Vivre en choisi. L’élection

homélie du 17 août 2008

Pourquoi lisons-nous encore l’Ancien Testament ? Souvent quand nous le lisons nous devons faire une gymnastique de l’esprit, nous rappeler que le Christ a accompli la Loi et que beaucoup de choses que nous lisons doivent recevoir une interprétation allégorique, être prises de façon imagée... Mais finalement, pourquoi le faire, pourquoi ne pas en rester à cette partie de la Parole de Dieu qui nous parle directement de Jésus ?

Nous lisons encore l’Ancien Testament à cause de l’attitude de Jésus envers la Cananéenne des territoires de Tyr et Sidon. Jésus rappelle bien à cette femme qu’il est venu d’abord pour le peuple élu. Cela nous choque, mais nous devons d’abord réfléchir un peu à ce que ça veut dire : le peuple élu, les brebis d’Israël.

Lorsque Dieu crée l’homme — c’est-à-dire lorsqu’au cours de l’évolution voulue par Dieu un des êtres vivants accède à la conscience de soi et devient capable de réfléchir sur cette connaissance qu’il a du monde et de lui-même — la première révélation qu’il fait de lui-même est cette sensibilité intelligente qu’il donne à l’homme, qui lui permet de se poser la question : d’où est-ce que je viens ? Quelle est ma destinée ? Y a-t-il un être qui a créé tout cela ? Puis-je communiquer avec lui ? La première révélation de Dieu à l’homme se trouve dans cette capacité de l’homme à chercher Dieu et à entrer en relation avec lui. C’est une des composantes de ce que la Genèse suggère en disant : Dieu créa l’homme à son image.

Pendant des millénaires, Dieu se fait connaître à l’homme à travers les recherches du cœur de l’homme. Puis il passe à la vitesse supérieure, sans doute quand la culture a accédé à un niveau suffisant pour intégrer de nouvelles attitudes et connaissances. Dieu se choisit alors un homme et un peuple, pour cheminer avec lui, pour lui faire connaître de plus près sa mentalité, sa façon de voir la vie et l’amour. Dans notre tête, choisir rime avec exclure, car nous ressentons aussitôt en nous-mêmes la trace d’une expérience douloureuse où d’autres ont été choisis tandis que nous restions sur le carreau. Il nous faut dépasser cette impression, comme beaucoup d’impressions désagréables qui montent de nous-mêmes quand la Bible vient explorer — parfois sans ménagement — les profondeurs de notre âme. En dépassant ces premières impressions nous devenons capables de comprendre que choisir est une attitude propre à l’amour. Dans l’amour, à la différence de la simple bienveillance, il y a une dimension de choix. Celui que nous aimons devient notre choisi, l’élu de notre cœur. Nous le disons facilement pour parler d’une fiancée, d’un fiancé, mais en réalité il devrait en être ainsi aussi de tous ceux que nous choisissons d’aimer, à commencer par le pauvre qui est au milieu de nous.

Dieu choisit un peuple, le peuple “élu”, pour l’initier à la relation d’amour avec lui. Et sa seule raison, c’est l’amour : « Si le Seigneur s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. C’est par amour pour vous, et par fidélité au serment fait à vos pères. » (Dt 7,7-8)

Ce choix d’un peuple, cette élection, elle n’est pas une exclusion des autres peuples. Avec le Christ, comme déjà Isaïe l’avait annoncé (Is 56,6-7), tous les peuples peuvent entrer dans l’élection, dans la relation d’amour privilégiée avec Dieu.

C’est ici que l’histoire de la Cananéenne nous fait sentir les conditions pour vivre cette relation privilégiée. Tant que nous croyons que nous avons droit à ce que Dieu nous aime, puisqu’il nous a créé alors que nous n’avons pas demandé à être, nous ne pouvons pas connaître l’amour de Dieu, nous ne pouvons rien expérimenter de la joie de cet amour posé sur nous. Or c’est une attitude si répandue. Nous agissons alors comme Jésus croyait que la Cananéenne agissait. Et Jésus la rabroue en lui disant qu’en dehors de l’élection il n’y a pas moyen de connaître son amour (non pas en disant qu’il ne l’aimait pas, mais qu’il n’y a pas moyen d’expérimenter cette amour hors du lien avec Israël, ici sous forme d’une guérison.)

Abruptement, Jésus rappelle que personne n’a de droits naturels sur Dieu, mais que nous devons entrer dans la logique des choisis. La femme entre dans cette logique, elle trouve le moyen de se rattacher au peuple élu : regarde-moi comme le petit chien de l’enfant, je considère un lien entre l’enfant et le petit chien... Jésus reconnaît alors sa foi, qui la rend capable d’accéder aux dons de son amour. La Cananéenne se rattache par la foi au peuple élu, elle veut se regarder comme choisie.

Pour notre part, cessons de faire de l’amour de Dieu quelque chose d’automatique. L’amour de Dieu, ce n’est pas une loi de la nature, c’est un choix de son cœur envers moi, qui fait de moi son élu au milieu de son peuple élu. L’élection d’un peuple au cours de l’histoire, puis de tous ceux qui auront foi au Christ, me rappelle que si je peux aimer Dieu, c’est qu’il m’a choisi, que son cœur me cherche. Enfin, pour vivre en choisi, il ne suffit pas d’un rappel théorique. Si nous voulons connaître l’amour de Dieu pour nous, faisons à Dieu une prière de reconnaissance pour avoir été choisi, élu de son cœur. C’est ce que Dieu demande à son peuple depuis 4000 ans, dont nous avons témoignage tout au long de l’Ancien puis du Nouveau Testament.

 

Le geste que nous sommes seul à pouvoir faire

homélie du 10 août 2008

Il nous arrive de crier vers Dieu dans la détresse, soit à cause d’un événement pénible qui nous arrive, soit à cause d’un état d’âme douloureux. La démarche que font Élie au mont Sinaï et les apôtres au milieu du lac de Tibériade nous instruit sur la rencontre de Dieu dans ces moments-là.

Élie, qui avait connu une manifestation éclatante de Dieu en sa faveur, arrive à l’Horeb avec une grande plainte au cœur. Il avait même eu l’intention de se laisser mourir de faim dans le désert ; et quand il décrit sa situation, il noircit encore le tableau : je suis resté seul à te servir ! (1Rois 19,10) Les apôtres, quant à eux, sont aux milieu des difficultés de la mer démontée, ils ne pensent plus à Jésus resté sans barque sur le rivage qu’ils ont quitté. Ils ne se souviennent plus. Élie comme les apôtres ont perdu le contact avec la réalité de ce que Dieu a déjà fait pour eux.

L’épreuve nous centre sur nous-mêmes et nous fait perdre contact avec la réalité du monde et de la présence de Dieu. Spontanément, nous accordons une importance démesurée à nos problèmes. Nous ne voyons plus que notre mal ; nous serions même près de dire : qu’importe si le reste du monde continue à tourner, puisque je me sens mal, puisque je souffre !

Élie, comme les apôtres, devront vivre un décentrement d’eux-mêmes, il devront accepter de tourner leur regard vers Dieu, vers Dieu qui ne vient pas comme ils l’avaient prévu. Élie, le spécialiste en manifestations grandioses de Dieu, devra accepter que Dieu ne soit pas dans l’ouragan qui fendait les montagnes, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le bruit d’un souffle léger. Élie accepte cela, en sortant de sa caverne, en se tenant enfin devant le Seigneur.

Les apôtres ont encore plus de mal, car ils sont tellement concentrés sur eux-mêmes que lorsque Jésus vient, ils le prennent pour un fantôme, une réalité ennemie, à qui il est hors de question d’ouvrir son cœur. Jésus devra les apprivoiser, d’abord par sa parole : confiance, c’est moi ! Puis par son appel : viens à ma rencontre ! Puis en saisissant Pierre qui se met à couler.

Au long de ces récits, nous voyons les pas que Dieu fait vers chacun, et qui doivent être accompagnés des pas que chacun fait vers Dieu. Dans la détresse, il est primordial que nous choisissions de nous décentrer de nous-mêmes pour nous ouvrir à Dieu qui vient à nous. C’est spécialement difficile dans les situations douloureuses, mais c’est le pas qui doit venir de nous, que Dieu ne peut pas faire à notre place. Comme on dit parfois : la porte de notre cœur ne s’ouvre que de l’intérieur.

Encore un mot, si nous pensons que c’est trop difficile de nous décentrer de nous-mêmes pour nous ouvrir à Dieu : Dieu fait que ce décentrement puisse être progressif, il n’attend pas que nous soyons tout ouvert à lui pour nous sauver. Ainsi, Pierre est encore très accaparé par ce qui lui fait peur quand Jésus l’invite à marcher à sa rencontre. Ce qui est important c’est que nous choisissions de ne plus nous regarder nous-mêmes et ce qui nous pèse, et que nous choisissions de fixer notre regard vers la réalité bien plus grande que notre détresse : le Dieu qui a créé le monde est là, à la porte de mon cœur.

Un mot pour finir, du début de l’évangile. Quand Jésus eut renvoyé les foules, il se rendit dans la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. (Mt 14,23) Prenons du temps pour contempler Jésus à la recherche de son Père. Après un grand événement, un tournant dans sa mission, la multiplication des pains, Jésus s’unit à son Père à l’écart dans le silence. Quand il nous parle du Père, ce n’est pas des paroles théoriques, c’est une personne vivante qu’il recherche sans cesse. Alors, allons nous mettre tout près de Jésus qui prie son Père dans le secret, et à force de le regarder faire, imitons-le.

 

Homélie du mariage de Julie et Quentin : bâtir sur le roc

Quentin et Julie, vous voulez être des gens qui construisent leur vie sur le roc, pour pouvoir affronter tous les périls de la vie en sachant ce que vous cherchez au fond de vous-mêmes et sur quoi vous appuyer.

On pourrait dire bien des choses à propos de ce roc sur lequel vous voulez construire votre maison. J’en retiendrai trois : il est d’abord vos dispositions spontanées, naturelles ; il est ce que Dieu vous offre ; il est ce que vous choisirez.

I. Ce roc, c’est votre disposition à aimer toujours. Le cœur humain est fait pour ça. C’est une disposition naturelle et il serait odieux de dire à quelqu’un : je t’aime pour un moment, tant que cela me convient. Agir ainsi serait aller contre quelque chose de très précieux en nous. L’amour est un engagement de la personne, bien au-delà de l’utilité.

II. Ce roc c’est aussi ce que Dieu vous offre, ce sacrement de mariage. Un sacrement, c’est une action de Dieu. L’action de Dieu ici est double. La première, on y pense plus souvent : c’est que Dieu s’engage envers vous, il s’engage à soutenir votre amour. L’aventure de votre cœur lui est très chère, il veut veiller dessus, et la sauver. Votre amour a en effet besoin aussi d’être sauvé, et vous remarquerez que parfois votre capacité d’aimer est un peu malade, que vos blessures ou de la mauvaise volonté ne vous ont pas fait aimer l’autre comme il aurait fallu. Pensez que Dieu vous sauve, que vous n’êtes pas obligé de répéter toujours les mêmes échecs.

La seconde action de Dieu, on le dit moins, c’est de vous rendre témoins de son amour à lui. Par le mariage, votre amour n’est plus simplement votre affaire à vous deux, il devient un élément important de la vie de l’Église et de tout croyant. L’un pour l’autre, vous serez témoins de l’amour que Dieu vous porte à chacun. Et pour nous tous vous serez témoins de la force de l’amour de Dieu, de la façon dont il s’éprend de nous passionnément. Pour vos enfants spécialement, vous serez les premiers ambassadeurs du cœur de Dieu. C’est sûrement à cause de cette représentation de l’amour de Dieu que Jésus a voulu le mariage indissoluble. Car l’amour de Dieu ne se reprend pas. Et l’Église n’a pas encore trouvé de moyen de faire cesser un mariage qui aurait été valide. Ainsi, même les personnes séparées peuvent continuer à témoigner de cette fidélité de l’amour de Dieu.

III. Revenons au roc. Il est votre disposition à aimer toujours, il est le sacrement de mariage que Dieu vous donne. Il est aussi les choix que vous êtes prêts à faire. Choix, décision... Pourquoi parler de cela ? Parce que l’amour ne repose pas seulement sur le sentiment mais aussi sur la volonté. On ne le sait plus dans notre monde, on croit que l’amour dure tant que dure le sentiment. Mais non, l’amour est aussi choix, décision. Dans un couple il arrive des moments où le sentiment n’est plus au rendez-vous. Mais on peut encore choisir d’ouvrir son cœur à l’autre, de le prendre dans son cœur, de vouloir lui être uni. Non par nécessité, non par peur d’être seul, non par soumission, mais par choix. Lorsqu’on fait cela, un sentiment nouveau commence à naître, plus profond, un attachement qui donne davantage la vie. Ainsi je vous demande de choisir de vous aimer, quels que soient vos états d’âme.

Ce choix d’aimer, il y a un moment où il est spécialement fort, c’est le jour où nous avons à pardonner à notre conjoint une attitude, une parole, une réaction ou un silence... Tout au long de votre vie vous aurez à vous pardonner l’un à l’autre. Sur la terre, il n’y a pas d’amour parfait, irréprochable. L’amour que l’on s’échange sur terre est un amour à pardon, comme il y a les moteurs à essence. Notez que pardonner, ce n’est pas excuser ; on peut très bien pardonner à quelqu’un qui est inexcusable. Parce que pardonner n’est pas dire : je te comprends, je vais essayer d’oublier... Pardonner, c’est dire à l’autre : même si tu m’as fait si mal, je veux t’aimer par-delà ce que tu m’as fait, je ne veux pas que ta mauvaise action limite mon amour. Pardonner, c’est faire remporter une victoire à l’amour.

Un autre grand moment où on fait le choix d’aimer, c’est lorsqu’on s’engage délibérément dans la voie de la reconnaissance, du merci. Il n’y a rien qui fait grandir plus l’amour que la reconnaissance, comme il n’y a rien qui l’abîme plus que l’ingratitude. Passez du temps à vous émerveiller de ce que l’autre est et de ce qu’il fait pour vous. Arrêtez-vous, n’entrez pas dans la routine, choisissez de vous émerveiller de l’autre. Et même lorsqu’il sera souffrant et tout abîmé, portez encore sur lui ce regard d’émerveillement qui le réchauffera et qui est celui de Dieu sur chacun de nous.

La première chose dont vous pouvez être reconnaissant, c’est que l’autre ait bien voulu partager votre vie. Dites-lui souvent merci d’être là, à vos côtés. Ne vous habituez jamais à cela. Et dites-lui merci pour tant de choses. Je connais un couple âgé où le mari, à la fin de chaque repas, se lève pour déposer sur le front de son épouse un tendre baiser, en lui disant merci pour le repas qu’elle a préparé. Ça change bien des maris ou des épouses qui estiment que tout leur est dû ! A chacun de trouver les gestes, les occasions nombreuses pour dire à l’autre « merci ». C’est ainsi que votre amour grandira ou se réveillera. Choisissez d’être contents l’un de l’autre : « je suis content que tu sois ma femme — je suis content que tu sois mon mari » ! Ah, si vous pouviez vous le dire souvent, même quand il y a une femme ou un homme qui paraît plus agréable un peu plus loin !

Si vous prenez ce chemin, en vous appuyant sur Dieu, en choisissant d’aimer, dans le pardon et la reconnaissance, alors vous aimerez en acte et en vérité. Alors vous ferez vraiment ce pour quoi vous existez : construire dans la fidélité un amour de plus en plus grand.

 

Comment moderniser l’Église ?

fête de saint Pierre et saint Paul

Nous connaissons bien le martyre de Pierre à Rome, sans doute sous Néron. Nous savons moins qu’il a échappé de très peu à la mort longtemps avant, vers 43. Hérode a fait décapiter l’apôtre Jacques et s’apprête à le faire pour Pierre. Mais cela ne se passe pas ainsi. Tandis que Pierre se trouve enchaîné en prison, entouré de gardiens, l’ange du Seigneur vient le délivrer (Ac 12, 1-11). Quelques années auparavant, au jardin des Oliviers, Pierre avait voulu prendre la défense de Jésus qui lui dira : rentre ton épée, ne sais-tu pas que je pourrais disposer de douze légions d’anges de la part de mon Père (Mt 26,53) ? Jésus s’était laissé livrer, pour réaliser dans l’offrande de lui-même la réconciliation de chaque homme avec le Père. Pour Pierre, bien qu’il semble prêt à perdre sa vie — nulle trace de panique dans son attitude —, ce n’est pas le moment. Il lui faut encore rendre abondamment témoignage par sa parole et par ses gestes. Jésus n’avait il pas dit que nos cheveux sont tous comptés, que nous n’avons pas à craindre ceux qui nous veulent du mal ? Pierre a encore une longue mission devant lui pour témoigner de Jésus.

Saint Paul aussi atteste que le Seigneur l’a assisté bien des fois quand tous l’abandonnaient (2Tm 4, 6-8.16-18). Mais après avoir témoigné de bien des façons en faveur du Christ, après avoir laissé le Seigneur fonder sur eux son Église, Pierre et Paul rendront le témoignage suprême, par le don de leur vie à cause de leur foi. Alors il n’y aura plus d’ange pour les assister, sinon pour les aider à aller jusqu’au bout.

Notre foi se fonde sur le témoignage des apôtres, et nous sommes assurés de la fiabilité de leur parole par le fait qu’ils sont allés jusqu’à renoncer à leur vie à cause de cela. Maintenant, l’Église poursuit ce témoignage rendu au Christ, comme elle le fait depuis le commencement. C’est pour cela qu’elle existe d’ailleurs.

De nos jours, la foi semble si difficile à transmettre. L’Église se heurte au monde moderne, et elle n’est pas seule dans le cas : toutes les religions souffrent de cette confrontation à un monde où « Dieu ne compte pas, même s’il existait. » (J. Ratzinger, Le sel de la terre, p.207) Dans l’islam cela se traduit notamment par un intégrisme violent, comme pour refuser cette modernité si menaçante. Les chrétiens ont tendance à souffrir en silence, mais ils souffrent vraiment de voir leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs amis se désintéresser de ce qui est pour eux si important dans la vie : Dieu.

Pour remédier à la difficulté du témoignage de l’Église envers le monde moderne et spécialement les jeunes, certains ont proposé de « moderniser » l’Église catholique. N’est-il pas vrai que si enfin dans l’Église on acceptait d’ordonner des hommes mariés et des femmes, si on devenait plus libéral en matière de morale sexuelle ou autre, l’Église pourrait être plus percutante dans notre monde?

Nous avons la chance que notre monde est aussi un vaste laboratoire, et que cette façon de vivre dans l’Église a déjà été expérimentée par beaucoup d’Églises protestantes. Nous voyons pourtant que ces Églises ont autant — et même plus — de mal à proposer la foi. Ainsi, les pays du nord de l’Europe, en majorité protestants, sont ceux où la jeunesse a le moins d’intérêt pour les questions religieuses. La Suède présente la pratique religieuse la plus basse du continent. C’est au Danemark que les gens estiment le moins que les Églises apportent une réponse aux besoins moraux, sociaux et familiaux (Actualité des religions, déc. 2002) En Pologne, huit jeunes sur dix affirment qu’ils continueront à vivre selon la foi transmise par leurs parents. Par comparaison, seulement un jeune allemand sur cinq marche dans les sillons spirituels tracés par ses parents (www.blogdei.com)

On le voit bien, ce n’est pas le chemin par lequel l’Église catholique peut espérer mieux rendre témoignage au Christ. Je crois que si nous voulons rendre ce témoignage comme Pierre et Paul, nous devons chercher à avoir le même cœur brûlant qu’ils ont eu pour Jésus. Et ce cœur brûlant, nous l’obtiendrons en faisant du Seigneur le sujet le plus important de chacune de nos journées. Ce n’est pas assez de faire de notre foi un « plus », un « supplément d’âme ». C’est au centre de chacune de nos journées que nous devons mettre la personne du Christ. Alors, et en offrant sans amertume la souffrance de voir nos proches s’éloigner du Christ, nous pouvons espérer que le témoignage de l’Église redevienne percutant et intéressant pour les jeunes générations.

 

Aimer quand on ne sent plus

homélie de la messe des étudiants du 25 juin 2008

Quand le peuple d’Israël redécouvre ce que Dieu veut pour lui, il aperçoit qu’il s’agit d’une alliance, c’est-à-dire d’une union. Dieu cherche l’union avec son peuple. Et on raconte comment le roi « conclut l’Alliance en présence du Seigneur : il s’engageait à suivre le Seigneur en observant ses ordres, ses préceptes et ses commandements, de tout son cœur et de toute son âme. Et tout le peuple entra dans l’Alliance. » (2Rois 23,3)

C’est une surprise pour nous de découvrir que l’union avec Dieu se dit avec des mots comme “observer ses ordes, ses préceptes et ses commandements”. Cela a fait penser à beaucoup que l’alliance avec Dieu, ce n’est pas tellement une union d’amour, mais plutôt un pacte.

Pourtant quand on veut prouver son amour à quelqu’un, bien qu’on puisse lui montrer qu’on a de grands sentiments pour lui, l’argument le plus valable seront toutes les décisions qu’on a prise en sa faveur, tout les efforts qu’on a fait pour se rapprocher de lui, pour le comprendre, pour lui être disponible. L’amour se vit en actes. Et pouvoir se dire : je fais attention à ce que Dieu me demande, cela vaut tous les beaux sentiments dans la prière.

Cela fait du bien de ressentir quelque chose pour ceux qu’on aime, pour Dieu aussi, mais parfois on aime profondément la personne tout en ne sentant plus rien. On l’aime parce qu’on fait des choix pour elle. Vis-à-vis de Dieu aussi, bien que je vous souhaite de ressentir beaucoup d’amour, il y a des moments où vous saurez simplement que vous aimez Dieu parce que vous pouvez dire : Seigneur, je te suis, je choisis ce que tu aimes et je refuse ce qui te déplaît, j’observe tes préceptes...

