Je voudrais citer ici largement le pape Jean-Paul II, du temps où il était vicaire de paroisse et professeur de philosophie (Amour et Responsabilité, 1960) :

« La tendresse consiste en une tendance à faire siens les états d’âme d’un autre. Cette tendance se manifeste à l’extérieur, car on éprouve le besoin de signaler à cet autre “moi” qu’on prend à cœur ce qu’il vit, ses états intérieurs, afin qu’il sente qu’on les partage et les vit aussi. La tendresse naît donc de la compréhension de l’état d’âme d’autrui, et tend à lui communiquer combien on est proche de lui... c’est pourquoi la tendresse s’extériorise par divers actes qui la reflètent... Elle est une attitude affective intérieure et ne se limite pas aux manifestations extérieures...

« Il convient de distinguer nettement entre la tendresse et ses diverses manifestations extérieures d’une part, et, de l’autre, les différentes formes de la satisfaction de la sensualité. Leurs sources et leurs fins sont absolument dissemblables. La sensualité est par nature orientée vers le corps en tant qu’objet possible de jouissance sexuelle... La tendresse, par contre, découle de l’affectivité et, dans le cas qui nous intéresse, de cette réaction à l’être humain de sexe différent, qui la caractérise. Elle n’exprime pas la concupiscence mais plutôt la bienveillance et le dévouement. Évidemment, un certain besoin de satisfaire à l’affectivité se manifeste en elle, mais il a un caractère foncièrement différent du besoin de satisfaction de la sensualité. L’affectivité est orientée vers l’homme et non vers le corps et le sexe ; il ne s’agit pas pour elle de jouir mais de se sentir près.

« La tendresse peut être complétement désintéressée, surtout quand elle marque l’attention portée à la personne et à sa situation intérieure. Ce désintéressement disparaît si les diverses manifestations de tendresse servent à satisfaire surtout nos propres besoins d’affectivité. Pourtant, cette satisfaction peut ne pas être sans valeur dans la mesure où elle permet de sentir la proximité d’autrui, surtout lorsque les deux parties en éprouvent le besoin. Un certain utilitarisme entre dans l’amour humain, sans pour autant le détruire... Tout homme étant un bien limité, son désintéressement l’est aussi.

« Il existe donc un problème d’éducation de la tendresse contenu dans celui de l’éducation de l’amour chez l’homme et chez la femme, et, par conséquent, entre eux. Il fait partie de la problématique de la continence. En effet, la tendresse doit être entourée d’une certaine vigilance : il faut veiller à ce que ses diverses manifestations ne prennent pas une autre signification et ne deviennent pas des moyens de satisfaire à la sensualité et aux besoins sexuels. Aussi ne peut-elle se passer d’une vraie maîtrise de soi, qui devient ici l’indice de la subtilité et de la délicatesse intérieure de l’attitude à l’égard de la personne de sexe différent. Tandis que la sensualité pousse à la jouissance et que l’homme dominé par elle ne voit même pas qu’il peut y avoir un autre sens et un autre style de rapports entre l’homme et la femme, la tendresse révèle, en quelque sorte, ce sens et ce style, en veillant ensuite à ce qu’ils ne soient pas perdus.
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« Soulignons encore une fois que la tendresse est un élément important de l’amour, car on ne peut nier cette vérité que l’amour est dans une large mesure fondé sur les sentiments, cette matière que l’affectivité naturelle doit fournir continuellement afin que l’aspect objectif de l’amour soit organiquement uni à son aspect subjectif. Il s’agit ici moins de ces premiers transports de l’affectivité, qui, rattachés à la féminité ou à la masculinité, rehaussent, d’une certaine manière, artificiellement, la valeur de la personne aimée, que d’une participation permanente des sentiments, de leur engagement durable dans l’amour. C’est eux qui rapprochent la femme et l’homme et créent une atmosphère intérieure d’entente et de compréhension mutuelle. Ayant un tel fond, la tendresse est naturelle, vraie, authentique. Il faut beaucoup de tendresse dans le mariage, dans cette vie commune où non seulement un corps a besoin d’un autre corps, mais surtout un être humain d’un autre être humain. C’est là qu’elle a un rôle important à jouer. Étroitement liée à un véritable amour de la personne, désintéressée, elle peut sauver l’amour de divers périls dus à l’égoïsme des sens ou à l’attitude de jouissance. La tendresse est l’art de “sentir” l’homme tout entier, toute sa personne, tous les mouvements de son âme, fussent-ils les plus cachés, en pensant toujours à son bien véritable.

« C’est cette tendresse-là que la femme attend de l’homme. Elle y a particulièrement droit dans le mariage où elle se donne à l’homme, où elle vit ces moments et ces périodes si difficiles et si importantes de son existence que sont la grossesse, l’accouchement et tout ce qui s’y rattache. Sa vie affective est en général plus riche que celle de l’homme, et, par conséquent, son besoin de tendresse plus grand. L’homme en a besoin aussi, mais pas dans la même mesure et sous une autre forme. Chez tous deux la tendresse crée la conviction qu’ils ne sont pas seuls et que leur vie est partagée par l’autre. Une telle conviction leur est d’un grand secours et elle renforce la conscience qu’ils ont de leur union...

« Il ne peut y avoir de véritable tendresse sans une véritable continence qui a sa source dans la volonté toujours prête à aimer et à triompher de l’attitude de jouissance que la sensualité et la concupiscence essaient d’imposer. Sans la continence, les énergies naturelles de la sensualité, et celles de l’affectivité attirées dans leur orbite, deviendront uniquement “matière” à l’égoïsme des sens, éventuellement à celui des sentiments. Il faut le dire nettement. D’ailleurs la vie nous l’apprend à chaque instant... Dans un certain sens ce danger touche à l’amour ; en effet, les mêmes matériaux peuvent servir à édifier le véritable amour, union des personnes, et l’amour apparent qui n’est qu’un voile dissimulant l’attitude intérieure de jouissance et l’égoïsme contraire au véritable amour. C’est ici que la continence, qui libère de cette attitude et de cet égoïsme et par là-même forme indirectement l’amour, joue le rôle le plus important et finalement positif. On ne peut construire l’amour de l’homme et de la femme que par voie d’un certain sacrifice de soi-même et par voie de renoncement. Nous en trouvons la formule dans l’Évangile. Elle est exprimée par ces paroles du Christ : “Celui qui veut venir à ma suite, qu’il se renie soi-même”. L’Évangile nous enseigne la continence en tant que manifestation de l’amour. »

On peut trouver un commentaire intéressant, en anglais, de « Amour et responsabilité » en suivant ce lien.