie, sont devenus dans l’expérience des disciples et des fidèles du Christ, l’acte d’une réponse particulière à l’amour de l’Epoux divin et, de ce fait, ont acquis la signification d’un acte d’amour conjugal : c’est-à-dire d’un don conjugal de soi, dans le but de répondre de manière particulière à l’amour conjugal du Rédempteur : une donation de soi entendue comme renoncement, mais surtout faite par amour. » [TDC 79-9 (21/4/1982)]
1Ce fut un combat fréquent de l’Église, notamment contre les manichéens, cathares et Albigeois. Saint Augustin, par exemple, luta pour souligner la sainteté du mariage. Aujourd’hui à nouveau, l’ampleur du mariage doit être défendue face à ceux qui le réduisent à l’officialisation d’un amour.