homélie de la fête du Saint-Sacrement, 29 mai 2016
Vous{joomplu:6} êtes venus ce matin, comme la foule partie à la suite de Jésus et qui le retrouve alors qu’il avait pris un peu de vacances à Bethsaïde. Et que fait Jésus ? Il vous fait bon accueil comme il fit bon accueil à la foule de jadis. Avez-vous faim ? Avez-vous pensé à aiguiser votre faim ? C’est un des gros problèmes de l’homme moderne, de ne pas avoir très faim, de rester tranquillement chez soi comme les villageois chez qui les apôtres voulaient renvoyer les gens et qui finalement ne sauront rien de ce qui s’est passé ce jour-là dans ce champ des alentours de Bethsaïde. Aujourd’hui à Ath beaucoup de gens ne sauront pas ce qui s’est passé ce matin dans cette église.
Et que se passe-t-il ? Il y a une assemblée de disciples du Christ, qui sont venus pour lui et qui attendent quelque chose de lui. Ils attendent la nourriture de leur cœur, ils attendent la force de son amour, ils attendent de pouvoir lui dire « je t’aime ». Et de son côté le Christ veut les nourrir, d’une nourriture qui donne la vie éternelle, qui dépose déjà maintenant en nous la vie éternelle.
Après avoir écouté la Parole de Dieu et après avoir prié en réponse, nous allons invoquer l’Esprit Saint pour que le pain et le vin devienne le corps et le sang du Seigneur. Le même corps qui a rompu le pain pour la foule va se trouver dans le pain et le vin, qui deviendront alors le corps et le sang du Christ. C’est difficile à croire. Comment le pain devient-il le corps du Christ ? Est-ce un symbole ? Est-ce plus qu’un symbole ? Il y a très longtemps qu’on discute sur « comment est-ce possible ? » Sans doute depuis que l’eucharistie existe. Vers 150, saint Irénée de Lyon affirme du pain et du vin que « moyennant le savoir-faire, ils viennent en l’usage des hommes, puis, en recevant la parole de Dieu, ils deviennent l’eucharistie, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ1 ». Cyrille d’Alexandrie, dans les années 400, prend la peine de préciser que le Christ : « a dit au mode indicatif : ceci est mon corps et ceci est mon sang, afin que tu ne penses pas que les choses sont une simple image, mais que tu croies que les choses offertes sont transformées réellement au corps et au sang du Christ ». Saint Augustin, à la même époque, est encore plus réaliste : « Dans cette chair (le Seigneur) a marché sur notre terre et Il nous a donné cette même chair à manger pour notre salut »2.
La qualité physique de ce pain ne changera pas après la consécration. Si on le passait dans un spectromètre ou je ne sais quel appareil d’analyse, on n’y verrait toujours que du pain. Mais un changement plus fondamental lui sera arrivé. Pour parler de ce qui est plus fondamental que ce que l’on peut mesurer de nous et de la réalité, on utilise depuis longtemps le mot « substance ». Et pour parler de la transformation de l’eucharistie, on a inventé il y a quelques siècles le mot « transsubstantiation ». Il dit que le changement est réel, que cela dépend de l’action de Dieu plutôt que de notre intention, de notre foi, de notre regard, de notre compréhension.
Devant l’eucharistie, la question utile n’est pas « comment cela se fait-il ? » mais « est-ce cela que Dieu veut pour nous ? » Car si Dieu le veut ainsi, s’il veut se donner si concrètement, pourquoi résisterions-nous ? L’eucharistie nous dit le désir du Christ d’être tout présent, et sa capacité à le faire puisque sa chair n’est pas restée au tombeau mais est ressuscitée.
« Transsubstantiation » n’explique rien mais affirme une présence vraiment effective, une « présence réelle », qui demeure après notre rassemblement, au point que nous allons déposer l’eucharistie dans le tabernacle. La présence réelle du corps et du sang du Christ dans l’eucharistie est une manifestation de son amour, de son intérêt pour les foules. Pas seulement dans l’intention mais réellement. Pas seulement nourris de paroles mais d’un pain multiplié, et maintenant changé en lui-même. Pas seulement une force, mais lui-même.
Et même si vous ne pouvez pas communier parce que votre cœur n’est pas dans les dispositions qu’il faut, vous êtes en présence du Seigneur, vous pouvez l’adorer, lui dire votre amour, accueillir le sien.
1Adv Hae IV,18,4.
2Cité par Paul VI dans son encyclique Mysterium fidei (1965). La même encyclique rapporte qu’au Moyen Âge le pape saint Grégoire VII a dû imposer ce serment à Béranger, un théologien qui voulait rendre l’eucharistie plus raisonnable : « je crois de cœur et je confesse de bouche que le pain et le vin qui sont sur l’autel sont, par le mystère de la prière sainte et par les paroles de notre Rédempteur, changés substantiellement en la chair véritable, propre et vivifiante, et au sang de notre Seigneur Jésus-Christ, et qu’après la consécration ils sont le vrai corps du Christ, qui est né de la Vierge, qui, offert pour le salut du monde, a été suspendu à la Croix, qui siège à la droite du Père, ainsi que le vrai sang du Christ, qui a coulé de son côté. Il n’y est pas seulement figurativement et par la vertu du sacrement, mais dans sa nature propre et dans sa véritable substance » (Concile du Latran, 11 février 1079).