homélie de la Toussaint 2013
« Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu… » Que font les saints ? Ils voient Dieu ! Non pas comme on voit un phénomène original ou même grandiose, mais dans la possibilité de communiquer avec lui. Aux JMJ j’ai vu des jeunes arriver très tôt sur la plage de Copacabana pour espérer voir le pape de près, voire même qu’il s’arrête là où ils s’étaient massés. J’imagine leur tête si on avait dit : vous pourrez passer 10 minutes avec le pape ! Et pourtant, Dieu est tellement plus merveilleux que le pape.
Les saints voient Dieu de ce qu’on appelle la « vision béatifique ». Dans l’apocalypse on dit : « les serviteurs de Dieu verront son visage, et son nom sera inscrit sur leur front » (Ap 22,2). Avez-vous déjà langui de voir le visage d’une personne très aimée ? Avez-vous déjà tressailli de joie de revoir quelqu’un que vous n’aviez plus vu depuis longtemps et qui vous était très cher ? C’est un signe lointain de ce que nous ressentirons en voyant le visage de Dieu. Dieu, notre créateur, qui nous a faits à son image, qui nous aime si passionnément ! Dans son regard nous nous sentirons tellement aimés, tellement compris, tellement rejoints ! Nous éprouverons une union qui remplira tout notre être et le fera profondément tressaillir de joie. Nous éprouverons la valeur infinie que nous avons pour Dieu, au point qu’il n’a pas refusé son propre Fils pour nous sauver du péché. Notre moi le plus profond sera bouleversé de joie.
Ces choses peuvent nous paraître un peu lointaines, inaccessibles, ou pas si passionnantes que cela… C’est parce que le péché a insensibilisé notre âme, a endormi ses attentes profondes pour les remplacer par des attentes futiles, comme d’avoir de l’argent, d’être honorés ou de pouvoir regarder tranquillement la prochaine série. Mais si nous retrouvons le chemin de notre cœur, en nous dévouant par amour pour nos frères, en tendant notre cœur vers Dieu dans la prière, nous verrons grandir en nous ce désir de voir Dieu.
Son regard sera si doux et si passionnant que nous aurons de la peine à nous en détacher. Nous espérerons bien que ce moment dure sans fin, qu’il ne faille pas que nous entendions quelqu’un venir nous dire : voilà, maintenant il faut partir, tu n’as plus le temps. C’est pourquoi la vie auprès de Dieu est la vie éternelle : non pas une vie qui dure longtemps mais une vie où il n’y a plus de temps, où personne ne viendra nous dire : tu perds ton temps, tu n’as plus le temps, il faut partir, il faut abandonner Celui qui te comble.
Sans doute que le Purgatoire ressemblera à ceci : voir le visage de Dieu, l’éclat de son regard et sentir au fond de nous que le temps n’est pas encore venu de le goûter, qu’il faut partir un peu. La peine du Purgatoire, je l’imagine comme une peine d’impatience, comme lorsqu’on va partir faire un beau voyage mais qu’il nous tombe des tuiles et que nous devons souvent différer ce départ.
Et s’il y a quelqu’un en enfer — nous devons prier qu’il n’y ait personne, mais on ne peut pas l’exclure puisque Dieu laisse à l’homme la liberté de le refuser, comme on le voit aujourd’hui — sa souffrance ne sera pas d’être rôti à un feu de braises, mais de voir le feu de l’amour de Dieu et de savoir qu’il l’a refusé pour vivre centré sur lui-même, c’est-à-dire sur bien peu de chose.
Encore un mot : les saints attendent-ils quelque chose ? Oui, ils attendent la résurrection ! Car s’ils vivent maintenant auprès de Dieu, c’est parce que leur âme ne pouvait pas mourir, mais ce n’est pas encore la résurrection. Leur cœur, leur esprit, leur désir, tout cela vit auprès de Dieu, mais ils attendent de retrouver un corps, un corps bien différent de celui-ci mais un corps quand-même, semblable à ce corps glorieux de Jésus que voyaient les apôtres et par lequel ils pouvaient l’aimer. Tous, les saints du Paradis, les âmes du Purgatoire et nous-mêmes, nous attendons la résurrection finale, la résurrection de la chair, où nous pourrons nous réjouir tous ensemble des merveilles de l’amour de Dieu. Car nous ne serons pas de purs esprits, il y aura encore des sortes de paysages, de bons repas, de belles balades et de bonne musique dans le Royaume des cieux, même si ce sera d’une autre matière que celle-ci.
« Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu… » (Mt 5, 8)