Voici encore d’autres homélies publiées auparavant dans l’ancienne partie du site :

 


 

C’est toi que je préfère

Homélie de la messe des étudiants du 4 nov.

A première vue ce texte (Lc 14,25-33) est écrit pour les religieuses et pour les prêtres... Ce sont eux qui passent pour avoir renoncé à tout pour suivre le Christ. Mais alors, seraient-ils les seuls à pouvoir prétendre être les vrais disciples du Christ, ceux qui marchent vraiment à sa suite ? Pourtant, le mariage par exemple, est une vocation sainte elle aussi ; et le mariage est un sacrement, ce qui ne serait pas possible s’il s’agissait d’une façon moindre de suivre le Christ. Alors, bien que cet évangile puisse pousser des jeunes à consacrer même leur affectivité et leurs désirs intimes au Seigneur — et j’en suis ; je me rappelle avec émotion avoir préparé cette messe des étudiants, cet évangile, sur le coin d’une table de mon kot, l’Aubier, avec Helmut il y a 19 ans — il nous faut chercher plus généralement ce que Jésus entend par renoncer à tout pour le suivre.

Ce sont de grandes foules qui suivent Jésus et à qui il s’adresse. A plusieurs reprises on voit les foules s’emballer à la suite de Jésus, devenir très enthousiastes jusqu’à ce que les difficultés arrivent et qu’elles changent complètement d’attitude. Ainsi au bord du lac après la multiplication des pains par Jésus et les explications sur sa chair qu’il donne à manger les gens en viennent à dire : « ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter » (Jn 6,60). Plus tard, à Jérusalem, la foule qui l’acclamait va crier « qu’on le crucifie ! » (Mt 27,22)

Ce ne sont pas que les foules de Palestine qui sont faites comme cela. De nos jours aussi nous voyons des gens s’enflammer pour le Christ, se mettre à sa suite puis changer d’attitude, parce qu’un obstacle est survenu, quelque chose qui les a scandalisés ou paralysés, une difficulté qui n’était pas envisagée.

Alors à tous Jésus dit : « Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et soeurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » (Lc 14,26) Ce n’est pas qu’un père, une femme, des frères et sœurs sont toujours un obstacle pour suivre le Seigneur. Mais cela peut arriver. Et lorsque survient un conflit de valeur entre notre foi et notre loyauté envers ces personnes, qu’allons-nous faire ? Il y a des gens mariés qui renoncent à leur foi parce que leur conjoint ne croit pas, ne pratique pas ; tandis que d’autres persévèrent, malgré la difficulté. Il y a des jeunes qui recopient l’indifférence religieuse de leurs amis tandis que d’autres tiennent bon dans leur attachement au Christ, malgré la difficulté.

Cette difficulté nous a fait penser qu’il devait y avoir un lien entre préférer le Christ à tous et porter sa croix : il y a un déchirement quand vient le renoncement. Mais plus généralement cette phrase de Jésus nous invite à ne pas laisser la souffrance nous séparer de lui, bien qu’elle parle souvent contre lui dans notre cœur — combien de personne ne disent-elles pas : si Dieu existait il n’y aurait pas le mal et la souffrance ! Sans recevoir d’explication, portons notre croix si elle survient, plutôt que de frapper le Christ avec la croix.

On pourrait se dire : le Seigneur est quand-même un fameux despote pour exiger pareil détachement ! Mais je me rappelle simplement la réponse de saint Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » (Jn 6,68). En effet, qui d’autre que lui a les paroles de la vie éternelle, de la vie qui commence déjà à mettre sa lumière dans nos cœurs quand nous rejetons les ténèbres de l’orgueil et que nous l’accueillons ?

Le belge est l’homme du compromis. C’est bon si cela fait progresser la charité, l’amour fraternel. Mais vis-à-vis de l’amour du Christ, il n’y a pas de demi-mesure, si on veut trouver le bonheur à sa suite. Le chemin du compromis est une impasse. Dans la culture actuelle, être extrémiste est mal vu ; j’apprécie qu’on rejette l’extrémisme qui empêche de vivre avec celui qui est différent, mais souvent cela frappe aussi tout engagement religieux trop radical. “N’est-ce pas une secte ?”, dira-t-on d’une Église qui invite à tout donner pour le Christ. Ça rassure les gens qu’on puisse dire : “je suis croyant mais pas à fond...” Pourtant, ce n’est pas loyal envers le Seigneur.

Puissions-nous être, avec beaucoup de douceur, des chrétiens sans compromis ! Alors nous connaîtrons la joie débordante d’aimer sans limite.

 

Le cadeau d’être ajusté à Dieu

homélie de la messe des étudiants — 14 octobre

Il nous arrive de nous demander à nous-mêmes : est-ce que je suis quelqu’un de bien ? Ou pour d’autres : est-ce que je fais ce qu’on attend de moi ? Ou encore : est-ce que je me prépare bien à réussir ma vie ? Cela répond à un besoin de se situer soi-même dans le monde environnant. Et puisque Dieu fait pour nous partie de ce monde environnant, qu’il en est un élément assez important, ou le plus important, nous cherchons aussi à nous situer par rapport à Dieu : suis-je quelqu’un de bien pour Dieu ? Autrement dit : suis-je un juste ? Puis-je me prévaloir d’une certaine justice ?

Ces questions empoisonnent toutes les religions, et le Christ voudrait y mettre un terme. Je crois que c’est une des grandes raisons de son animosité envers les pharisiens. Les pharisiens voudraient passer pour des justes, ils ont un besoin vital qu’on pense du bien d’eux, comme beaucoup d’entre nous. Pour être sûr d’y parvenir, ils ont transformé la religion en un système de règles auxquelles on peut s’efforcer de correspondre. Ils peuvent ainsi se coucher le soir en ayant le sentiment d’être aimables aux yeux de Dieu. Le problème c’est que devant les vraies attentes de Dieu personne ne peut se croire en règle. Mais puisque les pharisiens ne croient pas en la miséricorde ils laissent de côté les vraies exigences de Dieu pour en accomplir de petites à leur portée. Saint Paul veut donner un écho maximal au combat de Jésus contre ce détournement de la foi : il va démontrer que tous sont pécheurs, ceux qui commettent le mal et ceux qui les jugent. Il conclura le discours que nous avons entendu aujourd’hui par : « tous les hommes sont pécheurs, ils sont tous privés de la gloire de Dieu, lui qui leur donne d’être des justes par sa seule grâce, en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus. » (Rm 3,23-24)

Nous aussi, nous pourrions essayer de nous situer dans le monde en nous comparant aux autres, ou encore en nous lamentant sur les conditions difficiles de notre existence. Mais ce n’est pas nécessaire ; nous vivons dans un monde où de toute façon tous sont pécheurs, les autres comme moi, un monde où notre justice ne peut venir que comme un don, une grâce.

Le jour où nous abandonnons toute prétention de nous justifier nous-mêmes, nous pouvons alors être justifiés par Dieu, c’est-à-dire être ajusté à lui, correspondre à son amour parce qu’il nous en fait le cadeau, et non pas parce que nous avons essayé d’être quelqu’un de bien.

Reste à accueillir le cadeau ; ce n’est pas le sujet de l’évangile mais je le rappelle quand-même, pour ceux qui profiteraient de ce que c’est le Christ qui justifie pour se tourner les pouces : Dieu qui nous aime attend de nous un amour qui réponde à son amour. Son amour est inconditionnel, mais il n’est pas indifférent. Dieu n’attend pas que je sois convenable pour m’aimer, mais il attend de moi de vivre selon sa justice et son amour, sans aucun laisser aller. Vous vous souvenez de la porte étroite et du chemin resserré. Je laisse la parole à saint Paul une nouvelle fois : « pour ceux qui font le bien avec persévérance et recherchent ainsi la gloire, l'honneur et la vie impérissable, ce sera la vie éternelle. » (Rm 2,7)

Chaque fois que nous commençons la messe nous laissons Dieu nous ajuster à lui en demandant : Seigneur, prends pitié. Et ailleurs aussi dans la messe nous demandons à Dieu de nous purifier. Ce n’est pas une obsession de notre misère, c’est un garde-fou contre la tentation de se blanchir soi-même, tentation qui est bien à l'œuvre chez les croyants comme chez les incroyants, comme on le voit auprès de ceux qui veulent laver plus blanc que blanc, quitte à s’empêtrer dans la mauvaise fois comme nous avons pu encore l’observer dans les médias ces derniers jours.

Seigneur, libère-nous du fardeau de vouloir être juste aux yeux des hommes et à tes yeux, pour recevoir de toi le vêtement de noces, la gloire de ton amour, la beauté qui nous rendra fiers de nous et de toi !

Amen.

 

Mariage d’Isaline et François

12 septembre 2009

Isaline et François, aujourd’hui vous vous lancez dans le mariage. Vous allez vous demander mutuellement si vous voulez être l’un pour l’autre comme mari et femme, et vous vous déclarerez que vous vous recevez l’un l’autre ; et en le disant, vous le ferez ; ce sera une parole qui réalise ce qu’elle dit, au cœur du sacrement de mariage. Cette parole que vous échangez est une parole bien épaisse, puisqu’elle est appelée à durer toujours. Et même, à grandir jour après jour. Une parole, c’est tout petit une parole ; il y a même parfois des paroles en l’air. Mais cette parole-ci, elle sera une fondation ; vous devrez y revenir souvent. « J’ai promis de l’aimer toujours » ; « tu as promis de m’aimer toujours ». Parfois on entend dire que la plus belle preuve d’amour serait de redonner sa liberté à celui qui veut quitter le couple ; mais non, au contraire ! La plus belle preuve d’amour est de lui redire : tu as promis de m’aimer toujours, et moi je veux croire à la parole que tu as dite.

Construire un amour fidèle est vraiment une création de chaque jour. On pourrait se demander : comment peut-on promettre d’aimer toujours ? L’amour n’est-il pas un sentiment, et donc incontrôlable ? Et s’il venait à passer ? Il y a une dimension de l’amour que l’on a oublié de nos jours, et qui est pourtant si importante. L’amour est choix, il est décision. Cela paraît étrange à dire, et pourtant l’amour ne repose pas seulement sur le sentiment mais aussi sur la volonté. On ne le sait plus dans notre monde, on croit que l’amour dure tant que dure le sentiment. Mais non, l’amour est aussi choix, décision. Dans un couple il arrive des moments où le sentiment n’est plus au rendez-vous. Vous pourrez tomber amoureux de quelqu’un d’autre, ça arrive assez souvent, mais ce n’est pas la fin de votre couple. On peut encore choisir d’ouvrir son cœur à son conjoint, de le prendre dans son cœur, de vouloir lui être uni. Non par nécessité, non par peur d’être seul, non par soumission, mais par choix. Lorsqu’on fait cela, un sentiment nouveau commence à naître, plus profond, un attachement qui donne davantage la vie. L’amour devient un sentiment plus profond, qui n’est pas né seulement tout seul, comme quand on tombe amoureux, mais qui est né du désir de notre cœur, de la décision de notre cœur. Bien sûr, si je voulais dire « je décide d’avoir des sentiments pour toi » et que je voulais les ressentir instantanément, ça ne marcherait pas ; mais quand notre sentiment premier est en panne, dire dans son cœur à son conjoint « je te choisis » peut en quelques jours, semaines ou mois, produire un attachement nouveau et plus puissant. Ainsi je vous demande de choisir de vous aimer, quels que soient vos états d’âme.

Ce choix d’aimer, il y a un moment où il est spécialement fort, c’est le jour où nous avons à pardonner à notre conjoint une attitude, une parole, une réaction ou un silence... Tout au long de votre vie vous aurez à vous pardonner l’un à l’autre. Sur la terre, il n’y a pas d’amour parfait, irréprochable. L’amour que l’on s’échange sur terre est un amour à pardon, comme il y a les moteurs à essence. Notez que pardonner, ce n’est pas excuser ; on peut très bien pardonner à quelqu’un qui est inexcusable. Parce que pardonner n’est pas dire : je te comprends, je vais essayer d’oublier... Pardonner, c’est dire à l’autre : même si tu m’as fait si mal, je veux t’aimer par-delà ce que tu m’as fait, je ne veux pas que ta mauvaise action limite mon amour. Pardonner, c’est faire remporter une victoire à l’amour.

Il n’y a rien à faire, nous avons à mener un combat contre le mal en nous et autour de nous. Notre société nous pousse à mener ce combat en portant plainte, en condamnant, en se déclarant victime, en critiquant. Saint Paul ose nous proposer un autre chemin pour lutter contre ce mal : « Ne vous prenez pas pour des sages. Ne rendez à personne le mal pour le mal. Efforcez vous de faire le bien devant tous les hommes. S’il est possible, et dans la mesure où cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. » Ce chemin tient compte que le mal que l’on veut dénoncer, il est aussi en partie en nous. Je ne dis pas qu’il faut se laisser manipuler ou bafouer, mais c’est à une réconciliation plus vaste que nous devons parvenir et il ne suffit pas de dénoncer le mal. Saint Paul nous interpelle sur les réflexes que notre monde entretient en nous : « Don’t go with the flow, ne vous conformez pas aux habitudes de ce monde, mais laissez Dieu vous transformer et vous donner une intelligence nouvelle. » C’est une intelligence et une vision du monde qui pousse à aller joyeusement de l’avant dans l’amour.

Votre amour est cher au Seigneur, et il le sauvera autant de fois qu’il le faudra, par son pardon et la force de son Esprit. Dans le mariage, Dieu consacre votre amour et il compte sur lui pour le progrès de son Royaume. D’une part le couple marié représente au milieu du monde la force et la fidélité de l’amour de Dieu pour les hommes. Dieu aime les hommes d’un amour passionné et qui ne se reprend pas. C’est pourquoi aussi le mariage chrétien ne se reprend pas et que l’Église ne connaît pas de moyen de le faire cesser pour que les époux retrouvent leur liberté. Il arrive même qu’un conjoint devenu seul choisisse de vivre encore cette fidélité qui vient de plus loin que lui.

En plus des moyens humains que vous prendrez pour vous aimer chaque jour davantage, demandez souvent à Dieu de faire grandir votre amour. Par vous il fera comprendre aux hommes que c’est la tendresse et la fidélité qui sont le vrai fondement du monde. Par votre amour vous nous témoignerez de la force de l’amour de Dieu, en faveur de tous ceux qui ont tant besoin d’amour, et votre foyer réchauffera tous ceux qui ont été blessés par l’amour et qui veulent reprendre un chemin de vie.

Pour relever tous ces défis, vous voulez accueillir cette parole de Jésus : « Ne vous inquiétez pas (de tout ce que les hommes ont l’habitude de rechercher comme nécessités ou comme confort), il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6,34) Cette parole est très libérante. Souvent nous laissons les soucis assiéger notre cœur et nous empêcher d’aimer. Secrètement nous nous disons : je pourrai prendre du temps pour t’aimer et aimer les autres quand j’aurai réglé tous ces soucis. Et pourtant ici il y a l’invitation à ne pas se dire « c’est moi qui dois me débarrasser des soucis » mais plutôt : « c’est Dieu qui va me débarrasser des soucis puisqu’il veut que je sois libre pour aimer ».

Que Dieu vous garde et vous fortifie encore !

 

Ouvre-toi !

Homélie du 23ème dimanche B, 6 septembre 2009

(Isaïe 35, 4-7a ; Jacques 2, 1-5 ; Marc 7, 31-37)

Aujourd’hui on amène à Jésus un sourd-muet. L’homme n’est capable ni d’entendre ni de parler. Il est coupé de la relation, isolé.

Jésus lui dit : « Ouvre-toi » ! Voilà une parole de vie. On ne vit qu’en étant ouvert. C’est déjà le cas de la vie biologique ; tout être vivant, plante ou animal, doit faire entrer et sortir de la nourriture. C’est le cas de la vie sensorielle, de toutes les informations qui viennent toucher notre organisme et l’informer ou le faire réagir. C’est encore plus vrai de la vie spirituelle, de notre capacité à être reliés aux autres et à les aimer, et enfin de notre relation avec Dieu. Ce niveau de vie en nous ne s’éveille et ne rayonne que dans l’échange, dans l’ouverture. Partout, le maître mot est : « ouvre-toi » !

On ne vit qu’en étant ouvert et pourtant la fermeture est un gros problème pour nous tous. C’est flagrant quand nous sommes fâchés, que nous boudons ; alors nous ne voulons pas écouter et nous ne voulons pas parler. Mais parfois, même si nous le voudrions bien, nous sommes incapables de nous dire et incapable d’accueillir l’autre. Certaines blessures, certains aveuglements ou le fruit amer de mauvaises habitudes peuvent nous faire perdre cette capacité de nous ouvrir.

Comment faire alors ? L’homme sourd-muet ne s’est pas guéri tout seul. On l’a amené à Jésus. Je crois qu’il faut aussi nous faire amener à Jésus. Nous pouvons penser qu’il suffirait de nous amener nous-mêmes à Jésus, de venir prier, à la messe ou dans la solitude de la chapelle. C’est déjà bien, et déjà le Christ peut nous toucher. Un moyen plus fort encore serait de dire à une personne de confiance, et réservée ( !) : prie pour moi car je demande au Seigneur de m’ouvrir.

Désirons de nous ouvrir et demandons de guérir de nos fermetures, de nos incapacités à dire notre affection. Aussi, de nos incapacités à louer, à rendre grâce ; à Dieu, aux autres. C’est un usage si important de la parole que de dire notre reconnaissance. Un usage vital mais si souvent négligé. Pourtant c’est un de ceux qui créent le plus de lien. En matière de surdité, demandons enfin de guérir de notre insensibilité à la Parole de Dieu.

