(homélie de la messe de minuit)

Aujourd’hui je suis frappé par le fait que ce sont les bergers qui sont disponibles pour accueillir le Fils de Dieu lorsqu’il vient dans le monde.

Trente ans plus tard, Jésus racontera une parabole où des gens sont invités au festin du Royaume mais ils sont trop occupés pour y aller, ils doivent aller voir leur champ, essayer leurs bœufs, et ainsi de suite. Cette histoire a déjà commencé à la crèche de Bethléem, où l’ange est trop heureux de rencontrer des bergers pour leur annoncer une grande joie, à laquelle les bergers veulent aussitôt participer, sans dire : écoute, nous sommes occupés, nous avons des affaires à régler, nous viendrons plus tard.

De nos jours le Fils de Dieu vient encore nous visiter, à travers tous les défis de notre temps, à travers les personnes qui nous entourent. Et à première vue nous pourrions penser qu’il vient à nous de façon encombrante, que ce serait mieux s’il s’occupait de lui tout seul. Pourtant, en venant à nous sans nous demander notre avis mais en nous demandant notre attention, il veut nous apporter quelque chose. Il veut nous ouvrir à l’espérance.

Nous pourrions avoir l’impression que le Fils de Dieu, en nous demandant de nos faire frère de tous les hommes, vient à nous comme un problème, une difficulté. Et c’est un peu vrai, si nous comptions faire notre petit bonheur tout seul, isolé de ce grand monde qui est notre village. Mais Jésus ne vient pas d’abord comme un problème, il vient comme l’amour, et il vient comme l’espérance.

L’espérance, ce n’est pas croire que ça ira mieux demain, ce n’est pas faire des pronostics à partir de quelque signe de relance. Quand le chrétien espère, c’est tout autre chose. Il n’espère pas à cause d’incertains signes d’avenir, mais à cause d’un témoignage sûr, authentifié par le don d’une vie, quelque chose qui s’est déjà passé et qui change l’avenir. Il espère parce que Dieu est venu nous visiter à Noël. Il espère parce qu’il découvre que ce n’est pas une visite « en général » mais une visite de chacun, même dans les côtés obscurs de sa vie — une visite de chacun car sur la croix, 33 ans après Noël, Jésus donne sa vie même pour ceux qui le crucifient, et donc sûrement pour moi. Voilà ce qui peut nous faire espérer, de la « grande espérance : je suis définitivement aimé(e) et quel que soit ce qui m’arrive, je suis attendu(e) par cet Amour. » (Benoît XVI, encyclique sur l’espérance, Spe Salvi, §3)

Cette année spécialement, je suis habité par l’idée que nous devons éviter de nous enfermer dans des mondes virtuels qui nous poussent à l’inaction. N’est-ce pas parce qu’il n’agit pas que notre monde est si déchaîné contre Pie XII, ne parlant que de ce qu’il aurait dû faire pour sauver des Juifs, oubliant tout ce qu’il a réellement fait pour sauver des Juifs (au point, vous devez le savoir, que lorsque le grand Rabbin de Rome, Israel Zolli, au sortir de la guerre, demandera le baptême, il prendra comme prénom celui du pape, Eugène, en gage de reconnaissance : La rayonnante charité du Pape, penché sur toutes les misères engendrées par la guerre, sa bonté pour mes coreligionnaires traqués, furent pour moi l'ouragan qui balaya mes scrupules à me faire catholique.

Évitons donc, nous aussi, d’être ceux qui n’agissent pas mais critiquent ceux qui auraient dû agir. Il y a tant à faire dans le monde, pour que la justice règne dans le monde, que le commerce international n’écrase pas les paysans exploités sur leurs terres ni les ouvriers de nos usines à gadgets électroniques, pour que le politiquement correct ne contamine pas toute la réflexion, et tant d’autres choses que nous devons changer. Cela nécessite l’engagement de chacun. L’année qui vient ne peut pas se passer de la même façon. Le Christ nous ouvre une espérance qui doit changer nos façons de vivre, nos choix, nos regards. Seigneur, sauve-nous par la grande joie de Noël !