homélie du 7e dimanche A, 19 février 2017
Jésus{joomplu:44}, le Christ, vient comme sauveur. Il sait qu’il se trouve dans un monde où des hommes méprisent d’autres hommes, les exploitent, les rejettent ou veulent se venger d’eux. Le Seigneur est venu dans notre monde où certains se positionnent comme nos ennemis, et où nous devenons aussi les adversaires d’autres hommes.
Lui qui accomplit les Écritures, que va-t-il proposer alors qu’on lit dans la Loi de Moïse : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur, mais tu ne toléreras pas la faute qui est en lui… Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » ? (Lv 19, 17-18) Ce qu’il propose, c’est un moyen d’affronter activement le mal. Que pensons-nous lorsque nous entendons : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau » (Mt 5,29-40) ? Nous avons l’impression que le chrétien doit être quelqu’un qui se laisse faire et doit supporter toutes les injustices. Mais ce n’est pas le cas. Si nous lisons bien, nous découvrons que le chrétien est invité à adopter une attitude offensive contre le mal. Seulement, cette offensive contre le mal ne doit pas devenir une offensive contre l’homme auteur du mal. Car lui, il est une créature de Dieu aussi, et Dieu fait briller son soleil sur les mauvais comme sur les bons (v.45).
Je vous raconte une histoire, qui se passe dans un village au Vietnam, là où on cultive le riz en terrasse dans des petites parcelles étagées qu’il faut alimenter en eau. Des paysans chrétiens s’aperçoivent que les voisins d’en-dessous ont percé la digue qui sépare les parcelles, afin que l’eau du dessus tombe dans leur rizière. Ils savent que l’évangile demande de pardonner, alors ils réparent la digue et continuent le voisinage comme si de rien était. Mais le vol d’eau se reproduit encore et encore, si bien que la famille chrétienne perd patience et va trouver le pasteur pour lui dire que l’évangile, c’est invivable. Alors ils réfléchissent ensemble, et découvrent que c’est à autre chose que l’Esprit Saint les invite. Alors au moment de la corvée d’eau, avant de remplir leur rizière, ils remplissent la rizière de leurs ennemis du dessous, et puis seulement la leur. Les voleurs d’eau n’en croient pas leurs yeux. Comment ces gens peuvent-ils non seulement supporter le mal que nous leur faisons mais nous rendre un bien en retour ? Et un chemin s’est ouvert dans leur cœur, et ils se sont mis à changer de vie.
Cette histoire nous montre que le Christ ne nous demande pas de supporter passivement l’injustice, mais de trouver l’attitude qui va mettre l’injuste en mouvement, qui va le désarçonner de son attitude de tyran ou d’exploiteur. Cette non-violence active est en définitive l’attitude la plus réaliste devant le mal qui abîme l’humanité. On se refuse ici de désespérer de l’homme. On veut croire qu’il peut encore changer, qu’un chemin peut s’ouvrir dans son cœur.
Nous ne sommes pas seul à relever ce défi face au méchant. Le Christ est avec nous et nous comble de son esprit. Il nous saisit tous les deux, l’autre et moi, et il entreprend de nous sauver. Nous devenons vraiment ses disciples lorsque nous refusons le chemin des représailles ou de la condamnation, pour chercher dans la prière quel sera le chemin de la conversion, de l’amour des ennemis. Il ne s’agit pas de simplement les supporter — d’ailleurs c’est trop lourd de devoir les supporter. Il s’agit d’espérer pour eux et de commencer à induire un changement par une attitude d’amour actif.
À la lumière de ce que nous avons entendu, prenons un moment pour nous demander : comment pourrais-je agir autrement avec la personne avec qui je ne m’entends pas ? Quelle attitude créatrice pourrais-je adopter ? Le Christ nous suggère que la riposte créatrice sera dans le sens de l’offense qui nous est faite : « si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui ». C’est ainsi que le violent est visité par la grâce sur le lieu même de sa violence. Après, le cœur de l’autre ne nous appartient pas. Quel changement s’y passera-t-il ? Nous ne le savons pas. Nous tentons un essai. Dans la confiance. Comme Mgr Himmer, l’ancien évêque de Tournai, qui s’apercevant au moment de monter dans le train qu’un voleur lui a dérobé sa montre avant de s’enfuir à toute jambe, lui crie : « tu ne l’as pas volée, je te la donne ! »