Parfois je me demande : comment peut-on goûter la Parole de Dieu ? Car il arrive qu’elle ne nous dise rien, qu’elle paraisse ennuyante, compliquée, sans attrait. A la messe ou pendant la prière, on se met à lire un texte qu’on connaît déjà et on se dit : « ah oui, je sais de quoi ça va parler. » Ou pire : « c’est toujours la même chose ! »

Qu’est-ce qui peut me permettre d’écouter avec plaisir et intérêt la Parole de Dieu ? C’est l’Esprit qui peut rendre sensible à la Parole de Dieu, la faire entendre comme une parole dite par quelqu’un qui se communique, qui me cherche. Car la Parole de Dieu ce n’est pas un mode d’emploi de gsm ou de machine à laver. Dans le mode d’emploi on cherche des informations, mais qui a déjà pensé à l’auteur du mode d’emploi, à part Danny Boon pour en faire un sketche ? Dans la Parole de Dieu, on trouve des informations mais ce n’est pas le plus important. C’est la Parole de Dieu qui me parle, qui vient me rencontrer, qui me partage quelque chose de lui. Il y a dans cette Parole une présence que je peux accueillir, et ce sera d’abord cela « écouter la Parole ». Quand j’ouvre la Parole et que je demande l’Esprit-Saint, la présence de Dieu vient me toucher et réaliser la joie en moi.

C’est une dimension importante de cette richesse dont parlait la lettre de saint Jacques quand il nous invitait à mettre au sommet de nos valeurs non pas l’importance que donne l’argent, le pouvoir ou le succès, mais la richesse de la foi. Si je suis avec Dieu, s’il me dit sa présence par sa Parole et ses sacrements, si j’accueille tout cela, ne suis-je pas le plus comblé de tous les hommes ?

Seigneur, vient réaliser ton royaume en nous et nous ouvrir à tout cela !

 

Le pain de vie

Homélie du 17° dimanche B, 26 juillet 2009

Saint Jean ne raconte pas la dernière Cène, mais il donne à la multiplication des pains une allure bien différente des autres évangélistes, qui en fait une sorte d’anticipation du dernier repas où Jésus se donne lui-même. D’ailleurs, les dimanches qui viennent, nous entendrons le discours de Jésus qui fait suite à cette multiplication des pains, et vous découvrirai le sens que lui-même y donne.

Un jour donc, peu avant la Pâque, Jésus se retire sur la montagne avec ses disciples et rien ne laisse présager le miracle qu’il va accomplir, sauf la mention « C’était un peu avant la Pâque, qui est la grande fête des Juifs. » (Jn 6,4) Un peu avant la Pâque, comme la dernière Cène.

Que cette multiplication des pains est bien plus qu’une multiplication des pains, nous le devinons aussi dans le fait que Jésus n’enseigne pas la foule qui vient à lui comme il le fait d’habitude. Au contraire, il pose directement la question : où se procurer le pain qui les nourrira ? Ce dont il veut les nourrir semble pouvoir remplacer un enseignement de sa Parole ; c’est bien plus que du pain, c’est un pain bien plus consistant que le pain qu’on achète chez les boulangers, bien qu’il soit porté par l’apparence du pain. Nous découvrons de loin le pain de l’eucharistie, qui nourrit le cœur de celui qui l’accueille réellement.

Encore un indice de combien grand est ce pain : à l’inverse des autres évangélistes, Saint Jean ne précise pas que Jésus donne les pains aux disciples pour que ceux-ci les distribuent à la foule. Jésus est l’auteur de tout ce qui se passe ici. A partir de l’offrande du jeune garçon, les cinq pains d’orge et les deux poissons, Jésus fait tout, il procure une nourriture qui fait s’exclamer les gens : « c’est vraiment lui le grand prophète, celui qui vient dans le monde ! » (Jn 6,14)

 

Jetons quand-même un coup d’œil aux disciples. Ils sont mis dans la position d’enseignés plutôt que d’assistants. C’est pour la foule mais aussi pour eux que Jésus multiplie les pains après leur avoir demandé ce qu’il pourrait faire pour nourrir tous ces gens. En demandant à Philippe « où pourrions-nous acheter du pain », Jésus met celui-ci « à l’épreuve ».

Pourquoi Jésus met-il Philippe à l’épreuve ? Quel est le sens de cette démarche d’habitude réservée pharisiens ou même à Satan ? Philippe devient disciple quand Jésus le rencontre et lui dit : suis-moi. Il parle de Jésus à Nathanaël et amène celui-ci à Jésus. Peu avant la dernière Pâque de Jésus, à Jérusalem cette fois, les grecs s’adressent à Philippe car ils veulent voir Jésus. Avec André il va trouver Jésus et Jésus annonce que c’est alors l’heure pour lui d’être glorifié, de vivre sa passion et sa résurrection. Avant la passion Philippe dit à Jésus : « montre-nous le Père, cela nous suffit », et Jésus répond : « il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas ? Comment peux-tu dire : montre-nous le Père ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais c’est le Père qui demeure en moi, et qui accomplit ses propres œuvres. » (Jn 14,10)

Philippe est un gars entreprenant, il va jusqu’à recruter des disciples pour Jésus. Mais il doit se laisser spécialement enseigner, découvrir qui est Jésus et le pouvoir de Jésus dans la vie de celui qui croit. Est-ce pour cela que Jésus le met à l’épreuve, comme un appel à se laisser façonner davantage ? Quand Jésus met à l’épreuve, ce n’est pas comme quand les pharisiens, les sadducéens ou le diable mettent à l’épreuve ; ils mettent à l’épreuve pour détruire ; Jésus met à l’épreuve pour faire grandir. Puissions-nous nous en rappeler lorsque nous nous sentons mis à l’épreuve nous aussi.

Enfin, je voudrais faire un lien avec ce que nous avons vécu à Riobamba. Ce que vivent les communautés indigènes me donne une idée supplémentaire de la façon dont Jésus donne le pain qui nourrit la foule. Les difficultés que les villageois doivent surmonter sont innombrables, mais leur foi nourrie dans le partage de la Parole de Dieu et la célébration leur donne la force de lutter contre l’injustice au dehors et contre l’égoïsme en eux. Jésus leur donne un pain qui change leur vie et les fait vivre.

peirazo : Mt 4,1 : être tenté par le diable ; // Mc 1,13 // Lc 4,2. Mt 16,1 : les pharisiens demandent un signe du ciel pour le mettre à l’épreuve. // Mt 19,3 et 22,35 // Mc 8,11 // Lc 11,16. Mt 22,18 : Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta : « Hypocrites ! pourquoi me tendez-vous un piège ? » Jn 8,6 : Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser.

 

Fête du Corps et du Sang du Christ

Une vie donnée

Ex 24, 3-8 ; He 9, 11-15 ; Mc 14, 12-16.22-26

Je voudrais plonger avec vous dans la première lecture, qui nous permettra de comprendre cette expression de Jésus à propos de la coupe : ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance... nouvelle et éternelle.

Vous avez entendu la démarche de Moïse avec le sang. Cela nous paraît plus sanguinaire que saint. Nous sommes dans une culture si différente de la culture hébraïque. Pour un juif, le sang c’est le mystère de la vie, c’est, comme dit Dieu à Noé, l’âme de la chair (Gn 9,4). Il n’est pas permis de manger le sang, car ce serait s’approprier la vie qui n’appartient qu’à Dieu. Mais dans le rite de l’alliance, ce sang peut servir à indiquer une communion. On met la moitié du sang sur l’autel, on lit l’alliance et on répand l’autre moitié du sang sur le peuple. La même vie est associée à l’autel et au peuple, c’est un échange de vie, un partage de la même vie entre Dieu et les hommes qui acceptent l’alliance.

Voilà le sang de l’alliance. Dans la nouvelle alliance, le sang est celui du Christ lui-même, dont il dit qu’il est le sang de l’alliance nouvelle et éternelle : une alliance établie pour toujours, quels que soient les écarts de ceux envers qui elle est conclue. Ce sang ne doit plus être répandu sur l’autel pour manifester la communion avec Dieu, il est celui du Fils de Dieu. Non pas sang d’une vie perdue, mais sang d’une vie donnée et reçue : le sang de l’alliance nouvelle et éternelle est le sang d’une vie partagée. Et ce sang n’est pas répandu sur nous, mais offert à être bu. Par ce geste la communion de vie avec le Christ se fait encore plus intime : c’est sa vie qui coule dans mes veines, pratiquement au sens propre du terme.

Le sacrement de l’alliance est un sacrement qui se mange, qui s’assimile. Et bien sûr, qui ne s’assimile pas seulement avec le corps, avec l’estomac, mais aussi avec l’intelligence et plus encore avec le cœur. C’est en réveillant mon esprit et par la mobilisation de mon cœur que je pourrai vraiment me mettre à goûter la vie du Christ en moi. Et c’est sûrement pour favoriser cette assimilation que la fête du Corps et du sang du Christ a été instituée.

Quand sainte Julienne a poussé pour qu’on célèbre cette fête, beaucoup lui ont rétorqué que ce n’était vraiment pas nécessaire, qu’on avait déjà le dimanche pour faire mémoire de l’eucharistie. Mais Julienne a tenu bon, il fallait cette fête, dans le contexte où la foi en la présence du Christ dans le sacrement était parfois réduite à un symbole et bien souvent négligée. Au même moment en Europe naissaient d’autres pratiques qui allaient dans le sens de ce réveil : à Paris et ailleurs on commence à montrer l’hostie au moment de la consécration. En Italie, saint François d’Assise (1182-1226) passait des nuits entières devant le tabernacle en prière. La nuit il priait, le jour il reconstruisait ces chapelles en l’honneur du divin hôte. Contemplant la grandeur de cet amour caché dans l’Eucharistie, il disait : « L’amour n’est pas aimé... » Dans l’ordre des clarisses, l’adoration tient une grande place parmi les formes de prière.

Nous aussi, prenons conscience de ce qui nous est donné comme cadeau inouï depuis que Jésus a dit à propos de ce pain et de ce vin qu’il prenait jadis et qu’il prend encore au milieu de nous : ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous. C’est encore plus réel si chacun accepte de laisser retentir cette parole dans son cœur pour lui-même : ton corps livré pour moi, ton sang versé pour moi.

 

Montrœul-au-bois, neuvaine 2009

mardi 2 juin, la Parole de Dieu et ma vie

1Jn 1,1-4 Lc 2,41-52

Dieu nous parle. Nous y sommes habitués, mais en réalité ce n’est pas banal. D’ailleurs, combien de personnes n’imaginent-elles pas un Dieu lointain, indifférent aux hommes.

Dieu parle. Et donc il prend le risque d’être mal compris, par tous ceux qui voudraient qu’il soit autrement, par tous ceux qui sont trop distraits ou accaparés par les soucis... Un jour il sera tellement mal compris que les hommes le cloueront sur une croix. Quel risque énorme de parler quand on est Dieu !

Comment Dieu s’y prend-il pour nous parler ? Sa parole est d’abord une histoire avec l’homme. Histoire de confiance ou de méfiance. D’amour ou de rejet de Dieu. Dans la Bible on découvre comment Dieu arrive petit à petit à faire comprendre qui il est, quelle est l’alliance dont il rêve avec l’homme. On découvre ce qui a été merveilleux dans cette alliance, et les occasions où ça a mal tourné. Tout cela est l’histoire sainte, l’histoire d’amour de Dieu avec l’homme.

Puis vient quelqu’un qui est vraiment la Parole, la meilleure expression de Dieu : il est Dieu lui-même qui vient au milieu des hommes, il est le Verbe ; c’est Jésus. A la messe nous disons d’ailleurs « acclamons la Parole de Dieu - louange à toi, Seigneur Jésus ».

La Parole de Dieu c’est d’abord une histoire, et c’est aussi le Christ. Ensuite, on dit de la Bible qu’elle est la parole de Dieu. La Bible c’est l’histoire sainte mise par écrit par ceux qui l’ont vécue. L’histoire de Dieu avec son peuple m’est racontée par ceux qui en ont fait une expérience spécialement forte. Notamment, mais pas seulement, les disciples de Jésus. Ils me témoignent de ce qu’ils ont vu, entendu, touché. Les évangiles, les Actes des apôtres nous sont parvenus comme cela aussi, par des hommes qui ont même risqué leur vie pour le Christ qu’ils annonçaient. Si tout cela n’est pas vrai, avec un tel sacrifice de soi-même, je ne comprends plus !

C’est une histoire qui parle à mon histoire. Une histoire sainte qui me rappelle que j’ai aussi une histoire sainte. Chacun de nous a une histoire, a vécu plus ou moins de choses heureuses ou malheureuses, a des espoirs qui ont été comblés ou qui ont été déçus ou attendent encore. Cette histoire de chacun, Dieu l’aime, il veut en faire l’histoire de lui avec nous, de nous avec lui.

Dans la Bible je trouve l’histoire de Dieu avec son peuple, qui me rappelle que moi aussi je peux vivre mon histoire avec Dieu, et que nous pouvons faire cela tous ensemble, nous le peuple de Dieu.

Ce n’est pas évident que Dieu est dans mon histoire, qu’il la vit avec moi. Il nous faut une ouverture spirituelle, comme on la découvre dans l’attitude de Marie. Après cette espèce de fugue de Jésus, Marie aurait pu se contenter de râler. Elle aurait pu se plaindre à ses voisines, être tellement centrée sur sa peine qu’elle n’aurait pas retenu ce que Jésus avait dit. Mais elle « gardait dans son cœur tous ces événements ». En elle-même elle laissait entrer tout ce qui vient de Dieu, et elle en faisait son trésor intérieur : elle le garde !

L’évangile dit ailleurs qu’elle le « médite », c’est-à-dire étymologiquement le « combine » (symballô). Méditer c’est combiner ! Combiner ce que nous vivons et la Parole de Dieu, voir comment ça va ensemble, se ressemble, comment Dieu est avec nous. Vous connaissez ces jeux d’enfants qui ont un bac muni de trous de formes différentes, cercle, carré, étoile, par lesquels il faut faire passer les bonnes pièces. Il faut bien combiner les pièces et les trous. C’est la même chose avec la Parole et notre vie. Et parfois nous découvrirons que ça ne passe pas, que la Parole vient contredire ce que nous vivons. C’est le moment de ne pas jetter la Parole, mais plutôt d’adapter notre vie.

Méditer c’est aussi combiner plusieurs passages de l’Écriture que nous connaissons, faire des parallèles, des comparaisons. Cela peut être bon d’apprendre par cœur un verset par jour. Petit à petit nous deviendrons capable de comprendre la Parole en mettant ensemble les pièces de notre vie et les phrases de la Bible, comme un bon ouvrier qui dispose de beaucoup d’outils adaptés. Voilà une belle méditation. Et si nous pouvons y réfléchir à plusieurs, c’est encore mieux.

Prions aussi pour que beaucoup connaissent cette ouverture spirituelle, aient leur cœur touché par Dieu qui est invisible mais dont on peut faire l’expérience quand on veut vivre son histoire avec lui.

mercredi 3 juin, Dieu veut que chacun ait la vie

Ezechiel 18,21-32 Matthieu 12,46-50

Nous vivons dans un monde où les hommes font le bien, et font aussi beaucoup de mal. Il y a le mal qui se fait en nous, et autour de nous ; l’actualité à la télévision ou l’actualité de nos familles a vite fait de nous en persuader.

Dieu prend à bras le corps ce problème du mal, mais d’une façon qui semble parfois étrange aux hommes. Depuis que nous sommes petits nous pensons que le mal doit être puni d’une façon proportionnelle. Et qu’au bout du compte il faut que chacun paie pour ses actes. La justice de Dieu devrait être comme une balance, où on pèserait ce que chacun a fait de bien et de mal. Au bout du compte on verrait bien de quel côté penche la balance...

Cette vision décourage celui qui s’est longtemps très peu soucié de chercher le bien et d’éviter le mal ; il estime qu’il ne sert même plus à rien de se convertir, qu’il n’y a plus moyen d’inverser la tendance.

Mais cette vision n’est pas celle de Dieu. Il y a une autre vision qui n’est pas celle de Dieu : la conception selon laquelle Dieu ferme les yeux sur les fautes de l’homme. Or partout la Bible dit que Dieu entend le cri des malheureux, des exploités, et qu’il leur fera justice.

Alors, comment Dieu fait-il justice ? Non pas en faisant payer, mais en donnant la vie. Quand nous nous demandons combien tel personne devra payer pour ses actes, ou combien nous-mêmes devront payer, disons-nous bien : rien du tout, il n’y a rien à payer, le Christ a tout payé pour nous. C’est bien le sens de ce mot extraordinaire : il nous a racheté. Souvent on demande : à qui ? Mais la réponse est plutôt : il nous a racheté contre cette tendance à penser qu’il faut payer pour ses actes.

Dieu condamne le mal, il se met en colère contre nos bêtises, mais ce n’est pas pour nous détruire : « Est-ce donc la mort du méchant que je désire, déclare le Seigneur, n’est-ce pas plutôt qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? » (Ez 18,23) Sans fermer les yeux sur nos fautes, Dieu attire inlassablement le pécheur à la vie. Sans cesse il nous dit : cesse de choisir la mort, choisit la vie !

La miséricorde de Dieu ne consiste pas pour lui à tout laisser passer, mais à ne jamais se résigner au mal, ni en nous ni chez les autres.

C’est ainsi qu’on en arrive à des situations extrême où un condamné à mort pour meurtre, après s’être converti en prison, meurt sous la guillotine en odeur de sainteté. Cela se passe dans les années '50, il s’appelle Jacques Fesch, il sera peut-être un jour béatifié. « Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu’il a ouvert les yeux, parce qu’il s’est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra. » (Ez 18,27-28)

Cette logique de Dieu n’est pas toujours facile à accepter, spécialement si nous avons souffert de la méchanceté de tel au tel. Que Dieu nous fasse un cœur grand comme le sien, qui appelle tous les hommes à sa vie !

Dans l’évangile nous découvrons que faire la volonté de Dieu nous permet de devenir très proche du Seigneur : être pour lui un frère, une sœur, une mère. Marie a été mère de Jésus à double titre : mère biologique et mère par sa proximité de cœur avec le Seigneur. Nous recevons tous cette proposition incroyable du Seigneur : être ses intimes, de sa famille très proche.