Vous voyez, ce n’est pas tellement bizarre de parler d’alliance, d’union d’amour, et en même temps de commandements et de préceptes. Et c’est seulement quand nous sommes prêts à suivre le Seigneur ainsi que nous porterons des fruits éternels dans notre vie.

Pour illustrer ces quelques mots, je voudrais vous lire une lettre de Vincent Lebbe, un religieux belge missionnaire en Chine au début du XX° siècle, et dont je souhaite qu’il soit bientôt saint. Voici...

→  Vincent Lebbe

 

 

On croit en Dieu pour être plus audacieux...

homélie du 22 juin 2008, 12°dimanche

Jérémie doit annoncer des choses désagréables, et se fait des ennemis. Jésus ne nous met pas dans une situation différente : il fait de nous les témoins de ce qu’il nous dit dans le secret et nous demande de ne pas craindre ceux qui nous en veulent.

« Ce que je vous dit à l’oreille, proclamez-le sur les toits ! » (Mt 10,27) Faisons un petit retour sur nous-mêmes pour nous demander : qu’est-ce que le Seigneur me dit à l’oreille ? Je ne crois pas qu’il s’agisse souvent de paroles. Mais d’états intérieurs qui sont la trace de Dieu près de nous. Dans quelles circonstances, après quelles actions ou résolutions ai-je senti cette paix intérieure que seul le Saint-Esprit peut procurer ? C’est cela que Dieu nous dit à l’oreille... Qu’est-ce qui, dans ma vie, au-delà de toutes les satisfactions que j’ai cherchées, m’a donné cette joie et ce contentement du cœur que seul Dieu peut donner lorsqu’on suit ses chemins ? Il me semble que le Seigneur nous parle à l’oreille bien souvent en nous encourageant simplement sur le chemin du vrai, du beau, du grand, sur le chemin de l’amour.

Et cela que le Seigneur nous a dit à l’oreille, proclamons-le, faisons-nous les porte-parole de la vérité que nous avons trouvée dans notre vie en suivant la loi de Dieu inscrite au plus profond de notre cœur.

Nous avons besoin d’hommes et de femmes qui se lèvent dans notre monde qui tâtonne si souvent. Qui se lèvent pour aimer le Christ et le faire aimer, pour proposer son modèle de vie, pour dire qu’il est notre sauveur et que nous ne sommes pas condamnés à répéter nos échecs et nos refus d’aimer ou nos peurs. Qui se lèvent pour montrer à notre jeunesse la noblesse de l’amour, qui est bien plus que ce qu’en montrent les films ou les magazines de jeunes, qui est bien plus que le sentiment agréable qu’on peut suivre pour s’occuper et se faire plaisir. Nous avons besoin de gens qui renoncent à la satisfaction immédiate et au bonheur sans effort, de gens qui donnent par leur exemple et leur parole le goût de servir, de s’engager, de payer de sa personne en faveur des autres.

Tout cela, Jésus nous avertit que cela nous coûtera. Parce que ce n’est pas naturel pour nous de vivre ainsi, et que cela suscitera du refus autour de nous. Mais pour le chrétien, la foi n’est pas d’abord source de confort, elle est source d’audace, pour prendre des risques dans le monde.

Cet accueil de notre mission de prophète à contre courant n’est pas facultatif, ce n’est pas pour les chrétiens de luxe. Nous avons tous à nous prononcer pour Jésus devant les hommes, devant tous ceux que nous côtoyons. Je ne dis pas qu’il faut leur casser la tête avec le Seigneur, mais nous pouvons tout simplement dire à Dieu : “donne-moi des occasions de me prononcer en ta faveur”. Et puis ne pas nous dérober quand l’occasion vient...

Lorsque Jésus nous annonce une protection spéciale du ciel, c’est en faveur de ce témoignage qui peut nous mettre en difficulté : « soyez sans crainte, vous valez bien plus que tous les moineaux du monde. » (Mt 10,31) Si nous demandons l’aide de Dieu, ce n’est pas pour que les souffrances communes nous soient évitées (d’ailleurs on voit bien que les chrétiens ont autant de malheurs que les autres), mais pour que nous ne soyons pas submergés par la peur ou les soucis, pour que nous ne tombions pas dans les difficultés, pour que nous ne renoncions pas dans les combats pour la justice et la tendresse.

Dieu ne veut pas que nous soyons seuls, il ne nous a pas créés pour la solitude qui accable l’âme. Il est avec nous. Je fais le vœu que dans toutes les circonstances de notre vie nous puissions nous appuyer sur sa présence : affirmer à notre cœur qu’il est là comme notre Père et qu’il veille intensément sur nous. Conduire aussi notre cœur à chercher son amitié, son intimité qui lave de l’insatisfaction et du repli.

 

Mais qu’est-ce qu’on fera dans la vie éternelle ?

messe des étudiants, 4 juin 2008

Vivre le temps présent en regardant vers la vie éternelle, cela semble une attitude dépassée, bonne pour quand la vie était si dure qu’on avait besoin de se consoler et de s’échapper comme on le pouvait. Aujourd’hui, je ne m’étonnerais pas que cela semble suspect de penser à la vie éternelle quand on a vingt ans ou quarante ans. Ça ne vient plus à l’idée de parler des bonheurs de la vie comme de “choses qui passent” et qui sont sans valeur.

À vrai dire, c’était sûrement une mauvaise stratégie que de dénigrer les bonheurs de la terre pour faire resplendir ceux du ciel. Oui, les bonheurs du ciel sont clairement supérieurs... mais c’est surtout quand on les voit du ciel ! Ils demandent, pour être savourés, de purifier nos désirs, et c’est un travail que tout le monde n’entreprend pas.

Pour la fête de sainte Catherine de Sienne on disait jadis : « les biens qui passent ne sont pour elle que de la boue ». Aujourd’hui, le missel demande plus justement qu’ « en faisant un bon usage des biens qui passent, nous puissions déjà nous attacher à ceux qui demeurent. »

On le voit, même s’il ne s’agit plus de dénigrer la vie présente, il reste qu’un chrétien est quelqu’un qui regarde vers les biens qui demeurent dans la vie éternelle. Et il ne fait pas que regarder : il commence à en vivre. Dans une autre prière nous disons à Dieu : « dans cette existence de chaque jour que nous recevons de ta grâce, la vie éternelle est déjà commencée » (6°préface des dimanches).

Donc nous pouvons déjà goûter le bonheur du ciel. Mais quel est-il ? Quand on regarde le grand commandement que Jésus nous donne — aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même — on devine que le bonheur du ciel sera un profond bonheur d’amour, le bonheur d’aimer et d’être aimé, très intensément. Pourtant, dans l’évangile aujourd’hui (Mc 12,18-27) ça semble mal parti. Ce qui aux yeux de beaucoup est le sommet de l’amour : l’union de l’homme et de la femme qui leur permet à l’occasion d’avoir des enfants, cela n’existera plus au paradis. « Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne se marie pas, mais on est comme les anges dans les cieux. »

Dans ce contexte, est-ce que je ne risque pas de prétendre que l’amour n’est pas l’amour ? Je crois pourtant que l’amour de l’homme et de la femme est donné à beaucoup comme tremplin vers l’amour tel qu’il est pratiqué dans la résurrection. Un tremplin à condition de ne pas se fourvoyer dans les méandres de la convoitise, dans le désir de l’autre qui se fixe sur les satisfactions que l’on peut recevoir et procurer. L’amour est beaucoup plus, il vise tout l’être, le mystère éternel de l’autre. Et il est reconnaissance, action de grâce pour l’autre.

Dans la vie éternelle, on n’épouse pas et on n’est pas épousé, l’amour exclusif laisse place à un autre amour. Cet amour se réjouit de la beauté des êtres sans les avoir à soi. Ce n’est pas une simple camaraderie, et les saints ne vivent pas comme une bande de copains. Leur amour mutuel est plus grand que le plus intense des amours de la terre, puisque dans le ciel les choses ne peuvent quand-même pas être moins intenses qu’ici... Mais toute la dimension de possession a laissé la place à la contemplation, comme on le dit de l’amour envers Dieu.

Je vous dis tout cela pour que vous ne craignez pas de vous ennuyer au ciel, et aussi pour qu’à travers ce que vous vivez dans la vie d’aujourd’hui vous appreniez à aimer d’une façon vraiment éternelle. Autant commencer tout de suite, c’est plus prometteur.

 

Les liens de la Trinité

homélie de la fête de la Trinité

Pour cette fête de la Trinité je voudrais nous aider à nous émerveiller de la Trinité. Car la Trinité, est un mystère à savourer et à expérimenter, on ne fait pas grand’chose tant qu’on ne cherche qu’à le comprendre seulement avec l’intelligence.

Dans la première lecture, Dieu se présentait comme « Yahvé, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité ». Cette tendresse, cet amour, cette fidélité, Dieu ne la met pas seulement en œuvre à l’égard des hommes. Il la vit en lui-même. Il est tendresse, il est amour.

Le mystère de la Sainte Trinité, c’est le mystère de l’amour qui est en Dieu, de l’amour vécu entre le Père et le Fils par le Saint-Esprit. Sur la terre nous vivons des relations toujours imparfaites, mais nous pouvons contempler en Dieu une relation parfaitement vécue. Non pas pour nous évader, mais pour garder notre cœur actif et éveillé, pour nourrir notre espérance, pour agir et réagir dans le monde en sachant que c’est un amour qui l’a voulu et qui lui donne son sens.

Nous contemplons la Trinité lorsque nous imaginons les rapports entre le Père, le Fils, l’Esprit, et que nous pensons à ces rapports comme si nous les vivions nous-mêmes. Comment mon cœur réagit-il lorsque je pense à la générosité du Père qui remet tout dans les mains du Fils ? Quelle est la joie du Fils de tout recevoir du Père, de vivre cette complicité avec lui ? Et ainsi de suite.

Lorsqu’on explique l’icône de la Trinité de Roublev, on dit souvent qu’il semble y avoir une quatrième place à table, comme une invitation à ce que nous participions à ce repas qui unit les trois Personnes. Nous sommes donc appelés à avoir avec Dieu les rapports qui existent dans la Trinité. C’est d’autant plus clair que lorsque Dieu veut nous faire un don, il nous fait le don le plus précieux : son Esprit. C’est l’Esprit d’amour du Père et du Fils, l’amour circulant entre le Père et le Fils qui nous est donné. Nos rapports avec Dieu peuvent donc être ceux de confiance et de reconnaissance que Jésus montre envers son Père.

Il arrivera que nous ne nous sentirons pas digne d’avoir avec le Père les rapports de son Fils. C’est normal puisque nous avons besoin d’être sauvés. Quel que soit le jugement de notre conscience sur nous-mêmes, l’intimité du Père peut être retrouvée, Dieu a envoyé son Fils sauver le monde.

La Trinité ne nous invite pas seulement à un rapport d’amour avec elle, mais aussi à imiter entre nous les rapports qui l’unissent. L’émerveillement du Fils pour ce que fait son Père et pour ce qu’il est, nous pouvons aussi le cultiver entre nous. Quand Jésus dit au Père « tout ce qui est à toi est à moi, tout ce qui est à moi est à toi », nous trouvons un encouragement à vivre mieux la dépossession de nos biens en faveur de ceux avec qui nous voulons tisser une relation. La générosité du Père, la reconnaissance du Fils, nous pouvons les imiter dans nos rapports entre nous.

Tout au long de l’année, dans la liturgie, dans la prière, dans la lecture, nous aurons l’occasion de deviner les liens qui unissent les trois personnes de la Trinité. Nous y trouverons alors des moyens pour enrichir notre prière et nos relations avec les autres.

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Tout autre chose maintenant : cette semaine a lieu l’élection du Conseil Pastoral et je voudrais évoquer une trilogie, trois mots qui pourrons éclairer notre vote pour cette élection. Les personnes que nous choisirons pour ce conseil auront un triple rôle parmi nous : selon le bon mot de Pierre, elles seront veilleuses, éveilleuses, réveilleuses.

Nous avons besoin de veilleurs, de gens qui seront attentifs aux besoins de notre communauté et aux besoins du monde, et qui pourront répercuter ces besoins dans les débats du conseil. Plus la vue sera large, mieux ce sera, car le conseil ne doit pas être le rassemblement des délégués de tel ou tel organe de la paroisse.

Nous avons besoin d’éveilleurs, de gens qui en éveillent d’autres à leur mission. Il y a beaucoup de talents cachés dans la paroisse, alors qu’on a toujours tendance à solliciter les mêmes personnes. Le conseil pastoral est un conseil d’éveilleurs qui mettent en route de nouveaux acteurs au milieu de nous.

Et finalement nous avons besoin de réveilleurs, pour éviter de nous endormir dans nos fonctionnements ou de ronronner, pour que nos engagements soient toujours plus évangéliques et plus enracinés dans l’Église.

Quand nous parcourrons les 600 noms du bulletin de vote, après avoir prié pour demander l’Esprit Saint, demandons-nous: qui sera un bon veilleur, un bon éveilleur, un bon réveilleur.

 

l’accomplissement des Écritures

homélie de la messe des étudiants du 14 mai 2008

Comme elle nous paraît étrange, cette mention de l’accomplissement des Écritures ! Elle nous laisse croire que tout ce qui est arrivé à Jésus, tout ce que Judas a fait aussi, cela était déjà écrit, c’est un destin préétabli. Cette première impression va à l’encontre de tout ce que nous dit la Bible sur la liberté que Dieu donne à l’homme pour se déterminer lui-même vers son bien. Essayons donc de voir les choses autrement.

Que veut dire le « il fallait que l’Écriture s’accomplisse » ? C’est une exigence liée au statut de Jésus dans la foi des juifs devenus chrétiens. La première communauté voit en Jésus celui qui accomplit la promesse que Dieu a faite à son peuple, qu’on peut retrouver dans les Écritures. Si Jésus est celui que Dieu promettait depuis Moïse, alors forcément il doit accomplir les Écritures.

Si on lisait l’Ancien Testament avec le projet d’en extraire ce que serait la vie du Messie, sûrement on pourrait faire un millier de plans différents. Le destin de Jésus et de ses apôtres n’est pas écrit d’avance, mais ce qu’ils vivent n’est pas la dernière religion à la mode, la dernière invention de l’année: c’est le couronnement de l’attente d’Israël, c’est l’accomplissement des Écritures. Et comme pour bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas de considérer les événements comme écrits d’avance, les évangélistes utilisent peu les versets les plus évocateurs de l’Ancien Testament. Par exemple, le chant du serviteur souffrant, qui parle du Serviteur de Dieu maltraité, qui n’ouvre pas la bouche, qu’on enterre au milieu des enrichis... Ce chant n’est que très peu cité, tandis que c’est à propos d’événements inattendus que l’accomplissement est explicitement mentionné, comme dans le cas de ce tirage au sort.

Cette façon de présenter les choses, au lieu de nous dire que tout était programmé, indique plutôt que ce qu’on est en train d’innover est conforme à l’action que l’on connaît de Dieu depuis “toujours”.

Le tirage au sort nous a aussi intrigués. Je ne sais pas si Pierre et Luc ont été désignés comme ça pour venir à Louvain-la-Neuve, ou si on a choisi Claire ainsi parmi tous les candidats... En tous cas, ici, il y avait deux candidats également disposés, et selon les critères de discernement habituel qui nous sont donnés, ceux de l’intelligence et du bon sens, on ne pouvait les distinguer, tous deux étaient « des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis son baptême par Jean jusqu'au jour où il nous a été enlevé ». Il fallait bien trancher entre ceux qu’on avait déjà élu. Pourquoi ne pas donner à Dieu de s’exprimer, s’il le veut. Alors on tire au sort, selon une pratique courante dans les communautés nouvelles de l’époque...

Dans l’évangile, quand Jésus nous dit « vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande... » nous nous sommes dit: si quelqu’un me disait ça, il ne serait pas mon ami !

Quel est le sens de ce petit “si”? Au lieu de voir Jésus nous offrir une amitié conditionnelle, nous pouvons plutôt le voir en train de nous rendre capables d’être ses amis. L’amour, l’intimité avec Dieu ne sont pas une affaire de sentiments mais ils sont marqués par ma façon de vouloir, de désirer les choses. Des amis, disaient les anciens, sont ceux qui veulent la même chose et rejettent la même chose (idem velle, idem nolle). Cette convergence du désir, de la volonté est la clef de toute amitié profonde. Je crois que c’est ainsi qu’on peut comprendre l’évangile : celui qui aime le Christ veut ce que le Christ veut, parce qu’il l’aime, et parce qu’il veut l’aimer plus encore, être encore plus proche de son cœur. La recherche d’intimité, d’amour et l’accomplissement des commandements vont de pair : parce que je t’aime, et pour t’aimer, je cherche à aimer ce que tu aimes et à fuir ce que tu n’aimes pas.

Et finalement, le Christ résume ainsi ce qu’il aime: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Et il donne la mesure de cet amour: donner sa vie pour ses amis.

Aimer, bien au-delà du simple respect ou de la politesse, c’est se laisser toucher par l’autre en tant que personne — non pas seulement un individu, mais une personne humaine. Et en me laissant toucher, je deviens capable de libérer en moi une véritable énergie d’amour.

 

je veux aimer ce que tu aimes

homélie du 6°dimanche de Pâques

Ce n’est pas toujours facile de bien saisir comment amour et commandements se combinent dans nos rapports avec Dieu. Certains schématisent l’histoire de l’Église en deux périodes ; dans la première Dieu était présenté comme celui qui nous impose durement ses commandements et nous examine d’un œil de juge, tandis que dans la seconde, aujourd’hui, nous apprenons que Dieu nous aime et n’est que tendresse... et nous ne savons plus très bien quelle place donner à ses commandements. Au milieu de cette perplexité, nous entendons ces paroles de Jésus : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements... Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. » (Jn 14,15.21)

En entendant cela, nous pourrions avoir l’impression que l’amour de Dieu est conditionné, comme si Jésus disait : celui qui m’aime et qui le prouve en étant fidèle à mes commandements, c’est celui-là qui sera aimé de mon Père... Et aussi : vous ne pourrez penser que vous m’aimez que si vous observez mes commandements. Or tous les chrétiens qui n’ont pas perdu leur bon sens savent bien qu’ils ne peuvent pas se présenter devant le Christ en disant : j’ai fait sans cesse tout ce que tu m’as demandé. Alors, pouvons-nous dire au Seigneur que nous l’aimons ? Par ailleurs il a pu arriver que nous fassions l’expérience, dans notre enfance, d’un amour conditionnel : “je t’aimerai si tu es sage, si tu m’obéis.” C’est blessant d’être traité ainsi, et ces blessures peuvent altérer notre compréhension de l’évangile. Dieu, finalement, m’aime-t-il mieux que ceux qui ont mis des conditions à leur amour et ne m’ont pas appris que je méritais d’être aimé sans condition ?

Pour sortir de ces impasses considérons d’abord que celui qui nous parle ainsi dans l’évangile est aussi celui qui vient de la part du Père nous aimer, renouer des liens avec les pécheurs qui ne se croient plus dignes de Dieu et finalement donner sa vie pour tous, y compris ses persécuteurs. Dans le silence de Jésus devant ses accusateurs et sur la croix, on voit bien que l’amour de Dieu est inconditionnel. Il ne discute pas, il aime.

S’il nous faut donc purger notre imaginaire de cette impression que Dieu nous aime en fonction de nos actes, pour la remplacer par l’idée que Dieu nous aime parce qu’il est amoureux de nous, quelle place donner aux commandements ? « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements... Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime... » L’amour, l’intimité avec Dieu ne sont pas une affaire de sentiments mais ils sont marqués par ma façon de vouloir, de désirer les choses. Des amis, disaient les anciens, sont ceux qui veulent la même chose et rejettent la même chose (idem velle, idem nolle). Cette convergence du désir, de la volonté est la clef de toute amitié profonde. Je crois que c’est ainsi qu’on peut comprendre l’évangile : celui qui aime le Christ veut ce que le Christ veut, parce qu’il l’aime, et parce qu’il veut l’aimer plus encore, être encore plus proche de son cœur. La recherche d’intimité, d’amour et l’accomplissement des commandements vont de pair : parce que je t’aime, et pour t’aimer, je cherche à aimer ce que tu aimes et à fuir ce que tu n’aimes pas.

Pour finir, un mot sur l’Esprit de vérité. Il est celui qui affirme à nos cœurs la vérité sur la vie, sur notre vie, sur celle des autres aussi. Et d’abord, par-delà tous les découragements, l’Esprit nous rappelle, quand nous l’accueillons et lui faisons honneur, cette vérité fondamentale de notre être : nous existons car un amour nous a voulu. Déjà la vie humaine nous l’indique, car beaucoup de bébés naissent de l’amour de leurs parents. Mais plus profondément, quand on parle d’un Dieu créateur, on dit qu’un amour préside à notre origine ; et la vocation de tout homme au baptême vient souligner cette vérité sur chacun : être regardé par Dieu comme enfant bien-aimé. Quand nous avons du mépris pour nous-mêmes ou pour les autres, que l’Esprit de vérité nous rappelle la vérité de notre être créé par amour, créé pour recevoir et donner l’amour.

Cet Esprit de vérité, cet Esprit d’espérance et d’amour, « le monde est incapable de le recevoir ». Jésus ne l’explique pas, mais nous pouvons le constater nous-mêmes, lorsque nous nous heurtons au cynisme, lorsque nous entendons des messages affirmant que ce qui nous paraît le plus beau, le plus grand, le plus sacré, n’a pas de valeur. Que ce soit la solidarité entre les peuples, la valeur inviolable de la vie, l’éternité de l’amour ou la tendresse de Dieu, nous sommes désarçonnés de voir tout cela contredit et battu en brèche si souvent autour de nous. Pourtant, ne soyons pas inquiets, c’est ainsi depuis Jésus, et même bien avant lui. Ne soyons pas inquiets outre mesure, et allons de l’avant, en étant des entêtés de l’Esprit Saint.

 

la parabole des talents

homélie d’une veillée de prière pour les couples

Ce soir, en priant pour la fidélité dans le couple, nous voici amenés à réfléchir sur cette parabole des talents (Mt 25). Les talents reçus, quels sont-ils ?

