Homélie de Noël 2011
Depuis Abraham le peuple de Dieu n’a pas manqué de vivre des épreuves, mais au lieu d’en conclure que Dieu l’avait abandonné ou même n’existait pas il a perçu à travers ces épreuves la révélation de Dieu. Le salut que Dieu vient proposer n’est pas une distraction passagère par rapport aux malheurs du temps comme si Dieu disait « Eh bien, venez, on va se changer un peu les idées, après, ben voilà, vous reprendrez votre vie normale… » Non ! Le salut dont Isaïe annonce qu’il va jaillir est l’annonce d’un changement en profondeur.
Aujourd’hui notre époque vit des difficultés aussi graves et généralisées. Le Congo vient de vivre un simulacre d’élections, la Russie probablement aussi, nous redécouvrons l’oppression dans laquelle vivent les Nord-Coréens. Nous craignons pour l’avenir de l’Irak, de la Syrie, de l’Égypte, de tant d’autres pays. Partout des injustices graves frappent les hommes, l’amour de l’argent gouverne le monde. Ici, en Belgique, nous avons été choqués par la tuerie de la place Saint-Lambert et nous essayons de nous unir à la peine de ceux qui en ont été frappés. Dans un autre registre nous voyons que la seule réalité sociale qui ne doit pas contribuer à l’effort de crise est le capital, dont on craint qu’il fuie ailleurs, alors que la spéculation a contribué grandement à la mauvaise situation où nous sommes. La moindre taxe sur les transactions financières, demandée également par le Vatican, est reportée sans cesse. Le pouvoir de l’argent semble dominer le monde et souvent aussi il gouverne notre cœur et nous nous découvrons avides de reconnaissance, de pouvoir, de biens.
Allons-nous simplement essayer de nous changer les idées aujourd’hui en oubliant tout cela l’espace d’une fête ? Ne pourrais-je pas vous parler de quelque chose d’un peu plus joyeux ? « Monsieur le vicaire, c’est Noël ! » Mais vous le savez bien : Dieu ne vient pas nous faire passer un bon moment féerique, il vient dans un monde blessé parce qu’il est blessé, et pour le sauver.
Saint Ignace, dans les exercices spirituels, propose de méditer l’incarnation en regardant la scène suivante : « les 3 personnes divines contemplent toute la surface de la terre remplie d’hommes et de femmes. Voyant qu’il y en a tant qui souffrent elles décident dans leur éternité que la Seconde Personne se ferait homme pour sauver l’humanité ». Et voilà que la Seconde Personne, le Fils, le Verbe de Dieu se fait chair. Celui par qui tout a été fait, le voici petit enfant couché dans une mangeoire d’animal car il ne reste pas de place assez convenable dans le monde dont il est l’auteur. C’est ahurissant ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu ! ». Nous voyons çà tous les jours, en nous et autour de nous, et Dieu le savait bien en venant, et en quelque sorte c’est à cause de çà qu’il est venu, et c’est sa venue qui est un vrai changement.
Cet enfant, il est petit... il ira loin ! Il ne vient pas nous impressionner, il vient nous persuader. Désormais rien ne peut nous séparer de la lumière que Dieu veut mettre dans le monde pourvu que nous acceptions de ne plus jouer au plus fort, de reconnaître notre fragilité, de nous laisser aimer par Dieu et par les autres.
Pas de cet amour captatif qui utilise l’autre, qui le met à mon service, mais de cet amour qui me fait accepter de paraître devant l’autre désarmé, tel que je suis plutôt que tel que je voudrais être, abandonnant l’image que je voudrais donner de moi. Aujourd’hui nous pouvons accepter de nous laisser désarmer par Dieu qui vient en petit enfant.
C’est une grande libération de se laisser aimer tel qu’on est, de ne pas chercher à se justifier, à inventer des carabistouilles ou bien à répondre par l’arrogance mais d’accepter d’être tout pauvre parce que tant aimé1. Cela va nous rendre humain, nous permettre d’avoir le cœur ouvert. Tout le dispositif de la foi chrétienne, jusqu’au sacrement de réconciliation, propose cela. Voilà ce que par son amour Dieu propose aux hommes ; voilà ce que l’Église propose en son nom à tous.
Notre monde en a un besoin inouï, notre monde qui ne parle plus que des « fêtes de fin d’année » comme d’une coquille vide de sens, notre monde a tant besoin de retrouver la source de l’amour ! Et vous êtes venus l’explorer. Et vous voulez faire comme Marie qui garde tout cela dans son cœur. Ce n’est pas facile de garder les choses dans notre cœur car le monde d’aujourd’hui est un monde qui nous propose tant de distractions. Des choses se succèdent dans notre cœur sans y rester, nous passons d’un impératif à l’autre, nous sommes comme captivés — c’est-à-dire que notre cœur est comme en captivité ! C’est difficile aujourd’hui de garder les choses dans son cœur pour les méditer. Mais c’est tellement urgent de le faire !
Oh Seigneur viens à notre secours, aide-nous à garder dans notre cœur ta venue, à la méditer, à la contempler, à nous laisser toucher par la façon dont tu viens à nous. Oh oui, laissons-nous transformer par l’amour de Dieu et qu’ainsi cela intrigue les gens qui vivent autour de nous. Et qu’eux aussi se sentent attirés par le Christ. Nous voulons que le monde change... C’est par l’adhésion de notre cœur que Dieu envisage de changer le monde.