Parfois nous imaginons que faire la volonté de Dieu c’est observer des règles. Mais Dieu n’attend pas que nous cherchions à être en règle avec lui, il souhaite plutôt que nous cherchions à être proche de lui, à développer une connivence avec lui. Je repense à cette phrase que nous avons entendue pendant le temps pascal : « Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. » (Jn 14,21) Parfois nous imaginons que Dieu donne des récompense : c’est bien, tu as bien fait ce que je te demandais, tu pourras être proche de moi ! Mais ce n’est pas cela du tout. Quand vous aimez quelqu’un, vous vous mettez à aimer ce qu’il aime, et ce qui lui fait horreur, vous le rejetez aussi. Et peu à peu vous devenez encore plus proches. C’est ainsi avec le Christ. Plus je l’aime, plus j’aime ce qu’il aime, et plus je prends mes distances avec ce qu’il n’aime pas.

jeudi 4 juin, la tendresse du ciel et de la terre

Ephésiens 4,29-32 Jean 2

Souvent nous venons ici pour prier pour des gens dans la détresse ou malade. En quelque sorte ils sont comme les mariés de Cana : ils n’ont plus de vin, ils sont en panne, et même, ce n’est pas seulement l’agrément de la vie mais leur vie elle-même qui est menacée.

Si nous y regardons bien, la santé est un miracle permanent, un prodige de la nature et de l’inventivité de Dieu. Les processus qui nous maintiennent en vie sont si complexes qu’on peut vraiment se demander pourquoi on ne tombe pas malade plus souvent. Personne ne mérite la santé ; personne ne mérite non plus la maladie. Les dérèglements de la santé semblent être dû au hasard, et on dirait que Dieu ne vient pas mettre sa main chaque fois que les choses risquent de ne pas tourner rond.

D’où notre détresse, et le sentiment parfois que Dieu nous abandonne. Il y a une question qui vient toujours au cœur de l’homme et qui ne trouve jamais de réponse : pourquoi ? Bien sûr la science peut nous expliquer pourquoi telle cellule se met à se reproduire de façon désordonnée. Mais ce n’est pas cela qui nous intéresse ; nous demandons : pourquoi moi, pourquoi elle ?

En suivant cette question, nous cœur s’engouffre dans l’impasse, plonge dans un abîme. Il n’y a pas de réponse, et tout ce que nous pourrions trouver en suivant cette voie c’est l’amertume, le repli sur nous-mêmes, une immense colère contre tous et contre la vie. Même Jésus n’est pas venu expliquer la souffrance. Mais il est venu répondre à une autre question : « comment ? » Comment vivre maintenant, comment réagir, comment continuer ?

Et nous entendons saint Paul nous dire : « Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres,

comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. » La générosité, la tendresse, le pardon sont le premier remède à tout le mal qui frappe l’homme. En ouvrant entre nous les canaux de l’amour nous soulageons l’âme et le corps.

Cette générosité, cette tendresse, elles sont à vivre entre habitants de la terre, et elles se vivent aussi avec ceux du Ciel. C’est pourquoi nous sommes venus demander l’intercession de la Vierge Marie. C’est parce qu’elle est pour nous « pleine de générosité et de tendresse ». Regardons cet évangile des noces de Cana : Marie se soucie de ce que vivent ces gens, elle voit leur détresse, ce dont ils manquent. Elle prend cette situation dans son cœur, cherchant une solution. La solution, c’est son fils. Elle demande à Jésus : agis pour eux !

Jésus fait remarquer que réaliser un miracle, pour lui, ce n’est pas remédier à un problème, c’est beaucoup plus profond, c’est poser un signe qui fait venir « son heure ». Quand nous demandons un miracle au Christ, par l’intercession de Marie, nous demandons à Dieu que son heure arrive pour nous. C’est beau de dire à Dieu : je te laisse nos vies, c’est ton heure ! Nos vies t’appartiennent. Dans notre détresse nous nous rappelons de cela. Nous ne pouvons pas demander que tout redevienne comme avant, ce n’est plus possible ; mais nous pouvons demander de voir la présence de Dieu dans nos vies.

La Vierge Marie et tous les saints que nous prions sont nos amis. C’est pour cela qu’ils intercèdent pour nous. C’est par amitié pour nous qu’ils veulent nous secourir en nous aidant dans notre fidélité à Dieu. La générosité et la tendresse que Dieu veut voir entre tous ses enfants existe aussi entre l’Église du ciel et celle de la terre. Elle inclut même tous les défunts dont nous ne pouvons pas encore dire qu’ils ont achevé la purification de leur cœur. Nous prions pour eux mais eux aussi agissent et prient pour nous, et nous pouvons le leur demander. Tous, au ciel comme sur terre, s’appliquent à vivre le grand commandement : aime Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même. Nous sommes les prochains de Marie, des saints, et de tous les défunts.

Je voudrais conclure en soulignant la force de persuasion de Marie : elle dit aux serviteurs « faites tout ce qu’il vous dira », et même si c’est remplir 600 litres d’eau en la puisant je ne sais où, ils le font, parce que Jésus le demande et que Marie les a préparés. Marie nous prépare à faire ce que Jésus nous demande ! Ce sera notre plus grand bonheur : pouvoir faire ce que Jésus nous demande, toucher des doigts et du cœur son action dans le monde et dans notre vie. Qu’il vous garde tout unis à lui !

vendredi 5 juin, toujours plus loin dans l’amour

Hébreux 1,1-3 Matthieu 19,1-12

Qui d’entre nous se sent à l’aise quand il lit l’Ancien Testament ? Il y a de si beaux textes dans l’Ancien Testament, mais tôt ou tard on tombe sur une formule qui nous fait froid dans le dos ou qui nous choque : comment peut-on dire ces choses de Dieu ?

Il y a deux choses à se rappeler à propos de cette Parole de Dieu contenue dans l’Ancien Testament : nous ignorons pour la plupart l’univers juif qui permettrait de mieux comprendre ce qui nous dérange à première vue. Quand on lit avec quelqu’un qui connaît la façon juive de penser et d’aimer, ça change tout ! D’autre part, l’Ancien Testament n’est pas le dernier mot. J’aime énormément ce début de la lettre aux hébreux : par les prophètes, Dieu a parlé de façon fragmentaire et variée, mais dans les jours où nous sommes il nous a parlé par son Fils qui exprime parfaitement ce qu’il est.

Jésus achève la révélation que Dieu fait de lui-même, il nous fait connaître le cœur de Dieu d’une façon incomparable. Et il y a un message qui ressort sans arrêt de cette révélation, qu’on pourrait résumer ainsi : « toujours plus loin dans l’amour ».

Pour l’illustrer j’ai choisi cet évangile sur le mariage et le célibat.

L’Ancien Testament, la loi de Moïse, prévoyait des cas où l’on pouvait renvoyer sa femme et en épouser une autre. Jésus, poussant plus loin la révélation du cœur de Dieu, nous apprend qu’il s’agit là d’une adaptation, pour tenir compte de la dureté de cœur des hommes, de leur incapacité à aimer.

Moïse a adapté la loi, tandis que Jésus ne cherche pas à s’adapter, il veut retourner au plan de Dieu sur l’homme : au commencement, quand Dieu crée l’homme et la femme, il les fait pour s’attacher l’un à l’autre définitivement. Au commencement aussi, l’homme et la femme sont nus sans se faire mutuellement honte : ils peuvent être l’un devant l’autre tel qu’ils sont, sans déguisement, sans faire semblant : aucun des deux ne cherche à profiter des faiblesses de l’autre.

Entre la situation que Dieu rêvait et celle que vit Jésus il y a eu l’apparition du péché, c’est-à-dire de la méfiance originelle, qui est venu blesser l’amour. Du coup, c’est un énorme défi que Jésus propose à l’homme et la femme : aller tellement loin dans l’amour, dans le don de soi, que l’on peut dépasser les blessures de l’amour, tout ce qui nous ferait baisser les bras. Il y a même certaines personnes qui accueillent cette invitation du Christ au point de chercher à rester fidèle à leur conjoint même après une séparation. Et Dieu peut les soutenir dans cette voie.

Jésus propose un énorme défi, mais sans dureté : il accueille aussi la femme adultère, et la samaritaine qui a eu cinq mari et vit avec un sixième homme. Il les accueille, sans adapter pour autant le mariage à leur vie.

Nous avons tous à apprendre de Jésus, nous qui sommes toujours tentés par la dureté (la loi c’est la loi !) ou par le laxisme (il faut adapter la loi aux possibilités des gens...) Nous avons tous à apprendre pour accueillir les autres comme Jésus les a accueillis, et apprendre aussi à nous laisser accueillir par Jésus en vérité avec nos histoires.

Dans la ligne de cet appel de Jésus à aller toujours plus loin dans l’amour, je voudrais dire un mot du célibat pour le Royaume de Dieu, car c’est une proposition nouvelle du Christ pour témoigner de l’amour. Ce n’est pas une invention du moyen-âge, vous le lisez déjà dans l’évangile. Choisir le célibat, c’est imiter la vie du Christ, non pas parce que le mariage ne nous dit rien, mais parce que Dieu existe et qu’on peut chercher avec lui une relation au niveau du cœur, de l’amour. Le célibat des prêtres, par exemple, est une preuve importante de Dieu, de son existence, de sa consistance. A l’heure où beaucoup le regrettent, à l’heure où il est rendu plus difficile, il est plus que jamais nécessaire. Et faites-moi un plaisir, ne dites plus jamais à un prêtre : c’est dommage que vous ne pouvez pas vous marier ! C’est comme si vous disiez à un mari : regarde comme elle est laide, ta femme !

Enfin je voudrais parler de ceux qui ne se marient ni ne s’engagent dans le célibat. Pour eux aussi, il s’agit de trouver les chemins pour aller toujours plus loin dans l’amour, dans le don de soi. Chaque personne, pour être heureuse, doit se sentir donnée à d’autres et à Dieu. Pour tous, la question de la vie devient : comment puis-je être donné ?

samedi 7 juin, pressentir ce que Dieu fait

Apocalypse 21,1-7 Luc 1,41-56

Parfois nous nous demandons : où va le monde ? Quand on voit tout ce qui se passe... A quoi pouvons-nous nous attendre ? Cette question, les premiers chrétiens se la posaient aussi, dans la situation de persécution très pénible où ils se trouvaient. C’est parce qu’ils se demandaient où ils allaient que saint Jean écrit pour eux l’Apocalypse.

« Apocalypse », cela sonne pour nous comme un synonyme de catastrophe phénoménale. Et pourtant, malgré les images terribles des visions racontées dans le livre, l’Apocalypse est un récit d’encouragement, visant à faire comprendre ce qui se passe vraiment dans les événements du monde. Tout ce qui paraît stable et puissant dans le monde est décrit par l’Apocalypse comme chancelant et éphémère. Saint Jean invite ainsi les chrétiens à un autre regard sur le monde, pour ne pas tenir compte de ce qui a du succès mais de ce qui est vrai. C’est tellement d’actualité pour nous, en cette période de crise où des puissances se sont écroulées, et en cette veille d’élection. D’autres fausses puissances sont encore adulées dans notre monde ; n’attendons pas qu’elles s’écroulent pour nous en détacher.

Le livre de l’Apocalypse se termine par l’évocation de la terre nouvelle et des cieux nouveaux, le pays où on habitera avec Dieu de façon visible, sans l’écran de la foi, et où il essuiera toutes les larmes de nos yeux. Ça fait un peu témoins de Jéhovah, mais ce n’est pas parce que les témoins se sont emparés de ces belles images que nous devons les bouder !

Quand nous nous demandons où va le monde, nous savons maintenant la réponse : il va vers le Royaume de Dieu qui sera connu de tous, plus seulement de quelques uns comme nous qui essayons de l’entrevoir. Voilà notre espérance : la joie de Dieu pour tous et pour nous encore plus clairement qu’aujourd’hui. Et pour entrevoir dès maintenant ce Royaume, nous avons les encouragements de Marie.

Marie vit dans une époque difficile, à Nazareth dans des territoires occupés. L’armée romaine est bien présente, et veille à ce que tous soient soumis. Il se commet beaucoup d’injustices et de magouilles, de la part des publicains mais aussi de bien d’autres. Il y aurait bien de quoi être révolté ou découragé. Certains participent à des mouvements terroristes, en espérant dégoûter l’occupant ; on ne les appelle pas encore “hamas” mais “zélotes”. Marie vit dans ce monde difficile mais ce que Dieu fait ne lui échappe pas, même lorsque c’est à peine visible.

Élisabeth salue Marie comme la mère de son Seigneur, mais ce Seigneur est encore un petit fœtus en elle. Marie a un sens spécial, le sens de la foi, et déjà elle perçoit que Dieu est en train de libérer les opprimés, les humbles, les affamés, de la main de tous ceux qui les ignorent ou les mettent à genoux. Alors elle laisse éclater une louange au Seigneur, en constatant tout ce que Dieu fait : « Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour ». (Lc 1,51-54)

Marie nous invite à voir avec elle, en dessous des événements de la vie des hommes où c’est plus souvent le puissant qui triomphe et le rassasié qui a le dernier mot, l’action de Dieu dont le projet est de délivrer les humbles, de mettre à l’aise ceux qui plient sous le poids des autres.

Avec la même espérance que celle de Marie nous pouvons enfanter à notre tour le Sauveur, et le porter au monde qui en a tant besoin. Une façon de le faire sera de nous attacher à la louange. Louer Dieu, c’est être reconnaissant envers lui, et avoir pour lui admiration et émerveillement. Parfois cela nous vient spontanément, quand une occasion de se réjouir se présente à notre cœur ; mais aux moments difficiles nous sommes appelés à cultiver volontairement cette attitude d’admiration, confiant que derrière les misères du monde le bon projet de Dieu se poursuit et sera vainqueur. S’émerveiller de Dieu sans cesse, c’est le moyen de vivre dans son amour.

À nous comme à Marie il est dit : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ! » (Lc 1,45) Oui nous en sommes heureux, cela nous donne une force nouvelle, une force qui nous permettra de relever des défis qui nous font peur et où beaucoup nous disent, par exemple : ce n’est pas possible d’accueillir un enfant dans ces conditions, ce n’est pas possible de chercher un travail plus juste, etc. Le chrétien peut se dire : si, c’est possible, car rien n’est impossible à Dieu.

dimanche 7 juin, la Sainte Trinité

Dt 4,32-34.39-40 Rm 8,14-17 Mt 28,16-20

C’est un fait bien connu parmi les chrétiens, le mystère de la sainte Trinité est difficile à comprendre. Ceux qui regardent notre foi de l’extérieur, par exemple les musulmans, ont tendance à penser que nous avons trois dieux que nous nommons Père, Fils et Saint-Esprit. Or nous n’avons qu’un seul Dieu, le Dieu unique, et pourtant nous identifions trois personnes en Dieu : Père, Fils et Esprit. Comment cela peut-il se faire ?

Le plus simple serait peut-être de regarder comment tout cela est apparu au fil du temps. Tout au long de son histoire, le peuple hébreu a dû lutter pour ne pas se laisser contaminer par la pensée des peuples voisins, Assyriens, Babyloniens, Phéniciens, Égyptiens, Édomites, et j’en passe, qui comme la plupart des peuples de la terre croyaient en plusieurs dieux, jouant même des uns contre les autres pour mieux obtenir ce qu’ils désiraient. Croire en un seul Dieu, cela a été le défi permanent des juifs au milieu des autres peuples, le centre de leur foi, la raison de beaucoup de leurs malheurs.

Jésus, les apôtres héritent de cette conquête extraordinaire : il y a un seul Dieu, et s’il ne me plaît pas je ne peux pas aller chercher chez un autre, je ne peux que mieux l’écouter. Ce Dieu unique, Jésus en parle comme de son Père, et bientôt il nous apprend à dire “notre Père”. Voilà le point de départ de notre foi.

Ensuite, Jésus fait comprendre à ses disciples le lien particulier qui l’unit au Père : il est son fils, non pas parce qu’il est né de Marie, ce n’est pas comme une filiation humaine, mais parce qu’il n’est rien sans le Père : il accepte de venir du Père, de ne pas être son propre auteur, de tout recevoir du Père, de ne vouloir rien faire sans lui. En dépendant complétement du Père, Jésus est le Fils, et le Père l’aime tant qu’il lui donne tout ce qu’il est. Ainsi Jésus est Dieu au même titre que le Père, parce que le Père lui donne tout, y compris d’être Dieu comme lui.

Vous voyez que pour notre compréhension les choses se compliquent : il y a un seul Dieu mais le Fils est Dieu comme le Père. L’unité qui fait qu’ils sont un seul Dieu est une unité réalisée par l’amour. Entre les humains, l’amour est souvent occasionnel : je t’aime et cela m’unit à toi, mais cela pourrait être autrement. Entre le Père et le Fils, l’amour n’est pas occasionnel, il est essentiel, il fait partie de leur être : sans amour, pas de Père, pas de Fils. C’est ainsi qu’on peut dire : Dieu est amour, et pas seulement qu’il aime.

Dieu est amour, et l’amour qui unit le Père et le Fils, c’est justement le Saint-Esprit, cet Esprit que Jésus dit qu’il nous enverra (Jn 15,26) ou que le Père enverra en son nom (Jn 14,26).

La fête de la sainte Trinité, c’est donc la fête de l’amour qui est en Dieu. Quand on demande aux savants d’où vient le monde, ils disent qu’ils ne savent pas et beaucoup, dépassant les possibilités de leur science, prétendent même que c’est par hasard. Nous, dans la foi, nous pouvons dire : c’est l’amour qui a voulu cela, c’est l’amour qui préside à l’origine de toutes choses.

Que c’est l’amour qui préside à l’origine de tout, nous le voyons bien dans notre origine à nous ; normalement, c’est par amour que l’on est conçu par un père, une mère, même s’il y a des exceptions — c’est sans doute une raison pour laquelle l’Église insiste pour que tout bébé naisse d’un acte d’amour. Dans la mesure de nos possibilités, veillons à ce que ce soit par amour que tout existe, puisque l’amour est le sens du monde.

Parfois nous sommes portés à croire que c’est l’argent qui domine le monde. Mais bien que l’argent permette beaucoup de chose et fasse tant de dégâts, il n’est pas à l’origine du monde ni des choses. Lorsque nous regardons le monde et notre vie, nous pouvons nous rappeler : son origine, c’est l’amour ! Son sens c’est l’amour ! L’état vers lequel ils vont, c’est l’amour ! C’est bien pourquoi Jésus nous a enseigné à aimer Dieu de tout notre être et notre prochain, et nous-mêmes.

