homélie de la fête du Saint-Sacrement
{joomplu:542}Quand Moïse donne la clé de l’expérience difficile que le peuple hébreu a vécue au désert en sortant d’Égypte, il dit : ton Dieu t’a imposé cette longue marche « pour te faire passer par la pauvreté… et savoir ce que tu as dans le cœur » (Dt 8, 2). Et il t’a donné la manne, « pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » (v.3) C’est instructif de comprendre la pédagogie de Dieu avec son peuple, qui continue avec nous. Pourquoi agir ainsi ? Pour nous sauver, pour nous préserver de nous assurer par nous-mêmes notre avenir, notre salut.
Ce que raconte le péché originel, c’est finalement cela : l’homme qui veut s’emparer de son bonheur comme il l’entend, se donner à lui-même son avenir, sa joie, sa santé, son salut. Les géants de la technologie imaginent comment on pourra améliorer l’homme pour le rendre immortel. Mais avant cela, beaucoup passent leur dimanche matin à entretenir leur santé à la salle de sport, au jogging ou au fond de leur jardin. Cela ne serait pas mauvais, si nous n’étions pas conduits par là à oublier Dieu, à le ranger au milieu des accessoires de la vie.
À l’inverse, il y a cette attitude où nous « perdons » du temps et de l’énergie pour Dieu, où nous acceptons d’être conduits par un plus grand que nous, sur un chemin de pauvreté où il peut nous nourrir de quelque chose qui dépasse ce qu’on peut se donner soi-même. Le peuple hébreu se laisse conduire dans le désert plutôt que de se gérer lui-même. Et nous nous consacrons le dimanche à Dieu plutôt que d’en faire un jour dont nous disposons à notre guise.
Faire en sorte que le jour du Seigneur soit vraiment le jour du Seigneur, c’est une décision qui permet à Dieu de nous nourrir l’âme. Saint Justin, un philosophe des années 100 qui s’est converti à la foi chrétienne en voyant le courage des chrétiens devant la mort, et qui est mort martyr lui-même en 165, disait : « le jour qu’on appelle jour du soleil, tous, que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, se réunissent dans un même lieu… On lit les mémoires des apôtres ou les écrits des prophètes… ensuite nous prions ensemble… et celui qui préside fait monter au ciel les prières et les actions de grâce… avant le partage de l’eucharistie » (Justin, Apologie I,67, passim). Le rassemblement du dimanche, c’est la vie de l’Église et c’est notre vie.
À quel point côtoyons-nous le Christ dans l’eucharistie ? À quel point est-il là ? Quelle est cette « communion au corps du Christ » dont parle saint Paul ? (1 Co 10,16) Jésus disait aux Juifs : « le pain que je donnerai, c’est ma chair… celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle… il demeure en moi et moi je demeure en lui… ma chair est la vraie nourriture… » (Jn 6,51-58) Pour parler de cette présence si forte dans le pain eucharistique, l’Église parle de « présence réelle ». C’est une réalité souvent minimisée depuis 50 ans, on en fait une présence symbolique, une évocation. Pour résister à cette tendance rationaliste, cela fait du bien de se plonger dans les paroles des premiers chrétiens. Comment voyaient-ils cette présence que nous côtoyons ?
« L’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, cette chair qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa bonté le Père a ressuscitée » (Ignace, évêque d’Antioche vers 70, martyr à Rome vers 110). « Nous ne prenons pas cet aliment comme un pain commun et une boisson commune. De même que par le pouvoir du Verbe de Dieu, Jésus-Christ notre Sauveur a pris chair et sang pour notre salut, de même aussi l’aliment consacré par la prière formée par les paroles du Christ, cet aliment qui doit nourrir par assimilation notre sang et nos chairs, est la chair et le sang de ce Jésus incarné : telle est notre doctrine » (Justin de Naplouse). Avec Ignace et Justin nous palpons un peu la foi des premiers chrétiens, et nous demandons à l’Esprit Saint de pouvoir la faire nôtre, afin d’être de dignes héritiers et que notre Église revive. Bonne fête du Saint-Sacrement !