Leur amour a besoin du sentiment, c’est sûr ; il a aussi besoin de la volonté. L’amour est un engagement de tout l’être, pas seulement de notre capacité à frémir mais aussi de notre cœur profond, de notre capacité à vouloir et à tenir à ce que nous voulons. Cela vaut pour tous les amours : l’amour de l’amoureuse, celui du croyant, celui de l’ami.

Je voudrais citer assez librement Benoît XVI dans son encyclique « Dieu est amour » : l’amour n’est pas seulement un sentiment. Le sentiment peut être une merveilleuse étincelle initiale, mais il n’est pas la totalité de l’amour. C’est le propre de la maturité de l’amour d’impliquer toutes les potentialités de l’homme, et d’inclure, pour ainsi dire, l’homme dans son intégralité. La reconnaissance du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de l’amour.

Le pape nous aide à comprendre les paroles de Jésus, comment amour et obéissance aux commandements vont de pair, tout en laissant l’amour évoluer, grandir, mûrir : Idem velle atque idem nolle [Salluste, Conjuration de Catilina, XX, 4] — vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose ; voilà ce que les anciens ont reconnu comme l’authentique contenu de l’amour : devenir l’un semblable à l’autre, ce qui conduit à une communauté de volonté et de pensée. L’histoire d’amour entre Dieu et l’homme consiste justement dans le fait que cette communion de volonté grandit dans la communion de pensée et de sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu coïncident toujours plus : la volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus intime à moi-même que je ne le suis à moi-même [Saint Augustin, Confessions, III, 6, 11]. C’est alors que grandit l’abandon en Dieu et que Dieu devient notre joie (cf. Ps 72 [73], 23-28). (Deus caritas est §17)

Ainsi, au départ, les commandements de Jésus, relayés par l’Église, peuvent nous paraître des exigences extérieures, étrangères à nous-mêmes. Mais l’amour que nous cultivons pour le Christ vient changer cette situation et peu à peu nous comprenons ses commandements dans une union de tout notre être à lui. Ce qu’il veut devient notre bien le plus cher, nous ne voudrions plus prendre distance par rapport à son cœur, à son évangile.

Lors d’une interview on demandait à l’une d’entre nous : vous êtes catholique, cela veut dire que vous vous interdisez beaucoup de choses ? Comme elle fut surprise ! Car la question se posait si peu de cette façon pour elle. Accueillir les exigences du Christ se passe en nous par l’action de l’ « Esprit de vérité » (17), dont Jésus dit que le monde est incapable de le recevoir car il ne le connaît pas, tandis que nous le connaissons, car il est près de nous et même en nous. Dimanche passé je nous encourageais à « pratiquer » le Christ ; c’est ainsi que nous « connaissons1 » l’Esprit.

Être disciple du Christ, adhérer à l’Église ne se passe jamais parce que nous avons tout lu et que nous sommes d’accord avec tout, comme pour un contrat. Mais nous aimons, nous cheminons, et peu à peu le chemin s’éclaire devant nous, des commandements du Seigneur jusque là obscurs commencent à prendre sens, notre cœur désire de plus en plus ce que Son cœur désire. De l’extérieur nous nous interdisons beaucoup de choses, mais de l’intérieur nous aimons et nous cultivons un désir de plus en plus grand de la vérité que le Christ propose à l’homme, nous devenons de plus en plus l’être humain véritable et consistant que Jésus nous permet d’être.


1 Toujours dans ce beau sens biblique d’une pratique intime.