Alors allons, nous aussi, comme les disciples, en gardant ce que Jésus nous a demandé et en apprenant aux autres à faire de même !

lundi 8 juin, être choisi

Deutéronome 7,6-11 Jean 15,16-27

On dit souvent que Dieu nous aime. Et pourtant il s’agit d’une des réalités dont nous avons le plus de mal à nous rendre compte. Comment mieux vivre cette bonne nouvelle de l’amour de Dieu ?

Je voudrais ce soir m’arrêter à une dimension à acquérir : le fait d’être choisi. Être aimé de Dieu, c’est être son choisi. La première lecture nous l’indique bien quand Dieu rappelle à son peuple : je t’ai choisi pour être mon peuple particulier.

Nous avons spontanément des réticences à cette idée que Dieu choisirait. Quand nous entendons l’expression « le disciple que Jésus aimait », nous avons les cheveux qui se dressent sur la tête. Car aussitôt l’idée suivante nous vient : s’il y a un choisi, il y a un exclu ; s’il y a un disciple que Jésus aimait, c’est qu’il n’aimait pas les autres ; s’il y a un peuple élu, c’est que les autres sont rejetés. C’était comme ça quand nous étions petit dans la cour de l’école : s’il fallait un compagnon pour compléter une équipe, ceux qui n’étaient pas le choisi restaient sur le carreau et n’avaient qu’à aller chercher d’autres occupations. A l’issue de ces élections ceux qui ne seront pas choisis par les vainqueurs n’auront qu’à faire meilleure figure possible dans l’opposition. Dans ces conditions, peut-on raisonnablement dire que Dieu choisit ?

Pour mieux comprendre, demandons-nous : pourquoi Dieu choisit-il ? La lecture nous informe : Si le Seigneur s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. C’est par amour pour vous, et par fidélité au serment fait à vos pères que le Seigneur vous a libérés. (Dt 7,7-8) Si Dieu choisit, ce n’est pas le meilleur qu’il choisit mais celui qu’il veut aimer, et spécialement celui qui ne peut pas se vanter de quelque chose, d’être le plus grand, le plus avancé dans la religion, etc.

C’est une démarche propre à l’amour que de choisir. Ne dit-on pas d’ailleurs de la fiancée de quelqu’un qu’elle est l’élue de son cœur ? Personne à ce moment ne pense à s’indigner pour toutes celles qui ne sont pas élues. Et pourtant elles seront nombreuses à ne pas vivre la même chose.

Avec Dieu, tous ne vivent pas la même relation, mais contrairement à la situation du fiancé, cela ne dépend pas des limites de Dieu, mais uniquement de notre attitude. La question est pour chacun : vais-je accepter d’être choisi par Dieu, vais-je laisser retentir dans mon cœur cette parole pour moi personnellement : c’est moi qui t’ai choisi, pour que tu portes du fruit (Jn 15,16).

A chacun, chacune il nous est proposé une relation privilégiée avec Dieu. Il voudrait que je sois son choisi. Et c’est pour montrer ce chemin d’élection pour tous qu’il commence avec certains un chemin particulier. Il choisit un peuple pour que tous les peuples acceptent d’entrer dans ce type de relation et de devenir ses peuples. Il choisit Jean pour être le disciple bien-aimé, afin que les autres disciples sachent quelle relation donne accès à son cœur si riche. Nous-mêmes aussi il nous a choisis au milieu de nos familles pour entretenir un lien avec nous qui pourra y entraîner d’autres quand ce sera leur heure.

Pour être choisi de Dieu, balayons aussi notre fausse modestie, qui nous ferait nous exclamer : non, non, je ne suis pas choisi, car je ne veux pas me considérer comme meilleur ! Or, ce n’est pas pour nos qualités que Dieu nous choisit, mais pour vivre un lien intense avec lui, un lien personnel où je sais que je compte pour Dieu autant qu’il compte pour moi. Si nous pouvions nous dire : je compte pour Dieu, et quelle que soit ma vie, je suis son choisi.

Nulle part nous ne sommes seul, car nous sommes choisis de Dieu et il nous veut. Partout, en toute circonstance, l’attention de son cœur est posée sur nous. Si nous voulons expérimenter cette réalité, prenons un peu de temps pour nous rappeler une expérience heureuse de notre vie où nous avons senti que quelqu’un nous choisissait. Ou si nous n’avons pas de telle expérience, pour imaginer ce qu’elle serait, ce que nous ressentirons. Pendant quelques minutes goûtons ce que cela nous fait, et puis appliquons cela à notre relation avec Dieu, puisque nous sommes ses choisis. Utilisons notre imagination, dont souvent nous nous plaignons qu’elle nous distrait dans la prière, à nous représenter une belle réalité de la foi : nous sommes personnellement choisis de Dieu.

mardi 9 juin, les entrailles de Dieu

Romains 5,1-8 Lc 10,17-22

L’amour que l’on porte à quelqu’un, comment le faire connaître ? Il n’est pas possible de dire « regarde mon amour » comme on dirait « regarde ma nouvelle voiture ». L’amour se montre seulement par des preuves d’amour. On voit les manifestations de l’amour, mais l’amour lui-même ne se montre pas, on ne le voit pas. En réalité, l’amour c’est comme Dieu : il faut y croire, on ne le connaît que par des signes, des indices, que l’on accepte ou non.

Dieu aussi nous fait des signes d’amour. Un de ses preuves d’amour que nous accueillons parfois difficilement est celle que saint Paul nous présente aujourd’hui : « Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions. — Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5, 6-8)

Quand je regarde le Christ en croix, je suis invité à voir dans cette épreuve qu’il accepte une preuve d’amour pour moi. Spontanément nous dirions bien au Seigneur : mais il ne fallait pas faire tout ça pour moi ! Et puisque, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons pas tué ni mis nos parents sur la paille, nous pensons que le Christ est peut-être mort pour les grands pécheurs mais quand-même pas pour nous qui sont des pécheurs ordinaires. Ou alors nous tombons dans l’extrême inverse, et nous nous culpabilisons sans cesse des plus petits manquements, en gardant toujours bien les yeux fixés sur nous et nos erreurs.

Acceptons plutôt bien simplement ce don, ce cadeau du Christ, de nous réconcilier tous par sa croix, avec le Père, entre nous, avec nous-mêmes aussi. Accueillons cette grande œuvre de paix et de réconciliation profonde du Christ. Un terme qui exprime bien cet amour du Christ qui réconcilie, c’est l’expression si souvent utilisée dans la messe : Seigneur, prends pitié ! Pourtant, au départ, ce mot ne paraît pas vraiment génial. « Pitié », cela évoque souvent la condescendance, un amour pas très sympathique, si tant est qu’on puisse parler d’amour. On croirait que cela veut dire : fais grâce ! Or ce mot, à l’origine, voulait dire bien plus. « Prends pitié », ou le mot miséricorde, viennent de l’hébreu qui veut dire les entrailles, le sein maternel, le siège de l’émotion la plus profonde. Quand je dis « Seigneur, prends pitié », je dis en fait : Seigneur, tu te laisses prendre aux entrailles par moi, par ma situation, par ma difficulté, par ceci ou cela. La preuve, c’est que le Christ a accepté de mourir sur la croix pour moi ; tout ce que je suis, avec le mal qui me touche ou me bouleverse, il l’a accueilli au plus profond de lui pour me sauver, au plus intime de sa vie, jusqu’à mourir du mal dont je souffre. Et il est vainqueur, sa résurrection est déjà ma résurrection, sa lumière brille dans mon cœur.

Alors, quand je vois du mal se faire autour de moi, que je puisse crier : Seigneur, prends pitié, prends ces personnes dans tes entrailles, au plus profond de ton cœur ! Quand je me surprends à avoir mal agi, que je puisse crier : Seigneur, prends pitié ! Quand je souffre, que je puisse crier : Seigneur, prends pitié !

Nous savoir tant aimés de Dieu nous donne beaucoup d’espérance et d’abord de persévérance pour grandir dans l’espérance. Par la persévérance, la joie de l’Esprit Saint peut de plus en plus habiter notre cœur. Et nous serons capable de tressaillir de joie comme Jésus qui s’exclame : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ! » (Lc 10,21) Tout au long de ces jours, nous sommes venus, tout-petits, auprès de Marie, notre mère. Nous avons appris à goûter la paix de l’Esprit Saint. Et nous demandons encore une fois que cette paix et cette vie habitent dans le cœur et le corps de tous ceux que nous portons dans la prière.

 

Jeudi Saint 2009

Celui qui est accusé injustement, dont les actions et les paroles sont épiées pour pouvoir les retourner contre lui, celui-là proteste en général de sa bonne foi. Et Jésus a lutté tout au long de sa vie publique pour qu’on accueille ce qu’il faisait, pour qu’on change son cœur plutôt que de trouver toutes sortes de prétextes à l’accuser et à ne pas se convertir. Jésus a lutté toute sa vie à la porte du cœur de l’homme, comme tant de justes le font après lui dans notre monde en faveur de la justice, de la vérité, de la dignité humaine, de la beauté de l’amour humain.

Jésus a aussi lutté d’une façon toute nouvelle, vraiment inédite, et que les apôtres n’ont compris que bien après : il a lutté non plus en argumentant ou en se défendant mais en acceptant d’être livré. Voici un moyen de combat inattendu, mais qui fécondera vraiment le monde : Jésus donne sa vie. Il ne la donne pas pour une grande cause ou en signe de protestation ; il la donne « pour ses amis » (Jn 15,13), « pour la multitude » (Mc 10,45).

En faisant cela Jésus assume le refus de l’Évangile par l’homme, et il le surmonte ; il ne meurt pas seulement comme un prophète, mais il est le sauveur : par sa mort il nous sauve de nos péchés, du refus de vivre comme dans l’Évangile. Aujourd’hui nous avons souvent l’occasion de vivre le drame de l’Évangile refusé, dans notre propre cœur ou dans le monde et la société autour de nous. En ces jours nous nous rappelons que Jésus a justement donné sa vie pour cela. En l’accompagnant dans la prière en ce jeudi saint nous nous unissons à son effort, au don qu’il fait de lui-même et qui change le monde.

 

Qu’est-ce qui permet à Jésus de faire ce qu’il va faire ? C’est l’amour. L’évangile de Jean le constate bien, lui qui introduit ainsi le lavement des pieds et l’eucharistie : Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout (Jn 13,1).

Jésus nous demande de faire comme lui, de nous laver les pieds les uns aux autres, de servir, de donner notre vie pour les autres, ni plus ni moins. A notre tour, l’amour est la seule énergie qui nous permet de vivre comme lui. Bien sûr, si nous voulons faire les choses par devoir ou par bienséance, ou même par intérêt, nous parviendrions à un certain résultat, peut-être même honorable. Mais la vraie énergie qui nous permettra de servir nos frères sans nous fatiguer, avec déjà la joie du paradis, c’est l’amour. « El alma que anda en amor ni cansa ni se cansa », chantons-nous parfois sur une parole de saint Jean de la Croix : l’âme qui brûle d’amour ne fatigue ni ne se fatigue (Paroles de lumière et d’amour). Par l’amour, notre cœur est constamment renouvelé et retrouve de nouvelles forces.

L’amour commence lorsqu’on se rapporte à quelqu’un en tant que personne et, je dirais, en tant que personne sacrée. Chacun de ceux à qui nous avons affaire est un être sacré, créé à l’image de Dieu, sauvé par le Christ, habité par le Saint-Esprit. Nous sommes appelés à aimer beaucoup, intensément, et à demander à Jésus la grâce d’un amour plus brûlant, un feu d’amour en nous pour tous ceux qui sont près de nous, tous nos prochains.

Enfin, dans toutes nos actions de bienveillance, de service, rappelons-nous toujours : c’est Dieu qui est le sauveur, le libérateur ; c’est son amour que je porte et c’est à son amour que je veux brancher tous les cœurs.

 

Les sentiments du Christ devant l’échec

homélie du 5°dimanche de carême

Jésus a été aimé et il a été détesté, au point que beaucoup ont voulu le condamner même injustement et lui ont fait toutes sortes de procès d’intention. Ses adversaires n’ont pas cherché à comprendre ce qu’il voulait dire, mais à le prendre au piège de ses propos pour trouver un prétexte à pouvoir l’accuser. Et aujourd’hui nous découvrons le trouble qui habitait son cœur devant toute cette hostilité : « Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? — Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12,27-28)

Jésus ne fait pas le fort, il ne roule pas des mécaniques, il n’a pour toute arme que la persuasion et l’amour. Cela peut paraître très peu face à toute les manigances du mal qui se trament en arrière fond des derniers mois de sa vie. Mais cela lui suffira. Non pas à épargner sa vie, mais à remporter la victoire : « Voici maintenant que ce monde est jugé ; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » (Jn 12,31-32)

C’est un sujet d’étonnement constant pour tous les hommes : que celui qui est raillé, conspué, rejeté devient le vainqueur du mal. Dans un autre évangile, quand Jésus annonce sa passion, Pierre veut l’en dissuader. Bien sûr, à vue humaine ce n’est pas ainsi qu’on parvient à ses fins, qu’on réalise sa vocation. Mais Pierre se fait rudement rabrouer. Jésus veut accomplir sa mission en acceptant l’angoisse de l’échec.

Ce n’est pas automatique, ce n’est pas d’avoir été raillé, rejeté, mis en échec que Jésus est vainqueur, c’est par sa fidélité et son amour... C’est parce que Dieu est amour et que la vraie mesure de la réalité n’est pas la notoriété, la gloire qui vient des hommes, le nombre de voix, la richesse, la puissance, mais l’amour, le don authentique que l’on fait de soi-même. Et nous qui rêvons d’un monde où la vérité est toujours proclamée au lieu du mensonge ou de l’information tendancieuse, où la vérité est accueillie facilement dans tous les cœurs, nous pouvons nous confronter une nouvelle fois à cette réalité : dans un monde cassé, Jésus est vainqueur du mal bien qu’il soit bafoué.

Jésus dit aussi : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. » (Jn 12,26) Et nous découvrons que c’est bien vrai, que le serviteur du Christ se trouve un jour ou l’autre dans la situation qui était la sienne.

Cette situation n’est pas seulement négative, le Christ est à la fois persécuté et revêtu intérieurement de la gloire de Dieu. Du ciel une voix se fait entendre en sa faveur qui dit : « J’ai glorifié mon nom et je le glorifierai encore. » (v.28) Jésus n’est pas seul. Je souhaite que si nous nous trouvons persécutés pour notre foi, parce que nous osons dire notre attachement à l’évangile, à l’Église, nous puissions aussi nous sentir intérieurement habillés de la douceur et de la lumière de Dieu. Je ne dis pas : habillé du sentiment d’être le seul juste devant un troupeau d’idiots, mais de la paix qui vient de Dieu et qui est signée par cet indice qui ne trompe pas : de la compassion et de l’amour pour nos ennemis.

 

Être chrétien c’est... (partie I)

homélie de la messe des étudiants du 18 mars 2009

Quand nous entendons « celui qui observera ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. » (Mt 5,19) nous pourrions être mal à l’aise en nous disant : mais, être chrétien, est-ce que ça consiste d’abord à observer des règles, et des règles bien contraignantes en plus ? Est-ce que la foi n’est pas en train de mettre plein de barrières et d’obstacles à ma vie ?

En plus, nous entendons cet évangile dans un contexte où les médias vont nous casser les oreilles avec les déclarations du pape dans son avion pour le Cameroun — enfin il ne nous parleront pas de toutes les déclarations faites dans l’avion, sur la foi joyeuse des Africains, sur l’importance de l’éthique dans l’ordre économique pour que la crise ne pèse pas davantage dans les pays pauvres, sur les difficultés de l’Église en Afrique et le besoin qu’elle a de se purifier, sur les sectes qui promettent un bonheur facile — ils ne nous parlerons que de cette phrase : le sida ne peut être vaincu par la distribution de préservatifs. Cela ne fait que l’aggraver. Ils oublieront de dire que le pape estime que la solution passe par un réveil spirituel et humain. De toute façon, la plupart des médias ne se soucient pas d’un réveil spirituel et humain... Bien sûr, si on n’a pas l'intention d’être fidèle, il faut utiliser le préservatif. Mais ça me paraît évident que la distribution de préservatifs donne le signal que c’est prévu que l'on couche avec tous ceux qui nous plaisent beaucoup et que c’est étrange de refuser un rapport sexuel. Et pourtant ce n’est pas souvent qu’une femme dit un un homme : mets ton préservatif, car je te soupçonne d’aller voir ailleurs et je ne veux pas que tu me contamines... Il me semble que le pape a raison de dire que le préservatif aggrave le probème du sida...

Enfin, ne nous perdons pas dans cette digression ! Le chrétien est-il quelqu’un qui observe des règles, des lois ? Parfois on sous-entend cela aussi lorsqu’on se dit que les chrétiens n’ont pas le monopole de la droiture, de la bonté, du dévouement, etc. Regardons un peu quelle est cette loi dont parle Jésus, dont il dit qu’il ne vient pas l’abolir mais l’accomplir.

la Loi, ce ne sont pas les règles. Dans la pensée juive où Jésus évolue, la Loi c’est aussi toute la convivialité de Dieu avec son peuple, l’histoire d’Abraham, la libération d’Égypte, la bienveillance de Dieu pour son peuple. Il y a aussi des règles dans la Loi, mais elles sont placées dans le cadre d’une histoire d’alliance où Dieu sauve son peuple. De même pour le chrétien : il n’est pas d’abord quelqu’un qui cherche à être bon mais quelqu’un qui cherche à accueillir le salut de Dieu, quelqu’un qui est visité par Dieu et sauvé par le Christ. C’est à cause de ce salut, à cause de cette bonté de Dieu envers lui qu’il se met à faire plus attention à ses actes et à s’imposer certaines règles de vie — des règles de vie qu’il ne pond pas tout seul mais qui sont discernée en Église, au sein du peuple de Dieu.

Jésus vient accomplir la Loi. Tout au long de sa vie il n’a cessé de demander aux gens, aux pharisiens notamment : comment est-ce que vous observez et enseignez les commandements ? Jésus a combattu le légalisme, cette tendance à subordonner toutes les relations, y compris avec Dieu, à l’observation de lois. Jésus a aussi combattu le relativisme, la tendance à vouloir décider soi-même de ce qui est juste ou pas.

