Qui de nous n’a jamais demandé à Dieu quelque chose sans l’obtenir ? Parfois c’était pourtant des choses si importantes, si justes, si conformes au désir de vie et de bonheur que Dieu met lui-même en nous. Autour de nous des gens ont demandé de belles choses à Dieu et n’ont rien reçu, et en ont conçu au fond d’eux-mêmes une grande amertume envers Dieu et envers la vie. Il est arrivé que nous ayons demandé à Dieu d’intervenir pour changer le cours naturel des choses, en matière de maladies ou de catastrophes par exemple. Et nous comptions sur le fait que, {joomplu:158}puisque Dieu est tout puissant, il est sûrement une sorte de super-magicien qui peut changer le cours des choses à sa guise. Et pourtant, les réponses à notre prière, dans ce domaine, sont rares, bien trop rare à notre goût, comme si Dieu ne voulait pas que nous ayons ce genre de rapport avec lui, comme si ce n’était qu’exceptionnellement qu’il intervenait dans le cours naturel des choses, de la vie et de la mort, de la physique et de la chimie. Des théologiens et des philosophes en ont même tiré la conclusion que les miracles sont des vues de l’esprit, que Dieu n’agit pas dans le monde, que c’est bon pour les charismatiques “borderline” de demander à Dieu d’intervenir dans nos vies.
Dimanche passé, c’est à un seul des dix lépreux guéris que Jésus a pu dire : « ta foi t’a sauvé ». C’est au lépreux qui est entré dans une relation spéciale avec lui, qui s’est lié d’amour avec lui en lui « rendant grâce » (Lc 17,16). Le Samaritain n’a pas vu Jésus comme un magicien, mais il a été sensible à son amour. Est-ce parce que Dieu veut nous faire passer de l’image du magicien à celle de l’amoureux qu’il change rarement le cours naturel des choses ? Ce n’est pas facile de répondre à cela, mais nous pouvons y voir un chemin qui se dessine : quand nous demandons quelque chose à Dieu, acceptons d’entrer dans un lien d’amour avec lui.
Un mot de l’évangile nous met sur la piste : le mot « élus » (Lc 18,7). Pour Dieu nous ne sommes pas des casse-pieds dérangeants, des veuves importunes, nous sommes des « élus », c’est-à-dire des choisis de son cœur, des personnes désirées pour une relation privilégiée avec lui. Chacun peut se regarder ainsi et entrer dans cette identité d’élu — c’est le chemin du baptême.
De l’extérieur de l’amour on peut se demander : mais pourquoi Dieu attend-il que je lui demande quelque chose ? Lui qui voit tout, ne peut-il pas donner aux hommes ce qui leur est nécessaire sans qu’ils le lui demandent ? Cette attitude de dépendance envers Lui n’est-elle pas finalement suspecte et avilissante ? De l’extérieur de l’amour on ne comprend rien du tout. Mais de l’intérieur, tout s’éclaire. Oser demander et recevoir fait partie de l’amour vrai, du véritable échange. Et dans l’amour la dépendance n’est plus un danger mais c’est se déposer soi-même dans le cœur de l’Aimé.
Nous pouvons alors comprendre la dernière phrase de Jésus : « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Il ne s’agit pas de la foi comme croyance que ça va marcher, mais de la foi comme acceptation d’une relation étroite avec Dieu, d’une relation où je vis de Dieu et de ce qu’il me donne. Si vous voulez connaître l’amour de Dieu, demandez-lui beaucoup de choses. À commencer par des choses pour vous-mêmes. Je connais des tas de chrétiens qui ne veulent pas demander des choses pour eux-mêmes... Ont-ils peur d’épuiser Dieu, de le fatiguer, de détourner pour eux le stock de grâces divines ? Ce n’est pas très raisonnable : Dieu est si riche ! N’est-ce pas qu’en refusant de demander pour moi-même, je manifeste qu’au fond de moi je veux me débrouiller tout seul pour servir Dieu, que finalement ma pauvreté me dérange, que j’attends d’avoir pu prouver quelque chose par moi-même pour me présenter à Dieu ? Ah, Seigneur, aide-nous à faire fi de tout cela, à accepter vraiment notre pauvreté, à entrer dans ce lien étroit où nous ne nous tracasserons plus de ce que nous valons par nous-mêmes, ou nous te demanderons tout : la joie du cœur, la force de te suivre, l’élan pour aimer, la décision pour servir, le temps pour nous reposer, la réussite de ce que nous entreprenons, la liberté devant les tentations, la fidélité dans l’amour, le pardon de nos péchés, la tendresse pour nous-mêmes et pour nos proches, la patience quand ce qui nous semble dû ne vient pas, et le courage de changer nos vues sur toi, sur nous, sur l’Église...
C’est un si grand bonheur de dépendre tout entier d’un Dieu si bon.