{joomplu:31}Ils sont vraiment doués pour inventer des histoires à dormir debout, ces sadducéens ! L’évangile d’aujourd’hui nous apprend qu’ils sont opposés à l’idée de la résurrection, mais qui sont-ils au juste ? Ce sont des croyants en vue, ils font partie de la classe dirigeante. Ils ont pu s’allier avec l’occupant romain : ils savent dire ce qui plaît au pouvoir politique et médiatique et nager dans le sens du courant. Dans le sanhédrin, leurs adversaires sont les pharisiens qui, eux, croient qu’il y a une résurrection des morts. Mais Jésus les mettra tous dans le même sac, disant à ses disciples en parlant de leur enseignement : « méfiez-vous donc du levain des pharisiens et des sadducéens. » (Mt 16,11)

Les sadducéens ne croient pas en la résurrection des morts. Cela nous étonne, car nous associons facilement foi en Dieu et espérance en la résurrection. N’a-t-on pas dit que si nous croyions en Dieu c’était par peur de la mort et des limites de la vie humaine ? Eh bien non, notre foi n’est pas née comme cela. La foi juive et la foi chrétienne ne naissent pas du désarroi devant la mort mais de l’accueil de Dieu qui vient libérer l’homme de tous ses esclavages. Accueillir Dieu dans sa vie, le laisser être notre Seigneur et nous conduire, marcher ensemble à sa suite, voilà la foi.

Puis nous découvrons que ce n’est pas seulement pour cette vie que nous nous mettons à l’école de Dieu notre Père, mais pour une vie éternelle, pour vivre l’amour sans plus de limite de temps ou d’espace. Dans le débat « pour ou contre la résurrection » qui animait le monde juif de son temps, Jésus prend clairement parti pour la résurrection. Et il ne dit pas seulement qu’il y en a une : il va la rendre possible par sa passion et sa propre résurrection ; il est le « premier-né d’entre les morts. » (Col 1,18) Il inaugure une résurrection comme il la vit lui-même, une résurrection pour tous, la résurrection de la chair, non pas à la mort de chacun (à ce moment c’est l’immortalité de l’âme qui nous permet de ne pas disparaître) mais à la fin du temps, tous ensemble, comme un grand peuple joyeux d’accueillir le don de Dieu.

L’idée d’immortalité de l’âme est plutôt un concept d’origine grec ; Jésus n’en parle pas ainsi, mais il utilise une autre image pour évoquer cette continuation de la personne, la non-dissolution de l’individu (dans cette persistance de la personne nous voyons bien la différence entre l’espérance chrétienne et l’espérance bouddhiste ou hindouiste, où le salut se réalise dans l’abandon de toute prétention individuelle, pour se fondre et s’éteindre, “nirvana” signifiant étymologiquement “extinction”). Jésus reprend les paroles que Dieu adresse à Moïse au Buisson ardent lorsqu’il se présente et décline son identité : « je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob » (Ex 3,6) Si je le comprends bien le raisonnement de Jésus me paraît être celui-ci : puisque Dieu n’est pas le Dieu des morts, il ne dirait pas qu’il est le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob si ceux-ci étaient morts ; c’est donc qu’ils sont vivants, c’est donc que les morts ressuscitent. En parlant d’Abraham, Isaac et Jacob Dieu parle bien de personnes toujours vivantes, lui qui est le Dieu des vivants.

On pourrait dire que la démonstration de Jésus n’est pas d’une rigueur implacable. Ce n’était sûrement pas possible de démontrer la résurrection à partir de l’expérience de Moïse. Mais Jésus tient à se placer sur le même niveau que les sadducéens. Ils utilisent la Loi ? Eh bien Jésus aussi se basera sur la Loi ! Aux sadducéens qui utilisent un article de la Loi pour montrer que la résurrection est impossible, Jésus utilise un texte de la Loi pour montrer qu’elle a bien lieu. C’est pour nous l’occasion de redécouvrir ce qu’est réellement la Loi. Pour l’homme moderne, la Loi c’est le règlement. Tandis que pour le Juif (et cela devrait être le cas aussi pour tout chrétien) la Loi c’est tout l’engagement de Dieu en faveur de son peuple. La Loi ne consiste pas seulement en prescriptions et commandements, mais elle comporte aussi la libération d’Égypte, l’apprentissage du peuple au désert, et même déjà la Création. Si vous voulez une comparaison avec la circulation automobile : la Loi ce n’est pas seulement le code de la route mais aussi la route elle-même, et le paysage, et finalement l’espace et le temps eux-mêmes. C’est important pour accueillir la loi morale aujourd’hui de l’accueillir avec tout le cadre de l’Alliance, tous les dons de Dieu : notre existence, notre aspiration au bonheur, notre dignité, notre capacité à nous donner nous-mêmes, notre liberté faite pour aimer.

Pour Jésus c’est donc clair, nous serons vivant, mais nos relations seront transformées. Les relations qui ont un caractère exclusif sur la terre, comme le mariage, à cause de la nécessité de fonder une famille pour entretenir la vie, n’auront plus lieu d’être, puisqu’on ne « peut plus mourir » (Lc 20,36). Pourtant cela ne conviendrait pas au Dieu d’amour que l’amour le plus noble qu’on ait donné sur la terre disparaisse avec la terre elle-même. Nous pouvons croire que l’amour ne sera pas effacé, mais plutôt qu’il sera amplifié.