La loi et ses règles opèrent une remise en question de nos façons de voir. Nous pouvons accueillir la loi comme une bonne nouvelle, un cadeau, et nous distancer d’une mentalité où on ne veut connaître que ses droits et non ses devoirs.

Les commandements s’imposent à nous, mais nous devons toujours en chercher le sens profond. Pour tout croyant il y a une nécessité par rapport aux commandements : creuser, réfléchir avec Dieu sur le sens des règles, et spécialement pour les lois qui nous dérangent ou nous intriguent. Cela permet de naviguer entre une application aveugle de la loi et un rejet irréfléchi. Et Dieu lui-même souhaite nous faire avancer : nous recevons des lumières intérieures ou nous rencontrons des personnes, des témoignages qui nous éclairent.

Un tout petit mot enfin sur notre liberté. On peut subir les commandements, ou y adhérer. C’est seulement à ce moment-là que la Loi s’accomplit. Tant que nous subissons, il n’y a pas d’ouverture à Dieu. C’est l’investissement de notre liberté qui rend à la Loi toute sa dimension de chemin vers Dieu.

 

L’amour en actes

homélie du 2ème dimanche de carême, 8 mars 2009

(Gn 22 ; Mc 9,2-10)

Après la promesse de Dieu, Abraham a attendu 25 ans pour avoir un fils. Pendant 25 ans, ce qui lui était le plus cher n’était pour lui que sous forme de promesse. Enfin Sarah conçoit Isaac, et l’enfant grandit bien. Mais Dieu met Abraham à l’épreuve dans son attachement à son fils qu’il lui a donné. Pendant trois jours Abraham marche vers le lieu où il sacrifiera son fils à son Dieu, comme le font les peuples qui l’environnent envers leurs dieux. Pendant trois jours ses entrailles de père sont remuées au plus profond. Il va perdre ce qui lui est le plus cher, parce que Dieu le lui demande. En tout cela Abraham est très impressionnant. Qui d’entre nous n’aurait pas dit à Dieu : “eh bien flûte, là je ne te suis plus, je me retire de ta présence, pour couler des jours à ma mesure avec mon fils”.

Mais Dieu n’est pas comme les dieux des païens, et il n’est pas comme le dieu païen qui est en nous, c’est-à-dire celui dont nous nous faisons spontanément une image : il n’est pas un concurrent, il n’est pas jaloux de notre bonheur, il n’exige pas des sacrifices pour nous priver et nous asservir. S’il demande qu’on le serve, c’est pour nous libérer de nous-mêmes. Le sacrifice que Dieu demande à Abraham permet à Abraham d’être vraiment un père pour Isaac et un fils pour Dieu. Quand l’ange l’arrête, Abraham découvre à quel point Dieu est un Dieu grand dont les pensées sont au-delà de ses pensées.

Nous avons, nous aussi, reçu beaucoup de dons de Dieu. Le premier don, c’est la vie qui est en nous. Mais ces dons ne rayonnent pas toujours dans l’amour et la reconnaissance. Il nous faut parfois une bonne petite cure de dépossession. Heureux sommes-nous si Dieu nous travaille ainsi, s’il nous pousse à renoncer à ce qui nous est le plus cher, non pour nous en priver mais pour que nous n’y fermions plus les mains dans une possession à notre mesure seulement. Non pour nous en priver mais pour nous le donner lui-même, dans un don où nous resterons libres de nous-mêmes pour aimer vraiment, sans posséder et sans asservir.

Un autre point me touche dans ce récit extraordinaire. Quand Abraham a montré qu’il n’hésite pas à choisir Dieu avant tout, l’ange lui il dit : « Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique. » Par le geste d’Abraham Dieu sait qu’il le craint, c’est-à-dire qu’il l’aime dans le respect de ce qu’il est : Dieu. Dieu qui connaît tout, qui « sonde les reins et les cœurs » (Ps 7,10) a-t-il besoin de nos gestes pour savoir que nous l’aimons ?

Cet acte d’amour qu’Abraham pose semble nécessaire pour Dieu, et pour Abraham. Car il n’y a pas d’amour abstrait ; l’amour se vit dans des actes d’amour, dans les choix et les gestes que je fais pour l’autre. Et il grandit dans ces actes, pas autrement. Ce ne sont pas toujours des actes extraordinaire ; parfois même c’est simplement choisir de tenir dans l’épreuve. Ce n’est pas à la mesure du sentiment que j’éprouve pour l’autre, qu’il soit homme ou Dieu, que je dois me demander si je l’aime. Quand ce ne sont plus les hormones et le sentiment amoureux qui nous dirigent, le sentiment vient toujours après un choix. J’aime l’autre à la mesure de ce que je fais pour lui, ni plus ni moins. Et ces actes qui me permettent de prouver mon amour sont en même temps des actes qui réalisent et affermissent cet amour en moi. Le vrai sentiment de l’amour naît des actes que l’on pose en faveur de l’aimé, qu’il soit Dieu ou une personne humaine.

Un petit mot sur la Transfiguration de Jésus. C’est une révélation pour les apôtres, qui va préparer pour eux la grande épreuve de la croix où plus rien ne sera compréhensible. Il y a des moments de notre vie, des moments d’épreuve où nous devons faire mémoire de nos rencontres du Christ transfiguré, exhumer de l’oubli les expériences passées de la forte présence de Dieu. La mémoire de ces rencontres nous permettra de ne pas être désabusés, de ne pas être vaincus par les apparences, de rester branchés sur la réalité la plus profonde : le Christ est présent, sa lumière peut encore illuminer ma vie et la rendre belle. Ses vêtements sont d’une blancheur telle qu’on ne peut en obtenir sur la terre ; la lumière qu’il donne est plus belle et forte que toutes les joies que je reçois ailleurs.

Je nous souhaite que ce carême soit un temps où nous sentirons la lumière du Christ qui se présente à nos cœurs. Que déjà la résurrection se prépare en nous.

 

Saisir l’heure d’aimer

mercredi des Cendres 2009

Voici venu le temps du carême. Et peut-être avons-nous envie de l’accueillir avec une « tête de carême » ! Pourtant, c’est une belle période qui est devant nous. Le temps de l’ouverture à la paix, à la joie, à tous les dons de Dieu. À Pâques nous fêterons l’irruption de la vie dans le monde, même là où il y a la mort. Pendant 40 jours nous allons ouvrir en nous des chemins à cette vie, en acceptant de nous confronter à nos pauvretés et à toutes les pauvretés par nos efforts de carême.

Car il faut bien parler d’efforts de carême, le carême est un temps d’efforts. D’efforts, non pas pour correspondre à nos idéaux, mais pour nous exposer à Dieu sans faire semblant, sans nous enfuir dans une belle image de nous-mêmes, nous exposer à Dieu en acceptant honnêtement toutes nos pauvretés. C’est cela, déchirer nos cœurs et non pas nos vêtements, comme disait le prophète Joël.

On pourrait faire les efforts de carême comme une sorte de défi personnel, pour se montrer qu’on est capable de performances spirituelles : jeûner, prier, s’imposer des activités désagréables, etc. Mais ce serait passer à côté de son carême que de réussir tout cela.

Vous vous souvenez que dans le récit de la Genèse l’homme et la femme, après avoir péché, se cousent de piètres habits de feuilles et se cachent de Dieu, n’osant plus se promener avec lui dans le jardin. Il ne faudrait pas que notre carême consiste à nous coudre nous-mêmes de plus beaux habits afin de nous croire convenables pour sortir avec Dieu. Notre carême, ce sera plutôt sortir devant Dieu en lui disant : habille-moi toi-même puisque je suis nu (d’ailleurs, dans la suite de l’histoire, Dieu fait de beaux habits à l’homme : Gn 3,21).

Au long de nos journées nous adoptons toutes sortes de stratégies pour nous protéger de la mauvaise image de nous-mêmes. Nous donnons de nous-mêmes l’image de quelqu’un de performant, toujours au top ; ou de quelqu’un de rigolo, pétillant de vie ; ou de quelqu’un de malheureux, toujours à plaindre. Chacun a sa petite stratégie pour se confectionner un masque, mais le moyen le plus sûr de savoir si c’est notre stratégie qui fonctionne c’est de constater quand nous sommes en train de juger les autres. Lorsque dans nos attitudes intérieures nous jugeons les autres qui sont moins performants, moins rigolo ou moins malheureux que nous, c’est le signe que nous sommes en train de vivre de l’image que nous construisons de nous-mêmes. Les efforts de carême seront des efforts de déconstruction...

Jésus nous propose le jeûne caché, la prière intérieure et l’aumône, la générosité discrète. Ce sont trois attitudes actives, que nous choisissons de faire. Il y a aussi toutes les purifications passives, les peines intérieures que nous acceptons sans gémir ou sans mordre, en les regardant comme une sorte de désinfection à l’alcool des plaies de notre âme.

A propos du jeûne caché, la tradition spirituelle dit qu’il rabote notre orgueil. Car quand nous avons faim, que cela nous met hors de nous-mêmes, nous voyons bien ce que nous valons, et ce n’est pas grand-chose... Nous n’avons plus de patience, nous n’avons plus d’efficacité, notre beau moi s’écroule... C’est le chemin de l’humilité, le moment de découvrir que nous ne valons pas grand-chose, le moment d’accepter de ne pas pouvoir faire ceci et encore cela et encore plus. Le jeûne que Jésus propose est un jeûne où on se parfume la tête, ou on ne cherche même pas à excuser notre incapacité.

Le jeûne est aussi une façon de réveiller notre désir de Dieu, endormi en-dessous de tous nos désirs assouvis. On peut ainsi jeûner de l’assouvissement de nombreux désirs. Même quand nous faisons simplement de petits efforts de nourriture, sans parler d’autres désirs, nous pouvons les présenter à Jésus comme des offrandes pour réveiller notre désir de lui, notre amour.

La générosité discrète est bien accordée au jeûne. Les vrais fils de Dieu savent bien qu’il n’y a pas vraiment de raisons pour lesquelles ils ne sont pas dans le besoin alors que d’autres sont nécessiteux. Ils ne sont pas gênés de ne pas être dans la gêne, mais ils ouvrent grand leur cœur à celui qui est leur semblable, qui est même leur prochain. C’est d’un élan de tendresse qu’ils sont généreux, qu’ils font l’aumône, car ils laissent leur cœur être ému comme Jésus s’est laissé toucher par ceux qu’il rencontrait.

Enfin il y a la prière intérieure. La vie devant Dieu se passe dans le secret du cœur. C’est à partir de l’attitude intérieure que la grâce nous touche, que le don de Dieu s’enracine en nous. A partir de notre désir plus encore que de la performance, qui peut être médiocre : distractions, manque de goût. Prier, c’est le temps du désir plus que de toute autre chose. Et nous ne devons pas attendre de désirer prier. Nous pouvons créer à l’intérieur de nous un désir d’aller passer du temps près du Seigneur dans la prière. Le désir de Dieu, il faut le créer et il faut veiller sur lui dans notre cœur, ne pas laisser les autres désirs le recouvrir et l’ensevelir. C’est là sûrement une ascèse spéciale : chercher à vouloir faire moins de choses pendant le carême, pour cultiver le désir de Dieu. Enfin, l’invitation à se retirer dans le secret de la chambre n’est pas un déni de la prière publique. Bien plutôt une invitation : que même dans la prière publique, nous soyons à la messe avec l’intensité d’attention que nous aurions dans notre chambre.

Sans regarder en arrière, sans penser à demain, accueillons aujourd’hui, maintenant, à cette heure même le jour du salut : « aujourd’hui, c’est le premier jour du reste de ta vie ». Sur son réveil, Charles de Foucauld avait écrit à l’encre de chine : il est l’heure d’aimer.

 

le miracle de la rencontre

homélie du 8 février 2009, 5ième dimanche B

Aujourd’hui le Christ nous fait nous approcher de l’homme aux prises avec la maladie et la souffrance. Les mots de Job, il arrive dans notre vie qu’ils soient nos mots aussi : « A peine couché, je me dis : ‘Quand pourrai-je me lever ?’ Je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube... Mes yeux ne verront plus le bonheur. » (Job 7,4.7)

Comme l’homme est sensible à la souffrance ! Comme la souffrance est contraire à ce qu’il attend de la vie ! La souffrance est une grande menace pour l’homme et elle peut même le détruire aussi, en le remplissant d’amertume et de révolte.

Quand on est devant quelqu’un qui souffre, il n’y a pas grand-chose à dire, mais il faut rester avec lui, il ne faut pas le fuir. Il n’y a rien de pire que de sentir que les gens nous fuient parce que nous souffrons. Nous n’avons pas grand chose à dire, mais une des choses qu’il faut dire c’est : ne reste pas longtemps dans la révolte, ne te laisse pas envahir par l’amertume !

Il est bon de se révolter devant la souffrance, sinon nous ne pouvons pas canaliser cette répulsion naturelle, nous la refoulons seulement dans les tréfonds de notre être, où elle s’amplifie secrètement. Mais assez vite nous devons choisir de surmonter la révolte et de regarder autrement notre situation.

Dès le début de son ministère public, Jésus vient au devant de l’homme souffrant. Dimanche passé c’était un homme aliéné. Aujourd’hui, la belle mère de Pierre, et finalement tous les malades de la ville.

Comme nous aimerions, si nous sommes malade, bénéficier de cette même rencontre avec Jésus ! Si on disait : cet après-midi, Jésus vient chez untel, à la Rampe du Val, il y aurait tant de monde dans la rue qu’on ne pourrait plus passer... Mais il nous semble que souvent nous sommes plutôt dans la situation de Job, réduits à nous dire : « la vie de l’homme sur la terre est une corvée... Depuis des mois je n’y ai gagné que du néant... » (Job 7,1)

Pourtant je crois que la rencontre avec Jésus aujourd’hui est encore un miracle pour chacun de nous. Bien que ses conditions soient moins favorables. Car dans la situation de foi, un effort spécial est requis de nous pour sortir hors de nous-mêmes et nous ouvrir à Celui qui est présent.

Or toute souffrance enferme. Pour l’homme qui souffre, ce qu’il éprouve a tendance à devenir le centre du monde. Il se trouve devant un pari fou, le pari que le salut ne vient pas de considérer ce qui lui arrive de fâcheux, les perspectives qu’il peut avoir à vue humaine. Le pari de considérer très simplement le Seigneur qui est là et qui vient à nous. Par sa présence que l’on commence à accueillir, il peut déjà donner la paix et une joie qui ne peut venir que du Ciel. Notre cœur peut commencer à dire : Seigneur, tu es là et je vis tout avec toi. Le miracle de la rencontre avec Jésus se produit déjà.

Je terminerai en regardant aussi cette journée à Capharnaüm du point de vue de Jésus. Dans ces événements, il est l’homme à qui tout réussit. Mais son attitude vis-à-vis des esprits mauvais comme son retrait dans la prière laissent voir qu’il se méfie de cette célébrité. Malheureux l’homme à qui tout réussit, qui n’a rien ni personne pour le remettre en question ! Le ministère de la célébrité en a perdu tellement, hors de l’Église et aussi dedans. Mais Jésus se prémunit : il se retire, seul, à l’écart, pour prier. Loin de toute efficacité, loin d’un comportement qui serait salué par tous. Mais il remet à l’avant plan la première priorité, et l’être le plus essentiel : son Père.

 

Une paix pour notre cœur

Homélie du Festival de la lumière 2009

Jésus,
lumière de nos cœurs,
depuis ta résurrection, toujours tu viens à nous.
Où que nous en soyons,
toujours tu nous attends.
Et tu nous dis : Venez à moi,
vous qui peinez sous le fardeau
et vous trouverez l’apaisement.
Bénis-nous,
et fais-nous choisir des chemins de lumière,
toi qui règne pour les siècles des siècles.

 

Commençons notre méditation en regardant la figure de Syméon. Il accueille l’enfant Jésus à l’entrée du temple en s’écriant : « maintenant mes yeux ont vu le salut que tu prépares pour tous les peuples ». En faisant cela, il se révèle à nous comme l’homme de l’espérance et il nous interpelle aujourd’hui au sujet de l’espérance. Cet homme a été capable de voir ce que Dieu faisait alors que c’était encore si confidentiel, si imperceptible, et il a pu s’en réjouir profondément. Voir ce que Dieu fait même lorsque c’est peu visible, être témoin de cet amour de Dieu agissant dans le monde et s’en réjouir, laisser son cœur chanter un chant de reconnaissance, c’est une des belles choses que nous pouvons apporter au monde.

Nous sommes à une époque où Dieu semble de plus en plus écarté de l’espace public, de tout ce qui fait les relations des hommes, de tout ce qui éclaire leurs attitudes aussi. Nous pourrions nous dire : je verrai le Royaume de Dieu le jour où les hommes d’argent et de pouvoir se mettront à vivre selon l’Évangile, le jour où les conflits ne seront plus réglés par la force mais par le dialogue, le jour où telle situation pénible dans ma vie changera... Mais si nous adoptons cette attitude, le bonheur reculera sans cesse devant nous, comme l’arc-en-ciel au pied duquel il y a un trésor. Jamais dans l’histoire de l’humanité on n’a vu le Royaume de Dieu réalisé parce que tous les hommes se sont mis à vivre selon l’Évangile. Même à une époque où presque tout le monde était baptisé en Occident, dans les siècles passés, beaucoup d’hommes pratiquaient la religion sans aimer. Ni en ce temps-là ni aujourd’hui nous ne pouvons nous dire que le monde où nous vivons est idéal. Et nous ne le pourrons jamais.

Pourtant, notre cœur ne doit pas être morose, il peut être dans la lumière, même au milieu des peines de notre monde et de notre vie. Non pas que nous allons fuir vers quelque paradis tropical ou artificiel, mais l’espérance de Syméon nous est accessible. Nous pouvons commencer à voir la lumière de Dieu autour de nous. L’Esprit Saint peut nous donner cette sensibilité à ce que fait le Christ et faire grandir en nous la joie de la proximité de Dieu. Le gros problème du péché, mis à part le mal qu’il fait aux autres, c’est qu’il nous rend insensible à cette lumière du Christ et à sa joie. Mais nous pouvons demander l’Esprit Saint, et le laisser commencer d’ouvrir nos cœurs. Au milieu de nos doutes, la lumière vient nous consoler et nous donner d’espérer.