Ce qui y correspond le mieux, c’est le don de notre vie, et aussi, ce qui en fait le cœur : notre capacité à aimer. Je ne dirais pas que c’est le couple qu’on vit, car on n’en est qu’à moitié responsable, même si c’est déjà beaucoup. Ces talents, c’est quelque chose qui nous est donné, qui devient véritablement à nous — bien que nous n’en sommes pas les créateurs — et dont nous répondons intégralement.

On en reçois cinq, deux ou un. Il n’y a pas de jalousie ni de comparaison entre ceux qui les reçoivent. Il n’y a pas de grande justification de la part de celui qui donne : « à chacun selon ses capacités ».

Quand nous pensons aux talents comme capacité d’aimer, nous constatons que nous n’avons pas inventé l’amour, nous n’en sommes pas le créateur, mais cette capacité d’aimer nous est propre, et nous devenons créateur de l’amour que nous donnons.

Comme dans la parabole, nous pouvons faire produire cette capacité, qu’elle soit grande ou moins grande, et ce qui est évalué n’est pas le résultat brut, mais la façon dont nous avons utilisé à plein ce don reçu. Il y en a qui pourront présenter plus de résultats que d’autres, parce qu’ils jouissaient d’une nature heureuse, spécialement bien disposée, que la tendresse débordait d’eux comme d’une source ; ils pourront présenter plus de résultat que ceux qui ont lutté toute leur vie pour se défaire d’une carapace acquise dès l’enfance. Mais ce n’est pas le résultat que le Seigneur regarde ; il considère plutôt l’engagement de faire quelque chose avec le don reçu, quelle que soit ce don.

Un seul est blâmé, celui qui a eu peur. Peur d’aimer, besoin de se protéger, choix de ne pas se risquer dans l’aventure de l’amour car on ne veut pas y laisser des plumes... Celui qui agit ainsi considère que le maître est dur et exigeant... N’est-ce pas comme de penser que la vie est dure et demande trop de nous ?

Quant à nous, allons de l’avant, de tout notre cœur, ce cœur que Dieu nous donne pour que nous lui fassions porter du fruit.

 

trouver de quoi vivre heureux – et y conduire les autres

Homélie du 4° dimanche de Pâques

Aujourd’hui, ce que le Christ nous apporte est résumé dans cette fonction : être pour les brebis la porte de la bergerie. C’est un peu étonnant de penser à Jésus comme porte. On appelle souvent ce dimanche, dimanche du bon Pasteur, et on prie pour les vocations de berger. Mais aujourd’hui Jésus nous dit plutôt qu’il est la porte des brebis. La vie chrétienne nous est présentée comme la liberté de circuler. Par Jésus nous pouvons aller et venir et trouver un pâturage, c’est-à-dire de quoi vivre et être heureux. Non pas simplement survivre, mais avoir la vie en abondance.

Il y a des situations de notre vie où nous nous sentons comme prisonnier. Prisonnier de nous-mêmes, de nos faiblesses, prisonnier des autres, prisonnier de la vie, de ses obligations, de son poids. Nous avons l’impression que nous sommes enfermés dans la vie comme la brebis enfermée dans la bergerie. Personne pour nous faire sortir et nous guider, mais tout juste la menace du voleur qui escalade le mur, la menace de tout ce qui tendrait à profiter de notre faiblesse.

Nous aurions envie de nous évader, coûte que coûte, et le monde d’aujourd’hui nous propose toutes sortes d’évasions. Mais nous nous rendons bien compte que nous nous évadons vers le désert, que nous ne sommes pas rassasiés au plus profond de nous-mêmes : il reste une insatisfaction profonde.

Alors nous comprenons que Jésus se présente comme la porte : il est la porte qui nous permet de sortir vers les pâturages verdoyants, vers une vie de plénitude. Et comment passe-t-on par cette porte ? Il me semble qu’il faut conjuger deux choses :
– on passe par Jésus en faisant ce qu’il nous demande, en aimant comme lui, en nous donnant nous-mêmes généreusement
– on passe par Jésus en s’attachant à sa personne, en consacrant du temps à penser à lui, à chercher dans la relation avec lui une stabilité, une consolation qu’on ne peut vraiment trouver que là.

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Dans la suite de l’évangile, Jésus cessera de se comparer à la porte et il se présentera comme le berger. Déjà on entrevoyait cette image dans la phrase « Le portier ouvre au berger des brebis, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a conduit dehors toutes ses brebis, il marche à leur tête, et elles le suivent, car elles connaissent sa voix. » (Jn 10,3-4)

Oui, nous avons un berger, nous ne sommes pas des gens errant qui n’ont pas de repères, qui sont perdus dans la vie, perdus dans leurs choix. Nous avons un berger sur lequel nous pouvons nous appuyer, et grâce à qui nous devenons berger à notre tour. Beaucoup d’analystes constatent que notre monde a cruellement besoin de repères. Or beaucoup d’entre nous sont dans la situation de ceux qui doivent guider les autres : les parents, les chefs au patro, chez les scouts et les guides, les conseillers politiques, les enseignants, les cadres d’entreprise, les prêtres... Nous sommes appelés à être bergers, à conduire ceux que le Seigneur nous confie. Nous les conduisons dans des circonstances difficiles, et je crois qu’on ne peut pas nous juger sur nos résultats, mais plutôt sur l’audace avec laquelle nous aurons poussé les autres à relever le défi de leur existence et de leurs responsabilités.

Nous, les disciples du Christ, nous pouvons être des bergers qui osent montrer aux autres qu’on ne doit pas avoir peur de la souffrance comme du plus grand des malheurs. Nous, les disciples du Christ, nous pouvons être des bergers qui osent montrer aux autres que c’est en se donnant qu’on se reçoit. Nous pouvons être des bergers qui osent montrer aux autres que cela a du sens de renoncer à ce qui nous plaît pour nous consacrer à quelque chose qui a plus de valeur. Nous pouvons être des bergers qui osent montrer aux autres qu’il y a toujours une espérance et qu’on ne doit jamais désespérer de quelqu’un ou d’une situation et faire des choix de mort plutôt que de vie et d’amour.

Ainsi nous serons vraiment des bergers à contre-courant. Mais comme disait le cher évêque qui m’a ordonné : il n’y a que les poissons morts qui suivent le courant.

 

homélie du lundi de Pâques

Dans les lectures nous remarquons deux tendances :
- les chefs des prêtres nient la résurrection, la ridiculisent, en font une invention (Mt 28,13 : « Voilà ce que vous raconterez : ‘Ses disciples sont venus voler le corps, la nuit pendant que nous dormions’. »)
- les apôtres montrent qu’il ne s’agit pas d’une invention mais que cela appartient au plan de Dieu. (Ac 2,23 : « Cet homme, livré selon le plan et la volonté de Dieu » Voir aussi l’allusion à David le prophète au v.31 : « Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas connu la corruption. »)
Il en est de même de toutes les paroles d’accomplissement des Écritures qui parsèment les évangiles. Elles ne disent pas que Jésus a vécu un destin écrit d’avance, elles affirment plutôt que ce que Jésus a vécu n’est pas l’invention d’une nouvelle religion comme il en naissait tant dans le monde d’alors mais la réalisation de l’espérance d’Abraham, de Moïse et des prophètes.

Dans la confrontation de notre foi au monde et à nous-mêmes, à nos propres raisonnements, nous nous trouvons dans la même posture. La résurrection est-elle une invention, une consolation vide ou la réalité plus réelle que tout, plus réelle même que la mort que nous sommes sûrs de connaître ?

Pour trancher, cherchons une expérience du Christ ressuscité. Non pas une apparition, ni une manifestation sensible (tant mieux si elle est donnée, mais cela ne se recherche pas). Mais l’expérience d’une personne entrée dans notre vie, de quelqu’un à qui nous nous rapportons, que nous choisissons, que nous cherchons à découvrir.

Par notre jeûne, nos privations, nos renoncements, nous avons éduqué et affiné nos attentes, notre capacité à vouloir et désirer. Par notre médiocrité dans l’effort de carême nous avons aussi appris l’humilité. Nous voilà prêts pour vivre cette expérience de Jésus, le cœur un peu dépouillé de nous-mêmes, le cœur un peu plus disponible.

Tant de gens qui nous précèdent ont fait cette expérience du Christ. Elle est à notre portée. Je crois qu’il suffit d’oser s’attacher à lui, et d’agir en conséquence : agir comme des gens qui se sont attachés à quelqu’un, qui se vivent comme liés d’amour.

Bon temps pascal, très chers amis du Christ !

 

La résurrection de Jésus

homélie de la veillée pascale

En parcourant en quelques lectures l’histoire de Dieu avec son peuple on ne peut s’empêcher de s’exclamer : quelle patience ! Oui, de quelle patience Dieu a dû faire preuve pour tracer avec les hommes un chemin qi conduirait jusqu’au Christ et à sa résurrection ! Tant de pas incertains, d’avancées puis de reculées, avant de parvenir à Jésus que nous pouvons célébrer ce soir !

La résurrection de Jésus, ce n’est pas la résurrection de Lazare ! On ne revient pas à la case départ, il ne s’agit pas d’un happy end après quelques tourmentes, si grandes furent-elles.

La souffrance du Christ fut un passage. Il y a un avant, un après, et l’après n’est pas le retour au temps où il n’y avait pas encore l’épreuve.

Jésus entre dans une vie toute autre. La présence de l’ange, la modalité de la rencontre avec les femmes en témoignent. Saint Paul aussi, quand il explique que ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir.

Pour nous non plus, ne rêvons pas à retourner dans des paradis perdus, dans telle ou telle joie du passé que les difficultés du présent aurait éloignée. Au milieu de nos combats et de nos morts, Dieu nous promet sa vie. Quand il nous promet cette vie, et il nous la promet dès maintenant, acceptons qu’elle soit différente de ce que nous aurions connu si nous n’avions pas rencontré la souffrance. La vie que Dieu nous donne nécessite toujours un abandon dans la confiance, car elle vient différemment que nous imaginons, puisqu’elle est plus grande que ce que nous imaginons.

Par sa résurrection, Jésus entre dans une vie toute autre, mais pourtant pas déconnectée de tout ce qu’il a vécu auparavant. Il est riche de tous les liens qu’il a tissé, et sa vie au milieu des gens a jeté des ancres dans leur cœur. Maintenant qu’il vit de la vie éternelle, il y prépare une place à ceux qui s’attachent à lui.

Jésus donne rendez-vous à ses disciples en Galilée, pour continuer différemment un chemin avec eux. Avec chacun de nous le Christ veut commencer un chemin ou le continuer. Il nous attire plus loin, toujours plus loin, et le moyen le plus sûr pour nous est de laisser un lien d’amour se tisser entre lui et nous. Que notre désir du Seigneur lui permette de jeter une ancre dans notre cœur, afin de nous garder plus sûrement sur le chemin de la vie. Que Jésus soit de plus en plus notre ami.

 

Judas, et la foule...

homélie du vendredi saint

Hier matin, un enfant de l’école primaire me demandait lors de la prière de son école ici dans l’église : pourquoi Jésus a-t-il été condamné et tué puisqu’il était innocent ? Cette question nous place devant l’étrange mystère du mal. Que l’on réponde au mal par le mal, bien que ce soit regrettable, c’est toutefois logique. Mais que le mal naisse au milieu du bien, pour s’attaquer à l’innocent, voilà qui est inquiétant. Pourtant, cette tendance est en nous tous, et tous nous avons besoin d’être sauvé par le Christ : sauvés de notre dureté, de notre facilité à faire le mal, et du délabrement de notre cœur qui s’ensuit.

A côté de la question « pourquoi », il y a aussi la question « comment ». Comment le Christ se retrouve-t-il à mourir sur la croix ? Je voudrais ici relever le rôle de Judas et le rôle de la foule.

Pour que les adversaires de Jésus parviennent à leurs fins, Jésus doit être trahi par un ami. L’hostilité des grands prêtres ne suffit pas. Ce sera un de ses tout proches, un de ceux qu’il a choisi parmi tant d’autres, qui le livrera. Et Jésus le sait, et il ne fait plus rien pour l’empêcher : il accepte le geste de Judas. Pour mieux comprendre ce que Jésus réalise ce soir, je vous propose de regarder nos propres histoires.

Nous pouvons être blessés par les gens que nous connaissons peu, mais nous sommes bien plus durement blessés par nos proches : notre famille, nos amis. Dans l’autre sens, c’est envers ceux qui nous sont tout intimes que notre péché se révèle le plus comme porteur de destruction et de mort. En acceptant le geste de Judas, Jésus accueille vraiment tout le péché du monde dans ce qu’il a de plus blessant, de plus destructeur. Nous disons que Jésus est mort pour nos péchés. Quand il accepte d’être livré par un ami, Jésus prend vraiment sur lui toutes nos atteintes à l’amour. Quand il choisit de ne pas se défendre et de ne plus rien répondre, c’est alors qu’il se charge du mal commis dans le monde, pour nous en délivrer.

La foule joue aussi un grand rôle. Que fait-elle surtout ? Elle se laisse entraîner. Je pourrais parler de ceux qui ont décidé de faire mourir Jésus, comme de ceux qui décident aujourd’hui des actions de ténèbre, mais je voudrais surtout parler de la foule, car la foule, c’est nous tous, habitants de la Belgique, et il est important que nous tirions un enseignement de ce que fait la foule de Jérusalem.

Un jour en effet, comme cela a déjà eu lieu, des gens nous pousserons à admettre collectivement des choses que nous n’aurions jamais choisies si on nous l’avait demandé à tête reposée. Déjà maintenant l’opinion publique est façonnée par des groupes de pression, et nous plions sous le « politiquement correct ». C’est sûr, aujourd’hui encore la foule demanderait que Jésus soit éliminé car il est trop dérangeant.

Je ne dis pas cela pour que nous nous lamentions sur l’état de notre société. Je voudrais plutôt vous faire mesurer que notre amour du Christ nous demande d’être indépendants de tous les mouvements de foule, de mode, d’opinion. Le chrétien est quelqu’un qui regarde le monde et qui juge ce qui s’y passe à l’aune de ce qui est arrivé au Christ. Que le Saint-Esprit nous garde d’être des suiveurs, mais qu’il fasse de nous des gens éveillés, capables de déceler lorsque les petits sont bafoués, lorsque les sans voix sont mis de côté, lorsque les faibles sont cachés.

Le Christ n’est pas seulement celui qui a été mis à mort. Il est celui que le Père a ressuscité. Ce soir il nous oriente vers des chemins d’espérance et de vie. Ce soir, devant la croix, nous nous laissons toucher par la force que le Christ déploie dans notre faiblesse. Il veut nous guérir de toute dureté. Il visite les relations qui nous ont fait souffrir et celles où nous avons fait souffrir. Et il augmente notre capacité de résistance au mal : résistance au désespoir dans notre vie ; résistance à la contagion de l’égoïsme et de la désespérance dans notre société.

 

Quelle résurrection? Lazare et nous...

homélie du 5ième dimanche de carême

Au long des évangiles de ce carême nous voyons Jésus affronter des difficultés humaines, des impasses de plus en plus grandes. C’était, avec la Samaritaine, le fait d’être momentanément égaré, de ne plus avoir un cadre de vie juste (elle avait eu six hommes, elle ne savait pas bien où adorer Dieu, elle ne savait pas comment étancher sa soif). C’était, avec l’aveugle né, le fait d’être blessé depuis le début par une infirmité, de n’avoir jamais eu la joie de voir la lumière, et d’être coupé de relations sociales. Maintenant, Jésus s’affronte à la mort, à la mort corporelle, à la fin de la vie terrestre, avec tout le déchirement que cela comporte. Mais Lazare revenu à la vie devra à nouveau mourir, lorsqu’une autre maladie ou la vieillesse l’emportera. Bientôt Jésus s’affrontera à la mort éternelle, à la mort de l’âme, pour restaurer le lien vivant qui existe entre l’homme et Dieu. Ce sera à travers sa Passion, lorsqu’il fera l’expérience d’être coupé de Dieu, lorsqu’il prendra sur lui l’état de celui qui refuse Dieu, lui la Source qui comble nos soifs, la Lumière qui illumine nos cœurs, la Vie qui porte notre être.

Nous remarquons une gradation, qui se passe dans le temps aussi. Les évangiles des dimanches de carême sont placés chronologiquement. Comme si Jésus allait de plus en plus profondément dans sa mission.

Il y a une pédagogie divine, qui veut souligner pour nous quelque chose. Car s’il est évident que c’est plus grand de faire voir un aveugle de naissance que de toucher le cœur d’une Samaritaine, que c’est plus grand de ressusciter un mort que de faire voir un aveugle, ce n’est pas évident pour nous que c’est plus grand d’accéder à la vie éternelle que de revenir à cette vie-ci.

Il est bon, dans un premier temps, que nous estimions qu’il vaut mieux ne pas mourir ou revenir à cette vie que de mourir pour ressusciter à la vie éternelle. Cela nous évite quelques bondieuseries, quelques ingratitudes envers Dieu aussi à propos de la vie sur la terre. Mais dans un deuxième temps il est bon d’élargir notre vue, pour ne pas trouver si enviable que cela le sort de Lazare. Car si Jésus le ramène à cette vie, ce n’est pas pour consoler Marthe et Marie, mais pour que « Dieu soit glorifié » (Jn 11,4), que l’on croie que Jésus est la résurrection et la vie, et que tout homme qui croit en lui, même s’il meurt, vivra (11,25). Jésus ressuscite Lazare pour que l’on sache que celui qui sera bientôt mis à mort possède les clefs de la vie et de la mort, domine sur ce qui paraît le plus inéluctable à l’homme.

Jésus fait du bien à Lazare et à sa famille, mais il ne fait que différer le problème. Le plus grand bien qu’il fait, c’est de se révéler comme le Maître en qui on a raison de mettre sa foi. A tout homme confronté à ses impasses, Jésus redit aujourd’hui : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »

Et l’appel de Jésus à Lazare retentit à nos propres oreilles aujourd’hui : viens dehors ! Ouvre-toi dans la confiance ! Sors de tes tombeaux de résignation. Un avenir fécond et lumineux s’ouvre devant toi.

 

Dieu est esprit, et il peut nous rencontrer

homélie du 3ième dimanche de carême

« Si tu savais le don de Dieu », dit Jésus (Jn 4,10). Ah oui, si tu le savais, si tu en avais au moins une petite idée, si tu pouvais sentir en toi la soif de Dieu qui t’habite, si tu te rendais compte que la soif d’amour qui est dans ton cœur est une secrète soif de Dieu ! Jésus s’adresse à une femme qui a eu cinq maris. Autant dire qu’elle avait une grande soif de se sentir aimée. Notre soif d’être aimé ne se manifeste pas souvent ainsi, mais elle est réelle, et parfois elle nous tenaille et nous met hors de nous-mêmes, à moins qu’elle ne nous pousse à toute sorte de lamentation sur nous-mêmes.

A celui qui a une telle soif, Jésus ne vient pas en disant : je viens combler toutes tes attentes. Il vient en demandant : donne-moi à boire ! Accepte d’entrer en relation avec moi ! Alors seulement, même si le dialogue est un peu rude, Jésus promet l’eau vive, l’eau qui jaillit d’un cœur aimé et aimant, qui jaillit en vie éternelle.

Jésus ne dit pas encore davantage ce qu’est cette eau vive, mais il aide la femme à regarder l’état de sa vie, l’état de son cœur. C’est tout le dialogue à propos des maris. Une fois que la femme a accepté que Jésus regarde sa vie — et il le fait avec franchise et pudeur —, elle peut entendre la suite : l’eau vive est de Dieu, mais elle ne se puise pas sur le mont Garizim ou à Jérusalem. Elle se puise auprès du Père, car l’heure vient — c’est Jésus qui fait venir cette heure — « où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité », ce qui veut dire que le lien que nous pouvons avoir avec le Père qui est esprit peut, par Jésus, devenir un lien vraiment vivant et passionnant. J’ai souvent pensé que Jésus proposait de faire un effort : fais un effort pour adorer le Père en esprit et en vérité ! Mais puisque Jésus parle d’une heure particulière qui doit rendre cela possible, c’est qu’il s’agit d’une disposition de Dieu plutôt qu’un effort de notre part. Par Jésus, par le don de l’Esprit Saint qu’il nous obtient, nous devenons capables de vivre de Dieu qui est esprit. Même si au point de départ nous pensions qu’une relation avec Dieu ne peut pas combler une soif d’aimer, car Dieu est tellement impalpable que nous l’éprouvons comme lointain, finalement il devient possible d’adorer Dieu qui est esprit en esprit et en vérité, de vivre cette relation avec le Père qu’on voit à l’œuvre chez Jésus et qui fait de lui un homme si complet, si épanoui, si accompli.

Je fais le souhait que pendant ce carême nous puissions faire la rencontre du Christ comme l’a vécue la femme de Samarie. Une rencontre où il mendie notre eau, notre amour, et où il se révèle à nous comme le Christ, celui que notre cœur attend, celui qui peut rendre vivante notre relation de chaque instant avec le Père. Alors, que ce soit sur le chemin du travail, de l’école ou des courses, au milieu de nos bureaux ou de nos maisons, nous pourrons adorer le Père en esprit et en vérité, penser à lui en l’aimant, lui rendre grâce pour le fait d’être son enfant, de respirer et de vivre. Une bonne eau vive jaillira de notre cœur.

 

Reviens ! homélie du mercredi des Cendres

carême 2008

Aujourd’hui nous entendons le Seigneur appeler : revenez à moi ! (Jl 2,12) Lorsqu’on crie à quelqu’un « reviens », il y a toujours un ton de supplication, c’est-à-dire le ton de la personne qui est attachée à celui qui part et qui le supplie de revenir à elle. Nous le sentons bien aussi dans la lettre de saint Paul : au nom du Christ nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! (2Co 5,20)

Laissons-nous toucher par cette idée : Dieu nous supplie de revenir à lui. La relation que nous pouvons avoir avec lui compte tellement pour lui qu’il nous crie : reviens à moi !

