homélie du 6e dimanche, 16 février 2014
Jésus nous décrit aujourd’hui l’itinéraire du chemin de l’amour, et nous découvrons que c’est un chemin qui monte, un chemin resserré, comme ces difficiles chemins de montagne, qui ne peut que nous impressionner.
La première chose qui me vient à l’esprit est que si nous voulions paraître irréprochables devant le Christ, c’est vraiment raté. Tant qu’on pouvait simplement chercher à éviter le meurtre ou l’adultère ou le faux serment, ça pouvait encore aller. Mais si une colère a rang de meurtre, si un regard vaut un adultère, qui peut être sauvé ? L’homme est incapable de paraître juste aux yeux de ses semblables, et moins encore aux yeux de Dieu. Il ne peut sauver lui-même ; sans la miséricorde du Christ, qui est sa véritable justice, il n’est rien. Le juste pêche 7 fois par jours, dit le psaume. Et finalement la vie du croyant, c’est de revenir : revenir à Dieu, revenir à ses frères, en demandant pardon, en accueillant le pardon.
Nous vivons dans un monde où on ne supporte plus d’être en tort ni d’être redevable à quelqu’un. On ne veut plus être qu’irréprochable. Vivre en pécheur pardonné est bien difficile aujourd’hui. Un intense sentiment de culpabilité rôde au fond des cœurs de beaucoup, au point d’engendrer beaucoup de puritanisme déguisé, au point de se sentir forcé de libéraliser toujours plus la morale afin d’être toujours en règle. Alors il se passe trois choses :
- la loi permet de plus en plus de choses, même des choses qu’on aurait cru inimaginables il y a 10 ans ;
- nous n’évaluons plus les actions, nous n’osons plus dire ceci est bien et ceci et mal, alors qu’il est nécessaire de juger, non pour condamner mais pour se conduire soi-même au milieu d’un monde désorienté.
- Et en même temps la société cherche des boucs émissaires pour les charger de la culpabilité diffuse et inévitable qui plane dans le cœur de l’homme. Ce sont ces gens qu’on voudrait voir mourir en prison, ou qu’on renvoie dans leur pays, ou d’autres encore qu’on cherche à biffer de notre société.
Est-ce que Jésus va dans le sens d’assouplir la loi ? Est-il un rabbi libéral ? Pas du tout. Il refuse qu’on le voie comme quelqu’un qui vient abolir quelque chose. Il ne vient pas diminuer les exigences morales sous prétexte qu’il annonce un évangile d’amour. Son amour est un amour concret, qui a des exigences concrètes. Aux pharisiens croyants ou athées qui sont obnubilés par le besoin d’être en règle, et qui trouve une échappatoire dans l’hypocrisie, dans la pratique de règles sociales au rituel médiatique plus ou moins incantatoire, Jésus rappelle les véritables obligations de l’amour. « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ! », dit-il à ses disciples.
Et les véritables obligations de l’amour passent par le refus de la colère, par la réconciliation, par la recherche d’une pureté du regard et le refus de la convoitise, par le retour à la fidélité à l’engagement d’amour dans le mariage, par la recherche d’une parole qui corresponde à la vérité de nos pensées et de notre être.
Aucun d’entre nous ne parviendra à réaliser ces paroles de Jésus à cause de la force de l’obligation, ni avec le désir d’être un chrétien modèle. Mais s’il cherche à aimer d’une façon toujours plus radieuse, il comprendra qu’il doit accueillir ces exigences comme un chemin qui le libérera de tout ce qui menace l’amour. Jésus nous révèle que toutes ces exigences sont le support de l’amour véritable, sont le moyen de bâtir sa maison sur le roc. L’amour véritable est la vraie énergie qui peut nous faire changer nous-mêmes et qui peut changer le monde. L’amour réaliste, celui qui traduit un véritable engagement de la personne et une véritable ouverture au mystère de l’autre, mon frère, ma sœur, pour qui je veux me donner moi-même.
Bien sûr nous serons encore pris en défaut ; l’important est de revenir, pour aimer de nouveau en vérité. Nous sommes libres, nous avons reçu le grand don de la liberté, pour réaliser notre vie à partir du fond de nous-mêmes. Nous sommes libres, nous pouvons faire de notre vie un grand chant d’amour. Et nous ne marchons pas seuls, mais sous le regard encourageant de Dieu.