Dans l’Évangile de ce jour, nous voyons les gens de Nazareth accueillir Jésus avec une froideur du cœur. Ils disent : mais nous le connaissons bien, nous savons bien qu’il est un homme ordinaire, seulement plus sage que les autres sans doute... Le sujet est clos ! Et nous voyons que Jésus ne peut pas faire grand-chose chez eux. Nous découvrons dans l’attitude des gens de Nazareth un moyen de paralyser Dieu, d’éteindre la lumière : c’est la froideur du cœur, qui fait accueillir les meilleures choses avec scepticisme. Le scepticisme n’est pas le doute, il est plutôt le refus d’espérer. Ce n’est pas une hésitation parce que nous ne voyons pas tout dans une grande lumière et que nous ne comprenons pas tout, c’est plutôt une grande maladie du regard. Au lieu de voir déjà la lumière, nous ne voyons que ce qui est sombre, ou pire encore : nous sommes capables de dire que ce qui est lumière n’est en fait rien de fiable, rien de vraiment réel.

Je repense à cette phrase de Etty Hillesum, une jeune juive d’origine athée qui ouvre peu à peu son cœur à Dieu au début de la seconde guerre mondiale. Elle disait : «  Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi ; c’est à mon tour de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous... ». Oui, le Dieu du ciel et de la terre s’arrête à la porte des cœurs, il frappe et il attend que nous ouvrions. Il dépend de nous que nous nous repliions en nous-mêmes ou que nous lancions une passerelle vers l’extérieur pour voir ce qui va commencer à se passer.

Et qu’entre nous aussi nous puissions nous montrer les uns aux autres la lumière de l’espérance, susciter un simple désir de Dieu, « redonner de la vigueur aux genoux qui fléchissent » disait la première lecture. Quant à Dieu, il s’occupe d’être vraiment la lumière !

 

Être né est toujours une bénédiction

Sainte famille, 28 décembre 2008

Quand l’Alliance avec Dieu commence, c’est par une famille. Avec Abraham c’est par l’annonce d’un fils et d’une descendance qu’elle se vit. Et même si tous nous n’avons pas l’occasion d’engendrer, par vocation ou par la force des choses, tous nous pouvons saluer Dieu qui désire que le don de sa vie, de son attention, de son amour, passe par le don de la vie et de l’amour qui peut se vivre dans une famille.

Au sommet de l’Alliance, quand Dieu se fait homme, il s’incarne en Marie en qui Jésus est engendré du Saint-Esprit, mais il ne s’arrête pas là. Il se fait homme encore en vivant dans une famille. Pour devenir homme, on a besoin d’une famille. La famille est le lieu premier où un petit être humain apprend à devenir homme ou femme. La famille réalise ce miracle d’engendrement par l’amour qui y règne, et c’est dans l’amour que le monde de demain se construit. Toute famille reçoit une mission : celle de « garder, de révéler et de communiquer l’amour » (JP II, exhortation Familiaris Consortio, n°17).

Il y a des familles heureuses et des familles où la vie est difficile. Il y a aussi des familles blessées. À l’heure où des décisions politiques institutionnalisent des situations qui autrefois étaient exceptionnelles — et qui restent toujours néanmoins dramatiques —, il est important de rappeler qu’être né, c’est toujours une bénédiction, quelle que soit la situation où nous avons été engendrés et où nous avons dû vivre. Parfois il faut se persuader soi-même de cela, car la vie n’a pas été tendre avec nous.

L’évangile* nous présente des personnes avec qui la vie n’a pas été tendre non plus. Anne, la prophète, est veuve pendant plus de 60 ans. Mais elle trouve un sens à sa vie en se donnant davantage au Seigneur. Elle est même une femme prophète. Et Marie reçoit de Syméon l’annonce que son cœur sera transpercé par une épée.

Pour nous aussi, les événements de la vie peuvent avoir été difficile. Mais pourtant, la vie est toujours une bénédiction et être né nous révèle déjà l’amour de Dieu et son alliance sur nous.

Nous pouvons aussi estimer que nous n’avons pas reçu l’amour que nous méritions. A vrai dire personne n’a reçu l’amour qu’il méritait. C’est un fait reconnu par la foi de l’Église lorsqu’on parle du péché originel qui est transmis de génération en génération.

Qu’y a-t-il derrière ce dogme du péché originel ? En venant dans le monde chacun, encore dans le sein maternel même, se rend compte que quelque chose ne va pas... Créés à l’image de Dieu nous venons avec le désir d’être aimé infiniment et inconditionnellement. Et nous découvrons dès le sein maternel qu’il n’en sera pas ainsi. Aussitôt nous ressentons qu’il y a eu une rupture d’harmonie. Toute notre vie dès lors va consister à s’adapter à un milieu blessé et se défendre dans ce milieu. Le péché originel est la perception d’un manque venant du doute introduit dans l’amour originel. Nous le voyons à l’œuvre en nous dans toutes nos réactions de repli ou d’agression que nous n’osons même pas regarder en face.

Cette situation, où l’on hérite des blessures parentales, l’Église nous assure que tout le monde en est entaché. Tout le monde. C’est ce qu’on veut dire en disant que ces blessures sont forcément transmises par les parents. Ne haïssez pas vos parents pour vous avoir chargé de cette blessure. Ils y sont obligés. Cela fait partie du don de la vie dans notre monde cassé (le monde “déchu” dont parlent parfois les prières de la messe).

Ne soyez pas comme parent tracassé d’avoir transmis une blessure à vos enfants : vous ne pouviez pas faire autrement : tout être humain naît blessé, mais le don de la vie est tellement plus grand que l'inconvénient de la blessure. De cette blessure originelle qui nous conduit à des attitudes parfois pénibles nous avons été déjà guéris par celui qui a accepté d’être « un signe de division » dans notre monde parce qu’il faisait retentir l’appel de l’amour de Dieu. Notre baptême nous plonge dans un amour sauveur (baptiser veut dire “plonger”, et nous sommes plongés dans le nom du Père, du Fils et de l’Esprit, le nom de la Trinité qui est amour). Si nous acceptons notre baptême, si nous cessons de murmurer contre tout ce qui est difficile et lourd dans notre vie, nous vivrons une grande réconciliation intérieure et la joie bondira dans notre cœur.

Lc 2,22-40 Quand arriva le jour fixé par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes. Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C'était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d'Israël, et l'Esprit Saint était sur lui. L'Esprit lui avait révélé qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Messie du Seigneur. Poussé par l'Esprit, Syméon vint au Temple. Les parents y entraient avec l'enfant Jésus pour accomplir les rites de la Loi qui le concernaient. Syméon prit l'enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s'en aller dans la paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples : lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d'Israël ton peuple. » Le père et la mère de l'enfant s'étonnaient de ce qu'on disait de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Vois, ton fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division. - Et toi-même, ton coeur sera transpercé par une épée. - Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d'un grand nombre. » Il y avait là une femme qui était prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. Demeurée veuve après sept ans de mariage, elle avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. S'approchant d'eux à ce moment, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem. Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. L'enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.

 

Le Verbe s’est fait notre chair...

homélie de Noël 2008

Celui que nous fêtons aujourd’hui est présenté par le prophète Isaïe et par les anges qui apparaissent aux bergers comme un sauveur. Aujourd’hui nous fêtons la naissance du Sauveur.

Pourquoi recevons-nous un sauveur ? Je pourrais parler de nos besoins, de nos manques. Mais est-ce que ce serait juste par rapport à Dieu de lui dire : viens me sauver de mes manques ? Il vaudrait mieux le laisser nous montrer lui-même de quoi il vient nous sauver. Nous allons bien voir...

Nous le savons bien, les anges chantent : gloire à Dieu, et paix sur la terre ! Le salut, c’est la paix, et cette paix se décline de deux façons : la paix entre les peuples et entre les personnes, dans les familles ou les lieux de travail. Et la paix à l’intérieur de nous-mêmes, la paix du cœur, la paix des profondeurs.

Cette paix nous viens quand notre cœur cède à la tendresse de Dieu. « Dieu a manifesté sa bonté et sa tendresse pour les hommes » disait saint Paul (Tite 3,4). Cette tendresse est tellement claire quand nous regardons l’enfant de la crèche et que nous nous disons : oui, c’est Dieu qui est venu comme cela, le Dieu de l’univers est devant moi comme un petit enfant qui me tend les bras parce qu’il est venu pour moi.

Pourtant ce n’est pas toujours facile de croire en un Dieu personnel qui nous aime. Parfois, cette pensée nous semble inaccessible. « A Noël nous célébrons un Dieu qui se fait proche, mais nous ne voulons pas oublier qu’Il restera toujours au-delà de ce que nous pouvons comprendre. Ouvrons largement notre cœur et notre intelligence à ces deux dimensions du mystère de Dieu : sa proximité et sa transcendance. » (Fr Aloïs, méditation pour Noël 2008)

Tout au long de cette année, nous sentirons parfois Dieu tout proche, et parfois nous éprouverons son silence. Jésus lui même a connu de son Père à la fois la proximité et le silence, et les deux temps sont nécessaire à la dilatation de notre cœur.

Car le plus important c’est que se réalise pour nous l’invitation de Jésus et de toute la Bible : aime le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta force, de tout ton esprit, et aime ton prochain comme toi-même. En ce Noël, que de nouveaux pas d’amour se dessinent devant nous, et que nous puissions les faire.

Tout à l’heure nous recevrons un souvenir de Noël où des langues du monde entier font retentir la bonne nouvelle : « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Notre vie humaine, avec tout ce qu’elle a de beau et aussi tout ce qu’elle a de fragile ou d’abîmé — et que parfois nous avons tant de peine à accepter — peut accueillir celui qui est « l’image du Dieu invisible » (Col 1,15). Tout ce que nous sommes, Dieu le prend à cœur, vraiment tout ! Et c’est pour cela qu’il est le sauveur. Sa lumière vient pénétrer tout l’être de ceux qui ne s’en croient même pas dignes mais qui baissent les armes et s’ouvrent tout fragiles au Dieu qui s’est fait tout fragile.

Maintenant nous allons vivre l’eucharistie. Par l’eucharistie, Dieu se fait chair une nouvelle fois et se mêle encore à notre corps. Appliquons-nous à imaginer cette visite, et qu’elle change notre vie en lumière.

 

croire pour comprendre et comprendre pour croire

homélie du 4°dimanche de l’Avent, 21 décembre 2008

Comme j’aime cette attitude de Marie qui, lorsque l’ange lui annonce qu’elle sera mère, répond « Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? » Puis déclare : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole », lorsque l’ange lui a expliqué que la puissance du Seigneur viendrait sur elle. Pour bien percevoir ce qui se passe ici, nous pouvons comparer avec la réponse de Zacharie à l’ange qui lui annonçait la conception de Jean-Baptiste : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? Moi, je suis un vieil homme, et ma femme aussi est âgée. » Zacharie ne demande pas, comme Marie, une explication. Il demande une preuve. Il en deviendra muet.

Zacharie comme Marie utilisent leur raison en face des affirmations de l’ange. Mais pas de la même manière. Zacharie estime que ce qui n’est pas vérifiable par la raison n’est pas admissible par elle non plus. Si la raison n’a pas les preuves qu’elle demande, elle ne peut pas s’ouvrir à ce que Dieu affirme. Tandis que Marie ne demande pas quelque chose de démontrable rationnellement. Elle demande qu’il n’y ait pas de contradiction et que ce que l’ange lui annonce soit sensé. A première vue, ce que l’ange lui annonce n’a pas de sens : elle ne peut pas concevoir un fils en étant vierge. Mais lorsque l’ange lui annonce que c’est la puissance du Très-Haut qui fera cela elle-même, et que rien n’est impossible à Dieu, Marie estime que tout cela a du sens.

Cette attitude de Marie par rapport au miracle de la conception virginale de Jésus est un bel exemple de la rencontre de la raison et de la foi. Saint Augustin a résumé dans une de ces formules dont il avait le secret la position qu’on pourrait dire être la position de Marie : « oui, il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre » (Sermons, 43, 9)

Nous pourrions penser que l’exigence d’une foi éclairée nous ferait dire : “je ne veux pas croire tant que je n’ai pas compris”. Mais alors, nous resterions toujours comme en dehors de la démarche de foi, en spectateur qui ne descend pas sur scène mais observe à distance.

Il arrive que nous nous demandions : est-ce que je crois ? Est-ce que je crois assez pour me dire chrétien ? Si j’ai du mal d’admettre certaines choses de la foi, puis-je penser que je suis croyant ? Quand cette question nous assiège, nous risquerions de nous dire : c’est trop difficile de croire ; je me contente de bien agir... Pourtant, bien souvent, nous avons commencé à croire alors que nous n’y pensions même pas. « Au tréfonds de la condition humaine repose l’attente d’une présence, le silencieux désir d’une communion. Ne l’oublions jamais, ce simple désir de Dieu est déjà le commencement de la foi. » (Fr. Roger)

Nous pouvons être soulagés de savoir qu’il n’y a pas des étapes claires dans notre démarche intérieure. Il ne faut pas tout comprendre pour croire, de même qu’il ne faut pas tout croire avec la même intensité pour sentir qu’on adhère à Dieu, à son amour, à son plan de lumière pour les hommes. Notre désir de comprendre, plutôt que nous paralyser, pourrait nous conduire plus loin. Nous dirons : “je voudrais comprendre ce que je crois un peu, pour y croire encore mieux”.

Marie, dans son intelligence, fait entrer des données de la foi : elle sait que Dieu peut faire des merveilles, qu’il est raisonnable de compter sur Dieu. Et si Dieu dit lui-même qu’il fera naître un fils dans ses entrailles, elle peut l’admettre, puisque Dieu est Dieu. Marie n’est pas prête à croire n’importe quoi. Mais à croire en Dieu, en ce qu’il dit, en sa Parole.

De même aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts à croire tout ce qu’on nous dirait, mais nous découvrons que Jésus a pris du pain et a dit : ceci est mon corps... (Mc 14,22) Cela ne nous laisse pas indifférents. De même, il a dit : tous ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis (Jn 20,23). Nous voulons croire cela pour commencer à le comprendre, et le comprendre un peu pour le croire plus clairement.

On peut trouver cette phrase dans « Pressens-tu un bonheur ? » ou sur le site de Taizé

 

Veillez donc ! Quelle grâce !

homélie du 30 novembre 2008

Au moment où nous nous sentons le plus fatigué dans l’année, en cette fin d’automne, quand nous voudrions faire une longue sieste, Jésus nous dit : Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment. Le maître de maison peut arriver à l'improviste et vous trouver endormis. (Mc 13,33.36)

Qu’en est-il autour de nous ? Y a-t-il beaucoup de veilleurs ? Ne sommes-nous pas plutôt dans la situation que décrivait Isaïe : « Personne n’invoquait ton nom, nul ne se réveillait pour recourir à toi » (Is 64,6).

Il y a une originalité de l’attitude chrétienne dans le monde : le chrétien est dans le monde comme un veilleur. Quelqu’un est veilleur lorsqu’il peut dire : j’agis de telle façon car je suis témoin d’une autre réalité, qu’on ne voit pas encore mais que je prends en compte et vers laquelle je dirige mon attention et tout mon être.

Ainsi je renonce à tel style de vie matérialiste parce que je veux que mon regard se tourne vers plus loin, plus haut. J’accepte telle réalité contraignante ou difficile dans ma vie car je sens que c’est ce que Dieu attend de moi, ce Dieu qu’on ne voit pas, que beaucoup disent inexistant, mais pour qui je veux veiller.

Nous ne voulons pas laisser notre attention s’endormir en ne considérant que ce qui se voit et ce qui s’expérimente immédiatement. Nous avons raison de le faire, puisque la Parole de Dieu aujourd’hui nous dit « Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur. » (1Co 1,9)

Dans la parabole de l’évangile, le maître de maison est parti en voyage et a laissé tout pouvoir à ses serviteurs. Nous pouvons y voir une représentation de Dieu qui confie la création aux hommes. Il leur a laissé gérer le monde à leur guise, mais quand il reviendra, pourra-t-il se dire que les hommes ont veillé, qu’ils ont accompli leur mission de la façon qu’Il attendait ? Il y a tant de façon de déserter son poste, de s’endormir. Je pense à toutes ces situations où nous faisons la guerre, au loin ou auprès de nos proches ; à cette tentation de complétement lâcher notre foi, de ne plus resté accroché, de ne plus entretenir la flamme ; je pense à nos abus de pouvoir...

Au lieu de cela, le Seigneur attend que nous soyons dignes du cadeau qu’il nous fait.

Pour bien vivre cet Avent, rendons grâce au Seigneur de nous avoir confié tant de bien, et soyons reconnaissants pour cette mission qu’il nous donne, cette mission de veilleur, que nous pouvons même accomplir dans une vie toute simple. Cette reconnaissance et cette action de grâce déploieront en nous les forces de renouveler notre vie.

 

mariage d’Élisabeth et Alexis : aimer toujours plus

15 novembre 2008

Élisabeth et Alexis, bientôt vous allez faire une chose très grande, vous allez vous dire mutuellement que vous vous donnez l’un à l’autre et que vous vous recevez ; et en le disant, vous le ferez ; ce sera une parole qui réalise ce qu’elle dit. Vous le vivrez dans le sacrement de mariage, car vous avez conscience que c’est Dieu qui vous donne l’un à l’autre et que vous vous recevez de Dieu. Quand nous faisons ce petit détour par notre Créateur, nous nous rendons compte de l’extraordinaire grandeur de chaque être humain ; car dire « tu es trop grand, tu es trop grande pour que je te prenne par moi-même, mais je peux te recevoir de Dieu », c’est une très belle parole d’amour.

Pour vivre un amour durable et profond, un élément me semble indispensable, c’est la reconnaissance. L’amour grandit par le « merci ». C’est ainsi dans l’amour de Dieu comme dans l’amour humain. Dans la foi, pour qu’elle ne meure pas, il faut souvent « rendre grâce », dire à Dieu notre reconnaissance ; fondamentalement, c’est ce que nous faisons dans l’eucharistie. Dans l’amour humain aussi, il faut rendre grâce. Et c’est une décision du cœur, même quand on n’y est pas porté par les événements, que de s’engager délibérément dans la voie de la reconnaissance, du merci. Il n’y a rien qui fait grandir plus l’amour que la reconnaissance, comme il n’y a rien qui l’abîme plus que l’ingratitude. Passez du temps à vous émerveiller de ce que l’autre est et de ce qu’il fait pour vous. Arrêtez-vous, n’entrez pas dans la routine, choisissez de vous émerveiller de l’autre. Et même lorsque l’autre sera souffrant, portez encore sur lui ce regard d’émerveillement qui le réchauffera. C’est aussi le regard de Dieu sur chacun de nous.