Revenir, cela signifie que nous sommes partis. Pourtant nous n’avons pas toujours l’impression d’être partis. Mais pour Dieu qui est si sensible à notre amour, il suffit déjà que nous ne soyons pas là de tout notre cœur. C’est comme dans un couple : on peut, sans être parti, ne plus être avec l’autre de tout notre cœur, et garder un lien qui n’est plus vraiment une union mais une sorte de vivre ensemble où on essaie simplement de se rendre de petits services à l’occasion. L’amour alors est abîmé et doit être réparé. Dans un couple, pour que les conjoints vivent de leur amour mutuel, il faut le raviver.

Dans notre vie de foi c’est la même chose. Peut-être avons-nous pris un chemin qui nous éloigne sérieusement de Dieu, et c’est le moment de revenir sérieusement. Mais peut-être ne sommes-nous pas vraiment partis. Simplement, nous ne sommes avec Dieu que du bout de notre cœur, par un petit morceau de notre vie... C’est le moment de revenir à lui de tout notre cœur. Voici un moment exceptionnel pour réveiller notre amour du Seigneur, et que cet amour entre lui et nous nous porte davantage, qu’il soit vraiment quelque chose de vivant et de lumineux en nous.

Pour réveiller notre amour nous ferons des efforts. Car il n’y a pas d’amour sans actes qui montrent l’amour ; et faire des actes d’amour, cela ne bénéficie pas seulement à celui en faveur de qui ils sont fait, mais à nous aussi qui les faisons et sentons notre cœur se dilater par le fait même. Dans l’Évangile, le Christ nous propose aujourd’hui trois actes d’amour : donner, prier, jeûner (Mt 6). Et il insiste pour que cela soit fait dans le secret de notre cœur, et non pas en public. Car ces actes d’amour, on pourrait aussi les faire pour la vaine gloire, pour ce que les autres penseront de nous, pour la bonne estime que nous en récolterons. Alors Jésus nous parle du Père qui voit dans le secret ; c’est là que se passe l’amour, dans le secret du cœur, ce cœur dont nous sommes seuls à posséder la clef.

Pour terminer, j’aimerais passer en revue les trois actes que Jésus nous propose.

Celui qui donne généreusement voit son cœur s’agrandir, je n’ai pas besoin de faire un dessin pour vous l’expliquer : essayez ! Le carême est sûrement un temps pour être spécialement généreux.

Quant à la prière, Jésus suggère dans l’évangile qu’elle est l’ouverture à quelqu’un qui est présent : « ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ». Notre prière du carême peut être un acte d’amour si elle est attention à la présence de Dieu. Prier, cela pourrait même simplement consister à prendre un moment pour être avec le Seigneur, s’efforcer d’être présent à lui qui est présent. Une prière qui dirait seulement à Dieu : je suis là pour toi, je suis venu pour être avec toi.

Enfin il y a le jeûne. Habituellement on présente le jeûne de nourriture comme un geste de partage : cela nous permet de partager avec ceux qui n’ont rien. C’est peut-être une des significations du jeûne, mais pas la principale. Jésus va donner au jeûne le sens d’une attente, de l’attente de quelqu’un. Aux disciples de Jean-Baptiste qui viennent se plaindre que les disciples de Jésus ne jeûnent pas (Mt 9,14), celui-ci répond qu’ils jeûneront plus tard, quand l’Époux leur aura été enlevé. Le jeûne chrétien consiste à se dire à soi-même, et à tout son corps aussi : il y a quelqu’un qui me manque, et je refuse d’être satisfait tant que le Christ me manquera ainsi. Nous pouvons ainsi jeûner parce que le Christ nous manque, ou bien pour qu’il nous manque davantage, ce qui serait le signe que nous nous attachons plus à lui.

On dit qu’on peut jeûner de beaucoup d’autres choses que de nourriture ; c’est vrai, mais il ne faudrait pas passer trop facilement à côté de ce jeûne de nourriture. Et tous les renoncements que nous nous imposerons, de télévision, d’ordinateur, de guindaille, de tabac et d’autres plaisirs, qu’ils soient toujours en vue de refuser d’être satisfait. Ce n’est pas pour payer quelque faute que nous renonçons à un bien légitime, mais pour que notre cœur ait soif et faim de la Parole de Dieu, de la présence et de l’amour du Christ.

Bon carême ! C’est un beau temps qui peut réveiller l’amour.

 

homélie sur les Béatitudes

messe des familles du 3 février

L’évangile des Béatitudes nous place devant le problème du mal. Et devant ce problème du mal, nous avons toujours tendance à chercher une explication : nous demandons « pourquoi » ce mal est-il arrivé ? L’Évangile ne nous propose pas d’explication, il nous propose un chemin. C’est très important à retenir : quand nous demandons à Dieu, en nous croisant les bras, « pourquoi ce mal ? », il nous répond : « va de l’avant, persévère, tu trouveras le bonheur ».

Cet évangile est quand-même surprenant. Il nous pose à tous des questions, n’est-ce pas Margueritte ?

M.– Dis, Christophe, comment est-ce que Jésus peut dire « heureux les pauvres de cœur, heureux ceux qui pleurent » ? Il y a des gens qui meurent parce qu’ils sont pauvres ; il y a des gens qui sont si malheureux...

Ch.– Oui, c’est vrai. Personne n’a le droit de dire ces paroles des Béatitudes, personne sauf Jésus. Jésus, il sait ce que c’est qu’être pauvre de cœur, d’être dépouillé de tout ; il sait ce que c’est de pleurer, d’être persécuté pour la justice, d’être doux, d’avoir le cœur pur. Lui, il peut dire ces paroles car ce ne sont pas des conseils en l’air : il a vécu ces épreuves, et maintenant il peut être présent à côté de nous. Déjà nous sentons que sa présence dépose dans notre cœur une petite lumière qui peut grandir et nous consoler.

C.– Je repense à Jésus pendant sa Passion. Quand il pleure sur les habitants de Jérusalem qui refusent la paix. Quand il est dépouillé de ses vêtements, quand on se moque de lui, quand on l’accuse injustement, quand on le fait mourir.

Ch.– Oui, c’est lui, Jésus, qui nous dit : « heureux les pauvres de cœur ». Il connaît le chemin par lequel le bonheur peut entrer dans notre cœur malgré les difficultés. Son amour pour chacun, c’est déjà ce bonheur qui se présente à la porte de notre cœur.

M.– C’est bizarre, quand Jésus dit « heureux », il promet que le Royaume des cieux est à nous, ou que nous obtiendrons la Terre promise, ou que notre récompense sera grande dans les cieux... Alors ce n’est pas un bonheur pour maintenant, c’est pour plus tard ?

Ch.– Non, ce n’est pas seulement un bonheur pour plus tard. C’est plutôt un bonheur différent : le bonheur du ciel, que nous pouvons déjà goûter maintenant sur la terre si nous ouvrons un tout petit peu notre cœur à Dieu. Il y a des gens qui vivent de grands malheurs mais ces malheurs les rapprochent du Christ et cela fait naître en eux une joie qu’ils ne connaissaient pas. Je ne te dis pas cela pour que tu n’essaies pas d’aider ceux qui souffrent, car Jésus nous demande de les aider. Je te dis cela pour que tu n’aies jamais peur ce ce qui t’arrive. Tu vois, les grandes personnes, mais aussi les enfants, ont souvent peur : peur de manquer de ce dont on a besoin, peur de ne pas être aimé, peur d’être battu, peur de perdre quelque chose, peur d’être dépendant... Jésus ne veut pas que nous ayons peur, il veut nous donner un bonheur tout simple mais éternel, invincible, inaltérable, qui ne s’éteint jamais.

C.– Jésus parle aussi de ceux qui sont persécutés pour la justice, de ceux qui ont faim et soif de la justice. Pourtant je vois plein de gens autour de moi qui ne se tracassent pas pour toutes les injustices. Ils se contentent de vivre pépère...

Ch.– Et pourtant Jésus dit aussi : heureux les doux, heureux les artisans de paix ! Parfois nous aimons trop notre confort, ou nous avons trop peur pour nous engager dans le combat pour la justice. Nous serrons heureux lorsque nous nous réveillerons et que nous nous engagerons au service de ceux qui ont besoin de nous. En plus, nous les chrétiens, nous devons être attentifs aux injustices que notre société ne voit plus, aux problèmes dont on ne parle plus à la radio et où des gens sont en danger.

M.– Dis, Christophe, qu’est-ce que ça veut dire, finalement, être pauvre de cœur ?

Ch.– Le cœur, dans la Bible, c’est la source de tous les désirs. C’est ce qui me motive à faire ceci ou cela. Comme quand on dit : mettre du cœur à l’ouvrage... Un cœur de pauvre, c’est un cœur qui ne cherche pas son bonheur dans ce qu’il va obtenir des autres, il est heureux de donner. Pourtant, tout don attend un retour. Le cœur de pauvre a confiance qu’il y aura un retour, que Dieu est généreux, mais qu’il ne doit pas chercher par lui-même le retour... Il a renoncé à se donner par lui-même le bonheur. Il risque de chercher le bonheur en se donnant par amour.

Justement, voici quelqu’un qui a vécu cette béatitude des pauvres de cœur. C’était quelqu’un de riche, quelqu’un qui a pensé pouvoir se donner à lui-même le bonheur, par ses mérites, par ses efforts. Veux-tu bien te présenter à nous ?

F.– Bonjour, je m’appelle François, j’ai vécu à Assise. Cet évangile est très important pour moi. Un jour j’ai compris que je ne serai pas heureux en ayant beaucoup d’argent et de reconnaissance. J’ai cherché mon bonheur en me faisant le frère de tous. J’ai même embrassé un lépreux. Et j’ai connu la joie, la joie parfaite. Je vous invite à être audacieux comme je l’ai été, à chercher votre bonheur comme le Christ.

Ch.– Comment pouvons-nous faire ?

F.– C’est simple : faites confiance à Dieu, et osez vivre l’évangile.

 

La lumière de la foi chrétienne

homélie de l’épiphanie

Je crois que les chrétiens ne soupçonnent pas à quel point leur foi est un trésor et une richesse enviable. Il arrive que nous passions notre temps à nous faire excuser d’être chrétien : oui, c’est vrai, je suis chrétien mais tu sais, ce n’est pas forcément pour cela que je suis coincé, ou attaché à des choses dépassées, ou même bête et incapable d’évoluer avec mon temps...

Quand je regarde la cohérence de la foi chrétienne, quand je vois ce qu’elle produit dans le cœur de ceux qui aiment Dieu, quand je perçois tout le trésor de sagesse qui est véhiculé par l’Église, je constate que nous avons plutôt de quoi dire : oui, c’est vrai, je suis chrétien, je suis content de l’être, je ne voudrais pas changer, et je crois même que ma foi est une lumière pour le monde, et une lumière pour toi qui me regarde peut-être avec condescendance.

Je ne veux pas dire que ceux qui ne croient pas en Dieu sont idiots. Mais par le Christ Dieu nous apporte tant de choses qui nous enrichissent et agrandissent notre vie.

Cela nous fait du bien quand des mages modernes apportent leur encens, leur or, leur myrrhe à Jésus : quand telle ou telle célébrité de la science, de la politique ou du spectacle apporte son témoignage de foi. Nous en avons d’autant plus besoin en ce temps de contradiction, ce temps qui est gêné de Dieu...

Notre foi est lumière. Elle est lumière pour notre vie. Elle est lumière pour l’humanité. Le cœur de l’homme attend tellement cette révélation. Parfois la certitude que Dieu aime tout les hommes nous a enlevé le sentiment de l’urgence de témoigner de son amour. Oui, Dieu aime tous les hommes, mais à quoi bon un amour qui n’est pas connu et qui en outre n’est pas échangé. Supposez, dans cette ville, un jeune homme aime secrètement une jeune fille... Il n’ose pas le lui dire, par crainte de l’embarrasser. Ses amis connaissent la nouvelle mais ne cherchent pas à faire avancer la situation. Et personne d’autre ne met la jeune fille au courant. Ils auraient pu couler des jours heureux ensemble, mais voilà, cet amour est resté secret, à tout jamais, et eux sont restés seuls. Par rapport à beaucoup d’habitants de cette ville, de ce pays, de ce monde, Dieu est dans cette situation.

Pour que nous partagions ce trésor, cette nouvelle de l’amour de notre Dieu, il faut le cultiver en nous toujours davantage. Nous le ferons comme les mages, en imitant leur façon de faire : ils viennent à Jésus pour l’honorer, pour l’aimer, et non pas d’abord en attendant une faveur. Ils viennent, ils apportent leur cadeau, ils adorent l’enfant et ils repartent tout joyeux. Que puis-je apporter à Jésus pour l’honorer, pour lui dire mon respect, mon amour, mon admiration? Il y a notre charité, cet amour qui s’intéresse à l’autre avant de penser à ce qu’il peut m’apporter. Il y a notre foi, les efforts que nous ferons pour la garder vivante malgré les doutes insinués par les personnes ou les événements. Et il y a notre espérance, les combats pour chasser le découragement ou le repli sur soi. A côté de ces trois grand cadeaux, il y a aussi notre temps, un quart d’heure de notre journée pour lui. Notre attention, notre écoute envers Dieu. Et aussi nos enfants, nos proches, tous ceux à qui nous voulons montrer Dieu.

Apportons au Seigneur nos coffrets pour lui témoigner notre amour, et je fais le voeux que cette relation que nous tisserons chacun avec Dieu donne envie à d’autres.

 

pour commencer l’année

homélie du 1ier janvier 2008

« Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son visage et t’accorde sa grâce ! Que le Seigneur porte sur toi son regard et te donne la paix ! » (Nb 6,24-26) Ce souhait que nous avons entendu dans le livre des Nombres, considérons qu’il se réalisera chaque jour de l’année qui vient. Chaque jour, redisons-nous que le Seigneur nous garde, fait rayonner sur nous son visage... Parfois nous le sentirons très clairement, et parfois les événements pourront nous en faire douter. Mais sachons bien que la grâce de Dieu est toujours avec nous. Chaque jour le Seigneur nous prendra en grâce, car le Christ est né dans le monde pour que nous devenions les fils de Dieu (Ga 4,5). Regardons dans la crèche le Fils de Dieu qui s’est fait homme. S’il est devenu l’un de nous, c’est pour que nous puissions devenir comme lui fils, fille de notre Père qui est aux cieux. Je reviens de quelques jours dans la Forêt Noire, et j’ai été frappé de découvrir combien le mystère de la Nativité est partout présent. Non seulement dans les crèches construites pour l’occasion, mais sur de nombreux tableaux dans les églises se trouvent représentées les scènes de l’annonce à Marie, de la naissance du Christ, de la visite des mages, de la présentation de Jésus au temple. On dirait là-bas que le christianisme est centré sur l’incarnation du Fils de Dieu, et c’est très beau. Rappelons-nous toute cette année que le Fils de Dieu s’est fait homme pour que nous puissions vivre en fils, en fille de Dieu, non pas comme des gens orphelins qui n’ont pas de père qui veille sur eux, qui leur ouvre le chemin, mais comme des gens qui peuvent s’en remettre à leur Père et suivre ses sentiers.

Tous les événements de notre année, nous pourrons, comme Marie, les méditer dans notre cœur (Mt 2,19), que nous comprenions ou pas ce qui est en train de nous arriver. Je vous souhaite de vivre tout unis à Dieu, sans suspicion envers lui mais dans la confiance, sachant qu’il est votre Père. Et je voudrais vous donner une devise, qu’on tire d’une autre lettre de saint Paul : « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. » (Rm 8,28) Cela ne veut pas dire que Dieu enverrait les épreuves pour nous faire du bien, mais qu’il est capable, lorsque nous l’aimons, lorsque nous restons attachés à lui, de tourner le mal en bien, de rendre profitable ce qui pourrait nous abîmer à première vue. Dieu est capable de tout faire concourir à notre bien, et il le fera. S’il nous arrive une épreuve, n’allons pas penser que nous sommes punis, que nous le méritons. Mais avec la force du Christ nous la traverserons et le mal ne nous submergera pas. Et s’il nous arrive un événement heureux, n’hésitons pas à le savourer, à jouir de notre bonheur, sans arrière pensée, sans nous dire : “c’est trop beau pour durer”, ou bien : “je n’ai pas le droit d’être si heureux quand d’autres sont moins chanceux que moi...” La bonté de Dieu se dévoile à chacun à sa manière, et il attend de nous simplement que nous nous ouvrions à elle dans la confiance. Dieu veille sur nous comme sur des enfants bien-aimés.

 

de quoi nous sauve-t-il ?

homélie de Noël

Quand saint François organise la fête de la Nativité à Greccio, il veut rapprocher les gens de ce qui s’est passé à la naissance du Christ, pour qu’ils puissent en profiter, être réconfortés. Nous aussi, soyons joyeux de ce qui se passe.

Quand l’ange annonce l’origine de Jésus à Joseph — au moment où celui-ci ne sait qu’une chose : cet enfant n’est pas de lui — il déclare qu’il l’appellera Jésus, ce qui veut dire « le Seigneur sauve », car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1,21). Voilà le grand sujet de la joie d’aujourd’hui, celui que les anges annoncent aux bergers : un Sauveur nous est donné.

« C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés »... Pour comprendre la joie qu’annoncent les anges, rappelons-nous quelle allégresse en nous quand nous nous sentons aimés tout entiers, accueillis non pas sous condition mais tout entiers, avec même ce qui nous fâche, ce qui nous répugne en nous. Dire que nous sommes tant aimés ! Voilà la joie d’aujourd’hui.

Les gens au temps de Jésus attendaient une autre sorte de sauveur, comme nous aussi bien souvent : un sauveur qui donne un gouvernement, un pouvoir d’achat, un GPS, un voyage ou un autre paradis terrestre. Mais il y a encore plus de joie à être sauvé de ses péchés. Pourquoi ? Qu’est-ce que c’est, au juste, un péché ? On le confond souvent avec la faute. Mais faire une faute, une erreur, un écart, ce n’est pas encore un péché. Le péché, c’est quelque chose de relationnel, c’est lorsqu’on tient compte du fait que cette faute blesse Dieu, abîme notre relation avec lui. Le péché, c’est la faute lorsqu’elle nous replie sur nous-mêmes, dans l’autojustification, dans la solitude et la peur de Dieu. Nous en voyons des signes lorsque nous commençons à nous rejetter nous-mêmes, lorsque le découragement s’installe durablement dans notre vie, lorsque nous nous disons que finalement le monde n’est pas si beau. Voilà autant de signes que nous avons perdu le contact avec notre Créateur. Notre faute devient refus de quelqu’un, rupture avec quelqu’un : notre Dieu. Au bout du compte, nous acceptons tout juste que Dieu soit une vague force ou un organisateur, non plus quelqu’un qui nous aime et que nous pouvons aimer.

Mais le salut est aussi dans cette relation avec celui qui a été refusé. À Noël nous découvrons toute la tendresse de notre Dieu. Celui qui sauve son peuple de ses péchés vient comme un petit enfant. Il sauve en rendant à nouveau possible la relation avec celui qui nourrit notre cœur, celui qui est notre joie de vivre. Il supprime le poids de nos fautes, non pas que nos fautes ne seraient désormais plus graves, mais son amour est plus grand, et nous sommes pris dans un mouvement de vie et d’amour qui dépasse tout cela.

Souvent nous nous sentons aimés sous condition : à condition d’être raisonnable, d’être bon, d’être compréhensif, à condition d’être sage, d’être performant, d’être séduisant... Ici, quelle lumière pour nous d’être aimés sans condition ! Jésus vient sans faire de reproches et sans poser de conditions : il vient, il est là, il demande seulement qu’on l’aime.

 

Quand le doute survient...

homélie du 3°dimanche de l’Avent

Comme nous pouvons parfois nous sentir proches de Jean-Baptiste ! Jean croit en Jésus, il a même vécu pour l’annoncer, mais Jésus agit tellement différemment de ce à quoi il s’attend. Est-il bien le Messie, celui qui agit si doucement, si discrètement, celui dont on ne voit pas encore la hache se dresser contre tous les arbres qui ne portent pas de fruit ? Est-il bien le Messie puisque je me retrouve en prison pour avoir dénoncé l’injustice, sans perspective d’en sortir ? Jean sûrement ne comprend pas la façon d’agir du Christ.

Pour nous également, les façons d’agir de Dieu dans notre vie nous déroutent si souvent. Parfois même nous nous demandons si nous faisons bien de compter sur Dieu, étant donné telle prière non exaucée, tel événement fâcheux survenu. Alors comme Jean-Baptiste nous nous demandons : es-tu le Dieu qui me sauve, ou dois-je chercher autre chose ?

Parfois les non-croyants disent que nous croyons en Dieu car c’est pour nous une béquille spirituelle, quelque chose qui apaise nos peurs et règle nos questions. Mais nous, les croyants, nous savons bien que notre chemin de foi est hérissé de questions.

Quand Jésus reçoit la question de Jean, il y répond : oui, il est le Sauveur : « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Il n’est pas le Sauveur tel que Jean-Baptiste le prévoyait, mais il est le Sauveur et ce qu’il fait est encore plus grand que de détruire celui qui résiste à la conversion. Dans notre vie aussi, au cœur de nos attentes, nous pouvons nous réaffirmer à nous-mêmes : oui, tu es le Sauveur, et je pressens que ce que tu fais est encore plus grand que ce que j’avais prévu.

Cette grandeur de l’œuvre de Dieu et la joie qui y est liée, Isaïe l’entrevoit si bien : « affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : “Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : Il vient lui-même et va vous sauver.” un bonheur sans fin illuminera vos visage ; allégresse et joie vous rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront. » (Is 35,3.4.10)

Cette grandeur de l’œuvre de Dieu et la joie qui y est liée, saint Jacques nous dit que nous devons parfois la vivre dans la patience et la persévérance : « Ayez de la patience vous aussi, et soyez fermes... Prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. » (Jc 5,8.10)

Maintenant dans le sacrement de réconciliation nous aurons une nouvelle fois l’occasion d’accueillir l’amour de Dieu dans nos vies. Nous pourrons lui redire que, au-delà de tout ce que nous avons cherché de vain ou de mauvais dans notre vie, c’est la communion avec lui que nous voulons vivre. Pour cela, surmontons tout découragement. L’amour du Seigneur est plus fort que tout. Et comme disait je ne sais plus quel saint : si j’étais triste, j’irais me confesser.

