Le cardinal Pacelli a été pendant près de dix ans le plus proche collaborateur de Pie XI, lequel l’avait préparé à lui succéder. Par quel mystère Pie XII aurait-il eu, au sujet du racisme, une pensée différente de celle de Pie XI ? Le 6 mars 1939, à peine élu, il fait diffuser par le Saint-Office un avertissement dénonçant la politique antisémite de Mussolini. Le 20 octobre 1939, il publie sa première encyclique, Summi Pontificatus, écrite au moment où la Pologne subit le martyre. À cette occasion, Pie XII défend une doctrine anti-totalitaire et antiraciste, récusant la divinisation de 1’État et proclamant l’égalité de tous les hommes et de toutes les races devant Dieu. La Gestapo fait interdire l’impression de cette encyclique en Allemagne : elle comprend où est son adversaire. Le 9 novembre 1939, un journal juif de Cincinatti, American Israelite, ne se trompe pas non plus : « En condamnant le totalitarisme, Pie XII a confirmé l’égalité fondamentale des hommes. Cette encyclique souligne l’inviolabilité de la personne humaine et son caractère sacré ».
Avant la guerre, il existe encore quelques possibilités pour les Juifs de quitter l’Allemagne. L’édition des Actes et Documents du Saint-Siège montre comment le pape, en collaboration avec l’Association catholique allemande Saint-Gabriel, s’efforce d’obtenir des visas d’immigration dans les pays neutres d’Europe, en Amérique du Nord ou en Amérique latine. Son initiative concerne les catholiques d’origine juive, mais ceux-ci, considérés comme juifs par la législation nazie, sont tout aussi menacés que les autres. À peu près partout, la diplomatie vaticane se heurte à des refus, arrachant péniblement trois mille visas au Brésil.
Après l’adoption du second statut des Juifs par l’État français ( juin 1941), le maréchal Pétain charge son représentant au Vatican de s’enquérir de l’opinion du Saint-Siège sur cette législation. Le 2 septembre 1941, Léon Bérard rend son rapport. Convenant que, sur un point, la loi se réfère expressément à la notion de “race”, dans la mesure où un Juif converti sera considéré comme juif s’il est issu « d’au moins trois grands-parents de race juive », l’ambassadeur est contraint de faire une concession : « Là, il faut le reconnaître, il y a contradiction entre la loi française et la doctrine de l’Église ». Mais c’est pour conclure par cette impression générale : « Comme quelqu’un d’autorisé me l’a dit au Vatican, il ne nous sera intenté nulle querelle pour le statut des Juifs »
En réalité, pour effectuer son enquête, Bérard n’a eu de contactni avec Pie XII ni avec le cardinal Maglione, mais avec Mgr Montini (le futur Paul VI) et Mgr Tardini, tous deux substituts à la secrétairerie d’État. Or le père de Lubac a démontré que leur jugement ne correspondait pas à ce qu’en a dit l’ambassadeur, qui a interprété les propos de ses interlocuteurs. Les Actes et Documents du Saint-Siège confirment l’opposition de Rome à la législation antisémite française, opposition exprimée à maintes reprises par le nonce, Mgr Valerio Valeri.
Au cours d’une réception donnée à Vichy, au milieu du mois de septembre 1941, Pétain, s’adressant au nonce, lui dit avoir reçu la lettre de Bérard relative à la législation raciale. Le Vatican, affirme le Maréchal, « tout en trouvant quelques dispositions dures et un peu inhumaines, n’avait pas, dans l’ensemble, d’observations à faire ». Ce que répondit Mgr Valeri, nous le savons par la lettre qu’il a ensuite envoyée au cardinal Maglione : « Je réagis assez vivement, déclarant que le Saint-Siège avait déjà manifesté ses idées sur le racisme, qui est à la base de toutes les dispositions prises vis-à-vis des Juifs. Je relevai les graves inconvénients que fait surgir du point de vue religieux la législation actuellement en vigueur ». Le 31 octobre 1941, le secrétaire d’État de Pie XII approuve Valeri, exprimant l’espoir que les interventions conjuguées du cardinal Gerlier de Lyon et du nonce conduiraient à adoucir l’application de la « malencontreuse loi ».