La première chose dont vous pouvez être reconnaissant, c’est que l’autre ait bien voulu partager votre vie. Dites-lui souvent merci d’être là, à vos côtés. Ne vous habituez jamais à cela. Et dites-lui merci pour tant de choses. Je connais un couple âgé où le mari, à la fin de chaque repas, se lève pour déposer sur le front de son épouse un tendre baiser, en lui disant merci pour le repas qu’elle a préparé. À chacun de trouver les gestes, les occasions nombreuses pour dire à l’autre « merci ». Dites-vous bien que rien n’est un dû. C’est ainsi que votre amour grandira ou se réveillera. Choisissez d’être contents l’un de l’autre : « je suis content que tu sois ma femme — je suis content que tu sois mon mari » ! Ah, si vous pouviez vous le dire souvent, même quand il y a une femme ou un homme qui paraîtra plus agréable un peu plus loin !

Vous allez faire don de vous-mêmes l’un à l’autre, pour vous aimer, pour veiller l’un sur l’autre. Cette parole que vous échangez est une parole bien épaisse, puisqu’elle est appelée à durer toujours. Et même, à grandir jour après jour. À l’image de cette graine de sénevé qui devient un arbre pour abriter les oiseaux du ciel. Une parole, c’est tout petit une parole ; il y a même parfois des paroles en l’air. Mais cette parole-ci, elle sera une fondation ; vous devrez y revenir souvent. « J’ai promis de l’aimer toujours » ; « tu as promis de m’aimer toujours ».

Là, nous nous demandons parfois : comment peut-on promettre d’aimer toujours ? L’amour n’est-il pas un sentiment, et donc incontrôlable ? Et s’il venait à passer ? Il y a une dimension de l’amour que l’on a oublié de nos jours, et qui est pourtant si importante. L’amour est choix, il est décision. Cela paraît étrange à dire, et pourtant l’amour ne repose pas seulement sur le sentiment mais aussi sur la volonté. On ne le sait plus dans notre monde, on croit que l’amour dure tant que dure le sentiment. Mais non, l’amour est aussi choix, décision. Dans un couple il arrive des moments où le sentiment n’est plus au rendez-vous. Mais on peut encore choisir d’ouvrir son cœur à l’autre, de le prendre dans son cœur, de vouloir lui être uni. Non par nécessité, non par peur d’être seul, non par soumission, mais par choix. Lorsqu’on fait cela, un sentiment nouveau commence à naître, plus profond, un attachement qui donne davantage la vie. Ainsi je vous demande de choisir de vous aimer, quels que soient vos états d’âme.

Ce choix d’aimer, il y a un moment où il est spécialement fort, c’est le jour où nous avons à pardonner à notre conjoint une attitude, une parole, une réaction ou un silence... Tout au long de votre vie vous aurez à vous pardonner l’un à l’autre. Sur la terre, il n’y a pas d’amour parfait, irréprochable. L’amour que l’on s’échange sur terre est un amour à pardon, comme il y a les moteurs à essence. Notez que pardonner, ce n’est pas excuser ; on peut très bien pardonner à quelqu’un qui est inexcusable. Parce que pardonner n’est pas dire : je te comprends, je vais essayer d’oublier... Pardonner, c’est dire à l’autre : même si tu m’as fait si mal, je veux t’aimer par-delà ce que tu m’as fait, je ne veux pas que ta mauvaise action limite mon amour. Pardonner, c’est faire remporter une victoire à l’amour.

Vous voilà prêts à vous embarquer sur les flots de la vie dans le bateau de l’amour, que Dieu gardera par sa Providence. Votre amour lui est cher et il le sauvera autant de fois qu’il le faudra, par son pardon et la force de son Esprit. Dans le mariage, Dieu consacre votre amour, et il lui donne une place de choix dans les progrès de son Royaume. Il s’appuie sur votre amour, pour faire comprendre aux hommes que c’est la tendresse et la fidélité qui sont le vrai fondement du monde. Par votre amour vous nous témoignerez de la force de l’amour de Dieu, en faveur de tous ceux qui ont tant besoin d’amour.

Que Dieu vous garde et vous fortifie encore !

 

L’amour de Dieu, c’est un amour...

homélie du 32°dimanche A, 9 novembre 2008

Un peu étrange, ce récit. Faisons un peu d’histoire pour mieux le comprendre... Selon l’usage juif, le festin a lieu dans la maison de l’époux. L’époux va chercher l’épouse en cortège, avec des lampes, de la musique et des chants, pour la ramener chez lui dans la salle de noces. Les amies de noce, ou peut-être même les jeunes filles du village entourent l'épouse et sortent au devant de l'époux à son arrivée. Elles prennent part aux cérémonies du mariage, aussi bien qu'au banquet qui a lieu chez l'époux, sans invitation particulière, à condition d’être revêtues d’habits de fête et d’avoir avec elles leurs lampes.

Le Royaume de Dieu est donc un peu comme ce repas de noces où tout le monde est le bienvenu. Il suffit, en fait, de s’être préparé.

Il peut y avoir des préparatifs fébriles ou inquiets. On peut être soucieux du qu’en dira-t-on... On peut aussi être inquiet parce qu’on se demande : est-ce que j’ai récolté suffisamment d’huile ? Si je me compare aux autres invités, je me demande si j’ai accumulé assez de belles actions pour ne pas manquer d’huile quand le Seigneur viendra, sans compter toute l’huile que j’ai renversé par mes péchés...Mais est-ce une bonne façon de réfléchir ? Je crois que cela contredirait beaucoup de récits de l’évangile, le parcours de tous ces chéris de la miséricorde que sont par exemple la femme adultère et le bon larron.

Toutes les jeunes filles sont invitées, tous les hommes sont conviés au Royaume de Dieu. Mais toutes les jeunes filles ne se tiennent pas prêtes. Et pour celles qui ne sont pas prêtes, on dirait que quand l’époux arrive, il est trop tard pour se préparer ; elles se retrouvent dehors quand la porte est fermée et que les jeunes filles qui étaient prêtes sont entrées avec l’époux dans la salle des noces.

Cela nous paraît dur. Il semble y avoir un rude contraste avec une vision de Dieu qui nous accueille toujours, qui nous aime quels que soit notre attitude. Pourtant, n’est-ce pas cela l’amour de Dieu : un accueil inconditionnel, la tolérance de tout ? Quand nous parlons comme ça, j’ai l’impression que nous comparons l’amour de Dieu à une couche de peinture que Dieu viendrait mettre sur nos laideurs. Et si nous disons qu’il nous accueille tels que nous sommes, est-ce que nous ne nous attendons pas un peu à ce que le paradis soit comme un de ces cocktails gratuits où on peut venir faire le pique assiette et repartir comme on est venu ?

Or, l’amour c’est l’amour. L’amour de Dieu est simplement un amour, avec toutes les dimensions de l’amour, notamment l’attente d’un partage. Comme tout amour, l’amour de Dieu est quelque chose qui s’échange, qui se donne et se reçoit. Un amour partagé, c’est un immense bonheur. Un amour refusé, c’est une peine sans fond. Imaginez que quelqu’un vous aime beaucoup, et que vous lui répondez simplement : « c’est bon à savoir... Je prends note pour le jour où j’aurai besoin de toi. » Vous lui faites une belle offense, et vous piétinez son cœur. Bien sûr il pourra encore vous le pardonner, s’il vous aime tant, mais vous, quand vous aurez vraiment réalisé ce que vous avez fait, vous serez vraiment mal.

C’est ce genre de chose que Jésus nous annonce dans l’évangile. L’histoire de la porte qui se ferme un moment donné, c’est pour nous dire, non pas que le cœur de Dieu se fermera, mais qu’un jour la possibilité pour nous de montrer à Dieu notre amour se fermera. Savoir qu’on va passer sa vie avec quelqu’un qui nous aime tant sans avoir encore la possibilité de lui montrer notre amour, ça doit être super dur ; je ne voudrais pas vivre cela.

Alors, tâchons d’avoir nos lampes pleines d’huile ! Nous ne devons pas être en mesure de dire à Dieu : regarde tout le bien que j’ai accumulé par ma vie bonne ! Il ne s’agit pas d’avoir une liste de bonnes actions à présenter à Dieu, mais de venir à lui avec un cœur ouvert et plein de désir de Dieu. Ce désir de Dieu existe même dans le cœur de ceux qui ne le connaissent pas, qui l’ignorent non par indifférence mais parce que personne ne leur en a jamais bien parlé. Nous devons pouvoir dire à Dieu quand nous le verrons face à face : dès que j’ai connu le bien, j’ai essayé de le faire de tout mon cœur. Ainsi mon cœur te désire tellement, toi le vrai bien. Et maintenant que je te vois tel que tu es, je sens que mon cœur brûle d’amour pour toi. C’est cela, veiller pour le retour de l’Époux.

Tous, il nous faut apprendre à aimer le bien, le vrai, et non pas seulement notre petit bien. Heureux les artisans de paix et de justice !

 

qui sera sauvé ?

Messe des étudiants du 29 octobre

L’évangile nous surprend par sa dureté. Il semble y avoir un rude contraste avec une vision de Dieu qui nous accueille toujours, qui nous aime quels que soit notre attitude. Pourtant ce n’est peut-être pas aussi différent que cela. Demandons-nous : qu’est ce que l’amour de Dieu ?

Je dirais que l’amour de Dieu ce n’est pas une couche de peinture, et que son pardon n’est pas du plafonnage. L’amour de Dieu est simplement un amour, avec toutes les dimensions de l’amour, notamment l’attente d’un partage. Quand nous parlons de l’amour de Dieu et de sa miséricorde, il arrive que nous voyions cet amour comme une couche de peinture que Dieu viendrait mettre sur nos laideurs. Et si nous disons qu’il nous accueille tels que nous sommes, est-ce que nous ne nous attendons pas un peu à ce que le paradis soit comme un de ces cocktails gratuits où on peut venir faire le pique assiette et repartir comme on est venu ?

Or, l’amour c’est l’amour. Comme tout amour, l’amour de Dieu est quelque chose qui s’échange, qui se donne et se reçoit. Un amour partagé, c’est un immense bonheur. Un amour refusé, c’est une peine sans fond. Imaginez que quelqu’un vous aime beaucoup, et que vous lui répondez simplement : « c’est bon à savoir... Je prends note pour le jour où j’aurai besoin de toi. » Vous lui faites une belle offense, et vous piétinez son cœur. Bien sûr il pourra encore vous le pardonner, s’il vous aime tant, mais vous, quand vous aurez vraiment réalisé ce que vous avez fait, vous serez vraiment mal.

C’est ce genre de chose que Jésus nous annonce dans l’évangile. L’histoire du « quand le maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte », c’est pour nous dire, non pas que le cœur de Dieu se fermera, mais qu’un jour la possibilité pour nous de montrer à Dieu notre amour se fermera. Savoir qu’on va passer sa vie avec quelqu’un qui nous aime tant sans avoir encore la possibilité de lui montrer notre amour, ça doit être super dur ; je ne voudrais pas vivre cela. Ce sont les « pleurs et les grincements de dents », une déception énorme.

Vous me direz : d’accord, nous le savons en lisant cet évangile, mais il y a tous ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’amour de Dieu, seront-ils jetés dans cette situation pénible ? N’est-ce pas injuste ? Remarquez bien, Jésus ne dit pas que le problème c’est de le connaître ou pas ; il dit même plutôt qu’on peut se faire illusion en croyant qu’on l’aime parce que simplement on le connaît et qu’on est de son bord. Le critère qui fait que l’on se sente comme privé d’entrer dans la maison du Père, ce n’est pas de ne pas avoir connu le Christ, mais d’avoir fait le mal : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal. »

La foi de l’Église, exprimée par les évêques réunis au concile Vatican II, c’est que « ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l’Évangile du Christ et son Église et cependant cherchent Dieu d’un cœur sincère et qui, sous l’influence de la grâce, s’efforcent d’accomplir dans leurs actes sa volonté qu’ils connaissent par les injonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salut éternel » (Lumen Gentium 16). Le premier geste d’amour envers Dieu est d’écouter sa conscience. La conscience morale, on peut la voir comme une loi gravée dans notre cœur, ou comme une voix qui nous avertit en nous poussant à aimer, à faire le bien et à éviter le mal. Avec cette conscience, tout homme est équipé pour répondre à l’amour de Dieu par l’ouverture de son cœur. Et l’homme qui a agit selon sa conscience, sans paresse, même s’il ne connaissait pas Dieu, se dira quand il le verra : te voici, toi que j’ai aimé sans le savoir.

Tous, il nous faut apprendre à aimer le bien, le vrai, et non pas seulement notre petit bien. Heureux les artisans de paix et de justice !

Je termine avec un mot sur la première lecture. Être soumis les uns aux autres, c’est une expression un peu curieuse. D’habitude, s’il y a soumission, il y a quelqu’un qui soumet et quelqu’un qui est soumis. Ici, Paul nous demande une soumission mutuelle. C’est le contraire de l’orgueil. « Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes » (Phil 2,3) dit-il dans une autre lettre. Cette soumission, ces rapports humbles, nous pouvons les commencer par un autre regard posé sur les autres. Le Seigneur nous demande de retrouver un regard d’émerveillement sur ceux qui nous entourent, spécialement ceux qui sont près et à qui nous nous sommes habitués.

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les valeurs chrétiennes partent du centre de la personne

Nous nous interrogeons beaucoup, ces derniers jours, sur les valeurs chrétiennes. Et ça tombe bien pour nous que le Christ aujourd’hui vienne nous redire ce qui vaut vraiment pour lui. La première valeur chrétienne c’est de cultiver l’amour de Dieu. Et pas de le cultiver simplement à l’occasion quand il nous reste du temps ou de l’énergie, mais de tout notre cœur, de tout notre esprit, de toute notre âme, de toutes nos forces. La deuxième valeur chrétienne est l’amour du prochain, comme l’amour de soi-même.

La première valeur chrétienne, c’est l’amour de Dieu. Parfois, parce que l’on voulait éviter un amour de Dieu qui serait une évasion dans un paradis artificiel, une sorte d’opium du peuple, on a dévalué l’attachement premier à Dieu, on en a fait un accessoire pour chrétien de luxe, tandis que le chrétien normal serait surtout celui qui s’engage pour son prochain, y compris à l’heure de la messe du dimanche. Je ne crois pas qu’on puisse faire rentrer cette conception dans le cadre de l’évangile, au vu de ce que Jésus nous dit aujourd’hui. Pourtant, saint Jean fait bien d’insister envers nous tous lorsqu’il écrit dans sa lettre : Nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier. Si quelqu'un dit : « J'aime Dieu », alors qu'il a de la haine contre son frère, c'est un menteur. En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, est incapable d'aimer Dieu, qu'il ne voit pas. Et voici le commandement que nous avons reçu de lui : celui qui aime Dieu, qu'il aime aussi son frère. (1 Jn 4,19-21)

Jésus nous commande d’aimer Dieu parce que le rapport qui convient entre nous et Dieu c’est l’amour. Pour bien le sentir, nous pouvons nous demander tout ce que ce rapport avec Dieu n’est pas.

Il n’est pas un rapport de rivalité, où je ne vis qu’en disputant à Dieu tout avis sur ma vie, sur ma conduite, où je ne suis libre que parce que je m’oppose à Dieu ou que je le nie.

Il n’est pas un rapport de soumission peureuse, où je crains le péché, et par-dessus tout le péché en matière sexuelle, parce que j’imagine que je ne mérite pas le pardon mais seulement la sanction.

Il n’est pas un rapport de respectueuse distance, où je considère que Dieu me laisse libre et que j’ai juste à ne pas trop l’embêter pour pouvoir faire toutes mes petites histoires, moyennant quelques messes du dimanche.

Non, le rapport qui convient entre nous et Dieu, le rapport que nous ne pouvions pas inventer nous-mêmes, c’est un rapport d’amour.

Envers Dieu, envers mon prochain c’est-à-dire tous ceux qui sont à ma portée, le bon rapport est l’amour. Mais comment aimer ? Pour une part, nous ne sommes pas maîtres de l’amour, et nous penserions d’ailleurs que l’amour ne se commande pas. Sûrement, l’amour est un élan que Dieu lui-même met en nous, et c’est pour cela que l’amour commence par lui. Mais il y a une part qui nous incombe : aimer, c’est rendre son cœur disponible. Disponible pour Dieu, disponible pour chacun. Nous pouvons nous demander chacun : mon cœur est-il disponible, ou est-il bien à l’abri derrière toutes sortes de murs et de portes verrouillées ?

Nous avons inventé bien des moyens de nous dérober à nos semblables et à Dieu, que ce soit dans notre famille ou par rapport à tous ceux qui sont au loin. Pourtant nous ne vivrons vraiment qu’en ouvrant notre cœur. Notre cœur est le bien le plus précieux que Dieu nous a fait. Savoir à quoi nous appliquons notre cœur est le choix le plus grand que nous faisons. Pour pousser dehors tous les soucis et inquiétudes qui peuvent assiéger notre cœur, nous pouvons implanter un souci nouveau, un souci aimant de l’un et l’autre qui sont là près de moi et aussi de ceux qui sont plus loin.

Je vous laisse avec quelques mots de sœur Emmanuelle : « J’ai pensé à vivre d’amour. L’amour est plus fort que la mort. La mort attaque tout ce qui est matériel, et dans l’amour tout ce qui était plaisir passager. Mais tout ce qui était don, et don gratuit, ne peut pas mourir. »

homélie du 30°dimanche, 26 octobre 2008

 

le C de l’UCL et deux trois autres choses...

homélie de la messe des étudiants des 24h vélo

Vous savez tous qu’une pétition circule actuellement pour demander d’enlever à l’avenir l’adjectif « catholique » du nom de l’université de Louvain, puisque c’est si inconvenant de s’appeler catholique dans le monde d’aujourd’hui. Vous savez aussi qu’une autre pétition circule, qui demande que les valeurs chrétiennes soient visibles dans le nom de l’université.