 

Immaculée Conception, messe des équipes Notre-Dame

le 8 décembre 2007

Nous réunissons les équipes Notre-Dame le jour de la fête de l’Immaculée Conception et nous pourrions nous laisser questionner par ce choix. Pourquoi aujourd’hui ? L’Immaculée Conception de Marie, c’est un peu la fête de toute l’humanité dans sa beauté, toute l’humanité telle que Dieu la prévoyait et telle qu’il l’a restaurée. Aujourd’hui nous fêtons, non pas la conception virginale de Jésus, comme le texte d’évangile nous le laisserait croire, mais le fait que Marie, lors de sa conception à elle, n’a pas hérité du handicap commun à nous tous du péché originel.

Ce péché originel, qu’est-ce que c’est finalement ? Nous découvrons que lorsque nous nous laissons aller à notre spontanéité, à nos penchants premiers, ce n’est pas toujours vers le bien que nous nous dirigeons. Et même, vivre dans l’amour est parfois difficile, coûteux, et paraît contre nature. C’est cela finalement, le péché originel : cette profonde résistance à vivre seulement dans l’amour. Dans la vie conjugale spécialement on fait l’expérience de ce péché originel, de cette difficulté du bien et de l’amour, du fait que si on ne cherche pas constamment à remonter une certaine pente de lassitude et d’égoïsme on s’éloigne de l’union dans l’amour.

Aujourd’hui nous fêtons la bonne nouvelle suivante : quelqu’un de notre humanité, Marie, a été exempte de cet héritage pénible : le mal ne nous colle pas à la peau comme nous en avons parfois l’impression. Notre beauté intérieure est plus fondamentale, plus profonde, elle est nous, tandis que notre tendance au péché est une couche plus superficielle, qui n’adhère pas à notre cœur pour toujours. Cela ouvre pour nous une espérance : tous nos combats pour mieux aimer ne sont pas vains, ils trouveront un jour leur accomplissement en nous, un jour nous serons débarrassés de cette difficulté.

Nous nous rappelons de cela dans ce rassemblement de couples et de familles, et c’est très important car Jésus a fondé l’union du couple chrétien sur une vision de l’homme capable encore d’aimer comme Dieu l’envisageait dans son projet initial, capable d’aimer comme si le péché ne pesait pas lourdement sur nos vies : « au commencement de la création », dit-il à propos du mariage, « Dieu les fit homme et femme. A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. » (Mc 10,7-9)

Dans le mariage chrétien, on est appelé à vivre une prouesse d’amour, un maximum d’amour, au point de dépasser cette lourdeur et ce repli sur soi qui nous empêchent d’aimer. Au vu de nos limites, cela semble impossible, et beaucoup en ont tiré cette conclusion. Aujourd’hui nous sommes venus nous imprégner de cette espérance : rien n’est impossible à Dieu.

Oui, rien n’est impossible à Dieu, et ce n’est pas dramatique de reconnaître ce fait universel : c’est vrai que je n’aime pas mon conjoint comme il ou elle l’attend ; c’est vrai qu’il ou elle ne m’aime pas comme je l’attends ; mais nous pouvons aller plus loin, rien n’est impossible à Dieu, nous pouvons faire de nouveaux pas l’un vers l’autre, inventer d’autre chemins encore pour nous rencontrer, pour nous ouvrir l’un à l’autre. Dans le combat contre le mal, dans le combat pour aimer, dans le combat pour nous ouvrir à l’autre, nous serons parfois blessés : le serpent blessera la descendance d’Ève au talon, dit le récit de la Genèse, et parfois cela nous handicape pour marcher. Mais le récit dit que nous blesserons le serpent à la tête, et dans tous les triomphes d’amour qui ont lieu dans vos couples ce n’est pas seulement une victoire personnelle que vous remportez mais vous faites progresser le Royaume de Dieu dans le monde et dans beaucoup d’autres cœurs, mystérieusement, parce que vous vous êtes ouverts à l’amour.

Pour aller de l’avant sur ce chemin, nous trouvons dans les points concrets d’effort proposés par le mouvement de quoi ne pas nous enliser. A chacun et à chaque équipe de voir comment renouveler son approche de ces points concrets, et de les présenter à Dieu dans cette espérance : rien n’est impossible à Dieu !

 

voir et sentir son avenir

homélie de la fête du Christ Roi 2007

Une question qu’il est utile de creuser pour progresser dans la foi c’est : qu’est-ce que Dieu m’apporte ? Bien sûr ce n’est pas le fin du fin de l’amour que de dire à quelqu’un : je t’aime pour ce que tu m’apportes. Ce serait plus beau de dire : je t’aime parce que c’est toi, je t’aime pour le bonheur de t’aimer. Mais parfois nous voulons quand-même nous demander : qu’est-ce que tu m’apportes ? Non pour décider de ne plus aimer, mais pour nous réjouir davantage.

Le Christ roi de l’univers, qu’est-ce que cela change dans ma vie ? Nous pourrons le comprendre cette année à partir de la situation de notre pays. L’ancien gouvernement est en affaires courantes ; nous n’avons pratiquement plus de gouvernement... Si dans notre tête le roi c’est celui qui gouverne, nous sommes un peu comme des gens qui n’ont plus de roi. Pourtant, cela n’empêche pas de vivre, d’aller à l’école, au travail, de toucher son salaire, de faire des courses, d’aller aux baladins ou chez les lutins. Notre pays n’est pas mort parce qu’il n’y a pas de gouvernement, mais il y a une certaine crainte pour l’avenir, il y a une confiance qui est difficile, on ne sait pas bien où on va.

De même aussi, si le Christ n’est pas notre roi, nous ne sommes pas les plus malheureux pour autant. Nous continuons de vivre, et même de bien nous amuser. Mais dans notre vie intérieure, là où nous ressentons les choses, où nous prenons les petites ou les grandes décisions connues de nous seuls, il peut y avoir une confiance qui est difficile. Il nous arrive d’avoir une vue de notre vie sans grande espérance, sans beaux et grands défis, d’être seulement occupés à nous défendre contre les petits soucis de la vie pour être le plus heureux possible.

J’ai entendu que le pape allait publier une nouvelle encyclique, sur l’espérance chrétienne. Ce sera beau de lire tout ce que nous permet la foi en Dieu. Quand nous sommes un peu découragés de nous-mêmes ou des autres, nous pouvons nous rappeler : le Christ est le roi de l’univers, ma vie ne va pas vers n’importe où, elle est entre bonnes mains si je veux, je peux me relever et connaître le bonheur de m’ouvrir aux autres, le bonheur d’aimer et d’être aimé, je peux participer au Royaume nouveau.

Bien sûr, il y a un petit problème avec Jésus : son royaume ne se passe pas dans un palais confortable. Il est un roi dont on s’est moqué et qui est mort sur une croix. Quand Jésus règne sur le monde et sur nos vies, cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus et que toutes les souffrances ont disparu. Mais nous ne sommes plus désemparés car nous savons que Dieu est notre ami, que celui qui a fait ce grand monde où nous vivons veille sur nous et fait tout tourner à notre avantage.

Aujourd’hui nous apprenons dans l’évangile que ce roi a un comportement un peu étrange avec ceux qui font le mal et qui demandent pardon. Il leur pardonne, il ne leur dit pas qu’il devront payer pour ce qu’ils ont fait mais qu’il va les introduire le jour même dans le paradis. C’est un roi vraiment puissant, celui qui ne doit pas faire peser sa colère sur celui qui lui fait mal mais qui peut lui pardonner ! Mais c’est aussi un roi un peu décevant pour nous qui aimerions souvent bien que ceux qui ont fait le mal payent pour ce qu’ils ont fait. Ce que ce roi voudrait, c’est d’unir tous les hommes et de les réconcilier, et que chaque homme goûte la joie d’être enfant de Dieu. La seule chose qui peut lui faire obstacle, ce serait notre orgueil, quand nous ne voulons pas reconnaître le mal que nous avons fait, quand nous sommes dans notre tort mais que nous ne voulons pas l’admettre. A part cela, tout est possible à Dieu. Le Christ notre roi peut nous rendre plein d’espérance pour notre avenir. Il vient éclairer notre cœur par sa présence et son action. Pour vous, les enfants, c’est une nouvelle période de votre vie qui commence, puisque à partir d’aujourd’hui vous pourrez autant de fois que vous le voulez laisser Jésus venir en personne dans votre cœur par la communion. Aujourd’hui plus qu’avant, vous pouvez lui demander : Jésus, sois le roi de ma vie, de mon cœur, de tous mes projets ! Alors vous marcherez vraiment vers le bonheur, votre avenir sera plein de lumière. Et nous les adultes, faisons comme vous !

 

le mariage chrétien

homélie de la messe des étudiants, 14 nov. 2007

Il y a deux ans, à la fête de Saint-François, j’avais prêché sur le célibat consacré et je m’étais dit : il faudrait compléter par une homélie sur le mariage, ça devrait intéresser les étudiants. Ce sera bientôt chose faite.

Quand on lui pose la question du divorce, Jésus répond qu’il s’agit d’un aménagement à cause d’une triste réalité : la dureté de cœur des hommes. Mais pour ses disciples, il ne doit pas en être ainsi, ils peuvent se référer à ce que le Père a disposé au commencement, en créant l’homme et la femme, et pour eux le remariage qui fait suite à un divorce équivaut à un adultère.

C’est un enseignement qui fait dire aux apôtres que vraiment le mariage devient dangereux si telle est la situation de l’homme envers sa femme. (v.10) Jésus en profite pour parler de ceux qui choisissent le célibat, ceux qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux. Mais surtout, comme le soulignait quelqu’un lors de la préparation, si Jésus propose ce programme pour le mariage, c’est qu’il en ouvre la possibilité.

Avec Jésus, le beau projet de Dieu d’unir l’homme et la femme pour la vie est retrouvé. C’est par fidélité à cette espérance que l’Église encore aujourd’hui ne trouve pas de possibilité à un remariage, tout au plus comprend-elle que des conjoints se séparent si l’un d’eux devient un danger pour l’autre ou pour les enfants ou s’il rend la vie commune trop dure.

Mais après tous ces préambules, il est temps de regarder ce que Jésus propose à l’homme et la femme qui désirent se marier. Il relève d’abord une disposition toute naturelle : l’engagement total de l’homme et de la femme vient de la création, et il ne faut pas être chrétien pour trouver qu’amour rime avec toujours. Dire à quelqu’un « je t’aime pour un moment, tant que ça me plaît », cela reste odieux, qu’on soit chrétien ou pas. Il ne faut jamais s’y habituer.

Puis, à travers la petite phrase « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni », Jésus suggère que lorsqu’un homme et une femme s’aiment et choisissent de s’unir c’est en fait Dieu qui les unit. Dans leur union, qui est motivée par un attrait humain, c’est en fait quelque chose de divin qui se joue, quelque chose qui met en jeu Dieu qui est amour. L’homme et la femme ont ce pouvoir de produire quelque chose d’ordre divin, au point qu’on peut dire que c’est Dieu qui les unit. J’y reviendrai.

Dans le monde animal il y a aussi un attrait plus ou moins durable du mâle et de la femelle. Mais pour l’être qui est créé à l’image de Dieu, cet attrait peut devenir choix et donc amour. Je voudrais m’apesantir un peu sur cette dimension de l’amour comme choix. L’amour ne repose pas seulement sur le sentiment mais aussi sur la volonté. Nous nous attendons à trouver l’amour dans de grandes extases et de grands sentiments. Et cela arrive, en effet. Mais l’amour se réalise aussi très souvent dans le secret de notre cœur, dans les moments où nous choisissons tout simplement l’autre tel qu’il est. On ne le sait plus dans notre monde, on croit que l’amour dure tant que dure le sentiment. Mais non, l’amour est aussi choix, décision. Dans un couple il arrive des moments où le sentiment n’est plus au rendez-vous. Mais lorsqu’on s’est engagé l’un envers l’autre, on peut encore choisir d’ouvrir son cœur à l’autre, de le prendre dans son cœur, de vouloir lui être uni, de vouloir faire pour lui des actes d’amour. Non par nécessité, non par peur d’être seul, non par soumission, mais par choix. Lorsqu’on fait cela, un sentiment nouveau commence à naître, plus profond, un attachement qui donne davantage la vie. C’est de nouveau comme un sentiment amoureux, mais plus profond, qui naît après avoir traversé un passage à vide grâce au choix d’aimer. L’homme a ceci de grand qu’il peut construire sa vie sur des fondations plus solides que le simple attrait, que le sentiment dont on n’est pas maître. C’est ainsi que Jésus peut dire un jour : mon commandement, le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Il y a une autre dimension du mariage qui vient de la façon dont Dieu se présente par rapport à son peuple. Pour parler de son amour, Dieu se désigne souvent comme l’époux qui s’adresse à son peuple, son épouse. Jésus lui-même prendra ce titre d’« époux ». L’amour des gens mariés devient une image de l’amour de Dieu pour les hommes. Et nous savons bien depuis que Jésus a donné sa vie pour nous que l’amour de Dieu est un amour qui ne se reprend pas. Cette comparaison, même si elle est lourde à porter, est si nourrissante pour la foi : quand je vois la tendresse d’un mari pour sa femme — encore faut-il qu’il ait appris la tendresse — je me dis : c’est d’un tel amour que Dieu m’aime. Et il arrive qu’un des conjoint donne, seul, le témoignage de la fidélité de l’amour de Dieu plus forte que nos égarements. Ce sont des témoignages si nécessaires au monde d’aujourd’hui en quête d’espérance.

Ce chemin du mariage n’est possible qu’en vivant par ailleurs tout l’Évangile, et d’abord sur le chapitre du pardon mutuel et de la pauvreté de cœur. Comme j’aime à le dire dans les homélies de mariage : l’amour que l’on s’échange sur terre est un amour à pardon, comme il y a les moteurs à essence. Mais pardonner c’est remporter une victoire ; c’est dire : même si tu m’as fait très mal, je veux t’aimer par-delà ce que tu m’as fait, je ne veux pas que ta mauvaise action limite mon amour.

A cause de tout cela, on voit bien que le mariage est réellement pour les disciples de Jésus une vocation, qui les appelle à la sainteté, à réaliser des prouesses d’amour, comme l’est toute vocation véritable. Ceux d’entre vous qui ont l’intention de se marier, qu’ils accueillent vraiment cet appel du Seigneur, et ils seront comblés.

 

Comment ressuscite-t-on ?

homélie du 11 novembre 2007

A l’époque de Jésus comme à la nôtre, il y a des gens qui ne croient pas à la résurrection. Rien de nouveau sous le soleil, dirait l’Ecclésiaste ! Jésus va leur répondre par deux arguments. Le premier est tiré de la Bible telle qu’elle était connue de tous les juifs de l’époque, en faisant allusion à une parole relatée par Moïse. Le second argument donne plutôt quelques détails sur les modalités de la vie dans la résurrection.

Dans le premier argument, Jésus relève que Dieu se présente à Moïse comme « le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » (Ex 3,6) et que Dieu ne ferait pas allusion à des morts pour se présenter. C’est donc qu’Abraham, Isaac, Jacob sont vivants.

Cette argumentation de Jésus laisse penser beaucoup de choses. Si on peut dire qu’Abraham est vivant, c’est parce que Dieu est Dieu d’Abraham, c’est parce que Dieu accepte de se laisser définir ainsi, c’est à cause du regard d’amitié posé par Dieu sur Abraham. C’est rare qu’une épouse aime d’être définie comme “la femme de un tel”, et réciproquement, ou qu’on aime être présenté comme “le fils de...”. Il n’y a que l’amour qui peut faire accepter cela. Ici Dieu se présente lui-même comme : Dieu d’Abraham, Dieu défini par sa relation à Abraham. Et je crois que Dieu aimerait être présenté ainsi par rapport à chacun de nous aussi. Cela en dit long sur son amour. Abraham vit d’avoir accueilli l’amour de Dieu, et Jésus sous-entend souvent que c’est l’accueil de cet amour qui donne la vie. « La vie éternelle — dira-t-il un jour — c’est de te connaître » (Jn 17,3)

Dans toute la pensée chrétienne, un fait apparaît clairement : la source du bonheur sera l’intimité avec Dieu, ce sera, comme dit saint Paul, « habiter chez le Seigneur » (2Co 5,8), « être avec le Christ » (Ph 1,25).

 

Il est temps d’aborder le deuxième argument, qui pourrait nous inquiéter un peu. Qu’est-ce que cela veut dire : « ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges » (Lc 20,35-36) ?

Jésus démonte l’argument des sadducéens en affirmant que la vie dans la résurrection ne ressemblera pas à la vie terrestre et qu’il n’est pas question d’utiliser une comparaison comme celle des sept frères. On sera comme des anges : il ne s’agit pas d’un retour à une vie pseudo-terrestre.

Mais alors, dans cette annonce qu’on ne se marie pas au paradis, devons-nous penser que nous serons de parfaits étrangers l’un à l’autre, un immense troupeau d’anges solitaires qui auront simplement entre eux des rapports paisibles mais incolores et occasionnels ? Doit-on penser que tous les liens tissés ici sur terre seront dissous et que nous nous retrouverons au ciel avec un cœur “formaté” ?

La raison pour laquelle on ne se marie pas, dit Jésus, c’est qu’on ne peut plus mourir (v.36). Jésus ici ne considère dans le mariage que la dimension qui pallie à la mort, c’est-à-dire la dimension de la procréation par la vie sexuelle. Il est dans le mariage des composantes plus éternelles qui ne sont pas visées ici. Les liens d’amour, d’ouverture mutuelle, la façon dont on se laisse marquer par l’autre et tous les efforts que l’on fait pour l’accueillir dans notre cœur, tout cela est marqué du sceau de l’éternité, de ce que souligne le Cantique des cantiques quand il affirme que l’amour est fort comme la mort et que les grandes eaux ne peuvent le submerger (Ct 8,6). Et il ne s’agit pas seulement de l’amour conjugal, mais tous les liens que nous aurons eus à cœur de tisser sur terre seront poursuivis et amplifiés dans la résurrection, lorsque les dimensions de notre cœur ne seront plus limitées par notre inscription présente dans le temps et l’espace.

J’en veux pour preuve quelques témoignages. D’abord le fait que nous comptons sur l’assistance des saints. Il n’est pas imaginable qu’ils nous diraient : je vais t’aider, mais ensuite quand tu seras au ciel je t’ignorerai pour me délecter dans mon coin de la beauté de Dieu. Les saints sont nos amis. J’apprécie aussi beaucoup cette affirmation de Marthe Robin :

quand le ciel s’ouvrira pour m’accueillir, j’oserai alors penser que c’est bien mon tour de tomber pour toujours dans les bras de mon Père. Il me semble qu’au ciel je serai tout près de ceux que j’aurai aimés, de tous ceux qui m’ont fait du bien, surtout celui de m’avoir guidée vers le Bon Dieu.

Je voudrais aussi citer la lettre que saint Thomas More emprisonné à la tour de Londres écrivit à son ami Antonio Bonvisi peu de temps avant son exécution :

de toutes mes forces je prie le Dieu très grand pour (...) qu’il nous transporte, par sa compassion, de ce monde misérable et orageux dans sa paix, là où il n’y aura pas besoin de lettres, où aucun mur ne nous séparera, où aucun portier ne nous empêchera de parler ensemble, mais où, avec Dieu (...) nous jouirons pleinement de la joie éternelle.

Plus nous nous ouvrons les uns aux autres, plus nous nous préparons un ciel lumineux.

 

fidèle et humble...

dimanche 28 octobre 2007

Comme nous aimerions, au soir de notre vie, pouvoir parler comme Paul : « Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle... » (2 Tm 4,6) Et pas seulement au soir de notre vie... Pouvoir souvent regarder les années écoulées et se dire : je suis heureux d’être passé par ce chemin et d’avoir mené le combat que j’ai mené. Oui, il y a un grand bonheur à voir les combats menés pour être fidèle. C’est ainsi que nous savons au plus profond de nous-mêmes que nous aimons Dieu : à la mesure de ce que nous avons manifesté de fidélité envers lui. C’est toujours ainsi dans l’amour : l’amour se manifeste par des actes. Dans un couple aussi, si un des deux se demande : est-ce que j’aime encore mon conjoint ? La réponse la plus forte sera lorsqu’il pourra se dire : je sais que je t’aime car j’ai fait ceci ou cela pour toi. Quand saint Paul dit « je me suis bien battu, je suis resté fidèle », ce n’est pas une façon de s’enorgueillir, mais de goûter l’amour qu’il a porté au Seigneur. Comme disait le curé d’Ars : mon Dieu, fais-moi la grâce de mourir en t’aimant et en sentant que je t’aime !

Il faut quand-même envisager un autre cas de figure : il nous arrive de nous sentir infidèle, en faute par rapport aux beaux objectifs que nous nous étions fixés. Il nous arrive de nous présenter devant Dieu avec la conscience chargée du poids d’une faute, d’une infidélité. Comment vivre devant Dieu, devant nous-mêmes aussi, dans ce cas ? Devrions-nous conclure que la joie d’aimer Dieu et de marcher sur ses chemin nous est fermée ? Nous avons de la chance d’avoir entendu aujourd’hui la parabole du pharisien et du publicain ; elle pourra nous instruire dans cette affaire. Le pharisien et le publicain viennent tous les deux au temple, le lieu du rendez-vous avec Dieu. Mais ils y viennent tout différemment...