Nous possédons un autre témoignage, celui de l’ambassadeur du Portugal à Vichy, Caerio da Nata, reçu en audience par le maréchal Pétain, le 16 septembre 1941, en même temps que Mgr Valeri. Ce jour-là, au nom de Pie XII, le nonce réprouve vivement la législation antisémite : « Le pape est absolument opposé aux mesures iniques qui ont été prises. Et je demande la permission au héros de Verdun de poser la question de savoir si beaucoup de soldats qui sont morts glorieusement pour la France n’étaient pas juifs, et s’il est sûr que le soldat inconnu qui repose sous l’Arc de triomphe n’était pas juif ».
.. Toujours selon les archives du Vatican, quand les Juifs commencent à être raflés en France, en 1942, le nonce juge la lettre de protestation envoyée par le cardinal-archevêque Suhard “assez platonique”. À partir de cette phase aiguë de la persécution, les interventions de Mgr Valeri – qui suit les directives de Pie XII – sont nombreuses. Le Saint-Siège exerce notamment une action décisive en vue de sauver des enfants juifs de la déportation. Le 11 octobre 1942, le délégué apostolique dans l’État d’Orange, en Afrique du Sud, informe le Vatican que « cinquante-neuf députés réunis de la communauté juive avaient pris acte avec estime de la vigoureuse résistance opposée par le Saint-Siège à l’extradition des Juifs réfugiés en France ». Le père Blet en tire cette évidente conclusion : « Le nonce en France Quelle est la destination des déportés ? Selon Laval, la Pologne où les Allemands pensent créer « une espèce de maison mère »... Coupable incuriosité. Mais on retrouve ici l’interrogation abordée au chapitre précédent. Que sait-on, pendant la guerre, de la réalité de la déportation ?
Et que sait Pie XII ?
Au printemps 1942, via les nonciatures de Suisse et de Slovaquie, les premières informations parviennent au Vatican, faisant état de massacres systématiques des Juifs d’Europe de l’Est. Cependant, ce ne sont que des rumeurs sans preuves, si énormes qu’elles sont difficilement crédibles. En août 1942, Mgr Cheptytskyi, métropolite grec catholique d’Ukraine, livre à son tour des renseignements sur les violences commises contre les Juifs. À l’été 1941, comme nombre de ses compatriotes, il avait perçu l’arrivée de la Wehrmacht comme une délivrance du communisme. « Saluons l’armée allemande victorieuse qui nous a libérés de l’ennemi », écrivait-il à Pie XII le 1er juillet 1941. Un an plus tard, le prélat a déchanté. Le 29 août 1942, il s’adresse au pape : « Aujourd’hui, tout le pays est d’accord pour penser que le régime allemand est mauvais à un degré peut-être plus élevé que le régime bolchevique. Il est presque diabolique ».
À la même époque, via la Suisse, Roosevelt a également reçu des informations. Par le canal de son ambassadeur au Vatican, le président américain les communique au pape. Néanmoins, restant parcellaires, ces éléments ne trahissent pas l’existence d’un génocide organisé. En juillet 1948, in capucin français, le père Marie Benoît, arrive à Rome, porteur d’un mémoire sur le camp d’Auschwitz, rédigé à partir d’indices recueillis dans les milieux juifs. Le centre de déportation y est présenté comme un camp de travail : « Le moral parmi les déportés est généralement bon, ils ont confiance dans l’avenir ». Le 27 octobre 1943, après la rafle des Juifs de Rome, l’adjoint du grand rabbin écrit à Pie XII en le priant d’intervenir afin que des vêtements chauds soient envoyés aux déportés ! Si le nonce en Slovaquie, Mgr Burzio, recueille, en mai 1944, le témoignage de deux détenus qui se sont échappés d’Auschwitz, ce n’est qu’en octobre 1944 que son rapport parvient à Rome. C’est donc très tard, comme les Alliés, que le pape découvrira l’abominable vérité du système concentrationnaire