homélie du 23 octobre 2011, 30ème dimanche de l’année A

Les pharisiens viennent pour prendre Jésus au piège, et lui nous livre un des enseignements centraux du christianisme. Il ne se laisse pas démonter mais enseigne encore une fois en homme qui a autorité, pour nous demander l’amour de Dieu et l’amour du prochain.

Comment ne pas se laisser surprendre à notre époque par cette insistance sur l’amour de Dieu ? Comment ne pas être surpris quand nous évoluons dans une culture où Dieu est si peu évident, où « Dieu ne compte pas, même s’il existait »1. Jésus nous demande d’aimer Dieu, quand beaucoup disent : on ne peut déjà pas le connaître, on n’a que des opinions vagues sur lui !

Mais pour connaître Dieu il faut le rencontrer ; et pour le rencontrer il faut commencer à l’aimer. Dans toute relation il faut rencontrer pour connaître. Par exemple, le président Obama et moi, est-ce que nous pourrions être amis ? Pas si sûr ; il faudrait que nous nous rencontrions, que nous passions du temps à discuter pour voir si nous pouvons partager notre vision de la vie et si notre cœur s’ouvre l’un à l’autre... Pour Dieu c’est la même chose ; avec cette difficulté supplémentaire que pour le rencontrer il faut commencer à l’aimer, puisque Dieu se rencontre dans la foi.

En matière d’amour, celui de Dieu est vraiment personnel. Dieu n’est pas quelqu’un qui aurait 5000 amis facebook et qui ne les connaît que vaguement et ne leur écrit jamais personnellement ! Dieu cherche une relation personnelle avec chacun de ses enfants. Voilà pourquoi Jésus nous demande de l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit (de toute notre force dit Dt 6,5 sur lequel Jésus s’appuie ; Luc 10,27 est conscient de cette divergence et unit les 4 termes). Une telle exigence pourrait être la définition d’un amour de qualité. Le même amour que l’on voudrait voir dans la vie conjugale et dans l’amitié vraie.

Cette énumération m’a intrigué, et j’ai voulu creuser ce qu’il pouvait bien y avoir derrière chaque terme. « De tout mon cœur », d’abord. C’est-à-dire de toute ma capacité à ressentir, à m’émouvoir. On peut écarter Dieu de ses sentiments parce que depuis longtemps on se méfie de ses sentiments et qu’on les a comme réprimés, forcés à retentir dans une chambre lointaine et reculée de notre intériorité afin de ne pas envahir notre espace mental. On peut aussi écarter Dieu de ses sentiments lorsqu’on rend une sorte de culte à ceux-ci, lorsqu’on les met en avant de notre vie, lorsqu’on les laisse tout diriger et que tout, même nos devoirs envers les autres et nos engagements, est susceptible de changer à cause de nos sentiments.

Mais Jésus nous invite à consacrer à Dieu nos sentiments en l’aimant de tout notre cœur. Cela veut dire accepter que Dieu ne soit pas seulement un principe lointain mais qu’il touche ma vie, intimement. Accepter de chercher Dieu avec le cœur.

« De toute mon âme »... L’âme c’est la vie elle-même, la personne, le moi. Aimer Dieu de toute mon âme, c’est entrer dans la dépendance de Dieu, accepter et vouloir que ma vie n’ait de sens que parce que Dieu existe. Le grand témoignage qu’on attend des chrétiens (et pour lequel parfois on ne nous supportera pas) : avoir une vie incompréhensible si Dieu n’existe pas. Lorsque je dis à Dieu que je veux l’aimer de toute mon âme, cela signifie que mes choix, ma vie ne s’explique que parce que je l’aime, parce que je lui fais une grande place dans mon existence. C’est déjà ce que vous manifestez en venant ici ce matin !

Enfin, « de tout mon esprit ». C’est un amour qui n’est pas du guiliguili émotionnel, ni un ritualisme magique, un amour qui se garde du piétisme aveugle, car il est l’amour d’un Dieu compréhensible, d’un Dieu qui s’est révélé, d’un Dieu dont le Fils est le Verbe, le logos (Jn 1).

L’amour de Dieu est donc un amour qui cherche à le connaître précisément, à sortir des idées préconçues sur lui, un amour qui veut s’attacher au vrai Dieu et démasquer toutes les idoles, toutes les fausses images. Cet amour peut pour cela s’appuyer sur tous ceux qui dans le peuple chrétien ont cherché Dieu depuis des siècles : la tradition de recherche de Dieu, la tradition de l’Église.

Au premier commandement était attaché le second, l’amour du prochain. Pour Jésus, il n’y a pas deux amours, il n’y en a qu’un et l’attitude envers le prochain vérifie la qualité de notre attitude envers Dieu.

Un journaliste disait à une jeune religieuse qui soignait un lépreux : « je ne ferais pas ce que vous faites pour un million de dollars » — oh, moi non plus je ne le ferais pas pour un million de dollars ; mais par amour je peux le faire, pour ce pauvre homme qui est en train de mourir »

L’amour est la grande force de transformation de chaque personne et du monde. A celui qui veut changer, s’améliorer, je dis : cherche ton cœur, appuie-toi sur lui. Purifie les élans de ton cœur et laisse-les alors t’entraîner. Et pour purifier les élans du cœur, il suffit de laisser mourir l’amour-propre. Je vous en ai parlé il y a 15 jours.

« L’amour est l’un des processus de l’univers qui mènent à la synthèse, unifient ce qui est séparé, élargissent et enrichissent ce qui est étroit et limité. » (Jean-Paul II, La Boutique de l’Orfèvre)


1 Josef Ratzinguer, Le sel de la terre, p.207