Le publicain, c’est l’homme qui s’est bien débrouillé dans sa vie, mais il n’est pas fier de ce qu’il a fait. Il sait qu’il a mal agi ; il se rend compte de son erreur, et il veut changer. Le pharisien, quant à lui, méprise les autres, il se croit meilleur, il énumère tout ce qu’il fait de bien... mais peut-être a-t-il besoin de se convaincre lui-même qu’il est le meilleur, il n’en est pas si sûr... Le publicain fait le premier pas de se rendre compte de son erreur, et puis il veut changer. Le pharisien se masque à lui-même toutes ses erreurs, il se compose une belle apparence aux yeux des autres en respectant des règles de bonne conduite. Il ne veut pas changer et pour ne pas changer il se rend lui-même aveugle sur ce qui ne va pas dans sa vie. Pourtant c’est sûr, le pharisien avait aussi des misères dans sa vie... tout homme a ses misères dans sa vie.

Jésus nous dit que c’est le publicain qui est retourné chez lui justifié, pas le pharisien. En agissant comme le publicain nous ne serons pas obligé de nous cacher à nous-mêmes nos propres misères, et nous pourrons guérir, nous pourrons reprendre la route de la fidélité à Dieu. Le publicain demande humblement le pardon de Dieu et puis il repart dans la vie.

Il y a encore quelque chose à relever dans l’attitude du publicain : il vient au temple, il ne reste pas replié sur lui-même, il ne se dit pas « je suis un bon à rien, un type moche, Dieu n’a rien à faire avec moi ». Parfois, quand nous ne nous sentons pas bien avec ce que nous avons fait, nous ne voulons plus aller vers Dieu. Nous pourrions prendre exemple... C’est ça la vraie humilité ; non pas de dire « je suis un affreux type et je ne mérite pas qu’on s’intéresse à moi » mais plutôt : « j’ai fait le mal et je n’en suis pas fier mais j’ai confiance que je pourrai encore être aimé ».

Pour finir, je vous propose de réfléchir un instant : quel est mon grand objectif dans ta vie ? Quel est mon grand objectif dont j’aimerais dire à la fin de ma vie : « Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle... » ?

 

Pourquoi faut-il veiller ?

messe des étudiants, 24 octobre 2007

Première lecture

Dans sa lettre aux Romains, saint Paul affronte ce formidable problème de la vie humaine : il y a en moi et en chacun comme une infirmité qui m’empêche d’aimer comme je le souhaite, qui rend difficile de faire le bien et d’éviter le mal, qui me pousse à me replier sur moi-même plutôt que d’être généreux. C’est comme un esclavage, et Paul nous suggère la façon d’y répondre... une façon vigoureuse.

12 Frères, il ne faut pas que le péché règne dans votre corps mortel et vous fasse obéir à ses désirs. 13 Ne mettez pas les membres de votre corps au service du péché pour mener le combat du mal : mettez-vous au contraire au service de Dieu comme des vivants revenus de la mort, et offrez à Dieu vos membres pour le combat de sa justice.

14 Car le péché n’aura plus sur vous aucun pouvoir : en effet, vous n’êtes plus sujets de la Loi, vous êtes sujets de la grâce de Dieu. 15 Alors ? Puisque nous ne sommes pas sujets de la Loi, mais de la grâce, allons-nous recommencer à pécher ? Absolument pas. 16 Vous le savez bien : en vous mettant au service de quelqu’un pour lui obéir comme esclaves, vous voilà esclaves de celui à qui vous obéissez : soit du péché, qui est un chemin de mort ; soit de l’obéissance à Dieu, qui est un chemin de justice.

17 Mais rendons grâce à Dieu : vous qui étiez esclaves du péché, vous avez maintenant obéi de tout votre cœur à l’enseignement de base auquel Dieu vous a soumis. 18 Vous avez été libérés du péché, vous êtes devenus les esclaves de la justice. (Rm 6)

Ça fait bizarre d’entendre que nous devons devenir esclave de la justice. Car Dieu ne veut pas que nous soyons esclave, mais justement que nous soyons libre. Mais finalement cette image est belle : esclave de la justice. Car la vraie liberté n’est pas l’indépendance ; la vraie liberté, c’est choisir de dépendre de ceux à qui on veut être lié dans l’amour. Qui est vraiment libéré ? Celui qui n’a besoin de personne ? Celui qui fait tout selon ses envies ? Non ! Celui-là est vraiment esclave. Est vraiment libre celui qui, de lui-même, est capable de dépendre de qqun, par amour, à cause du lien qui se crée entre ceux qui s’aiment et qui doit être préservé. Celui qui est libre, c’est celui qui accepte la dépendance que l’amour crée parce que les personnes qui s’aiment ouvrent leur vie à l’autre. C’est ainsi que nous pouvons vivre une juste dépendance, obéissance envers Dieu.

Évangile

39 Jésus disait à ses disciples : “Vous le savez bien : si le maître de maison connaissait l’heure où le voleur doit venir, il ne laisserai pas percer le mur de sa maison. 40 Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »

41 Pierre dit alors : « Seigneur, cette parabole s’adresse-t-elle à nous, ou à tout le monde ? »

42 Le Seigneur répond : « Quel est donc l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de ses domestiques pour leur donner, en temps voulu, leur part de blé ? 43 Heureux serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera à son travail. 44 Vraiment, je vous le déclare : il lui confiera la charge de tous ses biens.

45 Mais si le même serviteur se dit : ’Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper serviteurs et servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, 46 son maître viendra le jour où il ne l’attend pas et à l’heure qu’il n’a pas prévue ; il se séparera de lui et le mettra parmi les infidèles.

47 Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a pourtant rien préparé, ni accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups. 48 Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, n’en recevra qu’un petit nombre. A qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. (Luc 12)

Dans l’évangile, Jésus se trouve à un moment où il fait route vers Jérusalem, et donc se rapproche de sa passion, de sa résurrection, de son départ vers le Père. Il est temps pour lui d’indiquer comment ses disciples doivent vivre sans sa présence physique, quand il seront comme des gens dont le maître a quitté la maison pour partir à des noces.

En n’étant plus présent physiquement dans le monde, Dieu confie sa création à tous les hommes, ses intendants. Et il annonce qu’il nous faut nous tenir prêts à le rencontrer car la rencontre avec lui se fera à l’improviste. Je me demande comment nous pourrions imaginer l’effet de surprise que la rencontre avec le Seigneur aura sur nous... Ce n’est pas facile à imaginer... Pourtant ce serait utile de pouvoir le faire...

Devant la sainteté de Dieu nous pourrions nous sentir pris en défaut. La seule manière de tenir, c’est d’avoir attendu dans l’amour. « Enfin, te voilà, toi que mon cœur attend depuis si longtemps ! »

D’habitude, quand un serviteur doit veiller le retour de son maître, c’est pour le servir quand il arrive. Mais ici, Jésus nous invite à veiller pour que nous soyons servis ! Et dès maintenant, si nous voulons être comblé dans notre vie avec le Seigneur, dans notre vie de chrétien, c’est bien en veillant, en gardant notre cœur attentif et brûlant pour Dieu, que nous recevrons tout ce qu’il a à nous donner. Bien des chrétiens sont déçus de Dieu simplement parce qu’ils ne veillent pas, parce qu’ils s’endorment dans leur amour et disent simplement : il y a intérêt à ce qu’à mon réveil j’aie reçu ceci ou cela... Dieu ne peut combler que le cœur qui veille, c’est une loi universelle de l’amour : celui qui s’ouvre moins est moins comblé, celui qui s’ouvre davantage est comblé davantage.

Il reste l’histoire des coups plus ou moins nombreux mérités selon que nous connaissions ou pas la volonté de Dieu que nous n’avons pas faite. Ce petit épisode n’a rien à voir avec une sanction venant du Seigneur. Il est plutôt relatif à la façon dont nous nous jugeons nous-mêmes. Lorsque nous nous comparons aux autres, nous estimons que nous méritons peu de reproches par rapport à tel ou tel qui vraiment agit manifestement très mal. Jésus nous invite à ne pas nous comparer : que savons-nous de ce que mérite tel ou tel ? Pour nous, engageons-nous de tout notre cœur, c’est la seule mesure : de tout notre cœur.

 

 

Seul l’amour transforme vraiment (Saint-François)

homélie de la Saint-François, messe des étudiants

Pourquoi a-t-on choisi ces lectures pour la fête de saint François ? A première vue ça aurait été plus judicieux de choisir les disciples partant sans argent ni manteau de rechange (Mt 10)

Mais il y a ce chant de louange de Jésus : Père, je te bénis ! Et souvent François a béni Dieu. Il a aimé sortir de ses préoccupations quotidiennes pour chanter la beauté de Dieu et de la création. La louange de François envers Dieu est devenue capable d’accueillir de plus en plus les contrariétés de la vie (cf. le Cantique des créatures, auquel il ajoute la strophe sur la mort : loué sois-tu mon Seigneur pour notre sœur la mort).

Jésus loue son Père parce qu’il a révélé aux tout-petits ce qui était inaccessible aux sages et aux intelligents. Et toute sa vie François a lutté pour être tout-petit, pour ne pas vivre comme quelqu’un d’admiré comme un sage, quelqu’un qui mettrait sa confiance dans ses capacités intérieures et qu’on vénèrerait pour ces capacités. François a été champion de la pauvreté et de l’humilité, disant à ses frères : « nous ne devons être ni sages ni intelligents selon le monde ; mais nous devons plutôt être simples, humbles et purs » (lettre à tous les fidèles). Pour lui, c’était le moyen sûr de connaître Dieu et de vivre en sa présence.

Dans sa lettre aux Galates, saint Paul dit qu’il est passionné par la croix du Christ, et saint François lui-même était profondément marqué par l’amour dont le Christ témoigne pour nous en mourant sur la croix. Il lui arrivait d’ailleurs, quand il voyait peu d’attention pour le Christ autour de lui, de s’exclamer « l’amour n’est pas aimé ! » Un jour, tellement passionné pour le Christ, il recevra de lui les marques de sa passion, comme un témoignage de communion, un gage d’union, d’intimité : ce sont les fameux stigmates.

Nous comprenons mieux maintenant le choix des lectures de ce jour ; et finalement nous pourrions dire que François a pris sur lui le joug de Jésus et qu’il l’a trouvé léger et facile à porter. François peinait sous le poids du fardeau, comprenez : le poids de la richesse, d’une vie facile où tout lui souriait... Un fardeau, cela ? N’est-ce pas un peu ce que nous souhaiterions tous ? Pourtant François découvrira que cette vie amusante et distrayante était un fardeau car elle était vide ; il n’y a rien de plus lourd qu’une vie vide. Heureusement, François a trouvé à se mettre à l’école du Christ, c’est-à-dire qu’il s’est mis à aimer. Et l’amour lui a fait faire des prouesses qu’aucune force n’aurait permis.

L’amour a été le dynamisme qui a permis à François d’embrasser un lépreux dans la plaine d’Assise. C’est cela le joug du Christ, embrasser un lépreux alors qu’on éprouve une grande répugnance pour lui. Notez bien, embrasser un lépreux, pour François, ce n’était pas embrasser un lépreux pour quelqu’un qui se sent naturellement porté à secourir toutes les misères du monde. C’était embrasser un lépreux pour quelqu’un qui n’avait jusque là juré que par la beauté, la santé et tout ce qui était éclatant en matière de vêtements, d’apparence, de fête. C’était seulement la force de l’amour qui le conduisait vers le lépreux, c’était ce mouvement extraordinaire de sortie de soi et de ses habitudes en faveur d’un autre.

Choisir l’humilité, pour François, c’était vraiment prendre le joug du Christ, non pas suivre un penchant naturel. Il y en a pour qui l’humilité n’est pas une grâce spéciale : déjà ils n’ont jamais aimé briller ; être mis en avant, ils détestent ; c’est tout juste s’ils ne sabotent pas leurs réussites pour ne pas paraître au-dessus des autres. A eux, le Seigneur veut peut-être davantage donner une grâce d’assurance et d’audace : être audacieux comme le Christ... Mais à François, l’assurance et l’audace étaient naturelles, et le Christ voulait lui offrir autre chose. Le fardeau léger, ce serait l’humilité, qui ne pouvait lui venir que par amour du Christ humble et pauvre. Imaginez : choisir d’être le plus petit, pour le fils d’un des hommes les plus riches de la ville, et qui a aimé cette position. C’était une prouesse d’amour... Et par contre, si nous sommes naturellement austère, et que nous avons l’impression que le Seigneur nous pousse à être encore plus austère, il faut se méfier : nous sommes peut-être le jouet de nous-mêmes, nous ne faisons peut-être pas une prouesse d’amour...

A nous tous, le Seigneur offre un fardeau léger, que nous prenons en devenant ses disciples. Il sera léger car nous le porterons par amour, et non pas soumis à une quelconque loi de notre être. Pour certains ce sera d’être plus réservés, pour d’autres, de sortir davantage de leur réserve. Pour certains, de devenir plus actif, ou plus contemplatif ; plus entreprenant, ou plus prudent ; plus chaste, ou plus fier d’être le garçon ou la fille que l’on est ; plus porté sur la fête, ou plus intérieur. Prenons un petit temps de silence pour demander au Seigneur ce fardeau qui vient de lui, que nous porterons en l’aimant, et qui transformera notre être à la manière de celui de saint François, le riche et fier jeune homme devenu par amour l’humble et pauvre frère mineur.

 

ouvrir son cœur au pauvre

30 septembre 2007

Le pauvre Lazare et le riche anonyme vivaient dans des mondes parallèles. De temps en temps sans doute le riche voyait Lazare, mais rien ne le poussait à faire attention à lui. Et puis vient la mort, devant laquelle il n’y a plus ni riche ni pauvre. Et quand Lazare et le riche sont mis à égalité, ne pouvant plus mettre leur assurance dans des biens extérieurs mais seulement dans ce qu’ils ont été en eux-mêmes, il apparaît que c’est le riche qui a besoin de Lazare. Et il n’est pas dit que Lazare en veut au riche et le laisse par vengeance dans sa misère spirituelle. Simplement, Abraham explique que c’est impossible de remédier à cela. Comme disait Jésus, celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il croit avoir (Lc 8,18 entendu ce lundi). Dans la vie éternelle, le riche qui arrive le cœur vide se retrouve maintenant avec moins que rien.

Nous qui jouissons des biens de la terre, c’est important que nous nous demandions si nous ne sommes pas dans la situation du riche qui a un pauvre à sa porte, car ce riche en proie à la désolation intérieure voulait que nous soyons avertis de ne pas agir comme lui.

Je ne crois pas que Jésus nous invite à interchanger nos situations, à devenir misérable car il y a des misérables dans notre monde, à ne plus dormir car nous avons mangé à notre faim quand d’autres sont mort de faim aujourd’hui. Mais sûrement Jésus nous invite à nous méfier des mécanismes qui nous empêchent d’ouvrir notre cœur aux pauvres.

Le premier mécanisme pervers est le dogme moderne de la propriété privée, qui est un mensonge aux yeux de Dieu. Dire « je fais ce que je veux de l’argent que j’ai gagné ou dont j’ai hérité et je n’ai de compte à rendre à personne », cela est un mensonge. Bien sûr que nous aurons des comptes à rendre devant les pauvres sur ce que nous aurons fait des biens qui nous ont été confiés. Les biens que je possède sont des biens qui m’ont été confiés par le Créateur du monde, par le Père de tous les hommes, et s’il m’a confié ces biens, son argent, c’est pour que j’exerce en son nom une paternité généreuse envers tous. Non pas du paternalisme, mais une responsabilité envers tous, d’autant plus grande que j’ai reçu de grands biens.

Quand je reçois des bulletins de versement de l’une ou l’autre association d’entraide, quand quelqu’un sonne à ma porte pour demander de l’aide, je me dis d’abord : encore un qui en veut à mon argent ! Je ferais mieux de me dire : comment allons-nous utiliser au mieux cet argent qui est le nôtre ? Des lectures d’aujourd’hui, nous pouvons conclure qu’il n’y a pas de place pour le luxe dans la vie du croyant. Si nous voulons nous faire plaisir, donnons largement ! Ce que nous croyons être à nous n’est pas à nous : nous en sommes les gestionnaires en faveur des enfants de Dieu... dont nous sommes.

Un autre mécanisme qui nous empêche d’ouvrir notre cœur au pauvre est de justifier sa pauvreté par sa paresse et mon aisance par mon courage. « Moi, je sais me lever le matin pour aller travailler, et quand il s’agissait d’étudier je ne passais pas tout mon temps à guindailler... » Bien sûr, il y a des gens qui sont pauvres parce qu’ils sont paresseux et d’autres qui profitent du système. Mais pas tous, loin de là ! Et si nous craignons que notre argent soit mal employé, soutenons des associations fiables, il y en a (d’ailleurs il paraît que les chrétiens y sont sur-représentés parmi les donateurs...)

Un troisième mécanisme que nous pourrions activer pour tenir le pauvre à distance, surtout dans notre monde surinformé, consiste à dire que je ne peux quand-même pas remédier à toute la misère du monde. C’est clair, il y en a d’autres qui peuvent faire plus que moi, mais j’ai ma part à réaliser. Si je ne peux pas nourrir tous les hommes, que j’en aide au moins un ! Quant à la somme d’information qui m’est accessible, je peux aussi l’utiliser pour aborder tel ou tel problème de pauvreté, me documenter avant d’agir à propos des enfants des rues de Kinshasa ou de la situation des sans-papiers en Belgique.

Je ne vous dit pas tout cela de la part du Seigneur pour vous donner mauvaise conscience (il faut se méfier des “pauvres” qui nous abordent par la mauvaise conscience) : le Seigneur ne nous demande pas d’être gênés devant les pauvres ni de répondre à toutes leurs demandes, mais il nous exhorte à les aimer, à leur ouvrir notre cœur, à être sensible à leurs besoins comme si c’étaient les nôtres. Ayons un amour actif. Notre cœur est capable de plus de générosité que nous ne croyons. Et finalement, ce ne serait même que justice d’agir ainsi.

Documents
  • Sur la destination universelle des biens
Paul VI, Populorum progressio, encyclique, 1967
Le catéchisme de l'Église catholique
destination universelle et propriété privée (Jean-Yves Naudet)
et sur le site de Ichtus, une association bien française
  • Le chrétien, l’ami des pauvres
Andrea Riccardi, à Bruxelles-Toussaint 2006

 

Notre pauvreté peut devenir attente amoureuse

messe des étudiants, 12 septembre 2007

Jésus oppose la situation de ceux qui sont pauvres et de ceux qui sont repus. Il ne propose pas aux pauvres d’être riches, mais d’avoir le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu, pour certains, c’est insignifiant, cela n’entre pas dans leurs vues. Pour d’autres, c’est le plus grand trésor, car ils aiment Dieu et ils disent tous les jours « que ton règne vienne ».

A tous les pauvres est proposé le règne où justice et paix s’embrassent, où amour et vérité se rencontrent.( Ps 85,11) Il y a bien des pauvretés auxquelles nous pouvons nous-mêmes remédier au nom du Seigneur, et je vous invite à signer la déclaration de solidarité avec les pauvres qui se trouve dans le fond de l’église et ici. Je vous invite à signer la déclaration, et à vous laisser habiter par ce que vous venez de faire, pour que votre cœur soit touché.

Mais pour tout homme il y a des pauvretés auxquelles personne ne peut remédier. Il s’agit de beaucoup de nos manques, qui nous font souvent souffrir ; et nous cherchons à les combler d’une façon ou d’une autre, ce qui nous conduit rarement au bonheur. Laissons résonner ces paroles de Jésus à nos oreilles. Nous sommes heureux si nous éprouvons notre pauvreté, si nous avons faim, si la considération que nous attendons ne nous est pas donnée à cause du Seigneur. Nous sommes heureux car c’est la porte d’entrée du Royaume dans nos vies.

Le cœur repus, celui qui ne désire plus rien, qui est rassasié de distractions, de conforts, de jouissance, celui-là est vraiment malheureux. Il est éteint, il est mort finalement. Le cœur qui éprouve le manque souffre mais il peut faire de ce manque une attente amoureuse. Il nous est donné à chacun le pouvoir de reconnaître notre pauvreté, de l’accepter puis de la transformer intérieurement.

Si nous faisons de notre manque une attente amoureuse cela change tout. Nous ne sommes plus centrés sur nous-mêmes, sur ce qui nous fait souffrir, mais nous faisons de cette souffrance elle-même l’ouverture vers un autre que nous, vers un autre qui mendie notre amour. Nous mendiions quelque chose, et nous découvrons à la porte de notre cœur un autre mendiant, le Christ. Et nous pouvons faire le constat que tout ce que notre être attend, tout ce dont il manque si cruellement, c’est l’amour du Seigneur. Notre besoin d’être aimé est vraiment comblé dans l’ouverture à Dieu.

Cela demande quand-même un grand et patient travail : changer de centre de gravité. Qu’au centre ce ne soit plus moi et ce qui légitimement me manque... Qu’au centre, cela devienne Dieu et son Royaume, une passion pour le Seigneur. C’est un chemin qui se parcourt à tâtons. Seul l’amour nous conduira. « De noche iremos, de noche, que para encontrar la fuente solo la sed nos alumbra ! » disait saint Jean de la Croix : de nuit, nous irons dans l’ombre, car pour découvrir la source, seule la soif nous éclaire.

 

un amour préférentiel oriente tous les amours

homélie du 23°dimanche, 9 septembre

Laissez-moi vous le dire : être le disciple du Christ, c’est une condition merveilleuse qui nous est proposée ! Nous avons du mal à imaginer la proposition extraordinaire qui nous est faite, le projet ambitieux qui s’ouvre devant chacun de nous : avoir pour ami et pour entraîneur ou pour patron la personne la plus formidable que la terre ait porté, le Christ Jésus lui-même. C’est bien différent qu’adhérer à un parti politique motivant, bien différent de suivre un leader charismatique. C’est être disciple d’un gars qui a osé affronter ce qui nous fait le plus peur dans notre vie, le dépouillement et la mort, et qui nous invite à être les vainqueurs de cela comme lui, car il est ressuscité.

