homélie de l’Assomption 2022
{joomplu:531} Peut-être avez-vous frémi en vous faisant mentalement le film de la lecture de l’Apocalypse ? (Ap 12) Nous sommes frappés par la disproportion entre la fragilité de l’enfant à naître d’une femme criant dans les douleurs de l’enfantement, et la férocité du dragon qui s’apprête à le dévorer. S’il y a là une figure de la situation de l’Église dans le monde, c’est pas gagné pour nous. L’Église veut donner le Christ au monde, mais le diable inspire dans le monde des forces d’opposition qui veulent faire taire la parole de l’Évangile. Le plus souvent, il veut faire taire le témoignage rendu au Christ en réduisant l’évangile à une parole gentillette — or vous avez entendu hier que l’Évangile n’est pas gentillet (Lc 12,51). Parfois l’opposition à l’Évangile se fait en le coupant des exigences concrètes, pour être sûr que rien ne change dans notre vie, et on pourrait en venir à dire que l’Évangile est inspirant, tout en vivant pratiquement à l’opposé et en critiquant l’Église qui essaie de traduire l’Évangile dans les aspects plus concrets de nos vies, nos choix économiques, nos choix d’accueil ou de rejet de la vie, les décisions de notre cœur, etc. C’est souvent comme ça que le dragon rouge feu essaie de dévorer l’enfant qui va naître de la femme qui a le soleil pour manteau. Plus rarement, il choisit la persécution ouverte, et des chrétiens sont tués à cause de leur foi, mais ça le gêne car alors il se dévoile clairement ; il fait beaucoup de mal, mais cela indigne les hommes de bonne volonté. Sa dernière tactique, c’est de pourrir l’Église de l’intérieur, et malheureusement ça marche aussi et des hommes d’Église ont eux-mêmes englouti la lumière de l’Évangile qu’ils étaient censés porter.
Devant l’apparente disproportion du combat entre le dragon et le Christ, nous pourrions croire que tout est foutu, comme on peut se le dire quand on regarde les maigres forces dont dispose aujourd’hui l’Église. C’est oublier que ce combat nous dépasse totalement. Il a lieu devant le sanctuaire de Dieu grand ouvert (Ap 11,19), il a lieu devant l’arche de l’Alliance apparue dans le sanctuaire ; bref, ce combat bénéficie de l’engagement total de Dieu en notre faveur. Toutes les fois où, dans nos vies ou dans l’Église ou dans le monde les choses semblent partir en catastrophe, rappelons-nous que Dieu s’est engagé et que ça ne va pas se passer comme ça. Oui, pauvres habitants de la terre qui doivent subir les méfaits du dragon. Mais son compte est bon, et déjà la victoire du Seigneur germe dans nos cœurs. Faisons confiance à l’Église et à sa foi ; c’est de Dieu qu’elle a reçu sa délicate mission.
Comment avoir la force de tenir dans la fidélité, dans la dissidence aussi ? La méditation chrétienne a vu dans cette femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles, non seulement une figure de l’Église donnant le Christ au monde, mais aussi une image de Marie, la mère de Dieu, la Vierge qui enfante Jésus. L’Église n’est pas seule au milieu du combat de Dieu contre le mal. Elle a de son côté celle qui a vu de tout près l’œuvre de Dieu, celle par qui l’œuvre de Dieu a pu être accomplie d’une manière qui décapite les sept têtes du dragon et leur diadème qui en jette. L’Église qui pourrait se décourager, nous les chrétiens qui pourrions nous mettre à regretter de ne pas vivre comme tout le monde, nous avons avec nous celle qui a pu toucher la présence concrète de Dieu dans une vie humaine. Marie, quand on ne voyait encore que deux femmes enceintes, elle un peu et surtout Élisabeth, a pu dire : voilà la force du Seigneur : il renverse les puissants et élève les humbles ; il comble les affamés et renvoie les riches les mains vides. (Lc 1,52)
En ce jour où nous fêtons la victoire de Dieu en Marie, réjouissons-nous, car nous avons avec nous celle qui nous entraîne dans la foi et montre à notre cœur qu’il a raison de s’entêter dans la confiance totale en Dieu. Elle, la Mère, peut aussi nous consoler quand la suite du Christ ou la vie simplement humaine est trop dure. Elle, plus que n’importe qui sur la terre et n’importe quel saint, a une prière puissante et c’est avec raison que nous lui demandons : sainte Marie, mère de Dieu, prie pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.