homélie du 1er dimanche de carême, 9 mars 2014
{joomplu:14}Pour que l’homme puisse vivre le bonheur immense d’aimer — aimer Dieu, aimer son prochain, aimer une épouse, un époux, un ami — Dieu a créé l’homme libre. Car pour aimer il faut être libre, ce n’est pas déjà de l’amour que d’être conduit par ses pulsions ou ses affinités. Aimer c’est se décider soi-même pour quelqu’un, s’attacher librement à quelqu’un, pour lui faire du bien par le don de notre personne — et en retour en recevoir un grand bien, mais dans l’amour véritable ce bienfait pour soi n’est qu’un effet, non le but.
Dieu crée l’homme libre, capable de se décider par lui-même. C’est ce qui est symbolisé par l’arbre interdit au milieu du jardin : ce n’est pas l’instinct qui empêchera l’homme de prendre de cet arbre qui ne lui convient pas, c’est sa décision, la décision d’écouter la parole de Dieu. L’arbre n’est pas repoussant ni dégoûtant, il est beau à voir et il paraît savoureux, tout autant que tous les arbres du jardin qui sont permis à l’homme, qui sont bons pour lui.
Dieu ne téléguide donc pas l’homme vers le bien, car il veut qu’il y aille de lui-même ; c’est seulement comme cela que le bien sera bon pour lui, aura du prix et du goût. Mais l’homme n’est pas la règle de sa propre vie, ce n’est pas lui qui décide de ce qu’est le bien, car il est une créature et pour lui le bien se découvre et se présente à aimer ; il ne se présente pas à décider, à redéfinir. Décider tout seul ce qui est bien et ce qui est mal, voilà ce que représente l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et voilà pourquoi Dieu l’interdit à l’homme. Connaître, dans la Bible, ne veut pas dire savoir, mais expérimenter. Saisir le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, c’est vouloir expérimenter le mal comme le bien, prétendre se situer « par-delà le bien et le mal ». C’est un fruit que beaucoup de monde veut saisir de nos jours, et bien de nos parlementaires en font leur confiture du déjeuner. Ce serait encore possible de le faire si nous avions en nous la marque toujours vive du bien que Dieu a mis en nous. Mais cet attrait pour le bien est amorti par le péché, il devient incertain, et il peut se tromper.
Que s’est-il passé pour que le péché soit si problématique ? Le péché introduit une coupure entre la source de vie qu’est Dieu et chacun de nous. Cette coupure est apparue par la méfiance. Le péché originel que nous raconte la lecture d’aujourd’hui est au fond une méfiance originelle, une méfiance envers Dieu qui a contaminé tous les rapports de tout homme avec lui. Le diable vient dire qu’on n’a pas raison de faire confiance à ce que Dieu a promis, parce qu’au fond Dieu est menteur. Alors l’homme se retrouve seul, désespérément. C’est la solitude d’Ève et Adam devant l’arbre après la parole du serpent. Si Adam et Ève entérinent cette solitude, s’ils en font la règle de leur vie, s’ils s’imaginent que finalement ils doivent se débrouiller tout seuls pour trouver leur bonheur, loin des sentiers de Dieu, alors ils entrent dans le péché, et la vie divine peine à subsister en eux. C’est le prélude à toutes les haines, les exploitations, les homicides, les rejets de toute sorte.
Le péché inaugural de tous les péchés a été une méfiance. La méfiance tue l’amour. Le remède au péché et à la désolation qu’il entraîne dans nos vies et sur toute la planète, c’est la foi. La foi est le chemin inverse de la méfiance. La foi dit à Dieu : je te fais confiance, même dans cette situation où je ne te comprends pas, où je ne te sens pas, où j’aurais envie de me dire abandonné(e). Même dans cette situation — pour reprendre les trois tentations de Jésus — où j’ai l’impression que je manque de l’essentiel pour vivre ; dans cette situation où j’ai envie de dire : si Dieu m’aimait cela ne m’arriverait pas ; dans cette situation où je rêve d’être reconnu et de pouvoir agir d’une façon éclatante et efficace.
Tout au long de ce carême, puissions-nous faire l’option de la foi. Chaque fois que le doute se présente, renouvelons notre attachement au Seigneur, et notre détermination à vivre l’Évangile. Tant d’hommes et de femmes ont faim que nous vivions l’Évangile à fond.