nazi. Cependant, informé progressivement et informé partiellement, Pie XII, contrairement au portrait brossé de lui dans Amen, ne reste pas inerte. Mais il réagit en fonction de deux paramètres. En premier lieu, on l’oublie trop, quelles que soient ses préférences personnelles, il incarne une autorité spirituelle dont la vocation n’est pas de départager les belligérants : même au plus fort du conflit, pasteur universel, il est aussi le pape des catholiques allemands des pays alliés au Reich. En second lieu, Pie XII a effectué toute sa carrière ecclésiastique dans la diplomatie vaticane. Diplomate de formation, diplomate de tempérament, il privilégie les voies de l’action discrète, voire secrète. La discrétion, toutefois, n’oblige pas toujours au silence. En dépit de la légende noire fabriquée par certains, le pape a parlé. Lors de son message de Noël 1942, Pie XII dénonce toutes les cruautés du conflit en cours, évoquant « les centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute propre, parfois uniquement en raison de leur nationalité ou de leur race, sont destinées à la mort ou au dépérissement ». Le terme “race” est bien là, et il veut dire ce qu’il veut dire. Si le pape n’a pas employé le mot “juif”, c’est exprès, s’étant concerté avec Myron Taylor, le représentant de Roosevelt. Mais les services secrets du Reich ne sont pas dupes. Dans un rapport adressé à Hitler, Heydrich, le chef de la Gestapo, estime que la déclaration papale est « dirigée contre le nouvel ordre européen représenté par le nationalsocialisme. Pie XII accuse virtuellement le peuple allemand d’injustice envers les Juifs. Il s’est fait l’allié et l’ami des Juifs. Il défend donc notre pire ennemi politique, les gens qui veulent détruire le peuple allemand ». Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Reich, ordonne d’ailleurs à son ambassadeur au Vatican de protester contre cette rupture de « la traditionnelle attitude de neutralité », lui demandant de faire savoir que l’Allemagne ne manque pas « de moyens physiques de représailles ».
Dans le film de Costa-Gavras, non seulement le message de Noël 1942 est tronqué (le passage cité plus haut n’y figure pas, alors qu’il est essentiel), mais l’affaire est présentée comme si tous les catholiques d’Europe avaient été à l’écoute de la radio, le 24 décembre au soir, suggérant notamment qu’un coup d’éclat aurait réveillé les consciences allemandes. C’est un pur anachronisme. Pendant la guerre, Radio-Vatican est un émetteur de faible puissance, facile à brouiller. Il dépend du courant électrique que lui livre l’État italien, qui le lui a d’ailleurs coupé pour des incidents mineurs. Dans le Reich, il est interdit de l’écouter, comme toutes les radios étrangères, sous peine de sanctions allant jusqu’à la peine capitale. Le message de Noël, au demeurant, a eté lu en italien, et ce ne sont pas les quotidiens du lendemain qui l’auraient traduit.
Ceux qui dénoncent les silences de Pie XII raisonnent comme si l’Europe de 1942 avait vécu avec un système d’information libre et ouvert comme aujourd’hui, où l’on peut entendre le pape au journal télévisé de 20 heures. Ce n’était vraiment pas le cas. Dans un continent quadrillé dans sa quasi-totalité par les troupes allemandes, la censure sévissait à tous les niveaux – journaux, radio, courrier –, les moyens de communication, du fait des restrictions et de l’état de guerre, demeurant qui plus est réduits. « Le champ d’action du pape était limité, concède John Cornwell. On interceptait les télégrammes et messages adressés aux nonces du monde entier. On pouvait empêcher son journal [L’Osservatore Romano] de sortir du Vatican, brouiller sa radio, détruire ou falsifier une encyclique destinée à l’Allemagne ».