Je trouve que ce que Jésus nous propose en vaut vraiment la peine, et je le mesure presque tous les jours dans ma propre vie, quand je vois la paix qu’il me donne, ou la force dans les moments difficiles. Cela vaut la peine et le prix annoncé dans l’évangile d’aujourd’hui ne doit pas nous décourager.

Pourtant ce prix est très élevé. Jésus nous affirme que ce serait insensé de vouloir être son disciple sans « renoncer à tous ses biens », « à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie. » (Lc 14,33.26) Vouloir être disciple du Christ sans le préférer à tout cela, c’est comme entamer une construction sans espérer pouvoir l’achever.

Il y a de très rares personnes qui vivent cet évangile à la lettre, par exemple saint François et certains de ses disciples. Pour les autres, pour vous et moi, que faire ? Je dis bien “vous et moi” car si j’ai renoncé à une épouse et des enfants, je suis néanmoins volontiers accueilli chez mon frère et chez de nombreux amis, je possède un lit bien chaud, un bureau, un ordinateur, des tas de livres et un salaire suffisant.

Si Jésus nous invite à toutes sortes de renoncements, c’est à cause d’un attachement qui est supérieur. Les paroles de Jésus, « me préférer à » tout, nous incitent à une exclusivité, relative à l’amour. Une épouse pourrait bien demander à son mari : est-ce que tu me préfères au football ? Elle peut demander : est-ce que tu me préfères à tes parents, à tes frères ? Et si cette demande ne relève pas d’un amour capricieux, son mari sera juste de lui répondre “oui, pour toi je renoncerais à tout”. Heureux même celui qui peut dire à quelqu’un : je te préfère à ma propre vie. Ce sont des paroles d’un amour fort, d’un amour vraiment digne de l’homme.

Ce qui est vrai dans l’amour humain l’est aussi dans l’amour divin. C’est moins facile car cela se vit dans la foi, cela exige de croire que ce Dieu que je veux préférer à tout existe et m’aime. Mais le Christ nous demande d’entrer avec lui par la foi dans une relation d’amour, et de l’amour le plus beau. Il n’a rien à faire d’une sorte d’affiliation, d’une carte du « club Église », ni même d’une vague sympathie. Il sait bien que nous ne serons heureux d’être ses disciples que si nous nous attachons à lui de l’amour le plus fort dont nous sommes capables.

Bon, maintenant, ne soyez pas honteux d’être marié, de vous attacher de tout votre cœur à votre conjoint, à vos enfants, à votre famille, à vos amis. Mais il ne suffit pas d’aimer Dieu « à travers » son conjoint, ses enfants, ses amis, comme on entend parfois. Ce n’est pas assez, ce n’est pas cela que le Christ veut : il veut que nous le préférions à tous ces amours qui peuvent être si beaux.

Lorsque nous aurons osé donner cette préférence au Christ, nous vivrons d’ailleurs mieux tous les autres amours, car notre cœur sera libéré de tout ce qui aurait pu être maladif dans notre amour des autres. Aimer c’est accepter d’être dépendant d’un autre. Or ce n’est pas toujours librement que l’on accepte la dépendance à l’autre que crée l’amour. Parfois c’est une dépendance subie, car un vague instinct nous y force. Alors nous aimons la personne et en même temps elle nous encombre ou nous domine. La façon dont Jésus nous demande de le préférer crée en nous une liberté par rapport aux personnes, par rapport à leurs exigences envers nous. Nous pouvons nous dire : mon maître c’est Dieu ; et il exerce sur moi sa domination parce que je l’aime.

Ainsi, finalement, nous sommes heureux que Dieu nous dise parfois : « je suis un Dieu jaloux » (Ex 20,5 ; Jos 24,19 ; Is 37,32, etc.) Cela nous libère dans nos façons d’aimer.

 

homélie du mariage de Myriam et Matthieu

(1ier septembre 2007)

(dans le même style, un peu plus récent, voir cette homélie)

Nous allons célébrer un mariage chrétien. Et il n’est pas chrétien d’abord à cause de vous, Myriam et Matthieu, de votre foi... Il est chrétien à cause de ce que l’Église vous propose : c’est elle qui vous offre ce moyen vraiment nouveau pour avancer dans la vie en amoureux, en personnes qui s’aiment. Nous avons entendu la lettre aux Hébreux qui rappelle à ses destinataires le respect envers l’union conjugale. Et il n’y a pas que cette lettre ; on pourrait citer plusieurs passage de saint Paul, et surtout les évangiles, en faveur de ce mariage si surprenant aujourd’hui : le mariage indissoluble, le fait qu’un homme et une femme peuvent se choisir pour toute leur vie et traverser ensemble les moments où ils seront moins attirés l’un par l’autre.

Il y a dans l’Église la conviction qu’un couple gagne à rester uni, beaucoup plus souvent qu’on ne le croit dans notre monde, malgré les difficultés et les insatisfactions que l’on peut rencontrer. Cette conviction repose sur une disposition naturelle de l’amour humain : il serait odieux de dire à quelqu’un : je t’aime pour un moment, tant que cela me convient. Cette conviction repose aussi sur une dimension de foi : l’amour des conjoint n’est pas seulement leur affaire à eux deux, mais il est un témoignage de l’amour de Dieu. L’un pour l’autre, vous serez témoins de l’amour que Dieu vous porte à chacun. Et pour nous tous vous serez témoins de la force de l’amour de Dieu, de la façon dont il s’éprend de nous. Et l’amour de Dieu ne se reprend pas. Même les personnes séparées peuvent continuer à témoigner de cette fidélité de l’amour de Dieu.

Je voudrais donner à tous les couples ici présents trois ingrédients qui me paraissent si importants pour construire un amour qui illumine toute la vie. Le premier, c’est le pardon. Tout au long de votre vie vous aurez à vous pardonner l’un à l’autre. Sur la terre, il n’y a pas d’amour parfait, irréprochable. L’amour que l’on s’échange sur terre est un amour à pardon, comme il y a les moteurs à essence. Notez que pardonner, ce n’est pas excuser ; on peut très bien pardonner à quelqu’un qui est inexcusable. Parce que pardonner n’est pas dire : je te comprends, je vais essayer d’oublier... Pardonner, c’est dire à l’autre : même si tu m’as fait si mal, je veux t’aimer par-delà ce que tu m’as fait, je ne veux pas que ta mauvaise action limite mon amour. Pardonner, c’est faire remporter une victoire à l’amour.

Cela suppose, ce sera mon deuxième point, que l’amour ne repose pas seulement sur le sentiment mais aussi sur la volonté. On ne le sait plus dans notre monde, on croit que l’amour dure tant que dure le sentiment. Mais non, l’amour est aussi choix, décision. Dans un couple il arrive des moments où le sentiment n’est plus au rendez-vous. Mais on peut encore choisir d’ouvrir son cœur à l’autre, de le prendre dans son cœur, de vouloir lui être uni. Non par nécessité, non par peur d’être seul, non par soumission, mais par choix. Lorsqu’on fait cela, un sentiment nouveau commence à naître, plus profond, un attachement qui donne davantage la vie.

Et puis, en troisième lieu, je vous propose de vivre souvent la reconnaissance, le merci. Il n’y a rien qui fait grandir plus l’amour que la reconnaissance, comme il n’y a rien qui l’abîme plus que l’ingratitude. Passez du temps à vous émerveiller de ce que l’autre est et de ce qu’il fait pour vous. Et même lorsqu’il sera souffrant et tout abîmé, portez encore sur lui ce regard d’émerveillement qui le réchauffera et qui est celui de Dieu sur chacun de nous. La première chose dont vous pouvez être reconnaissant, c’est que l’autre ait bien voulu partager votre vie. Dites-lui souvent merci d’être là, à vos côtés. Ne vous habituez jamais à cela. Et dites-lui merci pour tant de choses. Je connais un couple âgé où le mari, à la fin de chaque repas, se lève pour déposer sur le front de son épouse un tendre baiser, en lui disant merci pour le repas qu’elle a préparé. Ça change bien des maris ou des épouses qui estiment que tout leur est dû ! A chacun de trouver les gestes, les occasions nombreuses pour dire à l’autre « merci ». C’est ainsi que votre amour grandira ou se réveillera. La lettre aux Hébreux disait : contentez-vous de ce que vous avez ! Cela pourrait être assez rabat-joie comme conseil ; mais il faut le relire en quelque sorte étymologiquement : soyez contents de ce que vous avez ! « Je suis content, je suis content que tu sois ma femme, que tu sois mon mari » ! Ah, si vous pouviez vous le dire souvent, même quand il y a une femme ou un homme qui paraît plus agréable un peu plus loin !

Je n’ai encore rien dit de l’évangile. Ce sera ma conclusion. Le Seigneur nous invite à lui faire confiance, car il veille sur nous même pour les choses matérielles. S’il nous appelle à vivre ainsi, ce n’est pas pour que nous soyons paresseux ou profiteurs, mais pour que notre cœur ne soit pas accablé de soucis et qu’il soit libre pour aimer. Si nous laissons Dieu s’occuper de nous, nous aurons le cœur libre pour nous occuper de ceux que Dieu nous montre, car c’est aussi par d’autres qu’il s’occupe de nous. C’est une économie révolutionnaire que le Christ nous propose. Et vous qui avez compté sur bien des maisons pour vous accueillir dans vos pérégrinations — ah comme j’étais heureux de vous voir débarquer, même quand vous vous annonciez le matin même ! — vous vous disposez aussi à vivre l’hospitalité et la compassion là où Dieu vous donnera de vous poser. Ce faisant, vous vivrez vraiment votre vocation de foyer. Car un foyer est un feu où on vient se réchauffer : vos enfants d’abord, et pour eux votre amour mutuel sera leur biotope. Et puis tous ceux qui chercheront auprès de vous un réconfort, les blessés de l’amour, ceux qui n’ont pas reçu l’amour fidèle sur lequel ils comptaient. L’hospitalité a permis à certains de recevoir chez eux des anges...

 

« efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ! »

homélie du 26 août 2007, 21°dimanche

« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas. » (Lc 13,24) Cette phrase de Jésus est un choc pour nous, chrétiens du XXI°siècle, qui nous sommes plutôt habitués à une théologie à la Michel Polnareff : « On ira tous au paradis ». Il y a dans cet évangile un avertissement de Jésus, que je n’ai pas envie de vous édulcorer, mais je voudrais le faire résonner au milieu des autres phrases des lectures d’aujourd’hui, de cette prophétie d’Isaïe que reprend Jésus : « on viendra de l’Orient et de l’Occident, du Nord et du Midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

En un mot nous pourrions dire : les places ne sont pas comptées dans le paradis, il y en a pour tout le monde, mais on n’y accède pas sans l’avoir cherché. Ici, Jésus s’adresse aux juifs de son temps, spécialement à ceux qui n’écoutent pas sa parole, comme pour leur dire qu’il ne suffit pas de l’avoir connu pour accéder au Royaume mais qu’il faut aussi l’avoir aimé. Cela s’applique sûrement à tous ceux qui habitent un pays où la foi chrétienne était répandue, où on pense connaître Jésus. Il pourrait bien nous répondre : « je ne sais d’où vous êtes »...

La question du salut, “serai-je sauvé ? Vais-je accéder au paradis à ma mort ?”, a occupé le champ de conscience des chrétiens pendant des siècles. Certains ont même pu écrire que le christianisme s’était bâti sur la peur de l’enfer, et ils ne doivent pas avoir tout à fait tort. Aujourd’hui la plupart des gens ne se demandent plus “serai-je sauvé ?” J’ai parfois l’impression qu’ils se disent plutôt : “s’il y a une vie après la mort, elle sera pour moi, je serai sauvé, il ne manquerait plus que ça !” Sur les questions de la destinée de l’homme après la mort, on se dit que les affirmations chrétiennes relèvent de la mythologie, de croyances anciennes et dépassées. Toutes ces histoires de purgatoire, d’enfer, c’est démodé... Souvent alors la foi chrétienne se trouve remplacée par des affirmations très nébuleuse sur une certaine réincarnation, quelque chose au goût moderne mais vraiment pas sûr et plutôt incohérent. Et pour finir on se dit : à quoi bon s’en préoccuper puisqu’on n’en sait rien !

Mais ce matin Jésus vient nous dire : combattez pour pénétrer par le passage difficile ! Au lieu d’un salut automatique, une sorte de loi obscure de la nature, la foi chrétienne nous présente un salut basé sur notre liberté. Notre destinée dépend de ce que nous faisons, de ce que nous choisissons, car Dieu ne nous a pas donné cette vie intelligente et bien plus qu’animale pour que nous nous laissions voguer au gré de notre instinct, pour que nous laissions entrer n’importe quoi dans notre cœur en suivant surtout notre bon plaisir. C’est vrai que nous sommes habiles, que nous savons nous débrouiller sur la terre, mais pour le salut, « beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas ». Leur cœur ne sera pas assez musclé, il sera alourdi, une sorte de cœur gras comme on fait du foie gras, à force d’être centré sur soi-même.

Par ailleurs, beaucoup viendront de partout, de l’orient et de l’occident, j’ose dire aujourd’hui : de l’islam et de l’hindouisme, du judaïsme et du christianisme, et même des athées, parce qu’en écoutant la voix de leur conscience plutôt que de leurs aises, ils auront fait la volonté de Dieu plutôt que de se rassurer à bon compte en se disant : de toute façon Dieu est pour nous quoi que nous fassions.

Tout ce que je vous dit aujourd’hui vous fait peut-être froid dans le dos. Ce n’est pas le but... Quand Jésus nous parle ainsi, ce n’est pas pour décrire une situation mais pour libérer en nous les énergies d’un progrès. Jésus ne condamne pas, il exhorte. Rien n’est jamais fini pour Dieu mais ça commence maintenant.

Reste à ne pas se tromper de motivations. Il s’agit de laisser se libérer les bonnes énergies, celles de l’amour et non celles de la peur. Si nous cherchons à faire ce que le Christ nous demande dans l’évangile, si nous cherchons notre salut, que ce ne soit pas par peur de ne pas l’obtenir. Car c’est encore être fort centré sur moi-même que de m’intéresser à ce que Dieu demande surtout quand mon avenir est en jeu. Devant les avertissements de Jésus, laissons se libérer les énergies de l’amour : “oui je vais combattre pour passer par le chemin resserré, je vais renouveler les préoccupations de mon cœur pour en faire un cœur qui aime vraiment Dieu et tous ceux qui croisent mon chemin”. C’est ainsi, et purifiés enfin par le pardon de Dieu, que nous partagerons la vie éternelle avec ceux qui viendront de partout.

 

l’évangile, ça “déchire” !

homélie du 19 août

Ce récit de l’évangile suit directement le passage sur « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » Cette fois il n’est plus question de cœur mais peut-être n’en sommes-nous pas loin avec ce feu que Jésus vient allumer sur la terre. Dans la Bible comme dans notre imaginaire le feu représente à la fois ce qui purifie et la puissance de l’amour. Il y a l’image du feu du Jugement dernier, et celle de la Pentecôte, de l’Esprit d’amour répandu sur tous. Et finalement ces deux images se rejoignent pour Jésus : il y a deux mois, chez Simon le pharisien, Jésus disait à la femme pécheresse que ses péchés sont pardonnés parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Aimer de tout notre cœur purifie. C’est notre façon de participer au feu que Jésus est venu allumer sur la terre.

Pour une fois nous avons ici accès aux émotions de Jésus. Jésus est impatient que ce feu soit allumé. Pour tous ceux qui souffrent sur la terre, faisons nôtre cette impatience ! Nous pouvons nous demander : comment puis-je promouvoir maintenant la cause de la paix et de la justice autour de moi ?

A l’impatience de Jésus semble se mêler l’angoisse : « Je dois recevoir un baptême — nous dit-il — et comme il m’en coûte d’attendre qu’il soit accompli ! » Ce baptême, lié au feu qu’il vient allumer, c’est certainement sa passion, la façon dont il ancrera dans le cœur de l’homme l’Esprit si souvent repoussé. Quand nous savons que nous devons passer par une épreuve très difficile, cela nous coûte de devoir attendre et de voir cette épreuve inévitable à l’horizon. Jésus, longtemps avant d’être crucifié, a craint ce moment et a connu l’angoisse de le voir venir de loin. Puissions-nous nous rappeler ce passage quand nous envisagerons une rencontre difficile ou un mauvais quart d’heure ! Il nous est utile de nous rappeler que le Seigneur a vécu nos sentiments et vient encore à nos côtés dans la détresse.

La suite de l’évangile nous déroute car nous pensons tous que le message de l’évangile est un message d’amour, et donc sûrement de bonne entente. Or voilà Jésus qui déclare apporter la division et la lutte des hommes les uns contre les autres à cause de lui. Et ceux qui se dresseront les uns contre les autres ne sont pas seulement des hommes qui n’avaient de prime abord rien pour être unis. Ce sont aussi les membres d’une même famille. Certains vivent cette expérience aujourd’hui, elle a été courante chez les premiers chrétiens et elle le redevient au fur et à mesure que l’esprit du monde s’éloigne de l’évangile.

Jésus nous avertit qu’adhérer vraiment à ce qu’il propose ne laissera pas notre entourage indifférent. Les gens se demanderont pourquoi nous faisons tels choix dictés par l’évangile. Jésus ne propose pas un verni de religion, il propose un changement de tout l’être, un engagement de toute la personne, une révolution de la vie et des valeurs communes. De sorte que si nous n’avons pas l’impression de dénoter par rapport à notre entourage, c’est peut-être que nous avons encore du chemin pour vivre profondément l’évangile...

Quelle est la division que Jésus apporte par sa nouveauté ? Il ne s’agit pas d’être divisés parce que nous aurions accablé nos proches de remontrances ou de jugements. Je le dis car c’est une tentation pour des chrétiens. Si par Jésus nous amenons une division, j’aimerais que ce soit à cause d’une façon de vivre qui avertit les autres qu’il existe des « réalités d’en-haut », pour lesquelles il vaut la peine de lutter, de se débarrasser de tout ce qui nous alourdit. Ne craignons pas une façon de vivre qui vient poser des questions très très près du cœur de l’autre : que fais-tu de Dieu ? Est-ce que tu vas te décider à te poser la question ? As-tu raison de le rejeter ? Est-ce que ce sont des preuves de son inexistence qui te poussent à ne pas le reconnaître ou plutôt un entêtement sans preuve, par pur orgueil ? Bien sûr si nous posions la question avec ces mots, nous serions envoyés sur les roses, mais même sans mots notre attachement à Dieu peut poser ces questions à nos proches et amener la division.

Il nous reste un défi : accepter ces tensions sans agressivité ni révolte ni gémissements... Le chemin sera celui que propose la lettre aux Hébreux : unir la souffrance que cette division produit en nous à la croix du Christ, au baptême dont il a été baptisé, à l’extension du feu qu’il est venu apporter sur la terre. Vivons « les yeux fixés sur Jésus », et acceptons de ne pas toujours être compris dans nos choix de vie. Que Dieu nous donne la grâce de persévérer jusqu’au bout en aimant ceux qui peuvent, parfois en bonne conscience, nous persécuter ! Et comme d’habitude, avançons joyeusement, sans trop nous prendre au sérieux.

 

unir les aspirations du corps et de l’esprit

Assomption 2007

Que fêtons-nous exactement aujourd’hui ? Le fait que Marie ne soit pas morte comme tout le monde... Lorsque nous mourrons, nous expérimenterons une sorte de dissociation de notre esprit et de notre corps, l’esprit rejoignant le monde invisible tandis que le corps demeure ici pour un temps. Tandis « que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste. »1. Le dogme de l’Assomption date de 1950 mais elle est fêtée le 15 août depuis le VI°siècle.

Si Marie n’est pas morte comme tout le monde, pouvons-nous en tirer un enseignement qui nous concerne ? Pour tous, l’assomption de Marie souligne toute la valeur de notre corps. C’est tout entier, âme et corps, que nous sommes appelés à la vie éternelle. Nous le disons chaque dimanche en proclamant « je crois à la résurrection de la chair ». Je voudrais commencer par lever ici un malentendu qui s’installe petit à petit dans l’Église : la foi chrétienne ne parle pas d’une résurrection aussitôt après notre mort. Lorsque les gens célèbreront nos funérailles, ils ne célèbreront pas encore notre résurrection, mais ils sauront que notre âme n’est pas morte et prieront pour qu’elle voie déjà Dieu. Plus tard, nous ressusciterons tous ensemble, à la fin du temps, quand ce monde-ci sera arrivé au bout de sa course et que Dieu nous introduira tous ensemble dans la nouvelle terre, dont nous ne connaissons pas la physique mais où nous aurons un corps semblable à celui-ci, comme le Christ ressuscité avait un corps semblable à celui que les apôtres avaient connu avant la résurrection. Un corps qui ne mourra plus, un corps qui ne souffrira plus, mais qui sera pourtant un vrai corps.

Nous recevons ce message d’espérance tandis que notre corps nous paraît souvent si lourd, si peu accueillant à la grâce : il nous fait parfois souffrir, il trouble notre esprit par toutes sortes de maux de tête, de dent, de ventre et toutes sortes d’infirmités ; et il contrecarre aussi les aspirations de notre esprit par toutes sortes de résistances à un amour généreux : convoitise du corps, hésitations profondes à une conversion radicale pour être plus généreux et se donner vraiment...

Eh bien ce corps n’est pas un véhicule pesant, il est appelé à partager la gloire de Dieu et notre bonheur du ciel. Quand Dieu réunit en l’homme esprit et matière, ce n’est pas une œuvre passagère, c’est une œuvre dont il est fier et il veut continuer à nous en faire profiter. Ici sur la terre nous pouvons vivre une grande joie devant un paysage grandiose ou une musique superbe. Et certains déjà vivent l’événement extraordinaire d’une union des aspirations du corps et de l’esprit lorsque, dans le mariage, leur amour spirituel se vit aussi dans le corps. J’ose dire que dans la vie éternelle ce ne sera pas comme aujourd’hui où c’est seulement dans la vie du mariage qu’une vertu aussi spirituelle que l’amour peut se vivre dans le corps, mais, d’une façon que j’ignore tout à fait, la vie du ciel offrira à tous une telle réunion des élans du corps et du cœur. Le grand cas que Dieu fait du corps de Marie m’y fait penser. Je voudrais aussi citer saint Thomas d’Aquin qui au moyen-âge considère que notre bonheur ne pourrait pas être complet si nous étions privés de corps à notre résurrection : bien que l’âme puisse déjà connaître la béatitude tandis qu’elle n’est pas encore réunie à son corps, son bonheur augmentera à la reprise de son corps et sera alors vraiment parfait2.