Que ce soit inconvenant d’être catholique, et encore plus inconvenant de le dire, vous le savez déjà, vous avez déjà eu l’une ou l’autre remarque de condisciples ou même de professeurs, ou de membres de votre famille. Parfois les gens ne se gênent pas pour manquer de respect à notre égard et tenir pour rien ce qui nous est le plus cher. Je me souviens d’une discussion lors d’un mariage, où quelqu’un s’était vanté devant moi d’avoir autant qu’elle pouvait détourné ses enfants de la foi.

Mais une fois que nous dépassons ces impressions désagréables, il y a de belles surprises lorsqu’on dit qu’on est catholique. Lorsqu’on le dit sans arrogance et sans gêne à la fois, comme quelque chose dont nous sommes simplement heureux, un peu fier mais pas trop... Je me souviens de beaux débats, où nous avons parlé des choses essentielles de la vie, de l’amour, de la fidélité, du don de soi, de ce qui nous fait vivre au plus profond. Je ne dis pas que nous sommes tombés d’accord, mais nous avons partagé sur l’essentiel. Comme disait un étudiant sur le site des signataires en faveur du C : « Dire ce que l’on est est le premier pas pour établir un dialogue constructif avec autrui. »

Il va donc sans dire que je vous invite lourdement à signer, si ce n’est encore fait, la pétition du site www.uclouvainquelavenir.be. Bien sûr on peut trouver des choses étroites dans les réactions de certains membres de l’Église catholique, mais je trouve qu’en gros l’Église nous met bien en lien avec « la richesse insondable du Christ » (Ep 3,8). Et le monde sera gagnant si cette richesse transparaît de plus en plus dans nos vies.

Par le Christ, disait saint Paul, nous avons accès auprès du Père. Ce qui veut dire que nous sommes chez nous dans le cœur de notre Père, le Dieu tout-puissant. Quand nous serons un peu perdus au milieu de la foule des 24h tout à l’heure, que nous en aurons marre ou que nous nous sentirons terriblement seuls, puissions-nous nous rappeler : je suis chez moi dans le cœur de mon Père, et il est mon abri. Et si vous voulez en être plus sûr, il y a Jésus qui veut vous en persuader au cours des 24h adoration...

Vous me direz : ce Père, aujourd’hui dans l’évangile il prend des allures pas très sympathiques : il se présente comme un voleur. Est-ce que je mérite un Père qui soit un voleur ? Ce n’est pas pour nous surprendre ou pour nous nuire que Dieu se compare à un voleur, c’est à notre bénéfice : il veut que nous ayons un cœur toujours en éveil. Il n’y a rien de pire pour l’homme que d’avoir le cœur qui s’endort, dans les habitudes, dans les petits soucis ou les petites blessures d’amour propre.

Alors réveillons notre cœur de tout repli sur nous-mêmes. Consacrons-le au service et à l’amour, demandons-lui d’être élan de tendresse et d’espérance. Je vous laisse avec ce poème du grand artiste indien Tagore :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.
Je me réveillais et je vis que la vie était service.
Je servis et je compris que le service était la joie »

 

On cherche des provocateurs...

(homélie sur Lc 9,1-6)

Ça nous a beaucoup surpris que Jésus demande de secouer la poussière (Lc 9,5). N’est-ce pas un geste de mépris, d’intolérance... Cela heurte notre conception d’un Jésus accueillant et ouvert. Pourtant, la tolérance n’est-elle pas une valeur de l’évangile ?

Qu’allons-nous faire ? Nous voudrions ajouter de l’édulcorant à cet évangile, voire même faire une pirouette dont les prédicateurs ont le secret et vous sortiriez avec l’impression que j’ai soutenu l’idée que le texte veut dire le contraire de ce qu’il dit : que ce n’était pas vraiment secouer la poussière, ou que ce n’était pas vraiment contre eux, ou que ce sont les évangélistes qui ont ajouté leurs propres paroles à celles de Jésus qui, lui, ne voulait pas dire ça... Vous connaissez ce genre de manœuvres qui font parfois penser qu’on peut faire dire à l’Écriture tout et son contraire. Pourtant, nous venons de lire dans les Proverbes : « Toute parole de Dieu est éprouvée, il est un bouclier pour qui s’abrite en lui. A ses discours, n’ajoute rien, de crainte qu’il ne te reprenne et ne te tienne pour un menteur. » (Pr 30,5-6)

Comment interpréter honnêtement l’Écriture ? Comment ne pas tomber dans les pièges ci-dessus ? Sûrement il faut d’abord lire attentivement, et ne pas trop se hâter de faire des rapprochements avec notre vie. Demandons-nous ce que le texte dit en lui-même, et s’il y a des parallèles dans la Bible.

Ainsi nous lisons : « si les gens refusent de vous accueillir, sortez de la ville en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Il s’agit d’un témoignage envers ceux qui ont refusé les messagers de la Bonne Nouvelle. Un témoignage « pour eux » ou « contre eux », difficile de trancher, les Bibles donnent l’une ou l’autre traduction...

Pour en savoir plus, allons voir les références parallèles qui se trouvent en petit dans nos Bibles. Par exemple le renvoi en Luc 10,11 : « Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche. »

Ici cela s’éclaircit. On voit qu’il s’agit d’interpeler les interlocuteurs, de les secouer, si j’ose dire, de leur montrer que ce qu’ils refusent, c’est vraiment le Règne de Dieu. Nous pouvons conclure que Jésus invite à un geste provocateur à cause de l’importance du Royaume de Dieu.

Ici surgit un obstacle courant : cette attitude prônée par Jésus ne correspond pas à l’image que nous nous étions fait de l’amour... Nous pensions peut-être qu’aimer les autres c’est être gentil avec eux, trouver que tous leurs choix sont bons puisque ce sont leurs choix et qu’ils sont libres, et que nous les voulons libres comme Dieu, etc. Nous disons que le christianisme est la religion de l’amour et nous sommes prêts à filtrer toute l’Écriture pour qu’elle colle à notre version de l’amour... Et bien souvent nous coinçons.

C’est qu’il vaut mieux ne pas s’accrocher à une vision préconçue de l’amour en lisant la Bible, mais plutôt laisser notre vision de l’amour être façonnée par Jésus. La vision que Jésus a de l’amour vient bousculer notre vision post-moderne d’un amour de molle tolérance. Quand quelqu’un se trompe, par amour il faut le lui dire. Quand quelqu’un refuse ce qui devrait le faire vivre, il faut lui faire remarquer qu’il passe à côté de la vie.

Aujourd’hui encore Jésus nous invite à des gestes provocateurs. Quand on refuse d’ouvrir sa vie à Dieu, ou même de se poser la question de Dieu, on ne refuse pas une marque de voiture plutôt qu’une autre, ni même de prendre le train plutôt que la voiture, on refuse Celui qui pourrait bien être la clef de notre existence, notre guide et la source du bonheur intérieur.

Je me demande quel geste provocateur nous pourrions faire à tous ceux qui nous disent, en gros : Dieu ne compte pas, même s’il existait... C’est important d’en trouver, car l’enjeu est si grand. C’est important que nous sortions d’une conception intimiste de la foi, où le fait que je crois est une affaire privée, mon affaire et puis c’est tout... Oh oui, n’ayez pas peur d’être surprenants pour les autres à cause de votre foi ! Les anormaux, ce n’est pas vous qui croyez, je peux vous le dire ! Je ne dis pas que celui qui ne croit pas est anormal, mais celui qui se bouche les yeux et les oreilles devant la question de Dieu, là je crois que nous pouvons lui montrer qu’il y a quelque chose qui ne va pas...

Enfin, pour éviter toute arrogance à ses disciples, Jésus les envoie comme des mendiants : « n’emportez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n’ayez pas chacun une tunique de rechange. Si vous trouvez l’hospitalité dans une maison, restez-y » (Lc 9,3-4). La force des témoins, notre force, ce n’est pas notre supériorité, notre intelligence, nos moyens, mais seulement la force de notre confiance en Dieu et notre main tendue vers les autres de qui nous voulons dépendre.

 

Ta conversion m’intéresse

homélie des 6 et 7 septembre 2008, 23ième dimanche A

Il y a deux grands textes sur le péché du frère dans les évangiles. Celui que nous venons d’entendre, et le texte où Jésus parle de celui qui a commis une faute contre nous, à qui nous devons faire de vifs reproches et lui pardonner s’il se repent, même si cela doit arriver sept fois par jour. Nous l’entendrons dimanche prochain.

Ici il n’est pas clairement question d’une faute « contre nous ». Le problème n’est pas de pardonner à quelqu’un, mais de voir si celui qui pèche va revenir à Dieu ou pas. C’est ce désir de faire revenir le pécheur à Dieu qui guide toute la démarche, jusqu’à la menace finale d’une exclusion de l’Église : « considère-le comme un païen et un publicain », ce qu’en termes techniques on nomme excommunication. Dans l’Église, l’excommunication a d’ailleurs généralement été considérée non comme condamnation mais comme moyen de faire revenir le pécheur de son égarement (ou parfois, malheureusement, par le même mécanisme, comme moyen de faire entrer telle personne dans les vues de l’un ou l’autre prélat).

Puisque Jésus parle d’avertir toute la communauté, on peut penser que le péché dont il parle est le péché public d’un chrétien, un de ces péchés que nous commettons et qui vient salir tout le témoignage de l’Église, un de ces péchés qui fait parfois dire à ceux qui ne veulent pas nous rejoindre : « quand je vois ce que font les chrétiens je ne veux pas rejoindre l’Église. » Il faut le reconnaître : notre comportement vient parfois invalider tous les efforts que d’autres font pour témoigner en vérité de l’Évangile et de comment le Seigneur change notre vie lorsque nous l’aimons. Heureux sommes-nous alors si quelqu’un vient nous dire : « écoute, ce que tu fais ne convient pas à quelqu’un qui se déclare chrétien. »

Oui, nous sommes heureux si nous pouvons vivre cet échange de reproche fraternel. Pourtant, nous pratiquons rarement ainsi. Nous intentons bien des procès les uns envers les autres dans notre cœur, mais trop rarement nous avons la franchise d’avertir notre frère pécheur. Parfois nous nous disons que pour nous permettre de reprendre ainsi notre frère, notre sœur, nous devrions nous-mêmes être irréprochable. Mais il ne faut pas penser ainsi ; il suffit d’être soi-même prêt à recevoir une réprimande pour sa propre conduite. Et en fait, c’est sûrement ce point qui est le plus délicat pour chacun : suis-je prêt à ce que quelqu’un vienne me montrer mes torts ?

Ce que demande Jésus n’est vraiment possible que s’il y a une disposition à la conversion à la fois chez celui qui va recevoir le reproche et chez celui qui l’adresse. Il y a en effet une diversité de mauvaises raisons. Pourquoi quelqu’un viendrait-il me montrer mes torts ? Pour le plaisir de gouverner ma vie, de mettre tout le monde au pas ? Cela arrive. Pour m’enfoncer, me faire douter de moi, m’avoir à sa merci ? Ce n’est pas rare. Il n’y a que deux bonnes raisons : il viendrait me montrer mes torts car il est partie prenante comme moi du témoignage de l’Église ; et parce qu’il se sent responsable de mon salut : il ne voudrait pas que je me perde.

Je terminerai par là : je suis responsable de mon frère, de son salut (cf. la lecture d’Ezéchiel 33,7-9). C’est important de s’imprégner de cette idée en ces temps d’individualisme forcené. Il ne faudrait pas que nous arrivions devant Dieu en disant comme Caïn : suis-je le gardien de mon frère ? (Gn 4,9)

Oui, je suis le gardien de mon frère, et en même temps je ne peux pas faire abstraction de sa liberté : il pourrait me résister, résister au chemin du bien que même toute la communauté lui montrera. Il me reste une arme : la prière. Nous recevons aussi la mission de prier pour celui qui semble se perdre, comme sainte Thérèse pour l’assassin Pranzini, qui s’exclame, après avoir lu qu’il avait embrassé la croix sur l’échafaud : « J’avais obtenu le signe demandé ; Ah ! depuis cette grâce unique, mon désir de sauver les âmes grandit chaque jour, il me semblait entendre Jésus me dire comme à la samaritaine : “Donne-moi à boire” ».

Voici donc la pédagogie subtile et inflexible de Jésus : va d’abord trouver ton frère seul à seul, rien qu’entre vous deux, pour le désapprouver. Et si cela ne suffit pas, prend avec toi un ou deux témoins, pour ne pas rester dans le domaine subjectif. Et finalement, s’il ne vous écoute pas, dis-le à la communauté toute entière, pour que la pression de l’Église et la crainte d’en être coupé agissent dans le cœur du pécheur. Et s’il faut encore plus, que la personne soit alors exclue, pour se rendre compte dans la durée que sa conversion est nécessaire. Et pendant tout ce temps, et après aussi, priez ! Jésus est au milieu de nous quand nous sommes réunis en son nom, il veut que nous nous mettions d’accord pour demander la conversion du pécheur.

 

La promesse de ne pas se fourvoyer

homélie du 24 août

La promesse de ne pas se fourvoyer

homélie du 24 août

Nous voyons à l’œuvre la puissance de la mort dans le monde ; je pense à la façon dont l’amour humain est banalisé, réduit à des recherches égoïstes de plaisir ; à la façon dont les divisions entre les peuples sont attisées pour les dresser les uns contre les autres ; à la corruption et aux malversations de toutes sortes ; au brouillard de plus en plus dense qui est distillé dans les consciences à propos de la valeur de la vie ; aux progrès du spiritisme, de l’occultisme et de la voyance ; et j’en passe. Je dois dire aussi, à mon grand regret, que nous voyons à l’œuvre la puissance de la mort dans l’Église. Vous connaissez bien le scandale des prêtres pédophiles, que les médias ne cessent de relever. Mais il y a aussi toutes les luttes entre prêtres ou entre laïcs et prêtres introduites par l’orgueil ou le mépris ; la façon dont certains utilisent leur position pour briller aux yeux des hommes ; la méfiance distillée même par des prêtres envers le contenu de la foi reçue des apôtres ; l’abandon de la prière, sans parler de ma paresse quotidienne... Dans l’histoire aussi nous pourrions relever de nombreux agissements mauvais de papes, d’évêques, de religieuses et autres chrétiens.

Nous voyons partout la puissance de la mort à l’œuvre, et pourtant nous voulons vivre, nous sommes faits pour la vie, pour la lumière et l’espérance ! Et ce désir de vie et de bonté reçoit de Dieu une promesse : la puissance de la mort ne l’emportera pas contre mon Église.

En regardant l’histoire, je suis frappé de constater que malgré les erreurs ou les décisions douteuses qui émaillent les siècles, l’Église catholique n’a cessé de progresser et d’apporter la connaissance du Christ à des millions et des milliards de personnes. Et même si certains papes étaient des contrexemples de vie chrétienne, spécialement à la Renaissance, ils n’ont pas abîmé le dépôt de la foi bien qu’ils aient été source de scandale.

Nous qui voulons marcher dans la lumière, il y a une confiance que nous pouvons apporter à l’Église à cause de cette promesse de Jésus de la guider et de ne pas laisser les ténèbres dominer sur elle.

Jésus souligne bien que la connaissance de foi que Pierre a à propos de son identité de Fils de Dieu, « ce n’est pas la chair et le sang, mais le Père qui lui a révélé cela » (Mt 16,17). L’expression « la chair et le sang » désigne ce qui est naturel, propre à l’homme (hors de toute qualification morale positive ou négative). Jésus dirait en quelque sorte : ce n’est pas par des moyens humains que tu connais la vérité sur ce que je suis. Tu le connais par un moyen surnaturel, par l’inspiration du Saint-Esprit qui te l’a fait percevoir.

Dans la ligne de cette déclaration de Jésus, nous croyons que le Père continue de guider son Église par son Esprit, au-delà des moyens naturels et humains de connaissance et de décision. Cela se fait au moyen des charismes. Dans l’Église catholique charismes et ministères ont été très vite liés, et on n’aura pas de honte à parler du charisme d’évêque ou de pape, et pas seulement des charismes de prophète, d’enseignant ou de celui qui fait des guérisons — ces derniers charismes, d’ailleurs, ont été bien oublié dans l’Église des derniers siècles, hormis sans doute chez les saints.

Dans cette déclaration de Jésus de fonder son Église sur Pierre nous discernons la naissance d’un charisme particulier : celui de présider à toute l’Église dans son universalité. Plus tard on parlera de primauté de Pierre et de ses successeurs. Ce rôle du successeur de Pierre dans l’unité de l’Église et la cohésion de son enseignement sera reconnu très tôt, dès saint Clément à la fin du premier siècle. Puis cette fonction sera exercée sous des formes variables au cours des siècles, devenant plus que monarchique à l’époque où les papes devaient lutter avec les rois pour assurer l’indépendance de l’Église par rapport au pouvoir civil. La façon d’être Pierre évoluera encore, comme le suggérait Jean-Paul II dans son encyclique sur l’unité, où il invitait à « chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d'amour reconnu par les uns et par les autres » (Ut unum sint, §95)

Cet évangile du « tu es Pierre » ne se retrouve qu’ici, en saint Matthieu. Ce n’est même pas chez Marc qu’on le trouve, alors qu’il est l’évangéliste qui rapporte le témoignage de Pierre. J’apprécie que le soucis de la primauté de Pierre ne soit pas un souci de Pierre lui-même, mais de la communauté de L’Église, de l’Église qui désire marcher dans la lumière à la suite de son Seigneur.

C’est ce désir de l’Église de marcher toujours dans la lumière qui a conduit aussi à déclarer qu’il y a une infaillibilité du pape dans les quelques cas où il engage toute l’Église. La motivation de fond de cette infaillibilité n’est pas de donner un pouvoir exorbitant au pape. L’idée de fond c’est que Dieu ne va pas laisser son Église se fourvoyer, laisser la « puissance de la mort » (Mt 16,18), du néant, l’emporter sur elle. Dieu veut que son Église aide les hommes à recevoir sa vie.