J’ai envie de vous partager comment je vis la nouvelle de mon départ, car je voudrais vous communiquer une part de ma confiance pour l’avenir.
À vrai dire cela fait pratiquement 5 ans que je m’apprête à vous parler ainsi, puisqu’un prêtre, lorsqu’il est dans une paroisse depuis 7 ou 8 ans, sait bien que chaque année qui vient en plus est un cadeau inattendu. Alors j’ai bénéficié de bien des cadeaux, et je suis très reconnaissant à mon évêque de m’avoir laissé longtemps avec vous. Nous fêtons saint Jean-Baptiste. Une des phrases de lui que j’aime beaucoup est au sujet de Jésus : « il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jn 3,29-30). Tout prêtre est une sorte de Jean-Baptiste, ami de l’Époux qui est Jésus ; il conduit à Jésus, il dit : « voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Il le fait avec tout son être, et c’est le sens de ce très beau célibat sacerdotal que de permettre au prêtre de montrer Jésus avec tout son être. Mais vient le moment où il doit diminuer, pour que croisse encore l’attachement à Jésus seul qu’il a voulu susciter. C’est pourquoi il part accomplir sa mission ailleurs. Et depuis saint Paul ces départs sont douloureux ; c’est une constante de la vie de l’Église. Car notre vie est orientée vers la vie éternelle, où nous aurons tout le temps d’être ensemble.
Je pars bientôt et ma peine est grande, non pas parce que la situation est injuste mais parce que vous m’aimez beaucoup et que je vous aime beaucoup. À vrai dire, c’est un évêque qui m’a fait prêtre mais c’est vous qui m’avez appris à l’être et c’est par vous « que Dieu achève ce qu’il a commencé » (selon la formule de l’ordination). Quand je suis arrivé chez vous je ne savais pas si je resterais prêtre diocésain ou si je rejoindrais une communauté comme les carmes ou d’autres spirituels ; après mes expériences de stage j’en étais venu à me demander si des paroissiens seraient intéressés d’entendre parler de Dieu et de vouloir faire un chemin avec lui. Cela me paraissait le centre mais je voyais si souvent la foi chrétienne réduite à une bonne morale… traditionnelle ou modernisée, mais qu’importe si l’amour de Dieu n’est qu’en option sur le modèle. Mais heureusement je suis tombé chez vous, et vous avez été avec moi des gens qui cherchent Dieu et puisent auprès de lui la force d’aimer les hommes d’une façon nouvelle.
Vous m’avez fait prêtre par ce que vous attendiez de moi de la part de Dieu ; vous m’avez fait prêtre par tout le travail d’annonce de l’Évangile que nous avons fait ensemble aux jeunes de tous les âges et aux moins jeunes ; vous m’avez fait prêtre lorsque nous étions d’accord et lorsque vous me faisiez changer d’avis ou que vous accueilliez le mien. Vous m’avez fait prêtre par votre enthousiasme pour l’Évangile et pour l’Église, un enthousiasme bien partagé. Et je suis si heureux d’être prêtre !
Voilà que je retourne dans mon diocèse. Pour une fonction qui à première vue me paraît bien plus ingrate : diriger l’institut supérieur de théologie. Mais est-ce que j’allais dire non et obliger à faire cela un prêtre qui aurait de toute façon eu moins de chance que moi en paroisse ? Et puis surtout, je sens que le Seigneur m’y attend. Un petit fait d’abord. Comme mon vicaire général craignait que je n’apprenne ma nomination par les bavardages de quelque responsable déjà au courant mais pas censé me le dire — les prêtres sont très très pipelette, il faut le savoir ; c’est comme si garder le secret de la confession leur pesait tellement que tous les autres secrets ils doivent les colporter à tout prix ! — il m’a appris ma nouvelle nomination en me téléphonant dans le train pour Paris : je n’étais pas libre avant la marche des vocations du lendemain. Et voilà que dans le train de retour la dame assise à côté de moi sort un livre de théologie… C’est plutôt rare, un voyageur qui lit de la théologie ; je n’en avais jamais vu. Donc j’entame la conversation, et je découvre que cette dame enseigne dans l’institut frère du mien, à Lille, juste de l’autre côté de la frontière. Et qu’elle fait un mémoire pour obtenir la licence canonique, tout juste comme moi. Fameux encouragement de la Providence ! Mais la Providence, je la vois de façon moins anecdotique dans l’intuition qui est montée en moi un jour où je discutais avec Arnaud Join Lambert et que je me suis dit : pourquoi ne pas terminer ces études en théologie morale interrompue il y a 13 ans par le syndrôme de fatique chronique ? L’an passé, quand j’ai commencé, cela paraissait purement gratuit. Et voilà que mon diocèse a besoin de moi dans ce domaine-là ! Comme Dieu préparait les choses ! Comme il voit loin ! Depuis 2 mois je suis ému de voir comme on peut être dans la main de Dieu et combien c’est bon, fortifiant.
Ainsi donc dans 2 mois je vous quitterai, le cœur gros et le cœur reconnaissant, et aussi le cœur confiant, pour moi comme pour vous, car je sais que Dieu est là, qu’il pourvoit, et que les prêtres qui arrivent sont de bons prêtres, qui aiment les gens, qui aiment Dieu, qui aiment l’Église tout comme vous. Si je peux vous demander un cadeau, c’est celui de votre attachement au Christ dans son Église, de plus en plus. Il faut qu’Il croisse et que je diminue.