Qu’est-ce que le carême ? C’est le temps de préparation à Pâques, pendant 40 jours, comme le Christ a passé 40 jours au désert au début de sa mission. Nous nous préparons à Pâques, à la victoire de Dieu sur le mal, à l’œuvre que le Christ accomplit pour nous par sa mort et sa résurrection. Nous voulons nous préparer à cette victoire du Christ en nous y exposant, en nous y rendant plus sensible. Le carême est le temps où nous développons notre réceptivité à ce que Dieu fait et à son message, à sa Parole. C’est un temps de conversion, c’est-à-dire de changement.
Et comment nous rendons-nous plus sensibles à ce qui est de Dieu ? Nous avons trois grand moyens, rappelés par l’évangile : partager, prier, jeûner. Ce ne sont pas des pratiques exceptionnelles, qu’on ne fait qu’au moment du carême, comme dans le ramadan. Mais pendant le carême nous partageons davantage, nous prions plus longtemps, nous jeûnons plus souvent.
Le partage — Jésus parle de faire l’aumône — nous fait reconsidérer notre rapport aux choses que nous possédons. Car dans la foi chrétienne il n’y a pas de droit absolu de propriété ; la terre est donnée à tous, et si nous possédons certaines choses c’est pour en user en considérant le bien commun. Je ne peux pas me dire « je fais ce que je veux de mon argent », sans considérer les besoins de ceux qui m’entourent et de ceux qui sont au loin.
La prière est le temps que nous consacrons à chercher Dieu dans le seul à seul de l’échange du cœur. Nous passons du temps avec lui parce que c’est lui. Pendant le carême on prie davantage. Or, comme la durée du jour ne passe pas de 24 à 25 heures, il y a des choses pendant le carême auxquelles on consacre moins de temps, afin de se rendre disponible pour prier. Ça paraît bête à dire, et pourtant je crois que je ne m’en rends compte que maintenant : prier plus veut dire faire moins d’autres choses. Ce n’est pas facile à accepter pour moi, et pourtant je le voudrais !
Enfin, Jésus nous parle du jeûne, d’un jeûne joyeux. C’est quoi jeûner ? On distingue jeûne et abstinence, sans que je sache d’où cela vient. L’abstinence, chez les catholiques, c’est se priver de viande. Chez les chrétiens coptes, c’est ne rien manger qui vient des animaux, ni viande ni œuf ni lait ni fromage. Et en Égypte on fait cela pendant tout le carême. Le jeûne, quant à lui, consiste à faire un seul repas pendant la journée, avec une alimentation frugale aux autres repas. On ne doit rien manger entre les repas, sauf cas de maladie. Enfin, disons que c’est la description officielle ; car dans beaucoup de communautés on jeûne plus “dur”, en ne mangeant que pain et eau. L’important c’est de le faire de bon cœur et de tout son cœur. Car justement la pratique du jeûne vise à nous détacher de l’orgueil, donc de la performance exceptionnelle. En tous cas, on jeûne au minimum le mercredi des cendres et le Vendredi Saint. L'abstinence n'est pas obligatoire mais recommandée les vendredis de carême, non seulement de viande mais de tabac et d'alcool ou autre superflu, en égard pour la passion du Christ. C’est un jeûne en Église, dans la solidarité de tous les chrétiens. Car nous ne vivons pas chacun notre petit carême, mais c’est ensemble, en peuple de Dieu, que nous cherchons le Seigneur. Il y a une joie de marcher vers Dieu tous ensemble, de se convertir, de changer en nous encourageant les uns les autres. Du coup nous aurions l’impression que cela contredit ce que Jésus demande quand il refuse l’ostentation du jeûne. Mais il rejette seulement les combines pour bien montrer qu’on jeûne. Ainsi, sans prendre un air abattu, nous devrions pouvoir refuser une invitation lorsqu’on nous convie à un banquet le soir du Vendredi Saint. C’est peut-être le moment de témoigner publiquement de notre attachement au Christ.
Le but de tout cela est que l’amour grandisse, sans buter sur notre moi. Aujourd’hui on risque moins de pratiquer notre religion aux yeux des hommes, comme le dénonçait Jésus, mais nous sommes tentés par un autre orgueil : celui du résultat et de la réussite. Ainsi quand nous donnons nous voudrions que cela serve à quelque chose ; de même quand nous prions nous aimerions mesurer les résultats de notre prière en terme de paix intérieure ou d’exaucement. Pour nous débarrasser de cela nous jeûnons, afin, comme dit un commentaire de la Bible, de nous « humilier devant Dieu », c’est-à-dire de ne pas nous poster devant Dieu avec l’arrogance déplacée de celui qui voudrait que son engagement spirituel rapporte. En général nous jeûnons peu parce que justement nous nous disons : quand je jeûne je suis moins performant, je suis distrait par mon ventre, je ne peux pas vivre comme d’habitude, etc. ! Et pourtant le jeûne est justement là pour ça : pour s’humilier devant Dieu, se rappeler que sa vie, on la reçoit, réduire ses prétentions de performance.
Finalement, mesurons notre carême non pas aux jours de jeûne, aux longueurs des prières, aux sommes partagées, mais à l’amour déployé dans tout cela et dans toutes les actions de notre vie.