Mais nous savons tous que ce bonheur ne sera atteint qu’après une purification, une purification que nous aurons recherchée et accueillie sur la terre et que certains devront poursuivre et recevoir sur le chemin du Ciel. Il faut vivre une purification, car il y a beaucoup de parasites qui gênent l’union des aspirations du corps et de l’esprit. Toute la morale sexuelle de l’Église ne vise d’ailleurs qu’à cette réunion ; il faut la voir dans ce cadre. Récemment je lisais un article captivant de John Eccles, prix Nobel pour ses découvertes sur le cerveau, un des plus grands neurologues du XX°siècle, devenu catholique, qui, en marge d’un courant très matérialiste qui ne considère nos idées les plus élevées que comme le produit d’influx neuronaux, explique comment il y a place pour une conscience indépendante du cerveau, qui agit sur lui à travers sa propre chimie1. En pensant au combat moral dans le cadre de sa théorie, je me suis dit qu’il faut du temps pour que le cablage des neurones de notre cerveau soit imprégné des choix de notre volonté d’aimer d’un amour désintéressé, du temps pour que ces déterminations physiques soient évangélisées à force de choix concrets en faveur d’un amour vrai.

Vivons dans le combat et l’espérance : peu à peu nous réconcilions les aspirations de notre esprit et celles de notre corps. Dans la fête d’aujourd’hui nous trouvons un appel à une vie toujours plus unifiée, dans un progrès constant. La prière à Marie peut nous aider : nous pouvons lui confier nos difficultés avec la pesanteur de notre corps, et puis aller de l’avant, joyeusement et très simplement.

1. Pie XII, Constitution apostolique munificentissimus Deus
2. Ia IIæ, question 4, article 5, réponse 4 et 5 (lire ici)
3. Pour lire un peu : Évolution du cerveau et création de la conscience. Vous trouverez une interview de John Eccles dans la rubrique “questions” de ces pages.

 

Que faisons-nous de notre cœur ?

19°dimanche C

Est-ce qu’il vous arrive de ressentir dans votre vie une tension entre deux quêtes : la lutte pour avoir quelque chose et être quelqu’un, d’une part, et les efforts pour vivre quelque chose qui satisfasse la profondeur de votre être d’autre part ? Si vous ressentez cela, n’en soyez pas étonné : Jésus nous en parle ces jours-ci, dimanche passé avec l’homme qui cherche à se reposer dans le confort qu’il a pu s’offrir, et ce dimanche avec l’enseignement sur le trésor que nous cherchons.

« Vendez ce que vous avez et donnez-le en aumône ; faites-vous une bourse qui ne s’use pas », nous dit Jésus. Il nous invite bien à nous faire une bourse : nous avons de toute façon besoin de nous faire un trésor. La question est de savoir comment nous constituons ce trésor. Spontanément nous chercherons à le faire à partir de ce qui se voit et s’évalue parmi les hommes, et qui est de l’ordre d’une concurrence : trésor de beauté, de richesse, de notoriété, d’influence, de pouvoir, de jouissances diverses. Et lorsque ce trésor nous paraîtra inaccessible pour un temps ou pour toujours, nous deviendrons sombre, nous entrerons dans un état de ténèbre où plus rien de beau ne nous goûtera, où l’amertume sera la reine de notre cœur.

Nous avons besoin de toute façon de nous faire un trésor, alors Jésus nous propose plutôt de nous faire un trésor dans le ciel, « un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne ronge pas ».

« là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » Notre cœur est le bien le plus précieux que Dieu nous a fait. Savoir à quoi nous appliquons notre cœur est le choix le plus grand que nous faisons.

Pour appliquer notre cœur à un trésor du ciel, Jésus nous conseille une attitude : « gardez vos lampes allumées ! » Le propre de la société occidentale d’aujourd’hui, c’est de nous distraire de mille façons de notre lampe intérieure, des réponses à donner à la question fondamentale qui habite en nous et nous distingue des animaux : “qu’est-ce que tu fais de beau de ta vie ?, qu’est-ce qu’il y a de grand, d’éternel, de vraiment digne de l’homme dans ta vie ?, qu’est-ce qui est ton trésor ?” Peut-être en fait que toutes les sociétés ont proposé des réponses toutes faites à cette question, et que simplement le propre de notre civilisation est de proposer surtout des trésors qui sont de la fumée.

Alors nous avons besoin d’une attitude très critique envers toutes les modes, toutes les idées qui sont véhiculées comme des lieux communs dans les groupes où nous vivons. Que chacun de nous garde sa lampe allumée, soit comme quelqu’un qui attend le Seigneur et qui s’apprête à lui parler de sa vie, de ses quêtes, de ce à quoi il a passé son énergie.

Jésus nous dit de ne pas craindre, que notre Père nous a donné le Royaume. Cette disposition de Dieu pourrait ne rien nous faire du tout. Ou elle pourrait nous remplir de joie parce que c’est précisément ce Royaume que nous cherchons dans notre vie.

 

Dieu veut exaucer notre prière en nous menant plus loin...

homélie du 17°dimanche C, 29 juillet 2007

Dans notre vie, nous faisons parfois l’expérience déroutante d’un Dieu qui ne semble pas exaucer notre prière, alors qu’il prétend le contraire dans cet évangile. Quand nous lisons « moi, je vous dis : Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte » (Lc 11,9) nous pourrions nous dire : eh bien moi je frappe et la porte ne s’ouvre toujours pas...

Pourtant, j’en suis sûr, Dieu nous ouvre la porte quand nous frappons, bien qu’il me semble que ce soit parfois une autre porte, pour entrer ailleurs, là où finalement nous découvrirons davantage. Dieu répond sûrement à notre prière, ce qui ne veut pas dire qu’il réponde à nos attentes premières.

Dans ma vie j’ai souvent fait l’expérience de cela. Par exemple, lorsque Dieu est pour la première fois devenu pour moi une personne. Auparavant je considérais Dieu d’une façon assez lointaine, je le priais pour obtenir ceci ou cela, en me disant : “pourvu que je l’obtienne !” Puis, grâce à des étudiants de mon année qui avaient commencé un temps de prière le matin avant d’aller au cours, en me joignant tous les jours à leur prière, j’ai ressenti très profondément en moi que Dieu est une personne, qu’il est là près de moi ou en face de moi tout au long de ma vie. Mais ce n’est pas pour autant que je faisais l’expérience de quelqu’un qui m’écoute, qui est là pour moi, pour répondre à mon attente. Tout de suite cette expérience a été plutôt celle d’une présence de quelqu’un qui me disait : “je suis content que tu m’aies trouvé et que tu sois là avec moi”. Cette rencontre exigeait un décentrement, car Dieu n’était plus quelqu’un qui m’aiderait à réaliser mes désirs comme je l’entendais. La rencontre avec lui changeait la perspective. Il me demandait de lui ouvrir ma vie, et non pas de parvenir à mes fins grâce à lui. Je dois dire qu’au bout du compte mon bonheur a grandi grâce à ce décentrement. Dieu ne venait pas épouser ma mentalité, mais j’avais du bonheur à chercher quelle était la sienne, quelle était sa façon de voir ma vie. De cette façon Dieu ne comblait pas mon attente première, il ne m’offrait pas exactement toute la consolation que je souhaitais, mais il préparait en moi des attentes plus grandes, qu’il pouvait combler et par lesquelles il me rendrait si heureux. Pour ma propre vie, cette attente plus grande s’est concrétisée en devenant prêtre, et c’est sûrement le cas d’autres ici aussi. Mais pour d’autres encore parmi nous cette attente plus grande suscitée par Dieu a été ou sera l’engagement dans la fidélité du mariage, dans un don de soi plus grand que prévu à une épouse, à un époux. Et pour d’autres encore, une autre forme de don de soi pour quelqu’un.

Au travers de toutes les demandes que nous lui adressons — et il nous faut lui en adresser beaucoup, c’est une activité qui réveille notre cœur — Dieu a en vue que nous allions plus loin, que nous progressions dans le don de nous-mêmes, dans l’ouverture à lui dans la confiance. Ce qui compte par-dessus tout, c’est que nous redevenions pour lui des enfants, alors que la vie nous a parfois inspiré de la méfiance envers lui.

Si la façon dont Dieu répond à notre prière ne correspond pas à notre attente, puissions-nous éviter de dire : “Dieu m’a trahi” ou “Dieu est impuissant à me venir en aide”. Le geste filial envers Dieu ne sera pas un geste de méfiance ou de retrait mais un geste d’abandon encore plus confiant : “Seigneur, je ne comprends pas ce que tu as en vue, mais je t’ai confié notre cause et je te fais confiance car je suis dans ta main, et déjà l’Esprit-Saint est à la porte de mon cœur”.

Jésus parle souvent de demander les choses en son nom. Ce n’est pas comme s’il fallait mettre notre demande dans la bonne boîte aux lettres... Il s’agit plutôt de voir notre vie et nos besoins dans le cadre du Royaume de Dieu que Jésus inaugure. Si nous parvenons à voir toutes les personnes dans le plan de Dieu, dans son projet d’attirer tous les hommes à lui, dans son amour miséricordieux pour eux, nous commencerons à percevoir que Dieu exauce notre prière. C’est sans doute pourquoi le Notre Père, avant d’exposer nos demandes, nous place devant Dieu et son dessein de salut : il commence par nous dire que Dieu est père pour nous, et demander qu’il soit honoré et aimé comme un Père. Il parle de son règne et de sa volonté. Et enfin, dans ce cadre bien vaste, il situe notre vie et ses besoins : le pain de ce jour. Notre vie et ses relations, résumées dans le pardon. Et pour finir, notre combat contre le mal, où nous devons tant être épaulés, nous qui sommes faibles et influençables.

En résumé, je dirais : Dieu répond à notre prière et son Esprit Saint modèle nos attentes. Nous sommes l’objet de la bonté de Dieu.

 

naître à Dieu par l'Église (29 juin 2007)

— anniversaire de mon ordination —

La fête des deux apôtres Pierre et Paul est très solennelle, non pas seulement aujourd’hui à Louvain-la-Neuve mais dans toute l’Église depuis très longtemps. D’après le calendrier liturgique elle surpasse même le dimanche. Je suis assez fier d’avoir été ordonné prêtre le jour de leur fête, eux qui sont un peu considérés comme les colonnes de l’Église. Et c’est parce que tous les deux ont donné leur vie à Rome par attachement au Christ que l’Église de Rome est devenue celle qui préside à l’unité de tout le peuple de Dieu, qu’elle est l’Église dont l’évêque est pape.

Depuis que je suis né j’ai vécu dans l’Église, et je voudrais aujourd’hui témoigner de tout ce qu’elle m’a apporté. L’Église, s’il fallait en donner une petite définition, c’est ce peuple qui aime Dieu et qui en est heureux au point de faire connaître autour de lui le sujet de sa joie. L’Église, pour moi, ça a d’abord été mes parents, qui m’ont éduqué dans la foi. C’est d’eux que j’ai appris que Dieu est important pour l’homme. Dans ma paroisse, j’ai eu la chance de sentir que les autres chrétiens comptaient sur moi, pour jouer de la musique ou faire la catéchèse de confirmation ; ils ont été déjà l’Église qui comptait sur moi.

De l’Église j’ai commencé à découvrir de très belles choses ; un kot chrétien lors de mes études à Namur, puis la fraternité de Tibériade où on vivait l’évangile sans filtre, et aussi le pèlerinage à Lourdes, l’amitié et le service des malades. J’étais jeune et certains enseignements de l’Église me gênaient, mais pourtant je sentais qu’il y avait du vrai, quelque chose qui valait la peine d’être considéré. Et surtout, je recevais de l’Église, par l’intermédiaire de jeunes croyants, la joie de savoir que Dieu m’aimait. Là où certains aiment opposer l’Église de la base et l’Église hiérarchique, j’ai très tôt senti que tout se tenait : que si je pouvais prier avec les autres étudiants et rencontrer Dieu, c’est qu’une certaine vérité sur Dieu avait été assurée dans la transmission de la foi grâce aux évêques, aux prêtres... disons grâce au magistère. Chacun à son niveau transmettait la foi dont je me mettais à vivre de plus en plus.

Un jour j’avais une telle envie de transmettre à beaucoup de gens la joie de croire en Dieu que j’ai compris que Dieu m’appelait à être prêtre, à être témoin de lui de trois façons : par ce que je dirai, par ce que je donnerai dans l’eucharistie et par la façon dont je vivrai, spécialement le célibat consacré à lui qui prouverait la solidité de Dieu sur qui on peut baser sa vie.

Après le séminaire j’ai été ordonné prêtre et là le lien entre ma foi personnelle et mon insertion dans l’Église a été encore plus fort puisque j’ai mis mes mains dans celles de mon évêque en promettant de vivre dans le respect et l’obéissance envers lui et ses successeurs. Je devenais un « homme d’Église », mais je ne devais pas devenir un homme de la “boutique” : je devais être de tout mon cœur un homme qui joue dans l’Église le rôle que joue toute l’Église, celui de la transmission de la foi, celui de rendre Dieu proche des hommes.

Les premiers moments de cette façon de vivre avec l’Église ont été douloureux. Je me suis appliqué de mon mieux à poursuivre à Paris des études en théologie morale que je n’avais pas choisies. C’est un moment où l’Église n’avait pas pour moi un visage très souriant, mais confusément je sentais que cela tournerait pour mon bien si je restais dans l’obéissance. A Paris s’est déclarée une maladie qui m’a accablé de fatigue pendant 5 ans, la moitié du temps que nous fêtons aujourd’hui. Au long de ces 5 ans la tentation était présente de penser que l’Église demandait trop à ses prêtres. Mais je sentais aussi que ce n’était pas vrai.

Heureusement après les années parisiennes l’Église a été pour moi cette merveilleuse paroisse de Louvain-la-Neuve. Il y a eu l’accueil de vous tous et je voudrais mentionner spécialement l’accueil de Raymond, qui a dû sans trop rouspéter compter dans son équipe un prêtre tout ramolli qui se traînait alors que lui ne pensait qu’à aller de l’avant. Malgré la fatigue ,c’était si gai de travailler avec Helmut et Claire, puis avec Pierre et Luc.

Au milieu de la paroisse j’ai découvert que ce n’était pas que pour mon malheur que mon cher évêque Jean m’avait envoyé étudier la morale. Ces études avaient éveillé en moi une attention pour ce qui motive en profondeur nos actions, les bonnes comme les mauvaises. Je pouvais mieux aider ceux qui venaient me parler, j’avais l’impression de leur proposer de bonnes pistes pour cheminer avec le Seigneur. Je suis très reconnaissant pour ce choix de mon évêque qui a été si difficile pour moi jadis.

Avec vous tous, paroissiens d’alors ou de maintenant, nous avons formé l’Église, pour notre bonheur à chacun. De temps en temps nous nous sommes frottés et accrochés, nous avons dû supporter nos défauts. Comme nous l’avons vécu avec amour, ainsi qu’il se doit dans l’Église, ça nous a fait plus de bien que de tort ; enfin de mon côté en tous cas. C’est dans la paroisse que j’ai le plus appris à être prêtre. J’ai voulu vous apprendre les choses de Dieu que je découvrais dans ma vie et dans la foi de l’Église. Vous m’avez appris comment la foi pouvait féconder notre vie, nous rendre plus courageux ou plus tendres, comment Dieu avait envie de progresser avec chacun et savait prendre chacun comme il était pour le faire avancer à sa manière. Vous m’avez pris dans votre cœur et je vous ai pris dans le mien. On pourrait dire que c’est ça l’Église : des gens qui se prennent dans le cœur l’un de l’autre et par-dessus tout veulent s’aimer. Si nous voulons retrouver un beau visage de l’Église là où nous vivons, nous devons y apporter beaucoup plus de tendresse que de perfection. C’est vraiment ce que j’ai découvert ici. Et ce que j’ai découvert aussi c’est la joie profonde de faire découvrir le message de l’Église, même quand ce message est difficile à entendre. Lorsque je parle avec les fiancés, avec les étudiants, avec les couples, avec les personnes qui souffrent, avec tous finalement, et que j’ai l’occasion de dire le message de l’Église, je me dis si souvent : heureusement que l’Église dit ce qu’elle dit, heureusement que j’ai à offrir aux autres des perspectives si motivantes ! Et ce ne sont pas les miennes, ce sont celles que je reçois de la foi de l’Église.

Alors vraiment je suis si content d’être chrétien avec vous et d’être prêtre pour vous.

 

La préparation évangélique (le Christ vient-il tard ?)

— fête de saint Jean-Baptiste —

On pourrait dire que la fête d’aujourd’hui est la fête des préparatifs... Les premiers instants de celui qui vient préparer les chemins du Seigneur ! Nous sommes en été, tout fatigués de l’année écoulée, tout à penser aux vacances qui sont là, à tout ce que nous pourrons faire d’intéressant que nous n’avons pas encore pu faire cette année (en tous cas c’est mon cas !) et à ce moment-là, paf, quelqu’un débarque : celui qui vient préparer les chemins du Seigneur !

Pour préparer les chemins du Seigneur, je ne voudrais pas tellement aujourd’hui vous exhorter à quelque chose, mais réfléchir avec vous sur la place spéciale du christianisme parmi les religions. En entendant les lectures, je suis frappé de voir Dieu passer par des hommes pour réaliser les choses les plus importantes de son projet pour la création. Passer par des hommes à un moment donné de l’histoire. Dieu s’annonce par des prophètes, puis par le dernier de ceux-ci, avant de se faire homme lui-même à un moment donné du temps, quelque part sur la terre. A première vue ce qui est divin devrait remonter à la nuit des temps et être connu partout ; et c’est bien ainsi dans les mythes que l’on retrouve dans l’histoire des religions. Mais le christianisme ne repose pas sur la mythologie, aussi inconvenant que cela puisse paraître : le Fils de Dieu est venu dans le monde à un moment donné de l’histoire, après avoir été annoncé par des prophètes dans un peuple particulier à un endroit donné de la planète et de l’univers. Tout cela on peut le dater, le localiser, et la science historique peut situer ces personnages. la résurrection du Christ, par exemple, n’est pas un mythe de renaissance mais un événement qui s’est passé un jour à Jérusalem.

Ce qui est étonnant c’est que ce qui a été vécu à ce moment-là par ces personnages en Palestine concerne les hommes de toutes les races, de toute culture et de tous les temps. Quand Dieu veut nous sauver, il n’expose pas depuis le ciel une théorie du salut, mais il vient à notre rencontre au moment favorable.

Les temps qui ont précédé la venue du Christ, les millénaires préhistoriques et les débuts de la révélation de Dieu dans l’histoire du peuple hébreu, il nous faut les voir comme une « préparation évangélique »1. Tous ces siècles étaient nécessaires pour que le cœur de l’homme puisse accueillir la présence de Dieu parmi les hommes. Si on lit l’ancien testament on voit clairement que la conscience morale et religieuse de l’homme s’affine tout au long de son compagnonnage avec Dieu. Il y a un monde entre les attitudes des patriarches et celles du livre de Tobie. Avant que le Christ ne vienne, les démarches de Dieu envers son peuple ont appris aux hommes que ce que l’on pouvait vivre avec Dieu était un rapport de respect et d’amitié, non dans la crainte que le ciel nous tombe sur la tête mais dans l’amour. Et parallèlement à cette préparation d’un peuple, il y avait comme une maturation de la conscience morale qui se passait ailleurs dans l’humanité — j’aime dire que c’est sous l’action de l’Esprit Saint. Ainsi par exemple Socrate et Platon en Grèce (les premiers chrétiens appelaient parfois celui-ci le Moïse grec)2. Mais je pense aussi à d’autres régions du monde, au travail de Confucius en Chine à la même époque3. En même temps que Dieu développait avec son peuple une amitié, il soutenait chez tous les peuples le développement de la conscience morale et de la responsabilité personnelle.

Tout cela devait durer, et Dieu devait être bien impatient d’apporter plus encore. Aujourd’hui nous fêtons la longue patience de Dieu, nous fêtons le moment où enfin il a pu passer la vitesse supérieure, passer à la dernière étape de la préparation, envoyer quelqu’un qui précéderait de près son Fils bien-aimé, quelqu’un qui serait « l’ami de l’époux » (Jn 3,29).

Et si nous fêtons ce moment où Dieu va pouvoir rendre proche son salut pour toute l’humanité, nous pouvons penser aussi à la patience de Dieu envers nous. C’est envers chacun que Dieu est si impatient de communiquer le meilleur et le plus grand de ce qu’il a à nous offrir. Tant que dans notre vie nous n’avons pas l’impression que notre relation avec Dieu dépasse tout ce que nous avons pu espérer ou même imaginer, nous ne sommes pas encore très loin sur ce chemin de la « préparation évangélique ». Alors en avant ! Les chemins du Seigneur sont loin d’être terminés pour nous.


1.selon le titre d’un grand traité d’Eusèbe de Césarée
2.Clément d’Alexandrie, Stromates I 150, 1-4
3.par exemple, la « règle d’or » énoncée par Jésus en Mt 7,12 : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » se retrouve chez cet auteur : « Voici certainement la maxime d'amour : ne pas faire aux autres ce que l'on ne veut pas qu'ils nous fassent » (Confucius, Analectes, 15; 23)

 

  • Choisir une prière inutile... (eucharistie des étudiants)
  • La foi en la résurrection (funérailles)
  • Je cherche une place... (eucharistie des étudiants)
  • S’aimer les uns les autres, oui mais comment ?
  • Je t’aime, toi, Mon Dieu ! (3°dimanche de Pâques)