“Représailles”
La menace brandie par Ribbentrop fournit la clé du comportement de Pie XII. Le pape a en tête l’exemple de la Hollande. Aux Pays-Bas, occupés depuis mai 1940 par la Wehrmacht, la déportation systématique des Juifs a débuté, comme dans toute l’Europe de l’Ouest, au printemps 1942. Le 26 juillet 1942, avec le synode de l’Église réformée, l’épiscopat catholique a publié une véhémente protestation, texte lu dans toutes les églises et les temples du pays. Dès le 2 août, les Allemands ont répliqué en raflant dans les couvents tous les religieux et religieuses d’origine juive (c’est ansi que la carmélite Édith Stein, canonisée par Jean-Paul II, sera déportée à Auschwitz). Puis ils ont accélére le rythme des déportations. « Il n’est pas dans mon pouvoir de freiner les actes criminels insensés des nazis », écrit Pie XII dans son journal intime. Sa correspondance avec les évêques allemands, dont certains sont des amis personnels, montre ses déchirements intérieurs. Que faire ? Ne pas parler, mais paraître indifférent ? Parler, mais en prenant le risque d’aggraver le sort des victimes ? « Nous laissons aux pasteurs en fonction sur place, écrit Pie XII à Mgr von Preysing, le 30 avril 1943, le soin d’apprécier si, et en quelle mesure, le danger de représailles et de pressions, ainsi que peut-être d’autres circonstances dues à la longueur et à la psychologie de la guerre, conseillent la réserve – malgré les raisons qu’il y aurait d’intervenir – afin d’éviter des maux plus grands. C’est l’un des motifs pour lesquels nous-même nous nous imposons des limites dans nos déclarations ». Devant le consistoire, le 2 juin 1943, le pape dénonce les « contraintes exterminatrices » qui planent sur l’Europe, mais précise : « Toute parole de notre part, adressée à ce propos aux autorités compétentes, toute allusion publique doivent être considérées et pesées avec un sérieux profond, dans l’intérêt de ceux mêmes qui souffrent, de façon à ne rendre leur position encore plus difficile et plus intolérable qu’auparavant, même par inadvertance et sans le vouloir ».
Recevant don Piero Scavezzi, un aumônier militaire italien, Pie XII lui livre cet aveu : « Après bien des alarmes et des prières, j’ai jugé qu’une protestation de ma part, non seulement n’aurait bénéficié à personne, mais aurait provoqué les réactions les plus féroces contre les juifs et multiplié les actes de cruauté. Peut-être une protestation solennelle m’aurait apporté les louanges du monde civilisé, mais elle aurait valu aux malheureux juifs une persécution encore plus implacable que celle dont ils souffrent. J’aime les Hébreux, c’est justement parmi eux, le Peuple élu, qu’est venu naître le Rédempteur ».
Durant le conflit, les trois quarts du clergé polonais ont été soit internés, soit mis à mort. En 1939, an nom de la même prudence appliquée ensuite aux Juifs, Pie XII n’a pas plus élevé la voix à leur sujet. « Si le pape, souligne Marc-Antoine Charguéraud, s’est dans une large mesure abstenu d’intervenir pour les Juifs polonais, ce n’est pas par antisémitisme : il n’a fait que suivre la politique qu’il s’était fixée pour ses propres fidèles. Son silence envers les catholiques polonais martyrs explique son silence à l’égard des Juifs polonais exterminés ». Après la guerre, l’Américain Robert Kempner, chef du parquet au tribunal de Nuremberg, affirmera que « tout essai de propagande de l’Église catholique contre le Reich de Hitler n’aurait pas été seulement un suicide provoqué, mais aurait hâté l’exécution d’encore plus de juifs et de prêtres ».
Pie XII a peu parlé. Mais il a beaucoup agi. Dans les pays occupés par les Allemands, il a donné instruction aux nonces de tout entreprendre pour sauver les Juifs, mais silencieusement. Cela ressort nettement des Actes et Documents du Saint-Siège : en 1943 et en 1944, l’action de la diplomatie vaticane a contribué à protéger des centaines de milliers de Juifs en Slovaquie, en Croatie, en Roumanie et en Hongrie.
