il y a 5 ans… Quand nous pensons à toi nous sommes d’abord sidérés par la perte immense qu’a été ton départ. Nous n’en revenons pas. Comment est-ce imaginable qu’un être comme toi puisse être mort ? Et même, nous ne réalisons pas vraiment que tu n’es plus de ce monde, que nous devrons attendre vingt ans ou soixante pour te revoir. Et quand nous le mesurons, notre peine n’a pas de mesure.
Et toi qui vis et qui nous aimes, comment vois-tu cela ? J’ai l’impression que tu ne peux combler notre vide en le visitant, mais que tu peux nous attirer vers ton plein. Tu nous vois regarder notre manque et tu nous fais de grands signes, tu t’agites devant nos yeux pour que nous les levions vers toi qui nous souris. Ton cœur était grand sur la terre, mais maintenant qu’il n’a plus les limites de l’espace ni du temps il nous rejoint encore plus intensément.
Tu n’étais pas très démonstrative, mais par l’un ou l’autre indice tu nous faisais sentir combien nous comptions pour toi. Il me semble que ces indices, tu viens à nouveau les semer parcimonieusement dans le fil de nos semaines. Seigneur, donne-nous de les voir ! Donne-nous de prendre conscience de la vie que tu as donnée à notre amie ! Vinciane, quand j’ai vécu ton dernier souffle il m’a semblé dans ton regard que tu nous disais : accompagnez ma vie là où elle va, suivez-moi par le cœur où vous ne pouvez me rejoindre encore… Quand ta vie s’éteignait dans ce corps épuisé Dieu t’appelait à la vie et te réjouissait au plus profond de toi. Je ne rêve pas : je te vois pleine de vie, débordante d’amour reçu et donné. Nous ne sommes pas réduits à nous souvenir de toi. Nous pouvons encore t’aimer et recevoir ton amour.
Seigneur, éveille-nous à la communion du ciel, ce ciel qui est partout, qui est près de nous, quand nous levons les yeux du cœur et que nous croyons pour trouver notre amie et partager avec elle un sourire, un clin d’œil, un « chiche ! » qui nous mène plus loin et nous remplit d’espérance. Pas seulement pour notre consolation mais pour nous conduire à servir les autres comme elle l’a fait parmi nous.
Pour finir aujourd’hui je voudrais transcrire ce texte lu à la veillée de tes funérailles, qu’on dit tiré de saint Augustin, le saint du cœur. Je le mets au féminin car tu nous le dis :
Si tu savais le don de Dieu et ce que c’est que le Ciel !
Si tu pouvais d’ici,
entendre le chant des Anges
et me voir au milieu d’eux !
Si tu pouvais voir se dérouler sous tes yeux
les horizons et les champs éternels,
les sentiers où je marche !
Si, un instant, tu pouvais contempler, comme moi,
la Beauté devant laquelle toutes les beautés pâlissent !
Quoi ! tu m’as vue, tu m’as aimée dans le pays des ombres,
et tu ne pourrais ni me revoir, ni m’aimer encore
dans le pays des immuables réalités ?
Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens
comme elle a brisé ceux qui m’enchaînaient,
et quand un jour que Dieu connaît et qu’il a fixé,
ton âme viendra dans le Ciel où l’a précédée la mienne,
ce jour-là, tu reverras celle qui t’aimait et qui t’aime encore,
tu en retrouveras les tendresses épurées.
À Dieu ne plaise qu’entrant dans une vie plus heureuse,
infidèle aux souvenirs et aux joies de mon autre vie,
je sois devenue moins aimante !
Tu me reverras donc, transfigurée dans l’extase et le bonheur,
non plus attendant la mort,
mais avançant d’instant en instant,
avec toi qui me tiendras la main,
dans les sentiers nouveaux de la Lumière et de la Vie,
buvant avec ivresse aux pieds de Dieu
un breuvage dont on ne se lasse jamais
et que tu viendras boire avec moi.
Essuie tes larmes et ne pleure plus, si tu m’aimes.
Etil y a aussi ce poème que tu avais écrit en 1989, qui parle si bien de l’itinéraire que tu as pris et que tu prends.
Tout perdre pour tout gagner
Ce soir, je marche à pas perdus…
Autour de moi, le va-et-vient absurde du quotidien, la frivolité, l’insignifiance, la tristesse de tous ces hommes, de tous ces êtres qui circulent sans but, comme des automates.
J’ai peur, Père…
Tout à coup, je m’arrête.
Une phrase plus forte que toutes pensées, un désir d’exploser.
“Tout perdre pour tout gagner„
Ce soir, je veux devenir ce que je suis, libérer ton image en moi, la préciser peu à peu, comme le sculpteur dessine dans le marbre le visage dont il rêve.
Je veux m’oublier à part entière et m’offrir aux autres car on ne peut être qu’en étant tout entier relation avec les autres.
Dès lors, je mesurerai la profondeur et l’épanouissement de mon être.
Plus je m’oublierai pour me donner aux autres,
Plus je me perdrai pour trouver les autres,
et plus je deviendrai image de Dieu, une personne comme tu l’as rêvée Père.
Cependant il faut que tu saches, j’ai peur… comme Jésus à Gethsémani le dernier soir (premier soir)
Mais déjà je sais que le secret de Dieu tient à la vie :
“Tu sauveras ta vie en la perdant„
L’amour est la seule puissance de vie ;
Alors parle Seigneur, ton enfant t’écoute !