homélie du Jeudi saint, 14 avril 2022
{joomplu:6} Il y a un certain nombre de choses qui nous donnent du bonheur dans la vie, mais le plus grand bonheur est celui d’aimer et d’être aimé. Ce partage d’amour entre deux personnes est la nourriture la plus essentielle de la vie humaine. Ce n’est pas pour rien que nous sommes la plupart du temps nés de l’amour de nos parents. Nous venons de l’amour, à commencer par l’amour de Dieu qui nous a voulu depuis notre conception, et nous sommes faits pour aimer et être aimés. Bien sûr cet amour entre deux personnes peut prendre différentes formes entre les êtres humains. C’est l’amour conjugal, ou l’amour d’amitié, qui peut être très profond lui aussi — parfois plus. Mais il y a un amour encore plus essentiel, bien que souvent ignoré : le lien vital entre chacune, chacun de nous, et notre Créateur. Plus que toutes les autres amours, cet amour entre les personnes divines et la petite personne que nous sommes nous est vital.
Vous pourriez penser que j’exagère, puisque tant de personnes vivent bien sans ce lien, ou en tout cas sans le vivre explicitement. Et pourtant, quand je regarde comment va le monde, je me dis que ce lien manque à beaucoup, et même à des gens qu’on appelle hommes d’Église. La destruction ou la négation de ce lien vital, c’est ce qu’on appelle le péché : dire à son Créateur : je n’ai pas besoin de toi, et je veux vivre ma vie sans me soucier de ce que tu m’as dit et de ton amour pour moi. Parler ainsi ne semble pourtant pas problématique. On ne meurt pas de dire « zut » à Dieu. On ne meurt pas de ne pas prendre la peine de le chercher. En réalité, on pense qu’on ne meurt pas parce que notre âme ne meurt pas avec grand fracas, elle s’endort discrètement… Et c’est bien tard que nous nous apercevons qu’elle ne respire presque plus. À cause de cette discrétion, bien des gens — et cela nous arrive également — sont prêt à dire au Fils de Dieu : il ne fallait pas faire tout ça pour moi, il ne fallait pas venir me sauver… Tu vois, je me débrouille, j’ai mes valeurs, je suis suffisamment irréprochable à mes yeux.
Au lieu de parler ainsi, laissons-nous façonner par la manière dont le Christ se comporte. Au moment de donner sa vie, il nous fait comprendre que c’est pour nous qu’il la donne. Il le fait comprendre par le lavement des pieds, dont il dit qu’il faut le laisser nous le faire sinon nous n’aurons pas de part avec lui. Saint Pierre a bien essayé de dire au Seigneur qu’il ne devait pas prendre cette peine, mais quand Jésus lui a dit que l’amitié avec lui n’était possible qu’à ce prix, Pierre voulait être lavé tout entier.
Notre cœur pourrait refuser ce service du Christ à notre égard, en disant : je n’ai pas besoin de cela, j’essaie d’être un bon chrétien, mais je n’ai pas besoin de salut : je n’étais pas perdu, je n’étais pas esclave ; la confession, c’est un sacrement désuet ; le Christ est mort pour les péchés de Vladimir Poutine, mais pas pour les miens qui sont négligeables ou si communs… Et nous voilà dans la posture de saint Pierre qui dit : non, Seigneur, tu ne me laveras pas les pieds !
Au contraire, voilà ce que notre cœur doit accueillir à nouveau : ce fait que l’amitié vitale avec le Fils de Dieu n’est possible que s’il donne sa vie pour nous. C’est là le grand service qu’il veut accomplir pour nous. Si nous avons erré loin de Dieu, nous savons mieux ce que son salut veut dire. Les convertis sont souvent bien plus fervents que les chrétiens qui sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits. Mais faisons tous un effort pour nous représenter le lien joyeux, vivant, puissant, que Dieu voudrait voir entre notre cœur et le sien. Pensons à l’amour le plus beau dont nous avons rêvé. C’est une image de ce que Dieu nous propose, à partir de maintenant et pour toute notre vie. J’en veux pour preuve la façon dont Jésus se donne. Il ne nous demande pas de faire un dessin pour nous rappeler comment il s’est donné. Il nous demande de le manger, au point de devenir Celui que nous recevons. Voilà l’intimité vertigineuse que le Seigneur nous propose. L’intimité qui sauvera le monde, car notre cœur deviendra vibrant pour tous ceux qui ont besoin de notre amour autour de nous. Ne restons pas de marbre ! Et si notre cœur se plaint de sécheresse ou de tiédeur, commençons par en demander pardon et à mendier aujourd’hui la grâce d’une foi vivante, d’un amour renouvelé. Seigneur, prends pitié de nous ! Guéris ton Église de sa suffisance ! Notre cœur a soif de toi.