Depuis que Monseigneur Léonard a été nommé archevêque de Malines-Bruxelles il est abondamment interviewé dans la presse. Et les questions qui lui étaient souvent posées me faisaient penser à cet évangile entendu à la messe de ce mardi.
23 Et il advint qu’un jour de sabbat Jésus passait à travers les moissons et ses disciples se mirent à se frayer un chemin en arrachant les épis.
24 Et les Pharisiens lui disaient : Vois ! Pourquoi font-ils le jour du sabbat ce qui n’est pas permis ?
25 Il leur dit : N’avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu’il fut dans le besoin et qu’il eut faim, lui et ses compagnons, 26 comment il entra dans la demeure de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar, et mangea les pains d’oblation qu’il n’est permis de manger qu’aux prêtres, et en donna aussi à ses compagnons ?
27 Et il leur disait : Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat ; 28 en sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat.
Les pharisiens se posaient la question du permis et du défendu. C’est par ce filtre qu’ils regardaient leur vie. Au fond ils cherchaient le bonheur dans le sentiment d’être en règle. Les journalistes qui questionnaient le nouvel archevêque posaient eux aussi très souvent la question du permis et du défendu. Ils demandaient en quelque sorte : allez-vous défendre davantage de choses que votre prédécesseur, puisque vous passez pour conservateur ? Et des politiciens disaient : il ne faut pas que l’Église vienne remettre en cause des permissions que le parlement s’est acquis par des lois sur l’avortement ou l’euthanasie.
On croit que les interdits moraux et la culpabilité hantent principalement les chrétiens ; depuis Freud on va jusqu’à parler de culpabilité judéo-chrétienne . Et pourtant, c’est encore sur ce registre que s’interrogent ceux qui voudraient s’émanciper de l’Église. Ceux qui prétendent qu’on n’a pas le droit d’interdire ceci ou cela demeurent sur ce terrain des pharisiens, celui du permis/défendu, voulant régler le problème en élargissant sans retenue le domaine du permis. Le désir d’être en règle risque d’être pris encore longtemps comme moteur de nos actions. Simplement, on met plus d’énergie à assouplir les règles qu’à les observer... La dépénalisation de l’avortement est devenue une légitimation de l’avortement, et ainsi de suite.
Tant qu’on reste dans ce registre, rien n’est réglé du sentiment de culpabilité, et le désir de s’en soulager continuera à passer par l’accablement de boucs émissaires, dans une sorte de je me sens accusé donc j’accuse .
Qu’est-ce que Jésus répond à cela ? Il pousse à prendre de la hauteur par rapport à ce dilemme du permis/défendu. D’abord par une histoire, une histoire de temps de crise, lorsque David fut dans le besoin et qu’il eut faim. Puis par un recentrement sur l’essentiel : Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat , c’est-à-dire finalement : demandez-vous plutôt pour quoi l’homme est fait !
Voilà la question de Jésus à tout homme, à tout décideur politique, à tout penseur, à tout journaliste : demandez-vous pour quoi l’homme est fait, quel est le sens de sa vie, quelle est sa grandeur, pourquoi est-il ce qu’il est ? Pourquoi l’homme est-il la seule créature capable de liberté, de choisir et d’être responsable de ses actes ? La dignité que toutes les civilisations ont toujours reconnue à l’être humain peut-elle être décidée arbitrairement à un moment donné de son existence, vers les 12 ou 24 mois, et aussi retirée vers la fin, lorsqu’il se sent une charge ? Comment puis-je promouvoir la beauté et la grandeur de l’humain ? Et pour les croyants : qu’est-ce que ça change d’être enfant de Dieu ?
Enfin, c’est impossible d’organiser le vivre ensemble des hommes si on considère que la question qu’est-ce que l’homme ? doit rester dans le domaine privé, non débattu en public.