Le 16 octobre 1943, lors de la rafle des Juifs de Rome, c’est la menace d’une protestation pontificale qui a fait reculer les Allemands ; 4 000 Juifs ont été épargnés, et se sont réfugiés au Vatican ou dans des couvents romains. En France, le pape a multiplié les démarches, en mai 1944, afin de préserver des Juifs regroupés à Vittel et d’éviter leur transfert à Drancy, anti-chambre de la déportation. En juin 1944, au lendemain de la libération de Rome, l’aumônier juif de la cinquième armée américaine témoigne que « sans l’assistance apportée aux Juifs par le Vatican et les autorités ecclésiastiques de Rome, des centaines de réfugiés et des milliers de réfugiés juifs auraient péri ». Après la guerre, le Congrès juif mondial, « au nom de toute la communauté juive, exprime une fois de plus sa profonde gratitude pour la main protectrice tendue par Sa Sainteté aux Juifs persécutés pendant ces temps terriblement éprouvants » ; et l’organisation offre au Vatican une somme de 20 000 dollars « en reconnaissance de l’œuvre du Saint-Siège sauvant les Juifs de la persécution fasciste et nazie ». Le grand rabbin de Rome, Israël Zolli, et sa femme se convertissent au catholicisme, au terme d’un cheminement théologique entamé dès les années 1930 ; ils choisissent pour prénoms de baptême Eugenio et Eugenia, en hommage à l’action de Pie XII en faveur de leurs coreligionnaires. En 1946, Pie XII reçoit soixante-dix-huit Juifs rescapés de la déportation, venus le remercier. Moshes Sharett, futur Premier ministre d’Israël, rencontre le pape. « Je lui dis, racontera-t-il, que mon premier devoir était de le remercier et, en lui, l’Église catholique, au nom de la communauté juive, pour tout ce qu’elle avait fait en différentes contrées pour secourir les Juifs ». Le sénateur Levi, en témoignage de gratitude pour l’action de Pie XII en faveur des Juifs, fait don au Vatican d’un palais qui abrite aujourd’hui la nonciature apostolique à Rome. En 1955, l’Union des communautés juives d’Italie proclame le 17 avril jour de gratitude pour l’assistance du pape pendant la guerre. Le 26 mai de cette même année, 94 musiciens juifs, originaires de quatorze pays, exécutent la Neuvième Symphonie de Beethoven, à Rome, sous la direction de Paul Kletzki, « en reconnaissance de l’œuvre humanitaire grandiose accomplie par Sa Sainteté pour sauver un grand nombre de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ».
À la mort de Pie XII, le 9 octobre 1958, la mémoire du pape est unanimement saluée. Devant l’ONU, Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères d’Israël, fait cette déclaration : « Pendant les dix années de la terreur nazie, quand notre peuple a souffert un martyre effroyable, la voix du pape s’est élevée pour condamner les bourreaux et pour exprimer sa compassion envers les victimes ». Le rabbin Elio Toaff (qui accueillera Jean-Paul II à la synagogue de Rome en 1986) proclame que « les Juifs se souviendront toujours de ce que l’Église a fait pour eux, sur l’ordre du pape, au moment des persécutions raciales ».
En 1963, Le Vicaire, la pièce de Hochhuth, lance la campagne contre Pie XII. Mais un député britannique, Maurice Edelman, président de l’Association anglo-juive, rappelle que « l’intervention du pape Pie XII a permis de sauver des dizaines de milliers de Juifs pendant la guerre ». Établi à Jérusalem, l’écrivain juif Pinchas Lapide, consul d’Israël à Milan du vivant de Pie XII, est interrogé par le correspondant du Monde, « Au lendemain de la libération de Rome, se souvient-il, j’ai appartenu à une délégation de soldats de la brigade juive de Palestine qui a été reçue par le pape et qui lui a transmis la gratitude de l’Agence juive, qui était l’organisme dirigeant du mouvement sioniste mondial, pour ce qu’il avait fait en faveur des Juifs. (...) Le pape personnellement, le Saint-Siège, les nonces et toute l’Église catholique ont sauvé de 150 000 à 400 000 Juifs d’une mort certaine. Lorsque j’ai été reçu à Venise par Mgr Roncalli, qui allait devenir Jean XXIII, et que je lui exprimai la reconnaissance de mon pays pour son action en faveur des Juifs, il m’interrompit à plusieurs reprises pour me rappeler qu’il avait chaque fois agi sur ordre précis de Pie XII ».
Quelques années plus tard, Lapide rédige un livre – traduit en plusieurs langues – sur les rapports entre le judaïsme et l’Église. Après une longue enquête, il révise ses chiffres à la hausse : « L’Église catholique, sous le pontificat de Pie XII, fut l’instrument qui sauva au moins 700 000 mais probablement jusqu’à 860 000 Juifs d’une mort certaine de la part des nazis ».
En février 2001, dans un magazine américain, un rabbin newyorkais, David Dalin, publie un long article où il revient sur la multitude des témoignages juifs en faveur du pape, pendant et après la guerre. « Toute la génération des survivants de l’Holocauste, constate t-il, témoigne que Pie XII a été authentiquement et profondément un Juste ». Dalin demande que Pie XII soit reconnu par Israël comme « Juste des nations », car « le pape Pacelli a été le plus grand soutien des Juifs ».
Tiré de JEAN SÉVILLIA, “L’affaire de Pie XII”, in Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique, Paris, Perrin, 2003